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ne pouvoie eschaper. Et lors un des chevaliers Sarrazins dit à celi qui nous avoit garantiz, que il nous reconfortast, car il me donroit tele chose à boivre, de quoy je seroie guéri dedans deux jours; et si fist il.

174. Monseigneur Raoul de Wanou qui estoit entour moi, avoit esté esjareté à la grant bataille du caresme prenant, et ne pooit ester sur ses piez; et sachiez que un vieil Sarrazin chevalier qui estoit en la galie, le portoit aus chambres privées à son col.

à genoillons; et lors je senti le coutel à la gorge. En ceste persécucion me salva Diex par l'aide du Sarrazin, lequel me mena jusques ou chastel là où les chevaliers Sarrazins estoient. Quant je ving entre eulz, il m'osterent mon haubert; et pour la pitié qu'il orent de moy, il jeterent sur moy un mien couvertouer de escarlate fourré de menu ver, que madame ma mère m'avoit donné; et l'autre m'aporta une courroie blanche; et je me ceignis sur mon couvertouer, ouquel je avoie fait un pertuis et l'avoie vestu; et l'autre m'aporta un chaperon, que je mis en ma teste. Et lors, pour la poour que je avoie, je commençai à trembler bien fort, et pour la maladie aussi. Et lors je demandai à boire, et l'en m'aporta de l'yaue en un pot; et sistost comme je la mis à ma bouche pour envoier aval, elle me sailli hors par les narilles. Quant je vi ce, je envoiai querre ma gent et leur dis que je estoie mort, que j'avoie l'apostume en la gorge; et il me demanderent comment je le savoie; et tanstot il virent que l'yaue li sailloit par la gorge et par les narilles, il pristrent à plorer. Quant les chevaliers Sarrazins qui là estoient, virent ma gent plorer, il demanderent au Sarrazin qui sauvez nous avoit, pour-gois fu venu, il me dit : « Sire, que faites vous? quoy il ploroient; et il respondi que il entendoit »-Que faiz-je donc, feiz-je? En non Dieu, que j'avoie l'apostume en la gorge, parquoy je fist-il, vous mangez char au vendredi. » Quant

cis, auroit cru être honoré; et le Sarrasin me tenoit toujours embrassé et crioit : « Cousin du roi. »> Ils me portèrent ainsi deux fois à terre, et une fois me firent tomber sur mes genoux, et lors je sentis le coutel à la gorge. Dans cette persécution, Dieu me sauva par le secours du Sarrasin, lequel me mena jusqu'au château où étoient les chevaliers sarrasins. Quand j'arrivai parmi eux, ils m'ôtèrent mon haubert, et, par pitié qu'ils eurent de moi, ils jetèrent sur mon corps une mienne couverture d'écarlate fourrée de menu vair que madame ma mère m'avoit donnée. Un autre m'apporta une courroie (ceinture) blanche, et je me ceignis par-dessus ma couverture à laquelle j'avois fait un trou pour m'en vêtir, et un autre m'apporta un chaperon que je mis sur ma tête. Et lors, pour la peur que j'avois, et aussi pour la maladie, je commençai à trembler bien fort; et je demandai à boire, et l'on m'apporta de l'eau dans un pot, et sitôt que je la mis dans ma bouche pour l'avaler, elle me sortit par les narines. Quand je vis cela, j'envoyai quérir mes gens et leur dis que j'étois mort, que j'avois un apostume dans la gorge; et ils me demandèrent comment je le savois; et quand ils virent que l'eau me sortoit par la gorge et par les narines, ils se prirent à pleurer. Les chevaliers sarrasins qui

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175. Le grant Amiral des galies m'envoia querre, et me demanda si je estoie cousin le Roy; et je li dis que nanin, et li contai comment et pourquoy le marinier avoit dit que je estoie cousin le Roy. Et il dit que j'avoie fait que sage, car autrement eussions nous esté touz mors. Et il me demanda si je tenoie riens de lignage à l'empereur Ferri d'Alemaingne qui lors vivoit; et je li respondi que je entendoie que madame ma mere estoit sa cousine germainne; et il me dit que tant m'amoit-il miex. Tandis que nous mangions, il fist venir un bourgois de Paris devant nous. Quant le bour

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étoient là, voyant mes gens pleurer, demandèrent au Sarrasin qui nous avoit sauvés*, pourquoi mes gens pleuroient, et répondit qu'il entendoit que j'avois un apostume dans la gorge, pourquoi je ne pouvois échapper; et lors, un des chevaliers sarrasins dit à celui qui nous avoit garantis, de nous reconforter, car il me donneroit telle chose à boire, par quoi dans deux jours je serois guéri ; et ainsi fit-il.

174. Monseigneur Raoul de Vernon, qui étoit auprès de moi, avoit eu le jarret coupé à la grande bataille de carêmc-prenant, et ne pouvoit se tenir debout sur ses pieds; et sachez qu'un vieux chevalier sarrasin, qui étoit dans la galère, le portoit sur son cou aux chambres privées **.

175. Le grand amiral des galères m'envoya quérir, et me demanda si j'étois cousin du roi, et je lui dis que non, et je lui contai comment et pourquoi le marinier avoit dit que j'étois cousin du roi; et il me dit que j'avois agi en homme sage, car autrement eussions-nous été tous tués: et il me demanda si je ne tenois en rien au lignage de l'empereur Frédéric d'Allemagne, qui vivoit alors; je lui répondis que je savois bien que madame ma mère étoit sa cousine germaine, et il me dit qu'il m'en aimoit d'autant mieux. Pendant que nous mangions, il fit venir un bour

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j'oi ce, je bouté m’escuele arieres; et il demanda |
à mon Sarrazin pourquoy je avoie ce fait, et il
li dit; et l'Amiraut li respondi que ja Dieu ne
m'en sauroit mal gré, puisque je ne l'avoie fait
à escient. Et sachez que ceste reponse me fist
le Legat quant nous fumes hors de prison; et
pour ce ne lessé-je pas que je ne jeunasse touz
les vendredis de quaresme après en pain et
en yaue; dont le Legat se courrouça moult
forment à moy, pource que il n'avoit de-
mouré avec le Roy de riches homes que moy.
Le dymanche après, l'Amiraut me fit descendre
et tous les autres prisonniers qui avoient esté
pris en l'yaue, sur la rive du flum. Endemen-
tieres en trehoit monseigneur Jehan mon bon
prestre hors de la soute de la galie, il se paus-
ma, et en le tua et le geta l'en ou flum. Son
clerc, qui se pasma aussi pour la maladie de
l'ost que il avoit, l'en li geta un mortier sus la
teste et fu mort, et le geta l'en ou flum. Tan-
dis que l'en descendoît les autres malades des
galies où il avoient esté en prison, il y avoit
gens Sarrazins appareillés, les espées toutes
nues, que ceulz qui chéoient, il les occioient et
getoient touz ou flum. Je leur fis dire à mon
Sarrazin, que il me sembloit que ce n'estoit pas
bien fait; car c'estoit contre les enseignemens

Salehadin, qui dit que l'en ne doit nul homme occire, puis que en ne li avoit donné à manger de son pain et de son sel. Et il me respondi que ce n'estoient pas homes qui vausissent riens, pource que il ne se pooient aldier pour les maladies que il avoient. Il me fist amener mes mariniers devant moy, et me dit que il estoient touz renoiés, et je li dis que il n'eust ja fiance en eulz; car aussitost comme il nous avoient lessiez, aussitost les lèroient il se il véoient ne leur point ne leur lieu. Et l'Amiraut me fist reponse tele, que il s'accordoit à moy; que Salehadin disoit que en ne vit onques de bon Crestien bon Sarrazin, ne de bon Sarrazin bon Crestien. Et après ces choses il me fist monter sus un palefroy et me menoit encoste de li, et passames un pont de nez, et alames à la Massoure là où le Roy et sa gent estoient pris; et venimes à l'entrée d'un grant paveillon là où les escrivains le Soudanc estoient, et firent illec escrire mon non. Lors me dit mon Sarrazin : « Sire, je ne vous suivré plus, car je ne puis; mèz je vous pri, sire, que cest enfant >> que vous avez avec vous, que vous le tenez tousjour par le poing, que les Sarrazins ne le vous toillent. » Et cel enfant avoit non Berthelemin, et estoit filz au seigneur de Mon

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par mon Sarrasin qu'il me sembloit que ce n'étoit pas bien fait, car c'étoit contre les enseignements de Saladin, qui disoit que nul homme ne doit-on occire quand on lui a donné à manger de son pain et de son sel; et il me répondit que ce n'étoient pas des hommes qui valussent rien, puisqu'ils ne se pouvoient aider, à cause des maladies qu'ils avoient. Il me fit amener mes mariniers devant moi et me dit qu'ils étoient tous renégats, et je lui dis qu'il n'eût pas trop confiance en eux, car tout de même qu'ils nous avoient laissés, tout de même les laisseroient-ils s'ils y voyoient leur avantage et profit, et l'amiral me fit cette réponse qu'il s'accordoit avec moi, et que Saladin disoit qu'on ne vit oncques bon chrétien devenir bon Sarrasin, ni bon Sarrasin devenir bon chrétien; et, après ces choses, il me fit monter sur un palefroi et me mena à côté de lui, et nous passâmes un pont de bâteaux et allàmes à la Massoure, là où le roi et ses gens étoient prisonniers. Nous vinmes à l'entrée d'un grand pavillon où étoient les écrivains du soudan, et là ils me firent écrire mon nom. Lors, mou Sarrasin me dit : « Sire, je ne vous suivrai plus, car je ne >> puis; mais je vous prie, Sire, que vous teniez >> toujours par le poing cet enfant que vous avez » avec vous afin que les Sarrasins ne

geois de Paris devant nous. Quand le bourgeois fut venu, il me dit : « Sire, que faites-vous ? » Ce que je fais, repris-je ?— Dieu me pardonne, » dit-il, vous mangez de la viande le vendredi ? » Quand j'ouïs cela, je mis mon écuelle derrière moi, et il demanda à mon Sarrasin pourquoi j'avois fait cela, et il le lui dit, et l'amiral lui répondit que Dieu ne m'en sauroit mauvais gré, puisque je ne l'avois fait à escient. [Et sachez que le légat me fit cette même réponse, quand nous fùmes hors de prison; et pour cela, ne laissai-je pas de jeûner tous les vendredis de carême ensuite au pain et à l'eau, ce dont le légat se courrouça moult fortement, parce qu'il n'étoit resté auprès du roi de riches hommes que moi *.] Le dimanche après, l'amiral me fit descendre sur la rive du fleuve, de même que tous les autres prisonniers qui avoient été pris sur l'eau. Pendant qu'on tiroit monseigneur Jean, mon bon prêtre, hors du fond de cale, il se påma, et on le tua, et on le jeta dans le fleuve. Son clerc se pâma aussi à cause de la maladie du camp qu'il avoit; on lui jeta un mortier sur la tête, et il fut tué, et on le jeta dans le fleuve. Pendant que l'on descendoit les autres malades des galères où ils étoient en prison, il y avoit des Sarrasins tout préparés, l'épée nue à la main, qui, lorsque les malades tomboient, les tuoient et les jetoient tous dans le fleuve. Je leur fis dire» l'ôtent. » Et cet enfant avoit nom Berthelemin,

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et étoit fils du seigneur de Montfaucon de Bar. Quand mon nom fut mis en écrit, l'amiral me

16.

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>> vrance?

faucon de Baat. Quand mon non fu mis en esCe que nous pourrions fàire et crit, si me mena l'Amiraut dedans le paveillon >> soufrir par reson, fist le Conte. Et donriés là où les barons estoient, et plus de dix mille >> vous, firent-il, pour vostre delivrance, nulz personnes avec eux. Quant je entrai léans, les des chastiaus aus barons d'outremer? Le barons firent touz si grant joie que en ne ne >> Conte respondi que il n'i avoit pooir; car en pooit goute oir, et en louoient Nostre Seigneur,» les tenoit de l'empereor d'Alemaingne qui lor et disoient que il me cuidoient avoir perdu. » vivoit. Il demanderent se nous renderions 176. Nous n'eumes gueres demouré illec, quant» nulz des chastiaus du Temple ou de l'Ospital en fist lever l'un des plus riches homes qui là feust, » pour nostre delivrance. Et le Conte respondi et nous mena en un autre paveillon. Moult de » que ce ne pooit estre ; que quant l'en y métoit chevaliers et d'autres gens tenoient les Sarra- » les chastelains, en leur fesoit jurer sur Sains, zins pris en une court qui estoit close de mur que pour délivrance de cors de homme, il ne de terre. De ce clos où il les avoient mis les >> renderoient nulz des chastiaus. Et il nous fesoient traire l'un après l'autre, et leur deman- respondirent que il leur sembloit que nous doient : « Te veulz tu renoier. » Ceulz qui ne se » n'avions talent d'estre delivrez, et que il s'en vouloient renoier, en les fesoit mettre d'une part >>iroient et nous envoieroient ceulz qui joue-. et coper les testes; et ceux qui se renoioient, » roient à nous des espées, aussi comme il d'autre part. En ce point nous envoia le Soudanc » avoient fait aus autres. » Et s'en alerent. son conseil pour parler à nous; et demanderent à cui il diroient ce que le Soudanc nous mandoit et nous leur deismes que il le deissent au bon de Perron de Bretaingne. Il avoit gens illec qui savoient le sarrazinnois et le françois, | que l'en appele Drugemens, qui enromançoient le sarrazinnois au conte Perron. Et furent les paroles teles : Sire, le Soudanc nous en» voie à vous pour savoir se vous vourriés estre » delivrés? » Le conte respondi : « Oil.-Et que >> nous dourriés au Soudanc pour vostre deli

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mena dans le pavillon où étoient les barons, et plus de dix mille personnes avec eux. Quand❘ j'entrai dedans, les barons eurent tous si grande joie, qu'on ne pouvoit rien entendre, et ils louoient notre Seigneur, et disoient qu'ils croyoient m'avoir perdu.

176. Nous n'avions guère demeuré là, quand on fit lever deux des plus riches hommes qui y fussent, et l'on nous mena dans un autre pavillon. Moult de chevaliers et d'autres gens étoient retenus prisonniers dans une cour qui étoit close d'un mur de terre. De ces enclos où on les avoit mis, on les tiroit l'un après l'autre, et on leur demandoit : « Veux-tu te renier? » Ceux qui ne se voulofent renier, on les faisoit mettre d'un côté et on leur coupoit la tête, et ceux qui se renioient, on les mettoit d'un autre côté. Pendant ce temps, le soudan nous envoya son conseil pour nous parler; ils nous demandèrent à qui ils s'adresseroient pour dire ce que le soudan nous mandoit, et nous leur dimes de s'adresser au bon comte Pierre de Bretagne. Il y avoit là des gens qui savoient le sarrasinois et le françois; on les appelle truchements; ils enromançoient * le sarrasinois au comte Pierre. Leurs paroles furent telles: «Sire, le soudan nous envoie à vous pour

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177. Maintenant que il s'en furent alez, se feri en nostre paveillon une grant tourbe de joenes Sarrazins, les espées ceintes, et amenoient avec eulz un home, de grant vieillesce tout chanu, lequel nous fist demander se c'estoit voir que nous créions en un Dieu qui avoit esté pris pour nous, navré et mort pour nous, et au tiers jour resuscité. Et nous respondimes, oyl. Et lors nous dit que nous ne nous devions pas desconforter se nous avions soufertes ces persecucions pour li : « Car encore, dit il, n'estes

>> savoir si vous voudriez être délivrés? » Le comte répondit : « Oui. —Et que lui voudriez-vous don» ner pour votre délivrance? — Ce que nous pour» rons faire et souffrir, par raison, dit le comte.— >> Et donneriez-vous, reprirent-ils, pour votre dé>> livrance, quelques-uns des châteaux qui sontaux >> barons d'Outremer?- Le comte répondit qu'il » n'y avoit pas moyen, parce qu'on les tenoit de >> l'empereur d'Allemagne qui lors vivoit. Ils nous » demandèrent si nous rendrions pour notre déli>> vrance quelques-uns des châteaux du Temple » ou de l'Hôpital? Et le comte répondit que cela >> ne se pouvoit; que quand on y mettoit les chàte» lains, on leur faisoit jurer sur les saints que, pour » délivrance de personnes, ils ne rendroient nuls » des châteaux. Et ils nous dirent qu'il leur sem>>bloit que nous n'avions volonté d'être délivrés, >> et qu'ils s'en iroient et nous enverroient ceux » qui jouoient des épées, et qui nous traiteroient » comme ils avoient traité les autres. » Et ils s'en allèrent.

177. Sitôt qu'ils s'en furent allés, une grande troupe de jeunes Sarrasins, l'épée au côté, se porta dans notre pavillon; ils amenoient avec eux un homme tout blanc de grande vieillesse, lequel nous fit demander si c'étoit vrai que nous crussions en un Dieu qui avoit été pris pour nous, maltraité et mis à mort pour nous,

et au tiers

» vous pas mort pour li, ainsi comme il fu mort » pour vous; et se il ot pooir de li resusciter, » soiés certein que il vous délivrera quant li » pléra. » Lors s'en ala et touz les autres joenes gens après li, dont je fu moult lie; car je cuidoie certeinnement que il nous feussent venu les testes trancher. Et ne tarja gueres après quant les gens le Soudanc vinrent, qui nous distrent que le Roy avoit pourchacié notre delivrance. 178. Après que le vieil home s'en fu alé, qui nous ot reconfortez, revint le conseil le Soudanc à nous, et nous dirent que le Roy nous avoit pourchacié nostre delivrance, et que nous envoison quatre de nos gens à li pour oyr comment il avoit fait. Nous y envoiames monseigneur Jehan de Walery le preudomme, monseigneur Phelippe de Montfort, monseigneur Baudouyn dit Belin seneschal de Cypre, et monseigneur Guiou dit Belin connestable de Cypre, l'un des miex entechez chevaliers que je veisse onques, et qui plus amoit les gens de cest pays. Ces quatre nous raporterent la maniere comment le Roy nous avoit pourchacié nostre delivrance; et elle fu tele.

179. Le conseil au Soudanc essaierent le Roy en la maniere que il nous avoient essaiés, pour veoir se li Roys leur vourroit promettre à deli

jour ressuscité; et nous répondîmes : Oui; et lors nous dit que nous ne devions pas nous déconforter, si nous avions souffert ces persécutions pour lui: «Car encore, dit-il, n'êtes-vous pas morts pour >> lui, ainsi qu'il est mort pour vous, et, s'il eut >> pouvoir de soi ressusciter, soyez certains qu'il » vous délivrera, quand il lui plaira. >> Lors, il s'en alla, et tous les autres jeunes gens après lui, dont je fus moult joyeux, car je croyois bien certainement qu'ils étoient venus pour nous trancher la tête. Et ne tarda guère après que les gens du soudan vinrent, qui nous dirent que le roi avoit traité de notre délivrance.

178. Après que le vieillard s'en fut allé, lequel nous avoit réconfortés, le conseil du soudan revint à nous, et nous dit que le roi nous avoit procuré notre délivrance, et que nous envoyassions vers lui pour ouïr comment il avoit fait. Nous y envoyàmes monseigneur Jean de Valery, le prud'homme, monseigneur Philippe de Montfort, monseigneur Baudouin d'Ibelin, sénéchal de Chypre, et monseigneur Guy d'Ibelin, connétable de Chypre, l'un des chevaliers les plus accomplis que je visse oncques, et qui, le plus, aimoit les gens de ce pays. Ces quatre nous rapportèrent comment le roi avoit traité de notre délivrance; et la manière fut telle.

179. Le conseil du soudan essaya auprès du roi comme il avoit essayé auprès de nous, de voir s'il ne voudroit promettre de livrer quelques-uns

vrer nulz des chastiaus du Temple ne de l'Ospital, ne nulz des chastiaus aus barons du pais, et ainsi comme Dieu voult, le Roy leur respondit tout en la maniere que nous avions respondu ; et il le menacerent et li distrent que puisque il .ne le vouloit faire, que il le feroient mettre ès bernicles. Bernicles est le plus grief tourment que l'en puisse soufrir; et sont deux tisons ploians, endentés au chief, et entre l'un en l'autre, et sont liés à fors corroies de beuf au chief; et quant il veulent mettre les gens dedans, si les couchent sus leur cotez et leur mettent les jambes parmi les chevilles dedans; et puis si font asseoir un home sur les tisons, dont il ne demourra ja demi pié entier de os qu'il ne soit tout debrisiés, et pour faire au pis que il peuent, au chief de trois jours que les jambes sont enflées, si remettent les jambes enflées dedans les bernicles et rebrisent tout derechief. A ces menaces leur respondi le Roy, que il estoit leur prisonnier et que il pouoient fère de li leur volenté.

180. Quant il virent que il ne pourroient vaincre le bon Roy par menaces, se revindrent à li et li demanderent combien il voudroit donner au Soudanc d'argent, et avec ce leur rendit Damiete. Et le Roy leur respondi que se le

des châteaux du Temple et de l'Hôpital, ou des châteaux appartenant aux barons du pays; et ainsi que Dieu voulut, le roi leur répondit tout de la même manière que nous avions répondu; et ils le menacèrent, et lui dirent que puisqu'il ne le vouloit faire, ils le feroient mettre aux bernicles. Les bernicles sont le plus grief tourment que l'on puisse souffrir; ce sont deux pièces de bois pliantes, édentées au chef et entrant l'une dans l'autre; elles sont liées à de fortes courroies de bœuf, et, quand ils veulent mettre quelqu'un dedans, ils le couchent sur le côté et lui font passer les jambes entre des chevilles, et puis font asseoir un homme sur les pièces de bois; d'où il advient qu'il n'y a pas un demi-pied des os de celui qui est couché qui ne soit tout brisé ; et, pour faire au pis qu'ils peuvent, au bout de trois jours que les jambes sont enflées, ils les remettent dans les bernicles et les brisent tout de nouveau. A ces menaces, le roi leur répondit qu'il étoit leur prisonnier et qu'ils pouvoient faire de lui à leur volonté.

180. Quand ils virent qu'ils ne pouvoient vaincre le bon roi par menaces, ils revinrent à lui et lui demandèrent combien il voudroit donner d'argent au soudan, en outre de la reddition de Damiette; et le roi leur répondit que si le soudan vouloit prendre de lui somme raisonnable de deniers, il manderoit à la reine de la payer pour leur délivrance; et ils dirent : « Comment,

est-ce

de Flandres, le bon conte Jehan de Soissons, monseigneur Hymbert de Biaugeu connestable de France; le bon chevalier monseigneur Jehan d'Y belin et monseigneur Gui son frere y furent mis. Cil qui nous conduisoient en la galie, nous ariverent devant une herberge que le Soudanc avoit fet tendre sur le flum, de tel maniere comme vous orrez. Devant celle herberge avoit une tour de parches de sapin et close entour de telle tainte, et la porte estoit de la heberge; et dedans celle porte estoit un paveillon tendu, là où les Amiraus, quant il aloient parler au Soudanc, lessoient leur espées et leur harnois. Après ce paveillon r'avoit une porte comme la premiere, et par celle porte

Soudanc vouloit prenre resonnable somme de deniers de li, que il manderoit à la Royne que elle les paiast pour leur delivrance. Et il distrent : « Comment, est ce que vous ne nous vou» lez dire que vous ferez ces choses? » Et le Roy respondi que il ne savoit se la Royne le vourroit faire, pource que elle estoit sa dame. Et lors le conseil s'en r'ala parler au Soudanc, et raporterent au Roy que se la Royne vouloit paier dix cent mil besans d'or, qui valoient cinq cens mile livres, que il delivreroient le Roy. Et le Roy leur demanda par leur seremens se le Soudanc les delivreroit pour tant, se la Royne le vouloit faire. Et il r'alerent parler au Soudanc; et au revenir firent le serement au Roy, que il le delivreroient ainsi. Et main-entroit l'en en un grant paveillon qui estoit la tenant que il orent juré, le Roy dit et promist sale au Soudanc. Après la sale avoit une tel aus Amiraus que il paieroit volentiers les cinq tour comme devant, par laquelle l'en entroit cens mile livres pour la delivrance de sa gent, en la chambre le Soudanc. Après la chambre et Damiete pour la delivrance de son cors; car le Soudanc avoit un prael, et enmi le prael il n'estoit pas tel que il se deust desraimbre à avoit une tour plus haute que toutes les autres, deniers. Quant le Soudanc oy ce, il dit : « Par là où le Soudanc aloit veoir tout le pays et tout » ma foy, larges est le Frans quant il n'a pas l'ost. Du prael movoit une alée qui aloit au bargigné sur si grant somme de deniers or flum, là où le Soudanc avoit fait tendre en » li alés dire, fist le Soudanc, que je li donne l'yaue un paveillon pour aler baigner. Toutes >> cent mil livres pour la réançon paier. ses herberges estoient closes de treillis de fust et par dehors estoient les treillis couvers de toilles yndes, pour ce que ceulz qui estoient dehors ne peussent veoir dedans, et les tours toutes quatre estoient couvertes de telle.

>>

181. Lors fist estre le Soudanc les riches homes en quatre galies, pour mener vers Damiete. En la galie là où je fu mis, fu le bon conte Pierre de Bretaingne, le conte Guillaume

>> que vous ne voulez pas nous dire que vous ferez >> ces choses? >> Et le roi répondit qu'il ne savoit si la reine le voudroit faire, car elle étoit sa dame. Et lors le conseil s'en retourna parler au soudan, et ils rapportèrent au roi que si la reine vouloit payer dix cent mille besans d'or, qui valoient cinq cent mille livres, il délivreroit le roi. Et le roi leur demanda par serment si le soudan les délivreroit pour cette somme, si la reine le vouloit faire. Et ils retournèrent parler au soudan, et au retour firent serment au roi qu'ils le délivreroient ainsi. Et lorsqu'ils eurent juré, le roi dit et promit aux émirs qu'il paieroit volontiers les cinq cent mille francs pour la délivrance de ses gens, et donneroit Damiette pour la délivrance de sa personne; car il n'étoit pas tel qu'il dût se racheter à prix d'argent. Quand le soudan ouït cela, il dit : « Par ma foi, large >> (magnifique) est le Franc, car il n'a pas bar» guigné sur si grande somme de deniers; or al» lez lui dire que je lui remets cent mille livres

» sur sa rançon. »>

181. Lors le soudan fit mettre les riches hommes sur quatre galères pour les mener à Damiette. En la galère où je fus mis étoient le bon comte Pierre de Bretagne, le comte Guillaume de Flandres, le bon comte Jean de Soissons, monseigneur Imbert de Beaujeu, connétable de France;

le bon chevalier monseigneur Jean d'Ibelin et monseigneur Guy, son frère. Ceux qui nous conduisoient dans la galère nous firent aborder devant une tente que le soudan avoit fait dresser sur le fleuve de la manière que vous aller ouïr: devant cette tente il y avoit une tour formée de pieux de sapin et recouverte tout autour d'une toile peinte. C'étoit la porte de la tente, et à l'entrée de la tente étoit un pavillon là où les émirs, quand ils alloient parler au soudan, laissoient leurs épées et leurs harnois. Après ce pavillon étoit une autre porte comme la première, et par cette porte on entroit dans un grand pavillon qui étoit la salle du soudan. Après la salle étoit une seconde tour comme devant, par laquelle on entroit dans la chambre du soudan. Après la chambre du soudan étoit une enceinte au milieu de laquelle il y avoit une tour plus haute que toutes les autres, là où le soudan alloit voir tout le pays et tout le camp. De l'enceinte partoit un petit chemin qui menoit au fleuve. Le soudan avoit fait tendre dans l'eau un pavillon pour s'y baigner. Toutes ces tentes étoient closes de treillis de bois, et par dehors ces treillis étoient couverts de toiles d'Inde, pour que ceux qui étoient dehors ne pussent voir dedans; et toutes ces quatre tours étoient couvertes de toile.

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