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se gisoit par terre, et au passer que il fesoient par devant li, li donnoient grant cops de leur maces là où il gisoit. Là le rescourent le Connestable de France et pluseurs des sergans le Roy avec li qui le ramenerent par les bras jusques à son paveillon. Quant il vint là il ne pot parler pluseurs des cyrurgiens et des phisiciens de l'ost alerent à li; et pource que il leur sembloit que il n'i avoit point de peril de mort, il le firent seigner de deux bras. Le soir tout tart me dit monseigneur Aubert de Narcy que nous l'alissons veoir, pource que nous ne l'avions encore veu, il estoit home de grant non et de grant valeur. Nous entrames en son paveillon, et son chamberlane nous vint à l'encontre pource que nous alissiens belement, et pource que nous ne esveillissiens son mestre. Nous le trouvames gisant sus couvertouers de menu vert, et nous traïmes tout souef vers li et le trouvames mort. Quant en le dit au Roy, il respondi que il n'en vourroit mie avoir tiex mil, puis que il ne vousissent ouvrer de son commandement aussi comme il avoit fait.

102. Les Sarrazins à pié entroient toutes les nuiz en l'ost, et occioient les gens là où il les trouvoient dormans; dont il avint que il occistrent la gaite au seigneur de Courcenay,

gneur Gaucher, là où il gisoit par terre, et, en passant par devant lui, ils lui donnoient de grands coups de leurs masses. Le connétable de France et plusieurs des sergents du roi avec lui vinrent à son secours, et le ramenèrent par les bras jusqu'à son pavillon. Quand il y arriva, il ne pouvoit parler; plusieurs des chirurgiens et des médecins de l'armée allèrent à lui, et, parce qu'il leur sembloit qu'il n'y avoit point de péril de mort, ils le firent saigner des deux bras. Le soir tout tard, monseigneur Aubert de Narcy me dit que nous l'allassions voir parce que nous ne l'avions encore vu, et qu'il étoit homme de grand nom et de grande valeur. Nous entrâmes dans son pavillon, et son chambellan vint au devant de nous, pour que nous allassions doucement et pour ne pas éveiller son maître. Nous le trouvȧmes sur des couvertures de menu vair, et nous nous approchames tout doucement de son lit et le trouvâmes mort. Quand on le dit au roi, il répondit qu'il ne voudroit pas en avoir mille comme lui parce qu'ils ne voudroient agir suivant son commandement, comme il avoit fait.

102. Les Sarrasins à pied entroient toutes les nuits dans le camp, et tuoient les gens là où ils les trouvoient dormant; d'où il advint qu'ils occirent la sentinelle du seigneur de Courcenay

* Dans l'édition du Louvre on lit: la Saint-Remi, et dans la variante: la Saint-René. Les chroniques con

et le lesserent gisant sur une table et li coperent la teste et l'emporterent; et ce firent il pource que le soudanc donnoit de chascune teste des chrestiens un besant d'or. Et ceste persecution avenoit pource que les batailles guetoient chascun à son soir l'ost, à cheval; et quant les Sarrazins vouloient entrer en l'ost, il attendoient tant que les frains des chevaus et des batailles estoient passées ; si se metoient en l'ost par darieres les dos des chevaus, et r'issoient avant que jours feust. Et pource ordena le Roy que les batailles qui soloient guietier à cheval, guietoient à pié; si que tout l'ost estoit asseur de nos gens qui guietoient, pource que il estoient espandu en tele maniere que l'un touchoit à l'autre.

103. Après ce que ce fu fait, le Roy ot con seil que il ne partiroit de Damiete, jusques à tant que son frere le conte de Poitiers seroit venu, qui amenoit l'ariereban de France; et pource que les Sarrazins ne se ferissent parmi l'ost à cheval, le Roy fist clorre tout l'ost de grans fossés, et sus les fossés gaitoient arba lestriers touz les soirs, et serjans, et aus entrées de l'ost aussi.

104. Quant la saint Remy fu passée que en n'oy nulles nouvelles du conte de Poitiers, dont

et la laissèrent gisant sur une table et lui coupèrent la tête et l'emportèrent; et ce firent-ils parce que le soudan donnoit un besan d'or pour chacune tête des chrétiens qu'on lui apportoit; et cette persécution venoit de ce que les batailles veilloient, chacune à son tour, le soir autour du camp, à cheval, et quand les Sarrasins vouloient entrer au camp, ils attendoient que le bruit des chevaux et des batailles fût passé; ils se glissoient dans le camp par derrière les chevaux, et en ressortoient avant qu'il fût jour. Et pour cela le roi ordonna que les batailles qui avoient coutume de veiller à cheval veilleroient à pied de sorte que le camp fut assuré par nos gens qui veilloient; car ils étoient disposés de manière qu'ils se touchoient les uns les autres.

103. Après cela le roi résolut de ne partir de Damiette que quand son frère, le comte de Poitiers, seroit venu, lequel amenoit l'arrière-ban de France; et pour que les Sarrasins ne se portassent dans le camp à cheval, le roi fit clore tout le camp de grands fossés, et sur les fossés veilloient des arbalétriers et des sergents tous les soirs; et aux entrées du camp il en étoit de même.

104. Quand la Saint-Denis fut passée sans

fondent souvent les époques de saint Remi et de saint Denis, parce qu'elles sont tellement rapprochées qu'elles

le Roy et touz ceulz de l'ost furent à grant messaise; car il doutoient que aucun meschief ne li feust avenu lors je ramentu le Legat comment le dien de Malrut nous avoit fait trois processions en la mer par trois samedis, et devant le tiers samedi nous arivames en Cypre. Le Legat me crut et fist crier les trois processions en l'ost par trois samedis. La premiere procession commença en l'ostel du Legat, et alerent au moustier Nostre Dame en la ville; lequel moustier étoit fait en la mahommerie des Sarrazins, et l'avoit le Legat dedié en l'onneur de la mere Dieu. Le Legat fist le sermon par deux samedis. Là fu le Roy et les riches homes de l'ost, ausquieux le Legat donna grant pardon.

105. Dedans le tiers samedi vint le conte de Poitiers, et ne fu pas mestier que il feust avant venu; car dedans les trois samedis fu si grant baquenas en la mer devant Damiete, que il y ot bien douze vins vessiaus, que grans que petiz, brisiez et perdus à tout les gens qui estoient dedans noyez et perdus; dont se le conte de Poitiers feust avant venu, et il et sa gent eussent esté touz confoundus.

106. Quant le conte de Poitiers fu venu, le Roy manda touz ses barons de l'ost, pour sa

qu'on ouït aucune nouvelle du comte de Poitiers, le roi et tous ceux de l'armée furent en grande inquiétude, parce qu'ils craignoient qu'il ne lui fut arrivé quelqu'accident. Lors je rappelai au légat comment le doyen de Malrut nous avoit fait faire trois processions sur mer par trois samedis, et qu'avant le troisième nous arrivâmes en Chypre. Le légat me crut et fit crier trois processions dans l'armée pour trois samedis. La première procession commença dans l'hôtel du légat, et alla au couvent de Notre-Dame, dans la ville. Ledit couvent avoit été fait dans la mosquée des Sarrasins, et le légat l'avoit dédié à la Mère de Dieu le légat fit le sermon par deux samedis. Là furent le roi et les riches hommes de l'armée auxquels le légat dopna le grand pardon.

105. Le troisième samedi le comte de Poitiers arriva, et il n'eût pasété bon qu'il arrivât auparavant; car pendant les trois samedis, il y eut si grande tempête sur mer, devant Damiette, qu'il y eut bien douze vingts vaisseaux, tant grands que petits, brisés et perdus avec tous les gens qui étoient dedans, lesquels furent noyés. Si le comte de Poitiers fùt venu avant, lui et ses gens eussent été tous confondus.

106. Quand le comte de Poitiers fut venu, le

ne font à proprement parler qu'une époque, qui était celle du second passage des pélerins. Quant à la

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voir quel voie il tendroit, ou en Alixandre, ou en Babiloine; dont il avint ainsi que le bon conte Pierre de Bretaigne et le plus des barons de l'ost s'accorderent que le Roy alast assieger Alixandre; que devant la ville avoit bon port, là où les nez arrivent, qui apportent les viandes en l'ost. A ce fu le conte d'Artois contraire, et dit ainsi : que il ne s'accorderoit ja que en l'alast mais que en Babiloine, pource que c'estoit le chief de tout le royaume d'Egypte; et dit ainsi que qui vouloit tuer premier la serpent, il li devoit esquacher le chief. Le Roy lessa touz les autres conseulz de ses barons, et se tint au conseil de son frere.

107. En l'entrée des advens se esmut le Roy et l'ost pour aller vers Babiloine, ainsi comme le conte d'Artois l'avoit loé. Assez près de Damiete trouvames un flum qui issoit de la grant riviere; et fu ainsi accordé que l'ost sejournast un jour pour boucher ledit braz, parquoy en peust passer. La chose fu faite assez légierement, car len boucha ledit bras rez à rez de la grant riviere. A ce flum passer envoia le soudanc cinq cens de ses chevaliers, les miex montez que il pot trouver en tout son ost, pour aidier l'ost le Roy, pour delaier nostre

alée.

roi appela tous les barons de l'armée pour savoir quel chemin il tiendroit, soit vers Alexandrie, soit vers Babylone. Le bon comte Pierre de Bretagne et la plupart des barons de l'armée furent d'avis que le roi allàt assiéger Alexandrie, parce que devant la ville il y avoit un bon port là où les nefs arriveroient, lesquelles apporteroient les provisions à l'armée. Le comte d'Artois fut contraire à cet avis, et dit qu'il ne consentiroit qu'on n'allàt qu'à Babylone, parce que c'étoit la capitale de tout le royaume, et il ajouta que qui vouloit d'abord tuer le serpent devoit en écraser la tête. Le roi laissa tous les autres conseils de ses barons el se tint à celui de son frère.

107. A l'entrée des avents, le roi et l'armée partirent pour aller vers Babylone, comme le comte d'Artois l'avoit conseillé. Assez près de Damiette nous trouvâmes un fleuve ou canal qui sortoit de la grande rivière, et il fut convenu que l'armée séjourneroit un jour pour boucher ledit canal, afin qu'on pût passer. La chose fut faite assez facilement, car on boucha le canal rez-à-rez (au niveau) de la grande rivière. Le soudan envoya au passage du canal, cinq cents de ses cavaliers les mieux montés qu'il pût trouver dans son armée pour harceler l'armée du roi, afin de retarder notre passage *.

Saint-René, c'est évidemment une faute de copiste. Il y a ici entre le texte de l'édition du Louvre et ce

|

petitz ruissiaus, et en ce flum n'en chiet nulles :

108. Le jour de la saint Nicholas commenda | aval, et plus y chieent de petites rivieres et de le Roy que il s'atirassent pour chevaucher, et deffendi que nulz ne feust si hardi que il poinsit à ces Sarrazins qui venus estoient. Or avint que quant l'ost s'esmut pour chevaucher, et les Turs virent que l'en ne poindrent pas à eulz, et sorent par leur espies que le Roy l'avoit deffendu, il s'enhardirent et assemblerent aus Templiers, qui avoient la premiere bataille, et l'un des Turs porta un chevalier du Temple à terre, tout devant les piez du cheval frere Renaut de Bichiers qui estoit lors marechal du Temple. Quant il vit ce, il escria à ses freres : « or à eulz de par Dieu, car ce ne pourroie je plus souffrir. » Il feri des esperons et tout l'ost aussi les chevaus à nos gens estoient frez, et les chevaus aus Turs estoient ja foulez; dont je oy recorder que nul n'en y avoit eschapé, que touz ne fussent mort; et pluseurs d'eulz en estoient entré ou flum etu frent noyez.

109. Il nous convient premierement parler du flum qui vient de Egypte et de Paradis terrestre; et ces choses vous ramentoif je pour vous fere entendant aucunes qui affierent à ma matiere. Ce fleuve est divers de toutes autres rivieres; car quant viennent les autres rivieres

ainçois avient ainsi que il vient tout en un chanel jusques en Egypte, et lors gete de li ses branches qui s'espendent parmi Egypte. Et quant ce vient après la saint Remy, les sept rivieres s'espandent par le pais et cuevrent les terres pleinnes; et quant elles se retraient, les gaungneurs vont chascun labourer en sa terre à une charue sanz rouelles; dequoy il treuvent dedens la terre les fourmens, les orges, les comminz, le ris, et vivent si bien que nulz n'i | sauroit quamender, ne se scet l'en dont celle treuve vient mez que de la volenté Dieu; et se ce n'estoit, nulz biens ne vinroient ou pais pour la grant chaleur du solleil qui ardroit tout, pource que il ne pluet nulle foiz ou pays. Le flum est touzjours trouble, dont ceulz du pais qui boire en welent, vers le soir le prennent et esquachent quatre amendes ou quatre fèves; et lendemain est si bone à boire que riens n'i faut. Avant que le flum entre en Egypte, les gens qui ont acoustumé à ce faire, getent leur roys desliées parmi le flum au soir; et quant ce vient au matin, si treuvent en leur royz cel avoir de poiz que l'en aporte en ceste terre, c'est à sa

108. Le jour de la Saint Nicolas, le roi commanda qu'on se préparât à chevaucher et défendit que nul ne fût si hardi que de piquer aux Sarrasins qui étoient venus. Or, il advint que quand l'armée se mit en mouvement pour chevaucher, et que les Turcs virent qu'on ne piqueroit point vers eux, et surent par leurs espions que le roi l'avoit défendu, ils s'enhardirent et se portèrent sur les Templiers qui avoient la première bataille. L'un des Turcs porta à terre un chevalier du temple tout devant les pieds du cheval du frere Renaut de Bichiers qui lors étoit maréchal du Temple. Quand le maréchal vit cela, il cria à ses frères : « Or à eux, de par Dieu, car ce ne puis-je plus » souffrir. » En même temps il donne de l'éperon et toute la troupe aussi; les chevaux de nos gens étoient frais et les chevaux des Turcs étoient déjà | fatigués. J'ai ouï raconter que nul n'en avoit échappé, que tous en étoient morts, et que plusieurs s'étoient jetés dans le fleuve où ils furent noyés. 109. Il convient de parler d'abord du fleuve qui vient d'Égypte et de Paradis Terrestre; et ces choses vous rappellerai-je pour vous faire entendre ce qui appartient à mon sujet. Ce fleuve est différent de toutes les autres rivières, car plus les autres rivières descendent, plus il y tombe de petites

lui des éditions précédentes, une différence essentielle. Suivant ces éditions, le soudan envoya par ruse cinq cents de ses chevaliers qui dirent au roi qu'ils venaient pour le secourir et qui lui conseillèrent de ne pas aller

rivières et de petits ruisseaux. Mais dans ce fleuve il n'en tombe aucune; et il vient ainsi tout en un canal jusques en Égypte, et alors il jette de ses branches qui se répandent parmi ce pays, et quand ce vient après la Saint-Remy, sept rivières s'épandent par les terres et couvrent les plaines, quand elles se retirent, les laboureurs vont, chacun dans sa terre, labourer avec une charrue sans roue, et ils y sèment froment, orge, comminz et riz qui viennent si bien que nul n'y sauroit rien faire plus; et ne sait-on d'où vient cette crue, sinon que de la volonté de Dieu, car sans elle nuls biens ne viendroient dans ce pays, à cause de la grande chaleur du soleil qui brûleroit tout, parce qu'il n'y pleut aucune fois. Le fleuve est toujours trouble, et ceux du pays qui veulent en boire l'eau, la prennent vers le soir, et y écrasent quatre amendes ou fèves*, et le lendemain elle est si bonne à boire que rien n'y manque. Avant que le fleuve entre en Égypte, il y a des gens accoutumés à ce faire, qui jettent le soir leurs filets dans le fleuve, et quand ce vient au matin, ils trouvent dans leurs filets ces épiceries qu'on vend au poids et qu'on apporte dans ce pays, savoir gingembre, rhubarbe, lignaloës et canelle, On dit que ces choses viennent de Paradis Terrestre où le vent les abal

vers Babylone où étaient toutes les forces du soudan. Mais la suite du récit nous porte à croire que le texte de l'édition du Louvre est préférable.

Cette pratique est encore aujourd'hui en usage.

voir gingimbre, rubarbe, lignaloecy et canele, et dit l'en que ces choses viennent de paradis terrestre, que le vent abat des arbres qui sont en paradis, aussi comme le vent abat en la forest en cest pais le bois sec; et ce qui chiet du bois sec ou flum, nous vous vendent les marcheans en ce paiz. L'yaue du flum est de telle nature, que quant nous la pendion en poz de terre blans que l'en fet au pais, aus cordes de nos paveillons, l'yaune devenoit ou chaut du jour aussi froide comme de fonteinne. Il disoient ou pais que le soudanc de Babiloine avoit mainte foiz essaié dont le flum venoit, et y envoioit gens qui portoient une maniere de pains que l'en appelle béquis, pource que il sont cuis par deux foiz, et de ce pain vivoient tant que il revenoient arieres au Soudane; et raportoient que il avoient cherchié le flum et que il estoient venus à un grant tertre de roches taillées, là où nulz n'avoit pooir de monter; de ce tertre cheoit le flum, et leur sembloit que il y eust grant foison d'arbres en la montaigne en haut ; et disoient que il avoient trouvé merveilles de diverses bestes sauvages et de diverses façons, lyon, serpens, oliphans qui les venoient regarder dessus la riviere de lyaue, aussi comme il aloient à mont.

110. Or, revenons à nostre première matière et disons ainsi, que quant le flum vient en Egypte, il gete ses branches aussi comme je ja dit devant. L'une de ses branches va en Damiete, l'autre en Alixandre, la tierce à Athenes, la quarte à Raxi; et à celle branche qui va à Rexi vint le roi de France à tout son ost, et si se logea entre le fleuve de Damicte et celui de Rexi; et toute la puissance du soudan se logèrent sur le fleuve de Rixi; d'autre part, devant nostre ost, pour nous defendre le passage; laquelle chose leur estoit legiere, car nulz ne pooit passer ladite yaue par devers eulz se nous ne la passions à nou.

111. Le Roy ot conseil que il feroit faire une chauciée parmi la riviere pour passer vers les Sarrazin. Pour garder ceulz qui ouvroient à la chauciée, et fist faire le Roy deux beffrois que l'en appelle chaschastiau; car il avoit deux chastiaus devant les chas et deux massons darieres les chastiaus, pour couvrir ceulz qui guieteroient, pour les copz des engins aux Sarrazins, lesquiex avoient seize engins touz drois. Quand nous ve-nimes là, le Roy fist faire dix-huit engins, dont Jocelin de Cornaut estoit mestre engingneur. Nos engins getoient au leur, et les leurs aus nostres; mais onques n'oy dire que les nostres feissent

des arbres qui y sont, tout comme le vent abat dans la forêt, dans nos pays, le bois sec; et ce qui tombe de bois sec dans le fleuve, les marchands nous le vendent ici. [L'eau du fleuve est de telle nature, que quand nous la pendions dans des pots de terre blanche qu'on fait au pays, aux cordes de nos pavillons, elle devenoit à la chaleur du jour aussi froide que celle de fontaine*.] On disoit au pays, que maintes fois le soudan de Babylone avoit essayé de savoir d'où venoit le fleuve, et avoit envoyé des gens qui portoient avec eux une espèce de pain qu'on appelle biscuit, parcequ'il est cuit deux fois, et ils vivoient de ce pain jusqu'à leur retour auprès du soudan. Ils rapportèrent qu'ils avoient cherché le fleuve et qu'ils étoient venus à un grand tertre de roches taillées là où nul ne pouvoit monter. De ce tertre tomboit le fleuve, et il leur sembloit qu'il y eût grande quantité d'arbres au haut de la montagne, et ils disoient qu'ils avoient trouvé diverses bêtes sauvages, merveilleuses et de diverses espèces, lions, serpents, éléphants qui les venoient regarder dessus la rive, à mesure qu'ils montoient le fleuve **. 110. Or revenons à notre premier sujet, et disons que quand le fleuve vient en Egypte, il jette ses branches comme j'ai déjà dit devant. Une de

Ceci se pratique encore aujourd'hui.

L'édition de Ducange ajoute: « Et tantôt les gens du soudan s'en retournèrent et n'osèrent passer ni aller plus avant. >>

ces branches va à Damiette, l'autre à Alexandrie, la troisième à Thanis, la quatrième à Rexi ***, A cette branche qui va à Rexi, le roi de France vint avec toute son armée, et se logea entre le fleuve de Damiette et celui de Rexi, et toutes les troupes du soudan se logèrent sur le fleuve de Rexi de l'autre part, en face de notre armée, pour nous empêcher le passage; ce qui leur étoit facile, car nul ne pouvoit passer l'eau vers eux, à moins de la passer à la nage.

111. Le roi résolut de faire faire une chaussée sur la rivière pour passer du côté des Sarrasins; et pour garder ceux qui travailloient à la chaussée, il fit faire deux beffrois qu'on appelle chaz-chastels (galeries couvertes flanquées de tours; le tout en bois de charpente et roulant). Il y avoit deux châteaux devant les chaz et deux maisons derrière les châteaux, pour garantir ceux qui veilleroient, des coups des engins des Sarrasins qui en avoient seize tout dressés. Quand nous vinmes là, le roi fit faire dix-huit engins dont Josselin de Cornaut **** étoit maître ingénieur. Nos engins lançoient aux leurs, et les leurs aux nôtres; mais oncques n'ouïs dire que les nôtres fissent beaucoup d'effet. Les frères du roi veilloient le jour, et nous autres chevaliers veillions la nuit auprès

*** Le canal d'Achmoun près de Mansoura; ce canal va se jeter dans le lac Menzalé.

**** Ou mieux Courvant.

biaucop. Les freres le Roy guitoient de jours, et nous li autre chevalier guietion de nuit les chaz : nous venimes la semaine devant nouel. Maintenant que lez chaz furent faiz, l'en emprist à fere la chauciée, et pource que il Roy ne vouloit que les Sarrazins blessassent ceulz qui portoient la terre, lesquiex traoient à nous de visée parmi le flum. A celle chauciée faire furent aveuglez le Roy et touz les barons de l'ost; car pource que il avoit bouché l'un des bras du flum, aussi comme je vous ai dit devant (lequel firent legierement, pource que il pristrent à boucher là où il partoit du grand flum); et par cesti fait cuidierent il boucher le flum de Raxi qui estoient jà parti du grand | fleuve bien demi lieu aval. Et pour destourber la chauciée que le Roy fesoit, les Sarrazins fesoient fere caves en terre par devers leur oste; et sitost comme le flum venoit aus caves, le flum se flatissoit ès caves dedens, et refaisoit une grant fosse; dont il avenoit ainsi que tout ce que nous avions fait en trois semaines il nous deffesoient tout en un jour, pource que tout ce que nous bouchions du flum devers nous, il r'élargissoient devers eulz pour les caves que il fesoient.

il

| periere Ferris l'avoit fait chevalier. Celi manda à une partie de sa gent que il venissent assaillir nostre ost par devers Damiete, et il si firent; car il alerent passer à une ville qui est sur le flum de Rixi, qui a non Sormesac, le jour Noel. Moy et mes chevaliers mangions avec monseigneur Pierre d'Avalon tandis que nous mangion, vindrent ferant des esperons jusques à nostre ost, et occistrent pluseurs poures gens qui estoient alez aus chans à pié. Nous nous alames armer. Nous ne sceumes onques sitost revenir que nous trouvames monseigneur Perron nostre oste qui estoit au dehors de l'ost, qui en fu alé après les Sarrazins: nous ferimes des esperons après, les rescousisismes aus Sarrazins qui l'avoient tiré à terre; et li et son frere le seigneur du Val arieres en remenames en l'ost. Les Templiers qui estoient venus au cri, firent l'arriere garde bien et hardiement. Les Turs nous vindrent hardoiant jusques en nostre ost, pour ce commanda le roy que l'en coussit nostre ost de fossés par devers Damiette jusques au flum de Rexi.

et

113. Scecedins que je vous ai devant nommé le chievetain des Turs, se estoit le plus prisié de 112. Pour le Soudanc qui estoient mort et de toute la paennime. En ses bannières portoit les la maladie que il prist devant Hamant la cité, il armes l'Empereur qui l'avoit fait chevalier; sa avoient fait chevetain d'un Sarrazin qui avoit à baniere estoient bandée, et une des bandes esnon Scecedine le filz au Seic. L'en disoit que l'em-toient les armes l'Empereur qui l'avoit fait che

des chaz. On arriva ainsi à la semaine de devant Noël. Dès que les chaz furent faits, on se mit à travailler à la chaussée et non avant, parce que le roi ne vouloit pas que les Sarrasins blessassent ceux qui portoient la terre; car ils tiroient droit sur nous au travers du fleuve. [Le roi et tous les barons de l'armée agirent en aveugle à cette œuvre de la chaussée; car quand ils eurent bouché l'un des bras du fleuve comme je vous ai dit cidevant (ce qu'ils firent facilement, parce qu'ils se mirent à boucher à l'endroit d'où il partoit du grand fleuve); ils crurent qu'ils boucheroient ensuite le fleuve de Rexi, qui étoit déjà parti du grand fleuve à près d'une demi-lieue en aval]. Mais les Sarrasins, pour empêcher la construction de la chaussée, firent creuser des caves le long de leur camp, et dès que les caves venoient au fleuve, l'eau se je toit dedans et faisoit une grande fosse. Il arrivoit ainsi que ce que nous avions fait en trois semaines, ils nous le défaisoient en un jour, parce que tout ce que nous bouchions du fleuve de notre côté, ils l'élargissoient du leur par les grandes caves qu'ils faisoient.

112. A la place du soudan, qui étoit mort de la maladie qu'il avoit prise devant la ville de Hamah, les Sarrasins avoient fait leur chef d'un Sarrasin qui avoit nom Scecedin (Fachr-Eddin), fils du Seic. On disoit que l'emperenr Frédéric II l'avoit fait chevalier. Scecedin manda à une par

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tie de ses gens de venir assaillir notre armée da côté de Damiette, ce qu'ils firent. Car ils allèrent passer à une ville qui est sur le fleuve de Rexi, el qui a nom Sormesac, le jour de Noël. Moi et mes chevaliers nous mangions avec monseigneur Pierre d'Avalon; et tandis que nous mangions, ils vinrent donnant des éperons jusqu'à notre camp, et occirent plusieurs pauvres gens qui étoient allés aux champs à pied. Nous allȧmes nous armer. Nous ne pûmes oncques revenir sitôt que nous trouvâmes monseigneur Perron, notre hôte, qui étoit hors du camp et qui étoit allé après les Sarrasins. Nous donnȧmes des éperons et nous le dégageâmes des mains des Sarrasins qui l'avoient jeté à terre, et nous ramenȧmes au camp lui et son frère le seigneur du Val. Les Templiers, qui étoient venus au cri, firent l'arrière-garde bien et hardiment. Les Turcs vinrent nous harcelant jusqu'à notre camp; et pour cela, le roi commanda qu'on enfermat notre camp de fossés, du côté de Damiette jusqu'au fleuve de Rexi.

113. Scecedin, que je vous ai nommé devant, chef des Turcs, étoit le plus prisé de toute la païennie. Il portoit dans ses bannières les armes de l'empereur qui l'avoit fait chevalier. Sa bannière étoit à trois bandes; sur une des bandes étoient les armes de cet empereur, sur l'autre étoient celles du soudan d'Alep, et sur la troi

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