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combattre aus Sarrazins, se en eulz ne demouroit. Le roi commanda à monseigneur Jehan de Biaumont, que il feist bâiller une galie à monseigneur Erast de Brienne et à moy, pour nous descendre et nos chevaliers, pource que les grans nefs n'avoient pooir de venir jusques à terre. Aussi comme Diex voult, quant je reving à ma nef, je trouvai une petite nef que madame de Baruch, qui estoit cousinne germainne le conte de Monbeliart et la nostre, m'avoit donnée, là où il avoit huit de mes chevaus. Quant vint au vendredi, entre moy et monseigneur Erart touz armés alames au Roy pour la galie demander, dont monseigneur Jehan de Biaumont nous respondit que nous n'en arions point.

84. Quant nos gens virent que nous n'ariens point de galie, il se lesserent cheoir de la grant nef en la barge de cantiers qui plus plus, qui mieux mieux. Quant les marinniers virent que la barge de cantiers se esfondroit pou à pou, il s'enfuirent en la grant nef et lesserent mes chevaliers en la barge de cantiers. Je demandai au mestre combien il li avoit trop de gens; et si li demandai se il menroit bien nostre gent à terre, se je le deschargoie de tant gent; et il

battre les Sarrasins, s'ils restoient dans leur position. Le roi commanda à monseigneur Jean de Beaumont qu'il fit bailler une galée (barque) à monseigneur Erard de Brienne et à moi, pour nous descendre ainsi que nos chevaliers, parce que les grandes nefs ne pouvoient venir jusqu'à terre. Aussi, comme Dieu voulut, quand je revins à ma nef, je trouvai une petite nef que madame de Baruch, qui étoit cousine germaine du comte de Montbéliard et la nôtre, m'avoit donnée; il y avoit huit de mes chevaux. Quand vint le vendredi, moi et monseigneur Érard, tous armés, nous allames au roi pour demander la galée; mais monseigneur Jean de Beaumont nous répondit que nous n'en aurions point *.

84. Quand nos gens virent que nous n'aurions point de galée, ils se laissèrent cheoir de la grande nef dans la chaloupe à qui plus plus, à qui mieux mieux. Les mariniers voyant que la chaloupe s'enfonçoit peu à peu, s'enfuirent en la grande nef et laissèrent mes chevaliers dans la chaloupe. Je demandai au maître combien il y avoit trop de gens, et il me dit vingt hommes

*On lit ici dans de Rieux les phrases suivantes : << Mais monseigneur Jean de Briemont nous respondit, présent le roi, que nous n'aurions point de galée; si n'en fiz le roi à l'heure aultre semblant, car je vous assure qu'il avoit beaucoup plus de peine d'entretenir ses gens en paix et amitié qu'il n'avoit à supporter ses ennemis et infortunes. » Dans Mesnard et Ducange on lit: «Mais messire Jean de Belmont nous répondit, présent

me respondit, oyl; et je le deschargai en tel maniere que par troiz foiz il les mena en ma nef où mes chevaus estoient. En dementres que je menoie ses gens, un chevalier qui estoit à monseigneur Erart de Brene, qui avoit a non Plonquet, cuida descendre de la grant nef en la barge de cantiers, et la barge essoigna et chei en la mer et fu noyé.

85. Quant je reving à ma nef, je mis en ma petite barge un escuier que je fiz chevalier, qui ot a non monseigneur Hue de Wanquelour, et deux moult vaillans bachelers, dont l'un avoit non monseigneur Villain de Versey, et l'autre monseigneur Guillaume de Danmartin, qui estient en grief courine l'un vers l'autre, ne nulz n'en pooit faire la pez, car il s'estoient entrepris par les cheveux à la Morée et leur fiz pardonner leur mal talent et besier l'un l'autre, parce que leur jurai sur Sains, que nous n'iriens pas à terre à tout leur mal talent. Lors nous esmeumes pour aller à terre, et venimes par de les la barge de cantiers de la grant nef le Roy, là où le Roy estoit; et sa gent me commencerent à escrier, pource que nous alions plustost que il ne fesoient, que je arivasse à l'enseigne saint Denis qui en aloit en un autre

d'armes ; et je lui demandai s'il mèneroit bien le reste à terre, et que je le déchargerois du surplus, et il me répondit: oui. Et je le déchargeai de telle manière qu'en trois fois, je les menai en ma petite nef où étoient mes chevaux. Et pendant que je les menois, un chevalier, qui étoit à monseigneur Erard de Brienne et qui avoit nom Plouquet, voulut descendre de la grande nef dans la chaloupe, et la chaloupe s'éloigna, et il tomba dans la mer et il fut noyé.

85. Quand je revins à ma nef, je mis en ma petite chaloupe un écuyer que je fis chevalier, et qui avoit nom monseigneur Hugues de Vauqueleur, deux bacheliers moult vaillants dont l'un avoit nom monseigneur Villain de Versey, et l'autre monseigneur Guillaume de Dammartin, lesquels étoient en grand discord l'un vers l'autre ; nul ne pouvoit les apaiser. Ils s'étoient pris aux cheveux à la Morée. Je fis cesser leur rancune et les fis baiser l'un l'autre, parce que je leur jurai sur les saints que nous n'irions pas à terre avec leur rancune **. Lors nous nous disposâmes à aller à terre et vinmes près de la chaloupe de la grande

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croiz de gueules patée : il avoit bien trois cenz nageurs en sa galie, et à chascun de ses nageurs avoit une targe de ses armes, et à chascune targe avoit un pennoncel de ses armes batu à or. En dementieres que il venoient, il sembloit que la galie volast, par les nageurs qui la contrein

vaissel devant le Roy, mais je ne les en cru pas ainçois nous fiz ariver devant une grosse bataille de Turs, là où il avoit bien six mille homes à cheval. Sitost comme il nous virent à terre, il vindrent ferant des espérons vers nous. Quant nous les veismes venir, nous fichames les pointes de nos escus ou sablon, et le fust degnoient aus avirons et sembloit que foudre cheist nos lances ou sablon et les pointes vers eulz. Maintenant que il virent ainsi comme pour aller parmi les ventres, il tournerent ce devant darieres et s'enfouirent.

86. Monseigneur Baudouin de Reins un preudomme qui estoit descendu à terre, me manda par son escuier que je l'attendisse; et je li mandai que si ferois je moult volentiers, que tel preudomme comme il estoit, devoit bien estre attendu à un tel besoing; dont il me sot bon gré toute sa vie. Avec li nous vindrent mille chevaliers; et soiés certain que quand je arivé, je n'oz ne escuier, ne chevalier, ne varlet que je eusse amené avec moy de mon pays, et si ne m'en lessa pas Dieu à aidier.

87. A nostre main senestre ariva le comte de Japhe, qui estoit cousin germain le comte de Monbeliart, et du lignage de Joinville. Ce fu celi qui plus noblement ariva; car sa galie ariva toute peinte dedans mer et dehors, à escussiaus de ses armes, lesqueles armes sont d'or, à une

000 nef du roi là où le roi étoit. Et ses gens commencèrent à nous crier, parce que nous allions plus vite qu'eux, d'aller à l'enseigne saint Denis que portoit un autre vaisseau qui marchoit devant le roi; mais je ne les en crus pas, et nous arrivàmes devant un gros corps de Turcs là où il y avoit bien six mille hommes à cheval. Sitôt qu'ils nous virent, ils s'en vinrent à nous en donnant des éperons. Quand nous les vîmes venir, nous fichàmes les pointes de nos écus dans le sable, ainsi que les fûts de nos lances, les pointes tournées vers eux. En nous voyant ainsi préparés à leur donner de nos piques dans le ventre, ils tournèrent le dos et s'enfuirent.

des ciex, au bruit que les pennonciaus menoient, et que les nacaires, les tabours et les cors Sarrasinnois menoient, qui estoient en sa galie. Sitost comme la galie fu ferue ou sablon si avant comme l'en li pot mener, et il et ses chevaliers saillirent de la galie moult bien armés et moult bien atirez, et se vindrent arranger de coste

nous.

88. Je vous avoie oublié à dire que quant le conte de Japhe fust descendu, il fist tendre ses paveillons, et sitost comme les Sarrazins les virent tendus, il se vindrent touz assembler devant nous, et revindrent ferant des esperons pour nous courre sus; et quant il virent que nous ne fuirions pas, il s'en r'alerent tantost arieres.

89. A nostre main destre, bien le tret à une grant arbalestrée, ariva la galie là où l'enseigne saint Denis estoit; et ot un Sarrazin quant il furent arivez, qui se vint ferir entre eulz, où pource que il ne pot son cheval tenir, ou pource

peinte au dedans et au dehors, avec écussons de ses armes, lesquelles armes sont d'or à une croix de gueules pâtée. Il avoit bien trois cents rameurs en sa galée, et chacun de ses rameurs avoit un écu de ses armes, et chaque écu un penoncel de ses armes brodé en or. Pendant qu'ils venoient, il sembloit que la galée volat, tant les marins faisoient force de rames; il sembloit que la foudre tombât des cieux, au bruit que faisoient les penonceaux et les nacaires et les tambours et les cors sarrasinois qui étoient dans la galée. Sitôt que la galée eut touché le sable, aussi avant qu'on put l'amener, le comte et ses chevaliers sautèrent sur le rivage moult bien armés et moult bien préparés, et vinrent se ranger à côté de nous.

88. J'avois oublié de vous dire que quand le comte de Japha fut descendu, il fit tendre ses pavillons, et sitôt que les Sarrasins les virent

86. Un prud'homme, monseigneur Baudouin de Reims, qui étoit descendu à terre, me manda par son écuyer que je l'attendisse, et je lui mandai que moult volontiers le ferois-je, car tel prud'homme, comme il étoit, devoit bien être attendus, ils se vinrent tous assembler devant nous tendu dans un pareil besoin. Et de cela il me sut bon gré toute sa vie. Avec lui nous vinrent mille chevaliers, et soyez certain que quand j'arrivai, je n'avois ni écuyer, ni chevalier, ni valet, que j'eusse amené avec moi de mon pays, et pourtant Dieu ne m'en laissa pas manquer.

87. A notre gauche arriva le comte de Japha, qui étoit cousin germain du comte de Montbéliard et du lignage de Joinville. Ce fut celui qui arriva le plus noblement; car sa galée étoit toute

et revinrent, frappant des éperons, pour nous courir sus, et quand ils virent que nous ne fuirions pas, ils s'en allèrent tôt en arrière.

ou

89. A notre droite, à une grande portée d'arbalète, arriva la galée où étoit l'enseigne de saint Denis, et il y eut un Sarrasin, quand ils furent arrivés, qui vint se jeter entre eux, parce qu'il ne pouvoit tenir son cheval, ou parce qu'il croyoit que les autres le dussent suivre, mais il fut mis en pièces.

que il cuidoit que les autres le dussent suivre ; | Te Deum laudamus. Lors monta le Roy et nous mais il fu tout décopé. tous, et nous alames loger devant Damiete. Mal apertement se partirent les Turs de Damiete, quant il ne firent coper le pont qui estoit de nez, qui grand destourbier nous eust fait et grant doumage nous firent au partir, de ce que il bouterent le feu en la fonde là où toutes les marcheandises estoient et tout l'avoir de poiz; aussi avint de cette chose comme qui auroit demain bouté le feu, dont Dieu le gart, à Petit-pont.

90. Quant le Roy oy dire que l'enseigne saint Denis estoit à terre, il en ala grant pas parmi son vaissel, ne onques pour le Légat qui estoit avec li, ne le voult lessier et sailli en la mer, dont il fu en yaue jusques aus esseles; et ala l'escu au col et le heaume en la teste et le glaive en la main, jusques à sa gent qui estoient sur la rive de la mer. Quant il vint à terre et il choisist les Sarrazins, il demanda quelle gent c'estoient; et en li di que c'estoient Sarrazins; et il mist le glaive dessous s'esselle et l'escu devant | là, et eust couru sus aus Sarrazins, se ses preudomes qui estoient avec li, li eussent souffert. 91. Les Sarrazins envoierent au soudanc par Coulons messagiers par trois foiz, que le Roy estoit arrivé; que onques messages n'en orent, pource que le soudanc estoit en sa maladie; et quant il virent ce, il cuidierent que le soudanc feust mort et lessierent Damiete. Le Roy y envoia savoir par un messager chevalier. Le chevalier s'en vint au Roy et dit que il avoit esté dedans les mesons au soudanc, et que c'estoit voir. Lors envoia querre le Roy le Legat et touz les Prelas de l'ost, et chanta l'en hautement :

92. Or disons donc que grant grace nous fist Dieu le tout puissant, quant il nous deffendi de mort et de peril à l'ariver là où nous arivames à pié, et courumes sus à nos ennemis qui estoient à cheval.

CI DEVISE COMMENT DAMIETE FUT PRINSE.

93. Grant grace nous fist Notre Seigneur de Damiete que il nous delivra, laquelle nous ne deussions pas avoir prise sanz affamer; et ce poons nous veoir tout cler, pource que par affamer le prist le roy Jehan au tens de nos peres.

94. Autant peut dire Notre Seigneur de nous, comme il dit des filz d'Israël, là où il dit: Et pro nihilo habuerunt terram deside

90. Quand le roi ouït dire que l'enseigne saint Denis étoit à terre, il sortit de son vaisseau qui étoit déjà près de la rive, et n'eut pas loisir que le vaisseau où il étoit fut à terre, ains se jette outre le gré du légat, qui étoit avec lui, en la mer et fut en eau jusqu'aux épaules. Il alla l'écu au cou, le heaume en tête et le glaive en main, jusqu'à ses gens qui étoient sur le rivage. Quand il fut à terre et qu'il vit les Sarrasins, il demanda quelles gens c'étoient, et on lui dit que c'étoient Sarrasins, et il mit son épée sous son aisselle et son écu devant lui, et il eût couru sus aux Sarrasins, si ses prud'hommes qui étoient avec lui, l'eussent laissé faire *.

91. Les Sarrasins envoyèrent au soudan, par trois fois, par des pigeons porteurs de lettres, annoncer que le roi étoit arrivé; mais oncques message n'en reçurent, parce que le soudan étoit en sa maladie ; et quand ils virent cela, ils crurent que le soudan étoit mort, et ils abandonnèrent Damiette. Le roi envoya savoir ce qui en étoit par un messager chevalier. Le chevalier revint au roi et dit qu'il avoit été dans les maisons du soudan et que c'étoit vrai. Lors le roi envoya quérir le légat et tous les prélats de l'armée,

Le point de la côte où se fit le débarquement, se trouve à trois quarts de lieue de l'embouchure du Nil. L'ancienne Damiette était à près de cinq quarts d'heure de là, sur la rive orientale du fleuve. On sait que cette ville fut détruite peu de temps après la seconde croisade

et l'on chanta tout haut: Te Deum laudamus. Lors le roi monta à cheval, ainsi que nous tous, et nous allȧmes loger devant Damiette; les Turcs s'en allèrent maladroitement de Damiette, puisqu'ils ne firent pas couper le pont de bateaux, ce qui nous eût causé un grand embarras; mais grand dommage nous firent-ils en partant parce qu'ils mirent le feu au lieu où étoient toutes les marchandises et ce qui se vend au poids. Aussi il advint de cette chose ce qui arriveroit si l'on mettoit demain le feu au petit pont à Paris : ce que Dieu garde.

92. Or, disons donc que grande grâce nous fit le Dieu tout-puissant, quand il nous défendit de mort et de périls, au débarquement où nous arrivâmes à pied et courûmes sus à nos ennemis qui étoient à cheval.

COMMENT DAMIETTE FUT PRISE.

93. Grande grâce nous fit notre Seigneur de nous avoir livré Damiette, que nous ne devions prendre que par la famine, comme cela se peut voir clairement, puisque ce fut par famine que le roi Jean la prit du temps de nos pères **.

94. Notre Seigneur peut dire de nous, comme il dit des enfants d'Israël: Et pro nihilo habuerunt

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rabilem. Et que dit après ? il dist que oublierent Dieu qui sauvez les avoit; et comment nous l'oubliames vous diré je ci après.

95. Je vous prenré premierement au Roy qui manda querre ses barons, les clers et les laiz, et leur requist que il li aidassent à conseiller comment l'en departiroit ce que l'en avoit gaaingné en la ville. Le patriarche fu le premier qui parla, et dit ainsi : « Sire, il me » semble que il iert bon que vous retenez les » formens et les orges et les ris, et tout ce de » quoy en peut vivre, pour la ville garnir; et >> face l'en crier en l'ost, que touz les autres >> meubles fussent apportez en l'ostel au Legat, » sur peinne de escommeniement. » A ce conseil s'accorderent tous les autres barons. Or avint ainsi, que tout le mueble que l'en apporta à l'ostel le Legat, ne monterent que à six mille livres.

» ceste offre que vous me faites, ne prenré je » pas, se Dieu plet; car je desferoie les bones >> coustumes de la Sainte Terre, qui sont teles, >> car quant l'en prent les cités des ennemis, » des biens que l'en treuve dedans, le Roy en doit avoir le tiers, et les pelerins en doivent >> avoir les deux pars; et ceste coutume tint Obien le roy Jehan quant il prist Damiete; » et ainsi comme les anciens dient les roys de >> Jerusalem qui furent devant le roy Jehan, tindrent bien cette coustume; et se il vous

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ciennes.

96, Quant ce fu fait, le Roy et les barons 97. Les gens le Roy qui deussent debonnaimanderent querre monseigneur Jehan de Wa-rement retenir, leur loérent les estaus pour

leri le preudomme, et li distrent ainsi : « Sire » de Waleri, dit le Roy, nous avons accordé » que le Legat vous baillera les six mille livres, » à departir là où vous cuiderés que il soit miex. >> -Sire, fist le preudome, vous me faites grant honeur, la vostre merci; mèz ceste honeur et

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terram desiderabilem. Et que dit-il après? Il dit qu'ils oublièrent Dieu qui les avoit sauvés; et vous dirai plus tard comment nous l'oubliȧmes.

95. Je vous parlerai d'abord du roi qui appela ses barons, les clercs et les laïcs, et leur demanda qu'ils l'aidassent de leurs conseils sur le partage à faire de ce qu'on avoit gagné dans la ville. Le patriarche de Jérusalem fut le premier qui parla, et dit ainsi : « Sire, il me semble qu'il >> seroit bon que vous retinssiez les froments, les >>orges et les riz, et tout ce dont on peut vivre, » pour approvisionner la ville, et que l'on fit >> crier dans l'armée que tous les autres meubles >> soient apportés dans l'hôtel du légat, sur peine >> d'excommunication. » A ce conseil tous les autres barons s'accordèrent. Or, advint ainsi que tous les meubles qu'on apporta à l'hôtel du légat ne montèrent qu'à six mille livres.

96. Quand ce fut fait, le roi et les barons envoyèrent quérir monseigneur Jean de Valery le. prud'homme, et lui parlèrent ainsi : «Sire de » Valery, dit le roi, nous avons décidé que le lé>> gat vous baillera les six mille livres pour les >> répartir où vous jugerez qu'elles soient le mieux >> employées.-Sire, répondit le prud'homme, vous >> me faites grand honneur et je vous en remercie;

* L'édition de de Rieux ajoute ici cette réflexion :«< Ainsi le roi commença à devenir oublieux de la grâce que notre Seigneur lui avoit faite de lui donner victoire sur ses

vendre leurs danrées aussi chiers, si comme l'en disoit, comme il porent; et pource la renommée couru en étranges terres, dont maint marcheant lessierent à venir en l'ost.

98. Les barons qui deussent garder de leur pour bien emploier en lieu et en tens, se pris

>> mais cet honneur et cette offre que vous me faites >> je ne les accepterai pas, s'il plaît à Dieu; car je » déferois les bonnes coutumes de la Terre Sainte >> qui sont telles que quand on prend les cités des >> ennemis, des biens qu'on y trouve, le roi en >> doit avoir le tiers, et les pélerins en doivent » avoir les deux autres parts; et le roi Jean de >> Brienne tint bien cette coutume quand il prit >> Damiette; et, comme le disent les anciens, les >> rois de Jérusalem qui furent avant le roi Jean, » la tinrent bien aussi; et s'il vous plaît de me » vouloir bailler les deux parts de froments et » d'orge, de riz et des autres vivres, je m'entre>> mettrai volontiers pour les départir aux péle» rius. » Le roi n'eut pas conseil de le faire et la chose en demeura là; dont maintes gens se tinrent mal satisfaits, de ce que le roi défit les bonnes coutumes anciennes *.

97. Les gens du roi, quand ils furent bieu logés, au lieu de traiter débonnairement les marchands, leur louèrent, aussi cher qu'ils purent, les étaux et les boutiques, où ils vendoient leurs denrées. Et de cela la renommée se répandit tellement en pays étrangers, que bien des marchands ne voulurent venir au camp.

98. Les barons, qui auroient dû garder le leur

ennemis. » Il est douteux que cette réflexion critique soit de Joinville.

trent à donner les grans mangers et les outra-ramentu, pource que il en y avoit avec li huit, geuses viandes.

99. Le commun peuple se prist aux foles femmes, dont il avint que le Roi donna congié à tout plein de ses gens, quant nous revenimes de prison; et je li demandé pourquoy il avoit ce fait; et il me dit que il avoit trouvé de certein, que au giet d'une pierre menue, entour son paveillon tenoient cil leur bordiaus à qui il avoit donné congié, et ou temps du plus grant meschief que l'ost eust onques esté.

100. Or revenons à nostre matiere et disons ainsi, que un pou après ce que nous eussions pris Damiete, vindrent devant l'ost toute la chevalerie au soudanc, et assistrent nostre ost par devers la terre. Le Roy et toute la chevalerie s'armerent. Je tout armé alai parler au Roy, et le trouvé tout armé séant sus une forme, et des preudhommes chevaliers qui estoient de sa bataille, avec li touz armés. Je li requis que je et ma gent alissiens jusques hors de l'ost, pource que les Sarrazins ne se ferissent en nos heberges. Quant monseigneur Jehan de Biaumont oy ma requeste, il m'escria moult fort, et me commanda de par le Roy que je ne me partisse de ma herberge jusques à tant que le Roy le me commenderoit. Les preudeshomes chevaliers qui estoient avec le Roy, vous ai-je

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touz bons chevaliers qui avoient eu pris d'armes desà mer et de là; et tiex chevaliers seloit l'en appeler chevalier. Le non de ceulz qui estoient chevaliers entour le Roy, sont tiex: monseigneur Geffroy de Sargines, monseigneur Mahi de Marley, monseigneur Phelippe de Nanteul, monseigneur Ymbert de Biaujeu connestable de France, qui n'estoit pas là; ainçois estoit au dehors de l'ost, entre li et le mestre des arbalestriers à tout le plus des serjans à armes le Roy, à garder nostre ost que les Turs n'i feissent doumage.

101. Or avint que monseigneur Gauchier d'Autreche se fist armer en son paveillon de touz poins; et quant il fu monté sus son cheval, l'escu au col, le hyaume en la teste, il fist lever les pans de son paveillon et feri des esperons pour aller aus Turs; et au partir que il fist de son paveillon tout seul, toute sa mesnie escria Chasteillon. Or avint ainsi que avant que il venist aus Turs, il chaï et son cheval li vola parmi le cors, et s'en ala le cheval couvert de ses armes à nos ennemis, pource que le plus des Sarrazins estoient montez sur jumens, et pour ce traït le cheval aus Sarrazins. Et nous conterent ceulz qui le virent, que quatre Turs vindrent par le seigneur Gauchier qui

pour le bien employer en temps et lieu, se mi-je ne sortisse pas de ma tente jusqu'à ce que le rent à donner de grands repas, où les viandes étoient servies en quantité excessive.

99. Le commun peuple de l'armée se livra aux folles femmes, d'où il arriva que le roi donna congé à tout plein de ses gens quand nous revinmes de prison, et je lui demandai pourquoi il avoit fait cela, et il me dit qu'il avoit trouvé pour certain, qu'à une portée de petite pierre tout autour de son pavillon, ceux à qui il avoit donné congé, tenoient leur bordeau, et cela au temps de la plus grande misère où l'armée se fût oncques trouvée.

100. Or, revenons à notre sujet, et disons qu'un peu après que nous eûmes pris Damiette, toute la cavalerie du soudan vint devant le camp et l'assaillit par terre. Le roi et tous les chevaliers s'armèrent. Moi, tout armé, j'allai parler au roi et le trouvai aussi tout armé monté sur son cheval de bataille; des chevaliers prud'hommes qui étoient de sa bataille étoient avec lui, tout armés et montés comme lui. Je lui demandai que moi et mes gens allassions jusque hors du camp, pour que les Sarrasins ne vinssent pas nous attaquer dans nos tentes. Quand monseigneur Jean de Beaumont ouït ma requête, il me cria moult fort, et me commanda de par le roi que

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roi me le commandát. Les prud'hommes chevaliers qui étoient avec le roi étoient au nombre de huit, tous bons chevaliers qui avoient gagné le prix des armes tant deçà que delà la mer, et pour cela avoit-on coutume de les appeler bons chevaliers. Les noms de ceux qui entouroient le roi étoient monseigneur Geoffroy de Sargines, monseigneur Mathieu de Marli, monseigneur Philippe de Nanteuil, monseigneur Imbert de Beaujeu, connétable de France, qui n'étoit pas là, mais hors du camp. Lui et le maître des arbalétriers, avec la plus grande partie des sergents d'armes du roi, étoient à garder le camp, pour que les Turcs ne lui fissent dommage.

101. Or, il advint que monseigneur Gaucher d'Autrèche se fit armer de pied en cap dans son pavillon, et quand il fut monté sur son cheval, l'écu au cou, le heaume en tête, il fit lever les pans de son pavillon et donna des éperons pour aller aux Turcs; comme il partoit de sa tente tout seul, tous ses gens crièrent: Chatillon. Mais avant qu'il arrivât aux Turcs, son cheval tomba et se releva, et lui passa par dessus le corps ; et le cheval s'en alla aux ennemis tout couvert de ses armes, parce que la plupart des Sarrasins étoient montés sur des juments, et pour cela le cheval se retira vers les Sarrasins. Et nous contèrent ceux qui le virent, que quatre Turcs vinrent au sei

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