Imatges de pàgina
PDF
EPUB

à moy et nous dit que nous nous treissions emprès une meson deffaite, et illec attenderions le Roy qui venoit. Ainsi comme nous en alions à pié et à cheval, une grant route de Turs vint hurter à nous, et me porterent à terre et alerent par desus moy, et volerent mon escu de mon col; et quant il furent outrepassez, monseigneur Erart de Syverey revint sur moy et m'emmena, et en alames jusques aus murs de la meson deffete; et illec revindrent à nous monseigneur Hugues d'Escoz, monseigneur Ferri de Loupey, monseigneur Renaut de Menoncourt. Illec les Turs nous assailloient de toutes pars; une partie d'eulz entrerent en la meson deffete, et nous piquoient de leur glaives par desus. Lors me dirent mes chevaliers que je les preisse par les frains, et je si fis pource que les chevaus ne s'enfouissent; et il se deffendoient des Turs si viguereusement, car il furent loez de touz les preudommes de l'ost, et de ceulz qui virent le fait et de ceulz qui l'oirent dire. Là fu navré monseigneur Hugues d'Escoz de trois glaives ou visage, et monseigneur Raoul et monseigneur Ferri de Loupey d'un glaive parmi les espaules; et fut la plaie si large que le sanc li venoit du cors aussi comme le bondon d'un tonnel. Monseigneur Erart de Syverey fut feru d'une espée parmi le visage, si que le nez li cheoit sus

roi qui venoit. Mais comme nous nous en allions à pied et à cheval, une grande troupe de Turcs vint nous attaquer; ils me portèrent à terre et passèrent par dessus moi et firent voler mon écu de mon cou, et, quand ils furent passés, monscigneur Erard de Siveray revint à moi et m'emmena et nous allàmes jusqu'aux murs de la maison ruinée; et là revinrent à nous, monseigneur Hugues d'Escoz, monseigneur Ferry de Loupey, monseigneur Renaut de Menoncourt. Là les Turcs nous assaillirent de toutes parts; une partie d'eux entrèrent dans la maison ruinée et nous piquoient de leurs glaives par en haut. Lors mes chevaliers me dirent de tenir les freins de leurs chevaux, ce que fis-je, pour que les chevaux ne s'enfuissent. Les chevaliers se défendoient si vigoureusement, qu'ils en furent loués de tous les prud'hommes de l'armée et de ceux qui virent le fait, et de ceux qui l'ouïrent raconter. Là furent blessés monseigneur Hugues d'Escoz, de trois coups d'épée au visage, et monseigneur Raoul et monseigneur Ferri de Louppey, d'un coup d'épée dans les épaules; et la plaie fut si large que le sang lui sortoit du corps comme le vin d'une bonde de tonneau. Monseigneur Erard de Siveray fut frappé d'une épée au visage de telle manière que le nez lui tomboit sur la lèvre. Adonc en cette détresse me souvint de monseigneur saint Jacques : «Beau sire saint Jacques, lui dis-je, je vous

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

le levre; et lors il me souvint de monseigneur saint Jaque: « Biau sire saint Jaque, que j'ai requis, aidiés moy et secourez à ce besoing, » Maintenant que j'oi faite ma priere, monseigneur Erart de Syverey me dit : « Sire, se vous cuidiés que moy ne mes hers n'eussions reprouvier, je vous iroie querre secours au conte d'Anjou que je voi là enmi les chans. » Et je li dis: Messire Erart, il me semble que vous feriés vos>> tre grant honeur, se vous nous aliés querre aide » pour nos vies sauver, car la vostre est bien en de celle bleceure. Il demanda conseil à touz nos » avanture; » et je disoie bien voir, car il fu mort chevaliers qui là estoient, et touz li louerent ce que je li avoie loé ; et quant il oy ce, il me pria que je li lessasse aler son cheval que je li tenoie par le frain avec les autres, et je si fiz. Au conte d'Anjou vint et li requist que il me venist secourre moy et mes chevaliers. Un riche homme qui estoit avec li li desloa; et le conte d'Anjou li dit que il feroit ce que mon chevalier li requeroit son frain tourna pour nous venir aidier, et pluseurs de ses sergans ferirent des esperons. Quant les Sarrazins les virent, si nous lessierent. Devant ces sergans vint monseigneur Pierre de Alberive l'espée ou poing; et quant il virent que les Sarrazins nous eurent lessiés, il courut sur tout plein de Sarrazins qui tenoient

>> en requiers, aidez-moi et me secourez en ce >> besoin. » Et sitôt que j'eus fais ma prière, monseigneur Erard de Siveray me dit : « Sire, >> si vous pensiez que moi ni mes héritiers n'eus>>sions point de reproche à essuyer, je vous »>irois querir secours au comte d'Anjou, que je >> vois là bas dans les champs. » Et je lui dis: « Messire Erard, il me semble que vous vous >> feriez grand honneur, si vous nous alliez quérir >> aide pour nos vies sauver, car la vôtre est bien >> en aventure. » Et je disois vrai, car il mourut de cette blessure. Il demanda conseil à tous nos chevaliers qui là étoient, et tous lui conseillèrent ce que je lui avois conseillé; et quand il ouït cela, il me pria que je laissasse aller son cheval que je tenois par le frein avec les autres : ainsi fis-je. Il alla au comte d'Anjou et le requit qu'il vint secourir moi et mes chevaliers. Un riche homme qui étoit avec le comte l'en déconseilla; mais le bon seigneur n'en voulut rien croire, et lui dit qu'il feroit ce dont mon chevalier le requéroit, et il tourna son frein pour nous venir aider, plusieurs de ses sergents donnèrent des éperons. Quand les Sarrasins les virent, ils nous laissèrent devant ces sergents; vint monseigneur Pierre de Alberive, l'épée au poing, et quand ils virent que les Sarrasins nous laissoient, ils coururent sur tout plein d'autres qui tenoient monseigneur Raoul de Vernon et le dégagè

et

monseigneur Raoul de Vaunou et le rescoy moult blecié.

ses serjans que il li alassent querre ses bons chevaliers que il avoit entour li de son Conseil, 124. Là où je estoie à pié et mes chevaliers, et les nomma touz par leur non. Les serjans les aussi blecié comme il est devant dit; vint le Royalerent querre en la bataille, où le hutin estoit

à toute sa bataille à grant noyse et à grant bruit de trompes et nacaires, et se aresta sur un chemin levé mès oncques si bel armé ne vi, car il paroit desur toute sa gent dès les espaules en amon, un heaume doré en son chief, une espée d'Alemaingne en sa main. Quant il fu là aresté, ses bons chevaliers que il avoit en sa bataille, que je vous ai avant nommez, se lancerent entre les Turs, et pluseurs des vaillans chevaliers qui estoient en la bataille le Roy. Et sachiés que ce fu un très biau fait d'armes; car nulz n'y traioit ne d'arc ne d'arbalestre, ainçois estoit le fereis de maces et d'espées des Turs et de nostre gent, qui touz estoient mellez. Un mien escuier qui s'en estoit fui à tout ma baniere et estoit revenu à moy, me bailla un mien roncin sur quoy je monté, et me traïs vers le Roy tout coste à coste. Endementres que nous estiens ainsi, monseigneur Jehan de Waleri le preudome vint au Roy, et li dit que il looit que il se traisist à main dextre sur le flum, pour avoir l'aide du duc de Bourgoingne et des autres qui gardoient l'ost que nous avions lessié, et pource que ses serjans eussent à boire; car le chaut estoit jà grant levé. Le Roy commanda à

rent moult blessé et en bien piteux point. 124. Là, où j'étois à pied et mes chevaliers blessés comme je l'ai devant dit, le roi vint avec toute sa bataille, à grands cris et à grand bruit de trompes et de timbales, et s'arrêta sur un chemin élevé. Oncques ne vis jamais si bel homme armé; car il paraissoit au-dessus de tous ses gens depuis les épaules jusqu'à la tête, un heaume doré sur son chef, une épée d'Allemagne à la main. Quand il fut là arrêté, ses bons chevaliers qu'il avoit en sa bataille, lesquels je vous ai nommés ci-dessus, se lancèrent au milieu des Turcs, ainsi que plusieurs des vaillants chevaliers qui étoient en la bataille du roi. Et sachez que ce fut un très beau fait d'armes; car nul n'y tiroit d'arc ni d'arbalète; mais c'étoit le choc de masses et d'épées des Turcs et de nos gens qui étoient tous mêlés. Un mien écuyer qui s'étoit enfui avec toute ma bannière et étoit revenu à moi, me bailla un mien ronsin sur lequel je montai et me retirai vers le roi, tout côte à côte. Tandis que nous étions ainsi, monseigneur Jean de Valery le prud'homme vint au roi, et lui dit : que il lui conseilloit de se retirer à main droite sur le fleuve, pour avoir l'aide du duc de Bourgogne et des autres qui gardoient le camp que nous avions laissé, et pour que ses sergents eussent à boire, car la chaleur étoit déjà grande. Le roi commanda à ses

grant d'eulz et des Turs. Il vindrent au Roy, et leur demanda conseil; et il distrent que monseigneur Jehan de Waleri le conseilloit moult bien; et lors commanda le Roy au Gonfanon saint Denis et à ses banieres, qu'il se traisissent à main dextre vers le flum. A l'esmouvoir l'ost le Roy, r'ot grant noise de trompes et de cors Sarrazinnois. Il n'ot guieres alé, quant il ot pluseurs messages du conte de Poitiers son frere, du conte de Flandres et de pluseurs autres riches hommes qui illec avoient leur batailles, qui touz li prioient que il ne se meust; car il estoient si pressé des Turs que il ne le poot suivre. Le Roy rapella touz ses preudommes chevaliers de son Conseil, et touz li loerent que il attendit; et un pou après monseigneur Jehan de Waleri revint, qui blasma le Roy et son Conseil de ce que il estoient en demeure. Après tout son Conseil li loa que il se traisist sur le flum, aussi comme le sire de Waleri li avoit loé. Et maintenant le Connestable monseigneur Hymbert de Biaujeu vint à li, et li dit que le conte d'Artois son frere se deffendoit en une meson à la Massourre, et que il l'alast secourre. Et le Roy li dit : « Connestable, alés devant et je vous

sergents d'aller quérir ses bons chevaliers qu'il avoit autour de lui, dans son conseil, et il les nomma tous par leur nom. Les sergents les allérent quérir à la bataille, où le bruit du choc d'eux et des Turcs étoit grand. Ils vinrent au roi, et il leur demanda conseil, et ils dirent que monseigneur Jean de Valery le conseilloit moult bien. [Lors le roi commanda au gonfanon saint Denis * et à ses bannières de se retirer à main droite vers le fleuve. Au départ du roi, il y eut de nouveau grand bruit de trompes et de cors de Sarrasins. Le roi n'avoit pas fait grand chemin que plusieurs messages du comte de Poitiers, son frère, du comte de Flandre et de plusieurs autres riches hommes qui avoient leurs batailles, le prièrent tous de ne pas aller plus loin, car ils étoient si pressés par les Turcs qu'ils ne pouvoient le suivre. Le roi rappela tous ses prud'hommes chevaliers de son conseil, et tous lui conseillèrent d'attendre; et un peu après monseigneur Jean de Valery revint qui blàma le roi et son conseil de ce qu'ils étoient restés et après cela tous conseillèrent au roi de se retirer sur le fleuve, comme le sire de Valery l'avoit conseillé.] Alors le connétable monseigneur Imbert de Beaujeu vint à lui, et lui dit que le comte d'Artois, son

Au porte-oriflamme.

|

goingne, ce que il ne porent faire; car lès chevaus estoient lassez et le jour estoit eschaufé; si que nous voiens, en dementieres que nous ve│nion aval, que le flum estoit couvert de lances et de escus, et de chevaus et de gens qui se noioient et perissoient. Nous venimes à un poncel qui estoit parmi le ru, et je dis au Connes

» suivré. » Et je dis au Connestable que je seroie son chevalier, et il m'en mercia moult. Nous nous meismes à la voie pour aler à la Massoure. Lors vint un serjant à mace au Connestable, tout effraé, et li dit que le Roy estoit arresté, et les Turs s'estoient mis entre li et nous. Nous nous tornames, et veismes que il en y avoit bien mil et plus entre li et nous, et nous n'es-table que nous demourissons pour garder ce pontions que six. Lors dis-je au Connestable : « Sire, » nous n'avons pooir d'aler au Roy parmi ceste >> gent, maiz alons amont et metons ceste fosse » que vous veez devant vous, entre nous et >> eulz, et ainsi pourrons revenir au Roy. » Ainsi comme je le louai le Connestable le fist; et sachiez que se il se feussent pris garde de nous, il nous eussent touz mors, mès il entendoient au Roy et aus autres grosses batailles, parquoy il cuidoient que nous feusson des leur.

125. Tandis que nous revenions aval pardessus le flum, entre le ru et le flum, nous veimes que le Roy estoit venu sur le flum, et que les Turs en amenoient les autres batailles le Roy, ferant et batant de maces et d'espées, et firent flatir toutes les autres batailles avec les batailles le Roy sur le flum. Là fu la desconfiture si grant, que pluseurs de nos gens recuiderent passer à nou par devers le duc de Bour

frère, se défendoit en une maison à la Massoure, et qu'il l'allàt secourir. Et le roi lui dit : « Connétable, allez devant et je vous suivrai ; » et je dis au connétable que je serois sonchevalier, et il m'en remercia moult. Nous nous mîmes en route pour la Massoure. Alors vint un sergent, portant masse, tout effaré, qui dit au connétable que le roi étoit arrêté, et que les Turcs s'étoient mis entre lui et nous. Qui fut ébahi? ce fut nous, et à grand effroi. Nous nous retournàmes et vimes qu'il y en avoit bien mille et plus entre lui et nous, et nous n'étions que six; lors je dis au connétable: «Sire, nous ne pouvons aller au roi >> à travers ces gens, mais allons par en haut et >> mettons ce fossé que vous voyez devant nous, >> entre eux et nous, et ainsi nous pourrons retour>>ner au roi. » Le connétable fit ainsi que je lui conseillai : et sachez que s'ils eussent pris garde à nous, ils nous eussent tous occis; mais ils donnoient toute leur attention au roi et aux autres grosses batailles, et nous crurent apparemment des leurs.

125. Pendant que nous redescendions entre le fossé et le fleuve, nous vimes que le roi étoit venu au fleuve, et que les Turcs y poussoient les autres batailles du roi, en frappant et battant à coups de masses et d'épées; et ils poussèrent de même toutes les autres batailles avec celles du roi sur le fleuve. Là fut la déconfiture si grande que plusieurs de nos gens songèrent à passer à la

cel ; « car se nous le lesson, il ferront sus le Roy » par deça; et se nostre gent sont assaillis de >> deux pars, il pourront bien perdre ; » et nous le feismes ainsinc. Et dit l'en que nous estions trestous perdus dès celle journée, ce le cors le Roy ne feust, car le sire de Courcenay et monseigneur Jehan de Saillenay me conterent que six Turs estoient venus au frain le Roy et l'emmenoient pris ; et il tout seul s'en delivra aus grans cops que il leur donna de l'espée; et quant sa gent virent que le Roy metoit deffense en li, il pristrent cuer et lesserent le passage du flum et se trestrent vers le Roy pour li aidier.

126. A nous tout droit vint le conte Pierre de Bretaingne, qui venoit tout droit devers la Massoure, et estoit navré d'une espée parmi le visage, si que le sanc li cheoit en la bouche. Sus un bas cheval bien fourni séoit; ses renes ́avoit getées sur l'arçon de sa selle et les tenoit

nage du côté du duc de Bourgogne, ce qu'ils ne purent faire, car les chevaux étoient fatigués et la chaleur du jour étoit grande; et nous qui vimes, pendant que nous descendions, le fleuve couvert de lances et d'écus et de chevaux et de gens qui se noyoient et périssoient, nous allâmes à un petit pont qui étoit sur le fossé, et je dis au connétable que nous devions demeurer pour garder ce petit pont; car, si nous le laissons, les ennemis attaqueront le roi par deçà, et si nos gens sont assaillis des deux côtés, ils pourront bien nous perdre. Et nous le fimes ainsi; et l'on dit que nous étions tous perdus dans cette journée, si le roi n'y eût été en personne; car le sire de Courcenay et monseigneur Jean de Saillenay me contèrent que six Turcs étoient venus au frein du cheval au roi et l'emmenoient prisonnier; et le roi tout seul s'en délivra par les grands coups qu'il leur donna de son épée; et quand ses gens virent que le roi mettoit en lui-même sa défense, ils prirent courage, renoncèrent à passer le fleuve et se retirèrent auprès du roi pour l'ai

der.

126. Le comte Pierre de Bretagne vint droit à nous : il revenoit de la Massoure et étoit blessé d'un coup d'épée au visage, tellement que le sang lui tomboit dans la bouche. Il étoit sur un beau cheval bien fourni ; ses rênes avoient été jetées sur l'arçon de sa selle, et il le tenoit de ses deux mains pour que ceux qui étoient derrière

à ses deux mains, pource que sa gent qui es-
toient darieres, qui moult le pressoient, ne le
getassent du pas. Bien sembloit que il les pri-
sast pou, car quant il crachoit le sanc de sa bou-
che, il disoit : « Voi pour le chief Dieu, avez
» veu de ces ribeus. » En la fin de sa bataille ve-
noit le conte de Soissons et monseigneur Pierre
de Nouille, que l'en appeloit Caier, qui assez
avoient souffers de cops celle journée. Quant il
furent passez,
et les Turs virent que nous gar-
dions le pont, il les lesserent quant il virent
que nous avions tourné les visages vers eulz. Je
ving au conté de Soissons, cui cousine ger-
mainne j'avoie épousée, et li dis: « Sire, je
» crois que vous feriés bien se vous demouriés à ce
› poncel garder; car se nous lessons le poncel,
»ces Turs que vous veez ci devant vous, se fer-
» ront jà parmi, et ainsi iert le Roy assailli
>> par deriere et par devant. » Et il demanda, se
il demouroit, se je demourroie; et je li res-
pondi: oil, moult volentiers. Quant le Con-
nestable oy ce,
il me dit que je ne partisse de
là tant que il revenist, et il nous iroit querre

na,

vous un Turc qui vint de vers la bataille le roy dariere nous estoit, et feri par darieres monseigneur Pierre de Nouille d'une mace, et le coucha sur le col de son cheval du cop que il li donet puis se feri outre le pont et se lansa entre sa gent. Quant les Turs virent que nous ne lèrions pas le poncel, il passerent le ruissel et se mistrent entre le ruissel et le flum, ainsi comme nous estions venu aval; et nous nous traisimes entre eulz en tel maniere que nous estions touz apareillés à eulz sus courre, se il vousissent passer vers le Roy et se il vousissent passer le poncel.

128. Devant nous avoit deux serjans le Roy, dont l'un avoit non Guillaume de Boon et l'autre Jehan de Gamaches, à cui les Turs qui s'estoient mis entre le flum et le ru, amenerent tout plein de vileins à pié qui leur getoient motes de terres onques ne les peurent mettre sur nous. Au darrien il amenerent un vilain à pié, qui leur geta trois fois feu gregois, l'une des foiz requeilli Guillaume de Boon le pot de feu gregois à sa roelle, car se il se feust pris à riens sur li, il eust esté ars. Nous estions touz couvers de pyles qui eschapoient des sergens. Or avint ainsi que 127. Là où je demourai ainsi sus mon roncin, je trouvai un gamboison d'estoupes à un Sarrame demoura le conte de Soissons à destre, et mon-zin; je tournai le fendu devers moy, et fis escu seigneur Pierre de Nouille à senestre. A tant et du gamboison qui m'ot grant mestier; car je ne

secours.

les Turcs virent que nous ne laisserions pas le pont, ils passèrent le fossé ou ruisseau et se mirent entre le fossé et le fleuve, comme nous avions fait en descendant, et nous nous postàmes entre eux de manière que nous étions tout préparés à courir sur eux, soit qu'ils voulussent passer du côté du roi, soit qu'ils voulussent passer le pont.

et qui moult le pressoient, ne le jetassent pas à terre. Bien sembloit qu'il fit peu de cas d'eux, ear quand il crachoit le sang de sa bouche, il disoit : « Vous, par le chef Dieu, avez vu de ces >> ribaux. » A la fin de sa bataille venoit le comte de Soissons avec monseigneur Pierre de Nouille, qu'on appeloit Caier : ils avoient assez souffert de coups dans cette journée. Quand ils furent passés et quand les Turcs virent que nous gardions le pont et que nous avions tourné le visage vers eux, ils les laissèrent. J'allai au comte de Soissons, dont j'avois épousé la cousine germaine, et je lui dis : « Sire, je crois que vous fe» riez bien si vous restiez à garder ce petit pont; » car, si nous le laissons, ces Turcs que vous » voyez devant nous, le traverseront, et ainsi legrégeois; une de ces fois Guillaume de Boon para » roi sera assailli par derrière et par devant. >> Et il me demanda si je demeurerois avec lui, et je lui répondis oui moult volontiers. Quand le connétable ouït cela, il me dit de ne pas partir de là qu'il ne fût revenu, et qu'il nous iroit quérir se

cours.

128. Devant nous il y avoit deux sergents du roi, dont l'un avoit nom Guillaume de Boon* et l'autre Jean de Gamaches, sur lesquels les Turcs qui s'étoient placés entre le fleuve et le fossé dirigèrent tout plein de paysans à pied qui leur jetoient des mottes de terre. Ils ne purent oncques les faire avancer sur nous. A la fin ils amenèrent un paysan à pied qui leur jeta trois fois du feu

le pot de feu avec son bouclier; car si le feu grégeois eût pris à quelque chose sur lui, il eût été brûlé. Nous étions tout couverts des traits que les Turcs lançoient contre les deux hérauts du roi. Or il advint que je trouvai un gamboison d'étoupes* qui avoit appartenu à un Sarrasin. Je tournai le côté ouvert devant moi et je m'en fis un escu qui me faisoit grand besoin; et je ne fus blessé de leurs traits qu'en cinq endroits et mon ronsin en quinze. Or advint encore qu'un mien

127. Là où je demeurai sur mon ronsin, le comte de Soissons me demeura à droite et monseigneur Pierre de Nouille à gauche; et voici qu'un Ture arrivant du côté de la bataille du roi, qui étoit derrière nous, frappa dans le dos monseigneur Pierre de Nouille d'un coup de masse et le coucha sur le cou de son cheval, et puis se porta Veste piquée et rembourrée d'étoupes, qui se metau-delà du pont et se lança parmi ses gens. Quand tait sous le hautbert et sous la cotte de mailles.

* Dans l'édition de Ducange on lit: Bron.

**

fu pas blecié de leur pyles que en cinq lieus, et mon roncin en quinze lieus. Or avint encore ainsi que un mien bourjois de Joinville m'aporta une baniere, à un fer de glaive; et toutes les foiz que nous voions que il pressoient les serjans, nous leur courions sus et il s'enfuioient.

[ocr errors]

129. Le bon conte de Soissons en ce point là où nous estions, se moquoit à moy et me disoit : Seneschal, lessons huer ceste chiennaille, que » par la quoife Dieu, ainsi comme il juroit, en» core en parlerons nous de ceste journée ès » chambres des dames. »

130. Le soir au solleil couchant nous amena le Connestable les arbalestriers le Roy à pié, et s'arrangerent devant nous; et quant les Sarrazins nous virent mettre pié en estrier des arbalestriers, il s'enfuirent; et lors me dit le Connestable : « Seneschal, c'est biens fait, or vous » en alez vers le Roy, si ne le lessiés huimez » jusques à tant que il iert descendu en son pa» veillon. » Si tost comme je ving au Roy, monseigneur Jehan de Walery vint à li et li dit : Sire, monseigneur de Chasteillon vous prie » que vous li donnez l'arriere garde; » et le Roy si fist moult volentiers, et puis si se mist au chemin. En dementires que nous en venions, je

[ocr errors]

bourgeois de Joinville m'apporta une bannière avec un fer de glaive. Toutes les fois que nous voyions que les ennemis pressoient les sergents, nous leur courions sus et ils s'enfuyoient.

129. Le bon comte de Soissons, dans cette extrémité où nous étions, se moquoit avec moi et me disoit « Sénéchal, laissons et crier et braire >>> cette chiennaille, par la coiffe Dieu! (c'était là » son juron) encore parlerons-nous vous et moi » de cette journée, en chambre devant les dames.>>

130. Le soir, au soleil couchant, le connétable nous amena les arbalétriers du roi à pied et ils se rangèrent devant nous; et quand les Sarrasins nous virent mettre pied à terre en l'ombre des arbalètes, ils s'enfuirent; et lors me dit le connétable: «Sénéchal, c'est bien fait, or allez vous» en vers le roi et ne le quittez d'aujourd'hui, jus» qu'à ce qu'il soit descendu dans son pavillon. » Sitôt que je fus venu au roi, monseigneur Jean de Valery vint à lui et lui dit : « Sire, monsei>> gneur de Chastillon vous prie que vous lui don>> niez l'arrière-garde. » Et le roi le fit moult volontiers et puis se mit en chemin. Pendant que nous marchions, je lui fis ôter son heaume et lui baillai mon chapel de fer pour qu'il eût de l'air;

*Nous avons préféré dans la traduction de ce passage le sens de l'édition de Ducange à celui de l'édition du Louvre, parce qu'il nous paraît plus conforme à la vérité. D'après le texte du Louvre, c'est le roi qui demande au prieur de Ronnay des nouvelles du comte

li fis oster son hyaume et li baillé mon chapel de fer pour avoir le vent. Et lors vint frere Henri de Ronnay à li, qui avoit passé la riviere, et li besa la main toute armée, et il li demanda se il savoit nulles nouvelles du conte d'Artois son frere, et il li dit que il en savoit bien nouvelles, car estoit certein que son frere le comte d'Artois estoit en paradis : Hé, Sire, vous en ayés bon reconfort, car si grant honneur n'a» vint onques au Roy de France comme il vous » est avenu, car pour combattre à vos ennemis » avez passé une riviere à nou, et les avez desconfiz et chaciez du champ, et gaingnés leur

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

engins et leur heberges là où vous gerrés en» core ennuit. » Et le Roy respondi que Dieu en feust aouré de ce que il li donnoit et lors li cheoient les lermes des yex moult grosses.

131. Quant nous venimes à la heberge, nous trouvames que les Sarrazins à pié tenoient une tente que il avoient estendue, d'une part, et nostre menue gent d'autre. Nous leur courumes sus le mestre du Temple et moy et il s'enfuirent, et la tente demoura à nostre gent.

132. En celle bataille ot moult de gent de grant bobant, qui s'en vindrent moult honteusement fuiant parmi le poncel dont je vous ai

[ocr errors]

et ainsi que nous cheminions* ensemble, à lui vint frère Henri, prieur de l'hospital de Rounay, qui avoit passé la rivière, et lui vint baiser la main toute armée et lui demanda s'il savoit aucunes nouvelles de son frère le comte d'Artois? et le roi lui respondit que oui bien; c'est à savoir qu'il savoit bien qu'il estoit en paradis; et le prieur frère Henri, en le cuidant resconforter de la mort de son dit frère le comte d'Artois, lui dit : « Hé, Sire, ayez>> en bon reconfort, car si grand honneur n'ad>> vint oncques au roi de France comme il vous » est advenu; pour combattre vos ennemis, vous » avez passé une rivière à la nage, vous les avez » déconfits et chassés du camp, vous avez gagné » leurs engins et leurs logements où vous couche>> rez encore cette nuit. » Et le roi répondit que Dieu fût adoré de ce qu'il lui donnoit, et lors les larmes lui tomboient des yeux moult grosses.

131. Quand nous vinmes au camp, nous trouvâmes les Sarrasins à pied qui tenoient d'un côté une tente qu'ils avoient détendue, et nos menues gens qui la tenoient de l'autre. Nous leur courùmes sus, le maître du Temple et moi, et ils s'enfuirent et la tente resta à nos gens.

132. En cette bataille il y eut bien des gens du

d'Artois. Le prieur de Ronnay, qui avoit passé la rivière, venait du côté opposé au lieu où avait péri le comte d'Artois, et n'était pas en mesure d'avoir des nouvelles du comte d'Artois avant le roi lui-même.

« AnteriorContinua »