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que folement avoit respondu. Et Jehan li demanda pourquoi. Et il li dit que il li diroit; mès illi feroit avant une demande, et li demanda se il avoit nul enfant et il li dit, oyl, un fils. Et il li demanda duquel il lui anuieroit plus, se en li donnoit une bufe ou à son filz: et il li dit que il seroit plus couroucié de son filz se il le fe

et portoit en sa main destre une escuellée pleinne de feu, et en la senestre une phiole pleinne d'yaue. Frere Yves lui demanda : « Que veus-tu >> de ce faire? » Elle li respondi qu'elle vouloit du feu ardoir paradis, et de l'yaue esteindre enfer, que jamèz n'en feust point. Et il li demanda : « Pourquoy veus-tu ce faire? -Pource » que je ne veil que nulz face jamès bien pourroit, que de li. « Or te faiz, dit le Sarrazin, ma » la guerredon de paradis avoir, ne pour la » response en tele maniere: que entre vous cres» poour d'enfer; mèz proprement pour l'amour >> tiens estes filz de Dieu, et de son nom de » de Dieu avoir qui tant vaut et qui tout le bien >> Crist estes appelez Crestians; et tele courtoisie » nous peut faire. >> vous fet que il vous a baillez enseigneur, par» quoy vous congnoissiés quant vous faites le >> bien et quant vous faites le mal: dont Dieu >> vous sceit pire gré d'un petit péché, quant vous » le faites, que il ne fait à nous d'un grant, qui » n'en cognoissons point, et qui sommes aveugles » que nous cuidons estre ouite de touz nos pechiez, se nous nous poons laver en yaue avant » ne nous mourriens, pource que Mahommet »> nous dit à la mort que par yaue serions sauf. »

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224. Jehan li Ermin, qui estoit artillier le Roy, ala lors à Damas pour acheter cornes et glus pour faire arbalestres, et vit un vieil home moult ancien séoir sur les estaus de Damas. Ce viel home l'appela et li demanda se il estoit crestien; et il li dit, oyl. Et il li dit : « Moult » vous devez haïr entre vous crestiens, que j'ai » veu tele foiz que le Roy Baudoin de Jérusalem, » qui fu mézéaus, desconfit Salehadin et n'avoit » que trois cens homes à armes, et Salehadin >> trois milliers or estes tel mené par vos pêchiés, que nous vous prenons aval les chans » comme bestes. » Lors li dit Jehan l'Ermin que il se devoit bien taire des pechiez aus Crestiens, pour les pechiez que les Sarrazins fesoient, qui mcult sont plus grant. Et le Sarrazin respondi

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>> l'enfer, mais proprement pour l'amour de Dieu,
» qui tant vaut et qui peut nous faire tout le bien. >>>
224. [Jean l'Ermin, qui étoit artillier du roi, alla
lors à Damas pour acheter de la corne et de la
colle pour faire des arbalètes, et vit un vieil
homme moultancien assis sur les étaux de Damas.
Ce vieil homme l'appela et lui demanda s'il étoit
chrétien, et il lui dit : oui; et le vieillard lui dit:
« Moult vous devez vous haïr entre chrétiens, car
>> j'ai vu une fois que le roi Baudouin de Jérusa-
» lem, qui fut lépreux, déconfit Saladin, et il
» n'avoit que trois cents hommes d'armes, et Sa-
>> ladin trois mille. Maintenant vous êtes telle-
» ment menés par vos péchés que nous vous pre-
» nons en descendant les champs comme des bê-
>> tes. >> Lors Jean l'Ermin lui dit qu'il devoit bien
se taire sur les péchés des chrétiens, à cause des
péchés que faisoient les Sarrasins, qui moult sont
plus grands. Et le Sarrasin répondit qu'il avoit
follement répondu, et Jean lui demanda pourquoi,
et le Sarrasin dit qu'il le lui diroit, mais qu'il
lui feroit avant une demande, et il lui demanda
s'il n'avoit point d'enfants, et Jean lui dit : oui,
un fils. Et, il lui demanda de quoi il souffriroit
plus si on lui donnoit un soufflet ou à son fils, et
Jean lui dit qu'il seroit plus courroucé si on frap-
poit son fils que lui. « Or tu fais, dit le Sarrasin,
» ma réponse de cette manière: entre vous chré-
>> tiens vous êtes fils de Dieu, et de son nom de

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225. Jehan l'Ermin estoit en ma compaignie, puis que je reving d'outremer que je m'en aloie à Paris. Aussi comme nous mangions ou pavillon, une grande tourbe de poures gens nous demandoient pour Dieu et fesoient grant noise. Un de nos gens qui là estoit, commanda et dit à un de nos vallès : «Lieu sus et chace hors ses poures.

>> Christ, vous êtes appelés chrétiens; et telle >> courtoisie vous fait qu'il vous a baillé des doc>>teurs par lesquels vous connoissez quand vous >> faites le bien et quand vous faites le mal, et » pour cela Dieu vous sait pire gré d'un petit pé>> ché, quand vous le faites, qu'il ne nous sait à >> nous d'un grand, 'qui sommes ignorants et qui >> sommes si aveuglés que nous croyons être >> quittes de toutes nos fautes si nous nous pouvons >> laver dans l'eau avant de mourir, parce que >> Mahomet nous dit qu'à la mort, par l'eau nous >> serions sauvés *. »]

225. [Jean l'Ermin étoit en ma compagnie lorsque je revins d'outre-mer et que je m'en allois à Paris. Comme nous mangions au pavillon, une grande troupe de pauvres vinrent nous demander pour l'amour de Dieu et faisoient grand bruit. Un chevalier qui étoit là dit à un de nos valets : << Chasse dehors ces pauvres.—Ah! dit Jean >> l'Ermin, vous avez mal parlé; car si le roi de >> France nous envoyoit maintenant par ses mes»sagers, à chacun cent marcs d'argent, nous ne >> les chasserions pas dehors, et vous chassez ces » envoyés qui vous offrent de vous donner tout ce » que l'on peut donner; c'est à savoir qu'ils vous >> demandent que vous leur donniez pour Dieu,

* Ce fait et le suivant sont omis dans les autres éditions.

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taigne.

» A! fist Jehan l'Ermin, vous avez trop mal dit; [ aussi présenté au Roy pour li ensevelir, se » car se le Roy de France nous envoioit main-il eust refusée la requeste au Vieil de la Mon» tenant par ses messages à chascun cent mars d'argent, nous ne les chacerions pas hors et >> vous chassiés ceulz envoié qui vous offrent qui >> vous dourront quanque l'en vous peut donner; » c'est à savoir que il vous demandent que vous » leur donnez pour Dieu; c'est à entendre que » vous leur donnez du vostre et ils vous dourront » Dieu et Dieu le dit de sa bouche, que il ot pouoir de li donner à nous; et dient les Sainz, » que les poures nous peuvent acorder à li, en >> tel maniere que ainsi comme l'yaue esteint le » feu, l'aumosne esteint le péché. Si ne vous » avieigne jamès, dit Jeban, que vous chaciés » les poures ensus; mès donnés leur, et Dieu » vous donra. »

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227. Le Roy dit à l'Amiral que il li deist sa volenté; et l'Amiral li bailla unes lettres de . créance, et dit ainsi : « Mes Sire envoie à vous » demander se vous le cognoissiés. » Et le Roy respondit que il ne le congnoissoit point, car il ne l'avoit onques veu; mès il avoit bien oy parler de li. Et quant vous avez oy parler de » mon Seigneur, je me merveille moult que » vous ne li avez envoié tant du vostre, que >> vous l'eussiez retenu à ami, aussi comme >> l'empereur d'Almaingne, le roy de Honguerie, » le soudanc de Babiloinne et les autres li font » touz les ans, pource que il sont certeins que » ils ne peuent vivre mès que tant comme il » plèra à mon Seigneur; et se ce ne vous plèt à faire, si le faites acquiter du treu que il doit à l'Ospital et au Temple, et il se tendra apaié » de vous. » Au Temple et à l'Ospital il rendoit lors treu, pource que il ne doutoient riens

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226. Tandis que le Roy demouroit en Acre, vindrent les messages au Vieil de la Montaingne à li. Quant le Roy revint de sa messe, il les fist venir devant li. Le Roy les fist asseoir en tel maniere, que il y avoit un Amiral devant, bien yestu et bien atourné, et darieres son Amiralles Assacis, pource que le Vieil de la Montaingne avoit un Bacheler bien atourné, qui tenoit trois coutiaus en son poing, dont l'un entroit ou manche de l'autre; pource que se l'amiral eust été refusé, il eust présenté au Roy ces trois coutiaus pour li deffier. Dariere celi qui tenoit | les trois coutiaus, avoit un autre qui tenoit un bouqueran entorteillé entour son bras, que il eust

» c'est-à-dire que vous leur donniez du vôtre et ils >> vous donneront Dieu. Et Dieu a dit de sa bou>> che que lui-même peut nous être donné par la >> main des pauvres ; et les saints disent encore que >> les pauvres nous peuvent accorder avec lui, car » de la même manière que l'eau éteint le feu, >> l'aumône éteint le péché. Ainsi qu'il ne vous » arrive jamais, dit Jean, de chasser les pauvres; >> mais donnez-leur, et Dieu vous donnera. »]

226. Tandis que le roi demeuroit à Acre, les messagers du Vieux de la Montagne vinrent à lui. Quand le roi revint de sa messe il les fit venir devant lui; il les fit asseoir de manière qu'il y avoit un émir devant, bien vêtu et bien paré, et derrière l'émir il y avoit un bachelier aussi bien paré qui tenoit trois couteaux à son poing, dont l'un entroit au manche de l'autre, pour que, si l'émir eût été refusé, il eût présenté au roi ces trois couteaux pour le défier. Derrière celui qui tenoit les trois couteaux, il y en avoit un autre qui tenoit une pièce de toile de coton très-fine, entortillée autour de son bras, qu'il eût aussi présentée au roi pour l'ensevelir, s'il eût refusé la requête du Vieux de la Montagne.

227. Le roi dit à l'émir qu'il dit ce qu'il vouloit, et l'émir lui bailla une lettre de créance, et

n'i peût riens gaaigner se il fesoit tuer le Mestre du Temple ou de l'Ospital; car il savoit bien que se il en feist un tuer, l'en y remeist tantost un autre aussi bon; et pour ce ne vouloit-il pas perdre les Assacis en lieu là où il ne peut riens gaaingner. Le Roy respondi à l'Amiral, que il venist à la relevée.

dit ainsi : « Mon Seigneur envoie vous demander >> si vous le connoissez. Et le Roi répondit qu'il ne le connoissoit point, car il ne l'avoit oncques vu, mais qu'il avoit bien ouï parler de lui. « Et >> puisque vous avez ouï parler de lui, reprit l'é» mir, je m'étonne moult que vous ne lui ayez » envoyé tant du vôtre que vous l'eussiez eu pour >> ami, comme l'empereur d'Allemagne, le roi de >> Hongrie, le soudan de Babylone et les autres lui >> font tous les ans, parce qu'ils sont certains qu'ils »> ne peuvent vivre qu'autant qu'il plaira à mon » Seigneur. Et s'il ne vous plaît ainsi faire, >> faites-le acquitter du tribut qu'il doit à l'Hô >>pital et au Temple, et il se tiendra payé de » vous. » Le Vieux de la Montagne payoit alors tribut au Temple et à l'Hôpital, parce qu'ils ne redoutoient point les Hassassis, vu que le Vieux de la Montagne ne pouvoit rien gagner s'il faisoit tuer le maître du Temple ou de l'Hôpital; car ilsavoit bien que s'il en faisoit tuer un on en remettroit un autre aussi bon, et pour cela ne vouloit-il pas perdre les Hassassis là où il ne pouvoit rien gaguer. Le roi répondit à l'émir qu'il vint dans l'après-diné".

Voyez dans l'Histoire des Croisades, t. II, pièces justificatives, une lettre de M. Jourdain sur le Vieux de la Montagne.

228. Quant l'Amiral fu revenu, il trouva que le Roy séoit en tele maniere, que le Mestre de l'Ospital li estoit d'une part, et le Mestre du Temple d'autre. Lors li dit le Roy, que il li redeist ce que il li avoit dit au matin; et li dit que il n'avoit pas conseil du redire, mèz que devant ceulz qui estoient au matin avec le Roy. Lors li ditrent les deux Mestres : « Nous vous commandons que vous le dites. » Et il leur dit que il leur diroit puisque il le commandoient. Lors firent dire les deux Mestres, en sarrazinnois, que il venist lendemain parler à eulz en l'Ospital; et il si fist.

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229. Lors li firent dire les deux mestres, que moult estoit hardi leur seigneur, quant il avoit osé mander au Roy si dures paroles; et li firent dire, que ce ne feust pour l'amour du Roy en quel message il estoient venus, que ils les feissent noier en l'orde mer d'Acre, en despit de leur Seigneur: « Et vous comman» dons que vous en r'alez vers vostre Seigneur, » et dedens quinzainne vous soiés ci-arriere, » et apportez au Roy tiex lettres et tiex joiaus de par vostre Seigneur, dont le Roy se tieingne apaiez et que il vous en sache bon gré.

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230. Dedans la quinzeinne revindrent les

228. Quand l'émir fut revenu il trouva que le roi siégeoit de telle manière que le maître de l'Hôpital étoit à unde ses côtés et le maître du Temple à l'autre. Lors le roi lui dit de répéter ce qu'il avoit dit au matin, et l'émir répondit qu'il n'avoit intention de le redire que devant ceux qui étoient au matin avec le roi. Lors les deux maîtres parlèrent ainsi : « Nous vous commandons de le dire.» Et l'émir répondit qu'il le leur diroit puisqu'ils le commandoient. Les deux maîtres lui firent dire alors en sarrasinois qu'il vint le lendemain leur parler à l'Hôpital, et ainsi fit-il.

229. Lors les deux maîtres lui dirent que leur seigneur étoit moult hardi, quand il avoit osé mander au roi si dures paroles et, que n'étoit par amour du roi auprès duquel ils étoient venus en qualité d'envoyés, ils les feroient noyer dans la sale mer d'Acre, en dépit de leur seigneur. « Et >> vous commandons, ajoutèrent-ils, que vous re» tourniez vers votre seigneur et reveniez dans la >> quinzaine et apportiez au roi, de la part de votre >> seigneur, telles lettres et tels joyaux qu'il se »tienne apaisé et vous en sache bon gré. »

230. Dans la quinzaine les messagers du Vieux de la Montagne revinrent à Acre et apportèrent la

* Nous avons vu de ces fruits en cristal chez les émirs et les grands personnages du Liban.

L'échiquier dont il est ici question s'est conservé jusqu'au temps présent; les amateurs peuvent le voir

messages le Vieil en Acre, et apporterent au Roy la chemise du Vieil, et distrent au Roy de par le Roy que c'estoit sénefiance que aussi comme la chemise est plus près du cors que nul autre vestement, aussi veult le Viex tenir le Roy plus près à amour que nul autre roy. Et il li envoia son anel, qui estoit de moult fin or, là où son nom estoit escript, et li manda que par son anel respousoit-il le Roy; que il vouloit que dès lors en avant feussent tout un. Entre les autres joiaus que il envoia au Roy, li envoi un oliphant de cristal moult bien fait, et une beste que l'en appelle orafle de cristal, aussi pomes de diverses manieres de cristal, jeuz de tables et de eschez; et toutes ces choses estoient fleuretées de ambre, et estoient l'ambre lié sur le cristal à beles vignetes de bon or fin. Et sachiez que sitost comme les messages ouvrirent leur escrins là où ces choses estoient, il sembla que toute la chambre feust embausmée, si souef fléroient.

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et

231. Le Roy renvoia ces messages au Vieil, et li renvoia grant foison de joiaus, escarlates, coupes d'or et frains d'argent; et avec les messages y envoia frere Yves le Breton, qui savoit le sarrazinnois; et trouva que le Vieil de la Montaingne ne créoit pas en Mahommet, ain

chemise de leur seigneur au roi, et lui dirent, de la
part de leur sire, que c'étoit pour signifier que de
même que la chemise est plus près du corps que nul
autre vêtement, de même le Vieux de la Montagne
vouloit tenir le roi plus près de son amour que nul
autre roi; et il lui envoyoit en même temps son
anneau qui étoit d'or moult fin, là où son nom étoit
écrit, et lui manda que, par son anneau, épousoit-il
le roi, et vouloit que dès-lors en avant ils fussent
tout un. Entre les autres présents qu'il faisoit au
roi, il lui envoyoit un éléphant de cristal moult
bien fait et une bête que l'on appelle girafe aussi
de cristal, et fruits de diverses espèces en
et toutes ces
cristal, jeux de table et échecs **
choses étoient fleuretées d'ambre, et l'ambre étoit
appliqué sur le cristal avec belles vignettes de
bon or fin. Et sachez que, sitôt que les messa-
gers ouvrirent leurs écrins où étoient ces choses,
il sembla que toute la chambre fut embaumée,
tant l'odeur en étoit suave.

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231. Le roi renvoya ces messagers au Vieux de la Montagne, et lui envoya grand'foison de joyaux, écarlates, coupes d'or et freins d'argent ; et avec les messagers envoya frère Ives le Breton qui savoit le sarrasinois; et frère Ives trouva

aujourd'hui dans le magnifique cabinet de M. de Sommerard. Nous en avons parlé dans notre Correspondance d'Orient, tom. VII.

çois créoit en la loy de Haali, qui fu oncle Mahommet. Ce Haali mist Mahommet en l'onneur là où il fu; et quant Mahommet se fu mis en la seigneurie du peuple, si desputa son oncle et l'esloingna de li; et Haali, quant il vit ce, si traït à li du peuple ce que il pot avoir, et leur aprist une autre créance que à Mahommet n'avoit enseignée : dont encore il est ainsi, que touz ceulz qui croient en la loy Haali, dient que ceux qui croient en la loy Mahommet, sont mescréant; et aussi touz ceulz qui croient en la loy Mahommet, disent que touz ceulz qui croient en la loy Haali sont mescréant.

232. L'un des poins de la loy Haali est, que quant un homme se fait tuer pour faire le commandement son seigneur, que l'ame de li en va en plus aisié cors qu'elle n'estoit devant; et pour ce ne font force li Assacis d'eulz fère tuer, quant le seigneur leur commande, pource que il croient que il seront assez plus aise quant il seront mors, que il n'estoient devant.

233. L'autre point si est tel, que il ne croient que nulz ne peut mourir que jeusques au jour que il li est jugé; et ce ne doit nulz croire, car Dieu a pooir d'alongier nos vies et d'acourcir. Et en cesti point croient les Beduyns, et pour ce ne se veulent armer quant il vount ès batailles, car il cuideroient faire contre

que le Vieux de la Montagne ne croyoit point en Mahomet, mais en la loi d'Ali qui fut oncle de Mahomet. Cet Ali mit Mahomet en honneur là où il fut, et quand Mahomet se fut mis en la seigneurie du peuple, il méprisa son oncle et l'éloigna de lui, et Ali, quand il vit cela, attira à lui ce qu'il put avoir du peuple, et lui enseigna une autre croyance que Mahomet n'avoit point enseignée. D'où il est advenu que tous ceux qui croient en la loi d'Ali, disent que ceux qui croient en la loi de Mahomet sont mécréants, et tous ceux qui croient en la loi de Mahomet, disent que tous ceux qui croient en la loi d'Ali sont mécréants.

232. L'un des points de la loi d'Ali est que, quand un homme se fait tuer pour faire le commandement de son seigneur, son âme s'en va dans un corps plus heureux qu'elle n'étoit avant, et pour cela, les Hassassis n'hésitent point à se faire tuer, quand leur seigneur leur commande, parce qu'ils croient qu'ils seront plus heureux, quand ils seront morts, qu'ils n'étoient de

vant.

233. L'autre point est tel qu'ils croient que nul ne peut mourir qu'au jour qui lui est déterminé; et cela, nul ne le doit croire, car Dieu a pouvoir d'allonger ou d'accourcir nos vies. Les Bédouins croient en ce point, et c'est pour cela qu'ils ne se

le commandement de leur loy; et quant il maudient leur enfans, si leur dient ainsi : « Maudit » soies-tu comme le Franc, qui s'arme pour » paour de mort. »

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234. Frere Yves trouva un livre au chevès du lit au Vieil, là où il avoit escript pluseurs paroles que Nostre Seigneur dit à Saint Père, quant il aloit par terre. Et frere Yves li dit : « Ha pour Dieu, sire, lisiés souvent ce livre, >> car ce sont trop bones paroles. » Et il dit que si fesoit-il : « car j'ai moult chier monseigneur » Saint Père; car en l'encommencement du » monde l'ame de Abel, quant il fu tué, vint >> ou cors de Noë; et quant Noë fu mort, si >> revint ou cors de Habraham, et du cors Habraham, quant il morut, vint au cors Saint >> Pierre quant Dieu vint en terre. » Quant frere Yves oy ce, il li monstra que sa créance n'estoit pas bonne, et li enseigna moult de bones paroles: mès il ne le volt croire; et ces choses moustra frere Yves au Roy, quant il fu revenu à nous. Quant le Viex chevauchoit, il avoit un crieur devant li qui portoit une hache danoise à lone manche tout couvert d'argent, à tout plein de coutiaus ferus ou manche, et crioit : << Tournez-vous de devant >> celi qui porte la mort des Roys entre ses >> mains. >>

235. Je vous avoie oublié de dire la response

veulent armer quand ils vont aux batailles, car ils croiroient faire contre le commandement de leur loi; et quand ils maudissent leurs enfants, ils leur disent ainsi : Maudis sois-tu comme le Franc qui s'arme par peur de mort.

234. Frère Ives trouva au chevet du lit du Vieux de la Montagne un livre là où il y avoit écrit plusieurs paroles que notre Seigneur dit à saint Pierre, quand il étoit sur terre; et frère Ives lui dit : « Ha, pour Dieu, sire, lisez souvent » ce livre, car ce sont trop bonnes paroles. » Et le Vieux dit qu'ainsi faisoit-il, « car, dit-il, j'aime moult >> monseigneur saint Pierre. Dès le commencement » du monde, l'âme d'Abel, quand il fut tué, vint au >> corps de Noë, et quand Noë fut mort, elle vint au >> corps d'Abraham, et du corps d'Abraham, quand >> il mourut, vint au corps de saint Pierre, au temps » où Dieu vint en terre. » Quand frère Ives eut entendu cela, il lui montra que sa croyance n'étoit pas bonne, et lui enseigna moult de bonnes paroles; mais le Vieux ne le voulut croire; et frère Ives raconta ces choses au roi, quand il fut revenu à nous. Quand le Vieux chevauchoit, il avoit devant lui un crieur qui portoit une hache danoise à long manche tout couvert d'argent et tout plein de couteaux qui y étoient fichés, et il crioit : « Dé>>> tournez-vous de celui qui porte la mort des rois

» entre ses mains. >>

que le Roy fist au soudanc de Damas, qui fu į Gautier seigneur de Rinel, cui fille Jehan sire tele que il n'avoit conseil d'aler à li, jusques de Joinville prist puis à femme que il revint à tant que il sceust se les Amiraus de Egypte d'Outremer; laquelle dame de Soiette prist les li acorderoient sa trève que il avoient rompue, os au conte Gautier et les fist ensevelir à l'Oset que il envoieroit à eulz; et se il ne vouloient pital en Acre, et fist faire le servise en tele adrecier la trève que il li avoient rompue, il li maniere, que chascun chevalier offri un cierge aideroit à venger volentiers de son cousin et un denier d'argent, et le Roy offri un cierge le soudanc de Babiloine, que il li avoient tué. et un besant, tout des deniers madame de 236. Tandis que le Roy estoit en Acre, il Soiete; dont l'en se merveilla moult quant le envoia monseigneur Jehan de Valenciennes en Roy fist ce, car l'en avoit onques veu offrir Egypte, lequel requist aus Amiraus, que les que de ses deniers; mès il le fist par sa couroutrages que il avoient faiz au Roy et les dou-toise. mages, que il les rendissent. Et il li distrent que si feroient-il moult volentiers, mès que le Roy se vousist alier à eulz contre le Soudanc de Damas. Monseigneur Jehan de Valenciennes les blasma moult des grans outrages que il avoient faiz au Roy, qui sont devant nommez; et leur loa que bon seroit que pour le cuer le Roy adebonnairir devers eulz, que il li envoiassent touz les chevaliers que il tenoient en prison. Et il si firent; et d'aboundant li envoierent touz les os le conte Gautier de Brienne, pour mettre en terre benoite. Quant monseigneur Jehan de Valenciennes fu revenu en Acre à tout deux cens chevaliers que il ramena de prison, sanz l'autre peuple, madame de Soiete qui estoit cousine le conte Gautier et seur monseigneur

235. J'avois oublié de vous dire la réponse que le roi fit au soudan de Damas, qui fut telle: il n'avoit dessein d'aller à lui jusqu'à tant qu'il sût si les émirs d'Egypte lui tiendroient la trève qu'ils avoient rompue; il enverroit à eux pour cela, et s'ils ne vouloient tenir la trève qu'ils avoient rompue, il l'aideroit volontiers à venger la mort de son cousin, le soudan de Babylone, qu'ils avoient tué.

237. Entre les chevaliers que monseigneur Jehan de Valenciennes ramena, je en y trouvai bien quarante de la cort de Champaigne : je leur fiz tailler cotes et hargaus de vert, et les menai devant le Roy, et li priai que il vousist tant fère que il demourassent avec li. Le Roy oy que il demandoient, et il se tut. Et un chevalier de son Conseil dit que je ne fesoie pas bien quant je aportoie tiex nouvelles au Roy, là où il avoit bien sept mille livrées d'outrage. Et je li dis que par male avanture en peust-il parler, et que entre nous de Champaigne avions bien perdu trente-cinq chevaliers touz baniere portans, de la cort de Champaigne, et je dis : Le Roy ne fera pas bien se il vous en croit, » au besoing que il a de chevaliers. » Après celle

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fille, quand il fut revenu d'outre-mer; ladite dame prit les os du comte de Gautier et les fit ensevelir à l'Hôpital, à Acre, et fit faire un service de telle manière, que chaque chevalier offrit un cierge et un denier d'argent, et le roi offrit un cierge et un besant, tout des deniers de madame de Saïete, dont on s'émerveilla moult, car on n'avoit jamais vu le roi offrir que de ses deniers, mais il le fit par grande courtoisie.

237. Entre les chevaliers que monseigneur Jean de Valenciennes ramena, j'en trouvai bien quarante de la cour de Champagne; je leur fis faire coltes et surtouts de vair, et les menai devant le roi, et je le priai qu'il voulût tant faire que de les garder avec lui. Le roi ouït ce qu'ils demandoient, et il se tut; et un chevalier de son conseil dit que

236. Tandis que le roi étoit à Acre, il envoya monseigneur Jean de Valenciennes en Egypte, lequel requit des émirs qu'ils réparassent les outrages et les dommages qu'ils avoient faits au roi, et ils lui dirent qu'ainsi feroient-ils moult volonliers, mais que le roi voulût bien se lier à eux contre le soudan de Damas. Monseigneur Jean de Valenciennes les blàma moult des grands outrages qu'ils avoient faits au roi, lesquels ont été ci-je ne faisois pas bien quand j'apportois telles noudessus rapportés, et leur conseilla que, pour amollir le cœur du roi envers eux, ils lui envoyassent tous les chevaliers qu'ils tenoient en prison, et ainsi firent-ils; et de plus, lui envoyèrent tous les os du comte Gautier de Brienne, pour les mettre en terre bénite. Quand monsei-portant bannière, et j'ajoutai : « Le roi ne fera gneur Jean de Valenciennes fut revenu à Acre avec deux cents chevaliers qu'il ramena de prison, sans compter d'autre menu peuple, madame de Saïete (Sidon), qui étoit cousine du comte Gautier et sœur de monseigneur de Rinel, de laquelle Jean, sire de Joinville, épousa depuis la

velles charges au roi, puisqu'en son état de dépense, il y avoit sept mille livres de trop; et je lui dis que par malaventure en pouvoit-il parler, et qu'entre nous de la cour de Champagne, nous avions bien perdu trente-cinq chevaliers, tous

>> pas bien s'il vous en croit, par le besoin qu'il >> a de chevaliers.» Après cette parole, je commençai moult fortement à pleurer, et le roi me dit que je me tusse, et qu'il leur donneroit tout ce que j'avois demandé. Le roi les retint tous ainsi que je voulois, et les mit en ma bataille.

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