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avant parlé, et s'enfuirent effréément; ne onques n'en peumes nul arester delez nous, dont je en nommeroie bien, desquiez je ne foufferrai, car mort sont.

133. Mès de monseigneur Guion Malvoisin ne me foufferrai-je mie, car il en vint de la Massɔurre honorablement ; et bien toute la voie que le Connestable et moy en alames à mont, il revenoit aval; et en la manière que les Turs amenèrent le conte de Bretaigne et sa bataille, en ramenèrent il monseigneur Guion Malvoisin et sa bataille, qui ot grant los il et sa gent de celle jornée. Et ce ne fu pas de merveille se il et sa gent se prouverent bien celle journée; car l'en me dit, cil qui bien le savoient, son couvine, que toute sa bataille, n'en failloit gueres, estoit toute de chevaliers de son linnage et de chevaliers qui estoient ses hommes liges.

134. Quant nous eumes desconfit les Turs et chaciés de leur herbeges, et que nulz de nos gens ne furent demourez en l'ost, les Beduyns se ferirent en l'ost des Sarrazins, qui moult estoient grant gent. Nulle chose du monde il ne lessoient en l'ost des Sarrazins, que il n'emportassent tout ce que les Sarrazins avoient lessié; ne je n'oy onques dire que les Beduyns qui estoient sousjez aux Sarrazins, en vausissent pis; de chose que il leur eussent tolue ne robée, pource que

grand air qui s'en vinrent moult honteusement fuyant à travers le petit pont dont je vous ai parlé et qui s'en allèrent tout effrayés. Nous n'en pûmes oncques retenir un seul auprès de nous. Je les nommerois bien, mais je m'en tairai parce qu'ils sont morts.

133. Mais je ne me tairai pas de monseigneur Guyon de Malvoisin, car il revint de la Massoure honorablement. Pendant tout le temps que nous remontions le connétable et moi, il descendoit, el de la même manière que les Turcs avoient repoussé le comte de Bretagne et sa bataille, ils repoussèrent monseigneur Guyon de Malvoisin et sa bataille qui acquit grande gloire lui et ses gens en cette journée. Et ce ne fut pas merveille si lui et ses gens se signalèrent ce jour-là, car ceux qui connaissoient bien l'état de sa troupe m'ont dit qu'il ne s'en falloit guère qu'elle ne fût toute composée de chevaliers de son lignage et de chevaliers qui étoient ses hommes-liges.

134. Quand nous eûmes déconfi les Turcs et les eûmes chassés de leurs logements, et que nuls de nos gens ne furent demeurés dans le camp, les Bédouins qui moult étoient en grand nombre, se portèrent dans le camp des Sarrasins; ils n'y laissèrent nulle chose du monde et emportérent tout ce que les Sarrasins y avoient laissé. Je n'ai oncques ouï dire que les Bédouins qui étoient sujets des Sarrasins, en valussent pis auprès C. D. M., T. I.

leur coustume est tele et leur usage, que il courent toujours sus aus plus febles.

135. Pource que il affiert à la matere, vous dirai-je quel gent sont les Beduyns. Les Beduyns ne croient point en Mahommet, ainçois croient en la loy Haali, qui fu oncle Mahommet ; et ainsi il croient le Veil de la montaigne, cil qui nourrit les Assacis, et croient que quant l'omme meurt pour son seigneur, ou en aucune bone entencion, que l'ame d'eulz en va en meilleur cours et en plus aasie que devant ; et pour ce ne font force li Assacis se l'en les occist, quant il font le commandement du Veil de la montaigne. Du Veil de la montaigne nous tairons or endroit, si dirons des Beduyns.

136. Les Beduyns ne demeurent en villes, ne en cités, n'en chastiaus, mèz gisent adès aus champs; et leur mesnies, leur femmes, leur enfans fichent le soir de nuit, ou de jours quant il fait mal tens, en unes manieres de herberges que il font de cercles de tonniaus loiés à perches, aussi comme les chers à ces dames sont; et sur ces cercles getent piaus de moutons que l'en appele piaus de Damas, conrées en alun : les Beduyns meismes en on grans pelices qui leur cuevrent tout le cors, leur jambes et leur piés. Quant il pleut le soir et fait mal tens de nuit, il s'encloent dedens leur pelices, et ostent les frains à

d'eux pour les choses qu'ils leur prenoient ou déroboient, parce que leur coutume et leur usage sont tels qu'ils courent toujours sus au plus faible.

135. Comme cela appartient à mon sujet, je vous dirai quelles gens sont les Bédouins. Les Bédouins ne croient point à Mahomet, mais ils croient à la loi d'Aali, qui fut oncle de Mahomet; et ainsi ils croient au Vieux de la Montagne, celui qui nourrit les Assacis; ils croient que quand l'homme meurt pour son seigneur ou pour aucune bonne intention, son âme s'en va en un meilleur corps et en meilleure vie que devant, et pour cela les Assacis ne tiennent compte si on les occit, quand ils exécutent les ordres du Vieux de la Montagne. Quant à présent, nous nous tairons sur ce Vieux de la Montagne, et nous parlerons des Bédouins.

136. Les Bédouins ne demeurent ni dans des villes, ni dans des cités, ni dans des châteaux, mais sont toujours aux champs. Leurs ménages, leurs femmes et leurs enfants logent le soir de nuit, ou de jour quand il fait mauvais temps, dans des manières de paveillons qu'ils soutiennent avec des cercles de tonneaux liés à des perches, comme sont les chars des dames, et sur ces cercles ils jettent des peaux de mouton qu'on appelle peaux de Damas, corroyées dans de l'alun. Les Bédouins eux-mêmes s'en font de grandes pelisses qui leur

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leur chevaus et les lessent pestre delez eulz. Quant ce vient lendemain, il r'estendent leur pelices au solleil et les conroient, ne jà n'i perra chose que eles aient esté moillées le soir. Leur creance est tele que nul ne peut morir que à son jour, et pour ce ne se veulent il armer; et quant il maudient leur enfans, si leur dient : « Ainsi » soies tu maudit, comme le Franc qui s'arme pour » poour de mort. » En bataille il ne portent riens que l'espée et le glaive. Presque touz sont vestus de seurpeliz, aussi comme les prestres; de touailles sont entorteillées leur testes, qui leur vont par desous le menton, dont ledes gent et hydeuses sont à regarder; car les cheveus des testes et des barbes sont touz noirs. Il vivent du let de leur bestes, et achetent les pasturages ès berries aus riches hommes, de quoy leur bestes vivent. Le nombre d'eulz ne sauroit nulz nommer; car il en a ou réaume de Egypte, ou réaume de Jerusalem et en toutes les autres terres des Sarrazins et des mescréans, à qui il rendent grant trèus chascun an.

137. J'ai veu en cest païs, puis que je revins d'outremer, aucuns desloiaus crestiens quitenoient la loy des Beduyns, et disoient que nulz ne pouoit morir qu'à son jour; et leur creance est si desloiaus, qu'il vaut autant à dire comme Dieu

couvrent tout le corps, les jambes et les pieds. Quand il pleut le soir et fait mauvais temps la nuit, ils s'enveloppent dans leurs pelisses et ôtent les freins à leurs chevaux et les laissent paître près d'eux. Quand ce vient le lendemain, ils étendent leurs pelisses au soleil et les frottent et corroient, et bientôt il ne paroît plus qu'elles aient été mouillées le soir. Leur croyance est que nul ne peut mourir qu'à son jour, et pour cela ils ne se veulent armer; et quand ils maudissent leurs enfants, ils leur disent: «Ainsi sois-tu maudit » comme le Franc qui s'arme par peur de mort. »> Dans les batailles, ils ne portent rien que l'épée et le glaive. Presque tous sont vêtus de surplis, comme nos prêtres. Leurs tètes sont entortillées de longues toiles qui leur vont par dessous le menton, aussi sont-ils laides et hideuses gens à regarder, car les cheveux de leurs tètes et leurs barbes sont tout noirs. Ils vivent du lait de leurs bêtes, et achètent les pâturages des prairies qui appartiennent aux riches, desquels pâturages leurs bêtes vivent. Nul ne sauroit dire le nombre des Bédouins, car il y en a au royaume d'Egypte, au royaume de Jérusalem et en toutes les autres terres des Sarrasins et des mécréants, auxquels ils paient chacun an de grands tributs.

137. J'ai vu en ce pays (en France), depuis que je suis revenu d'outre-mer, aucuns chrétiens déloyaux qui tenoient à la loi des Bédouins, et disoient que nul ne peut mourir qu'à son jour; et

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n'ait pouoir de nous aidier: car il seroient folz ceulz qui serviroient Dieu, se nous ne cuidiens que il eust pooir de nous eslongier nos vies et de nous garder de mal et de meschéance; et en li devons nous croire que il est poissant de toutes choses fere.

138. Or disons ainsi, que à l'anuitier revenimes de la perilleuse bataille desus dite, le Roy et nous, et nous lojames ou lieu dont nous avions chacié nos ennemis. Ma gent qui estoient demourez en nostre ost dont nous estions parti, m'aporterent une tente que les Templiers m'avoient donnée, et là metendirent devant les engeins que nous avions gaingnés aus Sarrazins; et le Roy fist establir serjans pour garder les engins. Quant je fus couchié en mon lit, là où je eusse bien mestier de reposer pour les bleceures que j'avoie eu le jour devant, il ne m'avint pas ainsi, car avant que il feust bien jour l'en escria en nostre ost: aus armes, aus armes. Je fiz lever mon chamberlain qui gisoit devant moy, et li diz que il alast veoir que c'estoit. Et il revint tout effraé, et me dit : « Sire, or sus, or sus, que vezci les Sarrazins qui sont venus à pié et à cheval, et ont déconfit les serjans le Roy qui » gardoient les engins, et les ont mis dedans les » cordes de nos paveillons. » Je me levai et getai

leur croyance est si déloyale qu'il vaut autant dire que Dieu n'a pouvoir de nous aider; car ils seroient fous ceux qui serviroient Dieu, s'ils pensoient qu'il n'a pouvoir de prolonger nos vies et de nous garder de mal et de méchéance; et devons-nous croire qu'il est puissant pour toute chose faire.

138. Or disons maintenant qu'à l'entrée de la nuit, nous revinmes de la périlleuse bataille dessus dite, le roi et nous; et nous logeàmes au lieu d'où nous avions chassé nos ennemis. Mes gens, qui étoient demeurés au camp d'où nous étions partis, m'apportèrent une tente que les Templiers m'avoient donnée, et ils me la tendirent devant les engins que nous avions gagnés sur les Sarrasins; elle roi fit établir des sergents pour garder les engins. Quand je fus couché sur mon lit, là où j'avois bien besoin de reposer à cause des blessures que j'avois reçues le jour de devant, il ne m'en advint pas ainsi; car avant qu'il fût bien jour, on cria dans notre camp: aux armes ! aux armes! Je fis lever mon chambellan, qui étoit couché devant moi, et je lui dis qu'il allat voir ce que c'étoit; et il revint tout effrayé et me dit : « Sire, or sus, » or sus, voici que les Sarrasins sont venus à pied >> et à cheval et ont déconfi les sergents du roi qui » gardoient les engins, et les ont poussés jusque » dans nos pavillons. » Je me levai et jetai ungamboison sur mon dos et un chappel de fer sur ma tête, et criai à nos sergents : « Par saint Nicolas,

se hourdoient. Un mien prestre, qui avoit à non monseigneur Jehan de Voyssei, fu à son conseil et n'atendi pas tant; ainçois se parti de nostre ost tout seul et s'adreça vers les Sarrazins, son gamboison vestu, son chapel de fer en sa teste, son glaive, trainant le fer, desouz l'esselle, pource que les Sarrazins ne l'avisassent. Quant il vint près des Sarrazins, qui riens ne le pri

un gamboison en mon dos et un chapel de fer en ma teste, et escriai à nos serjans : « Par saint » Nicholas, ci ne demourront il pas. >> Mes chevaliers me virent si blecié comme il estoient, et reboutames les serjans aux Sarrazins hors des engins, jusques devant une grosse bataille de Turs à cheval qui estoient tous rez à rez des engins que nous avions gaaingnés. Je mendai au Roy que il nous secourust; car moy ne mes che-soient pource que il veoient tout seul, il lança valiers n'avions pouoir de vestir haubers, pour les plaies que nous avions eues; et le Roy nous envoya monseigneur Gaucher de Chasteillon, lequel se loga entre nous et les Turs, devant

nous.

son glaive dessouz s'esselle et leur courut sus: il n'i ot nul des huit qui y meist deffense, ainçois tournerent touz en fuie. Quant ceulz à cheval virent que leur seigneurs s'en venoient fuiant, il ferirent des esperons pour eulz rescourre, et il saillirent bien de nostre ost jusques à cinquante serjans; et ceulz à cheval vintrent ferant des esperons et n'oserent assembler à nostre gent à pié, ainçois gauchirent par devers

139. Quant le sire de Chasteillon ot rebouté ariere les serjans aus Sarrazins à pié, ils se retraïrent sur une grosse bataille de Turs à cheval, qui estoit rangiée devant nostre ost pour garder que nous ne seurpressions l'ost aus Sar-eulz. Quant il orent ce fait ou deux foiz ou trois, razins qui estoit logié dariere eulz. De celle bataille de Turs à cheval qui estoient descendus à pié, huit de leur chievetains moult bien armés, qui avoient fait un hourdeis de pierres taillées pource que nos arbalestriers ne les bleçassent; ces huit Sarrazins traioient à la volée parmi nostre ost, et blecerent pluseurs de nos gens et de nos chevaus. Moy et nos chevaliers nous meismes ensemble et accordames, quant il seroit anuité, que nous enporterions les pierres dont il

>> ici ne demeureront-ils pas. » Mes chevaliers vinrent à moi tout blessés qu'ils étoient, et nous reboutàmes les sergents des Sarrasins hors des engins jusque devant un gros corps de Turcs à cheval, qui étoit tout près des engins que nous avions gagnés. Je mandai au roi qu'il nous secourût : car moi ni mes chevaliers ne pouvions mettre de hauberts, à cause des plaies que nous avions eues, et le roi nous envoya monseigneur Gaucher de Chatillon, lequel se logea devant nous, entre nous et les Turcs.

139. Quand le sire de Chatillon eut rebouté en arrière les sergents des Sarrasins à pied, ils se retirèrnt sur un gros corps de Turcs à cheval qui étoit rangé devant notre camp pour garder de surprise le camp des Sarrasius qui étoit derrière eux. De ce corps de Turcs à cheval étoient descendus à pied huit de leurs chefs moult bien armés, qui avoient fait un retranchement.de pierres taillées pour que nos arbalétriers ne les blessassent point. Ces huit Sarrasins tiroient à la volée sur notre camp et blessèrent plusieurs de nos gens et de nos chevaux. Moi et mes chevaliers nous résolumes ensemble que quand la nuit seroit venue, nous emporterions les pierres qui leur servoient de retranchement. Un mien prêtre qui avoit nom monseigneur Jean de Vassey étoit à ce conseil, et il n'attendit pas tant, mais

un de nos serjans tint son glaive parmi le milieu et le lança à un des Turs à cheval, et li en donna parmi les costes. Quant les Turs virent ce, il n'i oserent puis aler ne venir, et nos serjans emporterent les pierres. Dès illec en avant fu mon prestre bien cogneu en l'ost, et le moustroient l'un à l'autre, et disoient : « Vezci le prestre monseigneur de Joinville, qui a les huit Sarrazins desconfiz. »

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140. Ces choses avindrent le premier jour de

il partit de potre camp tout seul et s'avança vers les Sarrasins, son gamboison sur le dos, son chappel de fer en tête, son glaive sous l'aisselle. pour que les Sarrasins ne le remarquassent point. Quand il vint près d'eux qui n'en faisoient grand cas parce qu'ils le voyoient seul, il tira son glaive de dessous l'aisselle et leur courut sus. Il n'y eut aucuns des huit chefs qui se mirent en défense, mais tous tournèrent en fuite. Quand les Sarrasins à cheval virent que leurs seigneurs revenoient à eux en fuyant, ils donnèrent des éperons pour les secourir, et coururent sus à mon prêtre; il sortit bien de notre camp cinquante sergents; les Sarrasins à cheval venoient donnant des éperons et n'osèrent pourtant attaquer nos gens à pied, mais caracolèrent devant eux. Quand ils eurent fait cela deux ou trois fois, un de nos sergents, prenant son glaive par le milieu, le lança à un des Turcs à cheval et l'enfonça dans son côté, et le Turc emporta le glaive traînant dont il avoit le fer dans les côtes. Quand les Turcs virent cela, ils n'osèrent plus aller ni venir, et nos sergents emportèrent les pierres. Depuis ce moment mon prêtre fut bien connu dans notre armée; on se le montroit l'un à l'autre et l'on disoit « Voici le prêtre de monseigneur de >> Joinville qui a déconfi les huit Sarrasins. >>

140. Ces choses advinrent le premier jour de

l'ot commandé il fu fait.

quaresme. Ce jour meismes un vaillant Sarrazin, | parmi le merrien à pié. Et ainsi comme le Roy que nos ennemis avoient fet chievetain pour Secedic le filz au Seic, que il avoient perdu en la bataille le jour de quaresme pernant, prist la cote le conte d'Artois qui avoit esté mort en celle bataille, et la moustra à tout le peuple des Sarrazins, et leur dit que c'étoit la cote le Roy à armer, qui mort estoit. « Et ces choses vous >> moustré je, pource que cors sans chief ne vaut >> riens à redouter, ne gent sans Roy; dont, se il >> vous plet, nous les assaurons samedi,

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dredi, et vous y devez accorder, si comme il >> me semble; car nous ne devrons pas faillir que » nous ne les prenons touz, pource que il ont » perdu leur chievetein; et touz s'accorderent que il nous venroient assaillir vendredi.

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141. Les espies le Roy qui estoient en l'ost des Sarrazins, vindrent dire au Roy ces nouvelles, et lors commanda le Roy à touz les chieveteins des batailles que il feissent leur gent armer dès la mienuit, et se traisissent hors des paveillons jusques à la lice qui estoit tele que il y avoit lons merriens, pource que les Sarrazins ne se ferissent parmi l'ost; et estoient atachiés en terre en telle maniere, que l'en pooit passer

carême. Ce jour même, un vaillant Sarrasin que nos ennemis avoient fait chef à la place de Scecedin, fils du Sceic qu'ils avoient perdu dans la bataille le jour de carême prenant, prit la cotte d'armes du comte d'Artois qui avoit été tué dans cette bataille et la montra à tout le peuple des Sarrasins, et leur dit que c'étoit la cotte d'armes du roi qui étoit mort : « Et ces choses vous mon» tré-je, ajouta-t-il, parce que corps sans chef, ni >> gent sans roi ne sont à redouter; donc, s'il vous >> plait, nous les assaillerons samedi, vendredi, el >> vous y devez bien accorder, comme il me semble, >> car nous ne devons pas faillir de les prendre tous, >> puisqu'ils ont perdu leur chef. » Et tous s'accordèrent pour nous venir assaillir le vendredi.

141. Les espies du roi qui étoient dans l'armée des Sarrasins vinrent lui dire ces nouvelles, et lors le roi commanda à tous les chefs des batailles qu'ils fissent armer leurs gens dès minuit, et qu'ils sortissent des pavillons jusqu'à la lice où il y avoit de longs merrains pour empêcher les Sarrasins de se porter dans le camp. Et ces merrains étoient plantés de telle manière qu'on pouvoit passer entre à pied. Et ainsi que le roi l'avoit commandé il fut fait.

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142. A solleil levant tout droit les Sarrazins devant nommez de quoy il avoient fait leur chievetein, nous amena bien quatre mille Turs à cheval, et les fist ranger touz entour nostre ost et il, dès le flum qui vient de Babiloine jusques au flum qui se partoit ne nostre ost, et en aloit vers une ville que l'en appele Risil. Quant il orent ce fait, il nous ramenerent si grant foison de Sarrazins à pié, que il nous r'environnerent tout nostre ost, aussi comme il avoient des gens à cheval. Après ces deux batailles que je vous conte, firent rangier tout le pooir au soudane de Babiloine pour eulz aidier, se mestier leur feust. Quant il orent ce fait, le chievetain vint veoir le couvine de nostre ost sur un petit roncin; et selonc ce que il veoit que nos batailles estoient il r'aloit plus grosses en un lieu que en un autre, querre de sa gent et renforçoit ses batailles contre les nostre. Après ce fist il passer les Beduyns, qui bien estoient trois mille, par devers les deux rivieres; et ce fist il pource que il cuidoit que le Roy eust envoié au Duc de sa gent pour li aidier contre les Beduyns, par quoy l'ost le Roy en feust plus feble.

142. Droit au soleil levant, le Sarrasin ci-dessus nommé, dont les ennemis avoient fait leur chef, nous amena bien quatre mille Turcs à cheval, et les fit tous ranger entre notre camp et lui, depuis le fleuve qui vient de Babylone jusqu'à celui qui partoit de notre camp, et s'en alloit vers une ville qu'on appelle Rexi. Quand cela fut fait, il amena encore un si grand nombre de Sarrasins à pied qu'il en environna de nouveau tout notre camp, comme il avoit fait des gens à cheval. Après ces deux batailles, il fit ranger toutes les forces du soudan de Babylone pour les secourir, si besoin leur étoit. Quand tout cela fut fait, cheftain vint sur un petit ronsin examiner la disposition de notre armée, et selon qu'il voyoit que nos batailles étoient plus grosses en un lieu qu'en un autre, il alloit quérir de ses gens et renforçoit ses batailles opposées aux nôtres. Après quoi il fit passer les Bédouins, qui étoient bien trois mille, du côté du camp que gardoit le duc de Bourgogne, entre les deux rivières; et ce fit-il parce qu'il pensoit que le roi enverroit de ses gens au duc pour le secourir contre les Bédouins, ce qui affaibliroit l'armée du roi **.

le

» gens d'armes dans le camp du duc et que l'armée du roi >> en seroit plus faible, d'autant que les Bédouins garde>> roient que nous eussions secours du duc de Bourgo» gne. »

ment, que onques les Turs ne les porent ne percier ne rebouter.

145. Après la bataille monseigneur Gautier estoit frere Guillaume de Sonnac, mestre du Temple, à tout ce pou de freres qui li estoient

143. En ces choses areer mist il jusques à midi, et lors il fist sonner ses tabours que l'en appele nacaires, et lors nous coururent sus et à pié et à cheval. Tout premier je vous dirai du roy de Sezile, qui lors estoit conte d'Anjou, pource que c'estoit le premier par de vers Babiloine.demourez de la bataille du mardi : il ot fait faire Il vindrent à li en la maniere que l'en jeue aus eschez; car il li firent courre sus à leur gent à pié, en tel maniere que ceulz à pié li getoient le feu grejois, et les pressoient tant ceulz à cheval et ceulz à pié, que il desconfirent le roy de Sezile qui estoit entre ses chevaliers à pié; et l'en vint au Roy et li dit l'en le meschief où son frere estoit. Quant il oy ce, il feri des esperons parmi les batailles son frere l'espée ou poing, et se feri entre les Turs si avant que il li empristrent la coliere de son cheval de feu grejois; et par celle pointe que le Roy fist, il secouri le roy de Sezile et sa gent, et en chacerent les Turs de leur ost.

144. Après la bataille au roy de Sezile, estoit la bataille des barons d'Outremer, dont mesire Gui Guibelin et mesire Baudouin son frere estoient chievetein. Après leur bataille estoient la bataille monseigneur Gautier de Chateillon, pleine de preudommes et de bone chevalerie. Ces deux batailles se defendirent si vigeureuse

deffense endroit li des engins aus Sarrazins que nous avions gaaingnés. Quant les Sarrazins le vindrent assaillir, il jeterent le feu grejois ou hourdis que il y avoient fait faire, et le feu s'i prist de legier, car les Templiers y avoient fait mettre grans planches de sapin; et sachez que les Turs n'attendirent pas que le feu feust tout ars, ains alerent sus courre aus Templiers parmi le feu ardant. Et à celle bataille frere Guillaume le mestre du Temple perdi l'un des yex, et l'autre avoit il perdu le jour de quaresme pernant, et en fu mort ledit seigneur, que Diex absoille. Et sachez que il avoit bien un journel de terre dariere les Templiers, qui estoit si chargié de pyles que les Sarrazins leur avoient lanciées, que il n'i paroit point de terre pour la grant foison de pyles.

146. Après la bataille du Temple estoit la bataille monseigneur Guion Malvoisin, laquelle bataille les Turs ne porent onques vaincre; et toute vois avint ainsi que les Turs couvrirent

145. Après la bataille de monseigneur Gauthier étoit frère Guillaume de Sonnac, maître du Tem

143. Il en eut pour jusqu'à midi à faire toutes ces dispositions, et alors il fit sonner ses tambours que l'on appelle nacaires, et aussitôt nous couru-ple, avec le peu de frères qui lui étoient restés

mes sus à pied et à cheval. Tout d'abord je vous parlerai du roi de Sicile qui lors étoit comte d'Anjou, parce qu'il étoit le premier du côté de Babylone. Les ennemis vinrent à lui en façon de jeu d'échecs; car ils lui firent courir sus avec leurs gens à pied, de telle manière que ceux-ci lui jetoient le feu grégeois, et le pressèrent tant ceux à cheval et ceux à pied qu'ils déconfirent le roi de Sicile, qui étoit à pied entre ses chevaliers. Un sergent vint au roi et lui dit le méchief où son frère étoit. Quand le roi ouït cela, il donna des éperons parmi les batailles de son frère, l'épée au poing, et se porta si avant entre les Turcs qu'ils lui brûlèrent la croupière de son cheval avec leur feu grégeois; et par cette pointe que le roi fit, il secourut le roi de Sicile et ses gens, et ils chassèrent les Turcs de leur bataille.

144. Après cette bataille du roi de Sicile venoit celle des barons d'outre-mer, dont messire Guy d'Ibelin et messire Baudouin son frère étoient chefs. Après leur bataille venoit celle de monseigneur Gauthier de Chatillon, pleine de prudhommes et de bons chevaliers; ces deux batailles se défendirent si vigoureusement que les Tures ne purent oncques ni les percer ni les re

pousser.

de la bataille du mardi; il avoit fait faire une défense devant les engins que nous avions gagnés sur les Sarrasins. Quand ceux-ci le vinrent assaillir, ils jetèrent le feu grégeois sur ce retranchement qu'il avoit fait faire; et le feu y prit facilement, car les Templiers y avoient fait mettre de grandes planches de sapin; et sachez que les Turcs n'attendirent pas que le feu eût tout brûlé, mais ils coururent sus aux Templiers parmi le feu ardent; et dans ce combat, frère Guillaume maître du Temple perdit un œil; il avoit perdu l'autre le jour de carême-prenant, et ledit seigneur en mourut *, que Dieu l'absolve. Et sachez qu'il y avoit bien un journeau de terre derrière les Templiers lequel éteit si couvert de traits que les Sarrasins leur avoient lancés, qu'il n'y paraissoit pas un pouce de terrain.

146. Après la bataille du Temple venoit celle de monseigneur Guy de Malvoisin, laquelle les Turcs ne purent oncques vaincre; et toutefois ils couvrirent monseigneur Guy de Malvoisin de lant de feu grégeois qu'à grand'peine ses gens le purent éteindre.

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