pour aler à Jaffe. Quant le conte Japhe vit que | le Roy venoit, il atira son chastel en tel manière que ce sembloit bien estre ville deffendable; car à chascun des carniaus, dont il avoit bien cinq cens, avoit une targe de ses armes et un panoncel; laquelle chose fu bele à regarder, car ses armes estoient d'or à une croiz de gueles patée. Nous nous lojames entour le chastel, aus chans, et environnames le chastel qui siet sur la mer dès l'une mer jusques à l'autre. Maintenant se prist le Roy à fermer un neuf boure tout entour le viex chastiau, dès l'une mer jusques à l'autre le Roy | meismes y vis-je mainte foiz porter la hote aus fossés, pour avoir le pardon. 266. Les amiraus d'Egypte nous faillirent de couvenances que il nous avoient promises; car ils n'oserent venir à Gadres, pour les gens au soudanc de Damas qui y estoient toutevoiz nous tindrent il couvenant, en tant que il envoierent au Roy toutes les testes aus crestiens, que il avoient pendues aus murs du chastel de Chaare dès que le conte de Bar et le conte de Monfort furent pris; lesquiex le Roy fist mettre en terre benoite. Et li envoierent aussi les en bien quatre mille Turcs bien montés à Gadara, là où ceux d'Egypte devoient venir, car il savoit bien que s'ils y pouvoient venir, lui pourroit bien y perdre. Toutefois, le roi ne laissa pas que de se mettre en marche pour aller à Jaffa. Quand le comte de Jaffa vit que le roi venoit, il prépara son château de telle manière, qu'il sembloit être une ville en état de défense, car à chacun des créneaux dont il y avoit bien cinq cents, étoit un bouclier à ses armes et un pannoncel; chose fort belle à voir, ses armes étant d'or à une croix de gueules pàtée. Nous nous logeàmes autour du chateau dans les champs, et nous environnâmes le château, nous avançant des deux côtés jusqu'au rivage. Le roi se prit alors à faire autour du vieux château un retranchement qui, à droite et à gauche, aboutissoit à la mer. Je vis maintes fois le roi lui-même porter la hotte aux fossés pour gagner le pardon ***. ** 266. Les émirs d'Egypte manquèrent aux convenances qu'ils nous avoient promises, car ils n'osèrent venir à Gadara, à cause des gens du soudan de Damas qui y étoient; toutefois, ils nous tinrent la convention en tant qu'ils envoyèrent au roi toutes les têtes des chrétiens qu'ils avoient exposées sur les murs du château du Caire, | fans qui avoient esté pris quant le Roy fu pris; laquel chose il firent enuis car il s'estoient jà renoiés et avec ces choses envoierent au Roy un oliphant, que le Roy envoya en France. 267. Tandis que nous sejournions à Jephe, un Amiraut qui estoit de la partie au soudanc de Damas, vint fauciller blez à un kasel à trois lieues de l'ost. Il fu acordé que nous li courrions sus. Quant il nous senti venans, il toucha en fuie. Endementres que il s'en fuoit, un joenne vallet gentilhome se mist à li chacer, et porta deux de ses chevaliers à terre sanz la lance brisier; et l'Amiral feri en tel maniere, que il li brisa le glaive ou cors. 268. Ce message aus amiraus d'Egypte, prièrent le Roy que il leur donnast une journée par quoy il peussent venir vers le Roy, et il y envoyerent sans faute. Le Roy ot conseil que il ne le refuseroit pas, et leur donna journée; et il li orent couvent par leur serement, que il à celle journée seroient à Gadres. 269. Tandis que nous attendions celle journée que le Roy ot donnée aus amiraus d'Egypte, le conte d'Eu qui estoit chevalier vint en l'ost, et amena avec li monseigneur Ernoul depuis que le comte de Bar et le comte de Montfort avoient été pris, lesquelles le roi fit mettre en terre bénite. Ils lui envoyèrent aussi les enfants qui avoient été pris quand le roi le fut; ce qu'ils firent bien malgré ces enfants, car ces enfants avoient déjà renié leur foi; et, en outre, ils envoyèrent au roi un éléphant que le roi envoya en France. 267. Tandis que nous séjournions à Jaffa, un émir du soudan de Damas vint faucher les blés d'un bourg, à trois lieues de notre camp. Il fut convenu qu'on lui courroit sus. Quand il nous sentit venir, il se mit en fuite; pendant qu'il s'enfuyoit, un jeune gentilhomme se mit à le poursuivre et porta deux de ses chevaliers à terre sans sa lance briser, puis il frappa l'émir de telle manière, qu'il lui brisa son glaive dans le corps. 268. Des messagers des émirs d'Egypte firent dire au roi qu'il leur assignât un jour où ils pussent venir vers lui, et qu'ils y envoyeroient sans faute. Le roi se décida à ne pas les refuser, et il leur assigna un jour, et ils lui promirent par serment qu'à ce jour ils seroient à Gadara. 269. Tandis que nous attendions le jour que le roi avoit donné aux émirs d'Egypte, le comte d'Eu, qui étoit chevalier, vint au camp et amena D de Guminée le bon chevalier et ses deux freres, li dixieme. Il demoura ou servise le Roy, et au sien le Roy le fist chevalier. 270. En ce point revint le prince d'Anthyoche en l'ost et la princesse sa mere, auquel li Roy fist grant honneur, et le fist chevalier moult honorablement : son aage n'estoit pas de plus que seize ans; mès onques si sage enfant ne vi. Il requiest au Roy que il loist parler devant sa mere; le Roy li otroia. D 271. Les paroles que il dit au Roy devant sa mere, furent teles : « Sire, il est bien voir que » ma mere me doit encore tenir quatre ans en sa mainbournie; mès pour ce n'est-il pas drois que elle doie lessier ma terre perdre ne décheoir; et ces choses, Sire, dis-je, pour ce que la cité d'Anthyoche se perd entre ses main. Si vous pri, Sire, que vous li priez que elle me baille de l'argent, parquoy je puisse aler secourre ma gent qui là sont, et aidier. Et, Sire, elle le doit bien faire; car se je demeure en la cité de Tyrple avec li ce n'iert pas sans grant despens, et les grans despens que je ferai si yert pour nyent faite. 272. Le Roy l'oy moult volentiers; et pourchassa de tout son pooir à sa mere comment elle i baillast tant comme le Roy pot traire de li. avec lui monseigneur Arnoul de Guminée, le bon chevalier, et ses deux frères, lui dixième; il deneura au service du roi et le roi le fit chevalier. 270. En ce temps, le prince d'Antioche vint au camp avec la princesse sa mère; le roi lui fit grand honneur et le fit chevalier moult honorablement. Il n'étoit pas âgé de plus de seize ans ; mais je ne vis oncques enfant si sage; il demanda au roi de l'entendre devant sa mère, le roi le lui octroya. 271. Les paroles qu'il dit au roi devant sa mère furent telles: «Sire, il est bien vrai que » ma mère me doit encore tenir quatre ans en sa >>tutelle, mais pour cela, n'est-il pas juste qu'elle » doive laisser perdre ni décheoir ma terre, et je » dis ces choses, Sire, parce que la cité d'Antioche » se perd entre ses mains. Ainsi, je vous prie, Sire, » que vous la priiez qu'elle me baille de l'argent, » avec quoi je puisse aller secourir et aider mes » gens qui y sont; et, Sire, elle le doit bien faire, » car si je demeure en la cité de Tripoli avec »elle, ce ne sera pas sans grandes dépenses, et >>> les grandes dépenses que je ferai seront faites » pour rien.» 272. Le roi l'ouït moult volontiers et fit tant auprès de sa mère, qu'elle bailla ce qu'on lui demandoit. En quittant le roi, le jeune prince s'en alla à Antioche, là où il fit moult son avenant. Du gré du roi, il écartela ses armes qui sont vermeilles, aux armes de France, parce que le roi l'avoit fait chevalier. Sitost comme il parti du Roy, il s'en ala en Anthyoche, là où il fist moult son avenant. Par le gré du Roy il escartela ses armes, qui sont vermeilles, aus armes de France, pource que li Roys l'avoit fait chevalier. 273. Avec le Prince vindrent trois ménestriers de la grande Hyermenie, et estoient freres; et en aloient en Jérusalem en pélerinage, et avoient trois cors, dont les voiz des cors leur venoient parmi les visages. Quant il encommençoient à corner, vous deissiez que ce sont les voiz des cynes qui se partent de l'estanc; et fesoient les plus douces mélodies et les plus gracieuses, que c'estoit merveilles de l'oyr. II fesoient trois merveilleus saus; car en leur metoit une touaille desous les piez et tournoient tout en estant, si que leur piez revenoient tout en estant sur la touaille; les deux tournoient les testes arieres, et l'ainsné aussi; et quant en li fesoit tourner la teste devant, il se seignoit, car il avoit paour que il ne se brisast le col au tourner. 274. Pour ce que bone chose est que la maniere du conte de Brienne, qui fu conte de Jaffe par pluseurs années, et par sa vigour il la deffendi grant temps, et vivoit grant partie de ce que il gaaingnoit sur les Sarrazins et sur les 273. [Avec le prince, vinrent trois ménétriers de la grande Arménie, tous trois frères, et ils alloient à Jérusalem en pélerinage; ils avoient trois cors dont les voix * leur venoient dans le visage. Quand ils commençoient à corner, vous eussiez dit que c'étoient les voix de cygnes qui partent d'un étang; ils faisoient des mélodies si douces et si gracieuses, que c'étoit merveille de les ouïr. Tous trois faisoient sauts merveilleux, car on leur mettoit une toile sous les pieds, et ils tournoient tout debout, si bien que leurs pieds revenoient tout debout sur la toile; deux tournoient la tête en arrière, et l'aîné aussi, et quand on lui faisoit tourner la tête devant, il se signoit, car il avoit peur de se briser le cou en tournant **.] 274. Nous dirons comme bonne chose à raconter, que le comte de Brienne, qui fut comte de Jaffa pendant plusieurs années, et défendit celle ville par sa vigueur pendant long-temps, vivoit en grande partie de ce qu'il gagnoit sur les Sarrasins et sur les ennemis de la foi. Or, il advint une fois qu'il déconfit une grande quantité de Sarrasins qui menoient grande foison de draps d'or et de soie qu'il gagna tous, et quand il les eut gagnés, il les distribua à Jaffa à ses cheva desconfit une grant quantité de Sarrazins qui menoient grant foison de dras d'or et de soie, lesquiex il gaaingna touz; et quant il les ot gaaingnés, à Jaffe il départi tout à ses chevaliers, que onques riens ne li en demoura. Sa maniere estoit tele, que quant il estoit parti de ses chevaliers il s'enclooit en sa chapelle, et estoit longuement en oroisons avant que il alast le soir gésir avec sa femme, qui moult fu bone dame et sage, et seur au roy de Cypre. ennemis de la Foy; dont il avin une foiz que il | paiennime, auquel il firent si grant honneur en Acre, que il li estendoient les dras d'or et de soie par où il devoit aler. Il en vindrent jusques à Jaffe, nos gens et le Soudanc avec eulz. Le Patriarche tenoit escommunié le conte Gautier, pource que il ne li vouloit rendre une tour que il avoit en Jaffe, que l'en appeloit la tour le Patriarche. Nostre gent prierent le conte Gautier que il alast avec eulz pour combattre à l'empereur de Perse; et il dit que si feroit-il volentiers, mèz que le Patriarche l'absousist jusques à leur revenir. Onques le Patriarche n'en voult riens faire; toutevoiz s'esmut le conte Gautier et en ala avec eulz. Nostre gent firent trois hatailles, dont le conte Gautier en ot une, le soudanc de la Chamelle l'autre, et le Patriarche et ceulz de la terre l'autre; en la bataille au conte de Brienne furent les Hospitaliers. Ils chevaucherent tant que il virent leur ennemis aus yex. Maintenant que nostre gent les virent ils s'aresterent, et cil et les ennemis firent trois batailles aussi. Endementres que les Coruins arréoient leur batailles, le conte Gautier vint à nostre gent, et leur escria : « Seigneur, pour » Dieu alons à eulz; que nous leur donnons sens, » pource que nous nous sommes arestés. » Ne oncques n'i ot nul qui me vousist croire. Quant le conte Gautier vist ce, il vint au Patriarche et li requist absolucion en la maniere desus-dite; 275. L'Empereur de Perse qui avoit non Barbaquan, que l'un des princes avoit desconfit, si comme j'ai dit devant, s'en vint à tout ost, ou royaume de Jérusalem, et prist le chastel de Tabarie, que monseigneur Huedes de Monbeliart le connestable avoit fermé, qui estoit seigneur de Tabarie de par sa femme. Moult grant doumage firent à nostre gent; car il destruit quantque il trouvoit hors chastel pélerin; et dehors Acre, et dehors le Saffar et dehors Jaffe aussi ; et quant il ot fait ces doumages il se traït à Gadres, encontre le soudanc de Babiloine qui là devoit venir, pour grever et nuire à nostre gent. Les barons du pays orent conseil et le Patriarche, que il se iroient à li, avant que le soudanc de Babiloine deust venir. Et. pour eulz aidier, il envoierent querre le soudanc de la Chamelle, l'un des meilleurs chevaliers qui feust en toute liers, de sorte que rien oncques ne lui resta. Sa manière étoit telle, que, lorsqu'il quittoit ses chevaliers, il s'enfermoit dans sa chapelle et étoit longuement en oraison avant qu'il allât le soir coucher avec sa femme, qui moult fut bonne dame et sage, et sœur du roi de Chypre. * 275. L'empereur de Perse, qui avoit nom Barbacan, que l'un des princes tartares avoit déconfi, comme j'ai devant dit, s'en vint avec toute son armée au royaume de Jérusalem, et prit le château de Tabarie que monseigneur Eudes de Montbéliard, le connétable, avoit fortifié, lequel étoit seigneur de Tabarie par sa femme. Barbacan fit à nos gens moult de dommages, car il détruisit tout ce qu'il trouva, hors le château des pélerins, Acre, Saphat et Jaffa; et quand il eut fait ces dommages, il se retira de Gadara, vers le soudan de Babylone qui y devoit venir pour grever notre gent et lui nuire. Les barons du pays et le patriarche décidèrent qu'ils iroient à lui, avant que le soudan de Babylone fùt venu; et, pour les aider, ils envoyèrent quérir le soudan de la Chamelle (Emesse), l'un des meilleurs chevaliers qui fût dans toute la païennie; ils lui firent si grand honneur à Acre, qu'ils * Tibériade. et étendirent des draps d'or et de soie par où il devoit passer Ils s'en vinrent jusqu'à Jaffa, et le soudan avec eux; le patriarche tenoit pour excommunié le comte Gautier, parce que celui-ci ne lui vouloit rendre une tour qu'il avoit à Jaffa, qu'on appeloit la tour du Patriarche. Nos gens prièrent le comte Gautier qu'il allat avec eux pour combattre l'empereur de Perse, et le comte dit que le feroit-il volontiers, mais que le patriarche le tint pour absous jusqu'au retour. Le patriarche n'en voulut oncques rien faire; toutefois, le comte Gautier partit et s'en alla avec eux. Nos gens firent trois batailles dont le comte Gautier en eut une, le soudan de la Chamelle, l'autre, et le patriarche et ceux du pays, la troisième. En la bataille du comte de Brienne étoient les Hospitaliers ; ils chevauchèrent jusqu'à ce qu'ils vissent les ennemis, et, sitôt que nos gens les virent, ils s'arrêtèrent, et les ennemis firent aussi trois batailles. Pendant que les Coremins (Carismiens) disposoient leurs batailles, le comte Gautier vint à nos gens et leur cria: «Seigneurs, » pour Dieu, allons à eux, car nous leur donnons >>courage pendant que nous sommes arrêtés; » et nul ne le voulut croire. Quand le comte Gautier vit cela, il vint au patriarche et lui demanda l'absolution en la manière susdite; oncques le pa D onques le Patriarche n'en voult riens faire. | eulz; car se il se lessoit asségier, il seroit perdu. Avec le conte de Brienne avoit un vaillant clerc Sa besoigne atira en tel maniere, que toute sa qui estoit évesques de Rames, qui maintes beles gent qui estoient mal armée, il les envoia par chevalerie avoit faites, en la compaignie le une valée mal couverte, et sitost comme il oiConte; et dit au Conte : « Ne troublés pas vostre rent ferir les tabours le Soudanc, il se ferirent » conscience quant le Patriarche ne vous ab- en l'ost l'Empereur par darieres, et se pristrent soult, car il a tort et vous avés droit, et je à occire les femmes et les enfans. Et sitost » vous absoil en non du Père et du Fils et du comme l'Empereur, qui étoit issu aus chans Saint-Esperit alons à eulz. » Lors ferirent des pour combatre au Soudanc que il véoit aus yex, esperons et assemblerent à la bataille l'empe- oy le cri de sa gent, il retourna en son ost reour de Perse, qui estoit la darenière. Là ot pour secourre leur femmes et leur enfans; et trop grant foison de gens mors d'une part et le Soudanc leur courut sus, il et sa gent; d'autre, et là fu pris le conte Gautier, car toute dont il avint si bien, que de vingt-cinq mille nostre gent s'enfuirent si laidement que il y en que il estoient, il ne leur demoura homme ne ot pluseurs qui de desesperance se noièrent en femme. la mer. D 276. Cette desesperance leur vint pource que une des batailles l'empereour de Perse assembla au soudanc de la Chamelle, lequel se deffendi tant à eulz, que de deux mille Turs que il y mena, il ne l'en demoura que quatorze-vingts quant il se parti du champ. 277. L'Empereur prist conseil que il iroit assiéger le Soudanc dedans le chastel de Chamelle, pource que il leur sembloit que il ne se deust pas longuement tenir à sa gent que il avoit perdue. Quand le Soudanc vit ce, il vint à sa gent et leur dit que il se iroit combatre à triarche n'en voulut rien faire. Avec le comte de Brienne étoit un vaillant clerc qui étoit évêque de Ramla, qui avoit fait maintes belles chevaleries dans la compagnie du comte; il lui dit : « Ne troublez pas votre conscience, de ce que le >> patriarche ne vous absout, car il a tort et vous » avez droit, et je vous absous au nom du Père el » du Fils et du Saint-Esprit; allons à eux. » Lors, ils donnèrent des éperons et attaquèrent la bataille de l'empereur de Perse qui étoit la dernière. Là, il y eut trop grande foison de gens tués de part et d'autre, et là fut pris le comte Gautier, car toute notre gent s'enfuit si laidement, qu'il y en eut plusieurs qui, de désespoir, se noyèrent en la mer *. 276. Ce désespoir leur vint, parce qu'une des batailles de l'empereur de Perse attaqua le soudau de la Chamelle, lequel se défendit tant contre eux, que de deux mille Turcs qu'il y mena, il ne lui en resta que quatre-vingts quand il quitta le champ de bataitle. 277. L'empereur se décida à aller assiéger le soudan dans le château de la Chamelle, parce qu'il lui sembloit qu'il ne dût pas long-temps tenir avec les troupes qui lui restoient. Quand le soudan vit cela, il vint à ses gens et leur dit qu'il iroit combattre l'empereur, car s'il se laissoit as * Voyez l'Histoire des Croisades, t. IV. 278. Avant que l'empereur de Perse alast devant la Chamelle, il amena le conte Gautier devant Jaffe ; et le pendirent par les bras à unes fourches, et li dirent que il ne le despenderoient point, jusques à tant que il auroient le chastel de Jaffe. Tandis que il pendoit par les bras, il escria à ceulz du chastel que pour mal que il li feissent, que il ne rendissent la ville, et que se il la rendoient, il meismes les occiroit. 279. Quant l'Empereur vit ce, il envoia le conte Gautier en Babiloine et en fist présent au Soudanc, et du Mestre de l'Ospital, et de plu siéger, il seroit perdu. Il disposa tellement son affaire, qu'il envoya tous ses gens, qui étoient mal armés, par une vallée couverte, et sitôt qu'ils ouïrent battre les tambours du soudan, ils se portèrent sur les derrières de l'armée de l'empereur, et se mirent à occire les femmes et les enfants; et, dès que l'empereur, qui étoit sorti aux champs pour combattre le soudan qu'il voyoit, entendit les cris de sa gent, il retourna pour secourir les femmes et les enfants, et le soudan lui courut sus lui et ses gens; et il en advint si bien, que de vingt-cinq mille Coremins qu'ils étoient, il ne le ur demeura hommes ni femmes. 278. Avant que l'empereur de Perse fût allé devant la Chamelle, il avoit mené le comte Gautier devant Jaffa; il le fit suspendre par les bras à une fourche, et fit dire aux habitants qu'il ne le dépendroit que lorsqu'il auroit Jaffa. Tandis que le comte étoit suspendu par les bras, il crioit à ceux du château, que, quelque mal qu'on lui fit, ils ne rendissent la ville, et que, s'ils la rendoient, eux-mêmes seroient occis. 279. Quand l'empereur vit cela, il envoya le comte Gautier à Babylone, et en fit présent au soudan, ainsi que du maître de l'Hôpital et de plusieurs prisonniers qu'il avoit pris. Ceux qui menèrent le comte à Babylone étoient bien trois cents; et ceux-là ne furent pas occis, quand l'empereur fut tué devant la Chamelle. [Et ces Co nous n'eumes ne trèves ne pèz ne à ceulz de Damas ne à ceulz de Babiloine. Et sachez que quant nous estions le plus de gens à armes, nous n'estions nullefoiz plus de quatorze seurs prisonniers que il avoit pris. Ceulz qui | couvenances, et feumes de lors en avant que menerent le conte en Babiloinne estoient bien trois cens, et ne furent pas occis quant l'Empereur fu mort devant la Chamelle. Et ces Coremins assemblerent à nous le vendredi que il nous vindrent assaillir à pié. Leur banieres estoient vermeilles et estoient endoncées juesques vers les lances, et sur leur lances avoient testes faites de cheveus qui sembloient testes de dyables. cens. 282. Tandis que le Roy estoit en l'ost devant Jaffe, le Mestre de saint Ladre ot espié de lez Rames à trois grans lieues, bestes et autres choses, là où il cuidoit fère un grant gaaing, et il qui ne tenoit nul conroy en l'ost, ainçois fesoit sa volenté en l'ost, sanz parler au Roy ala 280. Pluseurs des marcheans de Babiloinne crioient après le Soudanc, que il leur feist droit du conte Gautier, des grans doumages que illà. Quant il ot aqueilli sa praie, les Sarrazins li leur avoit faiz; et le Soudanc leur abandonna que il s'alassent venger de li. Et il l'alerent occire en la prison et martyrer, dont nous devons croire que il est ès cielx ou nombre des martirs. 281. Le soudanc de Damas prist sa gent qui estoient à Gadres, et entra en Egypte. Les Amiraus se vindrent combatre à li. La bataille du Soudanc desconfist les Amiraus, à qui il assembla; et l'autre bataille des Amiraus d'Egypte desconfist l'arriere bataille du Soudanc de Damas. Aussi s'en vint le Soudanc de Damas arriere à Gadres, navré en la teste et en la main. Ainsi avant que il se partirent de Gadres, envoierent les Amiraus d'Egypte leur messages et firent paiz à li, et nous faillirent de toutes nos remins, qui avoient ainsi survécu, s'assemblèrent contre les nôtres un vendredi, et les vinrent assaillir à pied. Leurs bannières étoient vermeilles et étoient édentées jusqu'aux lances, et sur leurs lances étoient des têtes de chevaux qui sembloient têtes de diable *.] 280. Plusieurs des marchands de Babylone criè rent au soudan de leur faire justice du comte Gautier, pour les grands dommages qu'il leur avoit faits et le soudan le leur abandonna pour qu'ils se vengeassent de lui, et ils allèrent l'occire et martyriser dans sa prison: d'où nous devons croire qu'il est aux cieux au nombre des martyrs. 281. Mais revenons à notre sujet. Le soudan de Damas prit ses gens qui étoient à Gadara, et entra en Egypte. Les émirs vinrent le combattre; la bataille du soudan déconfit les émirs qu'il attaqua; et l'autre bataille des émirs d'Egypte déconfit l'arrière-bataille du soudan de Damas. Aussi le soudan de Damas s'en revint à Gadara, blessé à la tête et à la main. Avant de se retirer, les émirs lui envoyèrent des messagers et firent la paix avec lui, et ne tinrent aucune des promesses qu'ils nous avoient faites, de telle sorte que nous n'eûmes ni paix ni trève, ni avec ceux Ce passage de Joinville, d'ailleurs très-obscur, ne se trouve point dans les autres éditions. coururent sus et le desconfirent en tel maniere, que de toute sa gent que il avoit avec li en sa bataille, il n'en eschapa que quatre. Sitost comme il entra en l'ost, il commença à crier aus armes. Je m'alai armer et prié au Roy que il me lessast aler là; et il m'en donna congé, et me commanda que je menasse avec moy le Temple et l'Ospital. Quant nous venimes là, nous trouvames que autres Sarrazins estranges estoient embatus en la valée là où le Mestre de saint Ladre avoit esté desconfit. Ainsi comme ces Sarrasins estranges regardoient ces mors, les Mestre des arbalestriers le Roy leur coururent sus, et avant que nous venissiens là, nostre gent les orent desconfiz et pluseurs en occirent. de Damas, ui avec ceux de Babylone, et sachez que quand nous étions le plus de gens en armes, nous n'étions pas plus de quatorze cents. 282. [Tandis que le roi étoit à l'armée devant Jaffa, le maître de Saint-Lazare avoit surpris près de Ramla, à trois grandes lieues du camp, des bêtes et autres choses, là où il croyoit faire un grand gain; et lui qui ne gardoit aucun ordre dans l'armée, mais y faisoit sa volonté, y alla sans parler au roi. Comme il ramenoit son butin, les Sarrasins lui coururent sus et le déconfirent de telle manière, que de tous les gens qu'il avoit avec lui, il n'en échappa que quatre. Sitôt qu'il entra au camp, il commença à crier aux armes. J'allai m'armeret priai le roi qu'il me laissât aller là; il m'en donna congé, et me commanda de mener avec moi les Templiers et les Hospitaliers. Quand nous vinmes là, nous trouvèmes d'autres Sarrasins étrangers qui étoient entrés dans la vallée où le maître de Saint-Lazare avoit été déconfi. Comme ces Sarrasins étrangers regardoient ces morts, le maître des arbalétriers du roi leur courut sus; et avant que nous vinssions là, nos gens les eurent déconfis et en occirent plusieurs. 283. Un sergent du roi et un des Sarrasins se portèrent à terre l'un l'autre d'un coup de lance. Un autre sergent du roi voyant cela, prit les deux |