Imatges de pàgina
PDF
EPUB

25775

14

Minot fund. (32 vols.)

MÉMOIRES

ᎠᏴ

GEOFFROY DE VILLE-HARDOUIN.

[ocr errors]

SUR

GEOFFROY DE VILLE-HARDOUIN,

MARECHAL DE CHAMPAGNE ET DE ROMANIE.

[ocr errors]

gère chaîne de collines. Nous ne ferons point l'historique de la maison de Ville-Hardouin, une des plus illustres maisons de France; nous ne dirons rien ici de Geoffroy de Ville-Hardouin, neveu du maréchal, de Guillaume de Ville-Hardouin, son autre neveu, tous deux conquérants et princes du Péloponèse, et dont l'empire se soutint mieux que les empires français de Bysance et de Thessalonique; il ne sera question ici que de VilleHardouin, l'auteur des Mémoires.

On ignore à quelle époque précise Geoffroy fut revêtu de la dignité de maréchal de Champagne, et quel âge il avait lorsqu'il prit la croix; les érudits croient pouvoir assigner l'année 1191 (1) comme étant l'époque probable où Geoffroy remplaça Guillaume son père dans la charge de maréchal, et conjecturent qu'il avait quarante-cinq ans au moins quand la trompette évangélique ap

La notice qui va suivre ne sera point une histoire de l'expédition d'outre-mer des Français et des Vénitiens dans les premières années du xir siècle; nous nous proposons de tracer ici la biographie de Geoffroy de Ville-Hardouin, et non point le récit des événements lointains auxquels il prit souvent une noble part: l'histoire est une œuvre trop importante, trop élevée, pour qu'on l'enferme dans le cadre étroit d'une notice; d'ail leurs, le meilleur moyen de mettre en relief un personnage, ce n'est point d'accumuler autour de lui une foule d'événements qui peuvent le faire oublier. Les notices qu'on lira en tête des Mémoires de cette collection nouvelle seront la pure et simple expression de la physionomie de ceux qui les ont écrits ou qui les ont inspirés; on les comparera, si l'on veut, à ces portraits d'auteurs placés en tête des livres. En suivant dans sa vie le personnage à qui nous devrons tels ou tels mé-pelait les peuples à la croisade. Geoffroy eut deux moires, il est bien évident qu'il nous sera impossible de ne pas indiquer les faits auxquels son nom se mêle; ces sortes d'indications appartiennent tout naturellement au biographe. Notre tâche n'est pas de faire de l'histoire à côté des vieux narrateurs que nous publions, mais de faire en sorte que tous ces témoins du passé soient bien compris par le public. Les observations précédentes demandaient rigoureusement à trouver place au commencement de notre travail.

On sait que la famille des Ville-Hardouin était champenoise. Le château où naquit notre maréchal était situé à une lieue de la rivière de l'Aube, sur la rive gauche, à une lieue à l'est du bourg de Piney, à six lieues à l'est de Troyes; à la place du château se voit aujourd'hui un village du nom de Ville-Hardouin; au bas de ce village on reconnaît encore d'anciens fossés. Le hameau qui a hérité de l'emplacement et sans doute aussi des pierres du vieux castel, se trouve au penchant méridional d'une hauteur appartenant à une lé

(1) M. Petitot indique l'année 1180; le témoignage du savant Ducange nous autorise à adopter un avis contraire; les titres qu'il a vus ne commencent à faire paraître Geoffroy sous la qualité de maréchal qu'en 1191, sous le comte Henri II.

(2) Froissy, bourg situé à 4 lieues nord-est de Beauvais (Oise).

[blocks in formation]

frères et trois sœurs; ses deux frères furent Jean de Ville-Hardouin et Guy de Ville-Hardouin, que l'enthousiasme des saintes expéditions ne put arracher aux douceurs de leur région natale; ses trois sœurs furent Emmeline, qui embrassa la vie monastique dans l'abbaye de Froissy (2); Haye, qui se voua aussi à la religion dans l'abbaye de Notre-Dame de Troyes; sa troisième sœur, dont le nom ne nous est point parvenu, avait épousé Anseau de Courcelles; elle avait eu un fils qui suivit l'expédition de Constantinople et reçut sa part des dépouilles de l'empire grec. Notre maréchal champenois avait une femme nommée Jeanne, deux enfans, dont l'un s'appelait Erard, l'autre Geoffroy, et trois filles, Alix, Damerones et Marie; à l'exemple des barons pélerins, Geoffroy se prépara à la croisade par des prières et de pieuses donations; il offrit à l'église de Quincy (3) une terre qu'il possédait près le Puy de Chasseray (4), et donna toute la dime qui lui revenait de ses domaines de Longueville (5) à la cha

(3) Le village de Quincy est situé à 2 lieues et demie de Provins (Seine-et-Marne). Il existe un autre endroit du nom de Quincy, à 1 lieue et demie de Meaux, mais ce n'est pas de cet endroit qu'il s'agit ici.

(4) Il existe encore un village de Chasseray à 8 lieues de Troyes.

(5) Deux villages du nom de Longueville se trouvent 1

pelle de Saint-Nicolas de Brandonvilliers (1). Les princes et les chevaliers de la croix pouvaient espérer que Jésus-Christ leur rendrait dans les pays d'outre-mer le centuple de leurs aumônes; tel baron qui, en partant, avait doté de quelques revenus une église de sa province, recevait en échange en Orient un duché ou un royaume.

Geoffroy de Ville-Hardouin était renommé pour la sagesse de ses conseils et sa parole éloquente; il fut un des six députés qui allèrent demander à la république de Venise des navires et des secours pour la sainte expédition. Il fut choisi pour porter la parole dans l'église de Saint-Marc en présence du doge et du peuple assemblé; le maréchal supplia les seigneurs de la république de prendre en pitié Jérusalem, qui était en servage de Turs, et d'accompagner les croisés de France au pays d'outre-mer afin de venger la honte de Jésus-Christ; il leur disait que nulles gens n'avaient si grant povoir qui sur mer soient comme eux; l'orateur ajoutait que les puissants barons de France qui l'avaient envoyé lui et ses compagnons, leur avaient ordonné de se prosterner à leurs pieds et de ne point se relever avant que les seigneurs vénitiens n'eussent otroyé qu'ils auraient pitié de la Terre-Sainte d'outremer. En même temps les six messagers s'agenoillent mult plorant, et le doge et le peuple s'écrièrent tous d'une voix Nos l'otrions, nos l'otroions. Cette résolution unanime avait été l'œuvre soudaine de l'éloquence de Ville-Hardouin; le lendemain, tous les traités furent signés et les chartes et patentes dressées. Geoffroy revenait en Champagne avec de bonnes nouvelles; mais la joie de son retour fit bientôt place au deuil. Le maréchal fut un de ceux que toucha le plus vivement la mort du seigneur Thibaut, à peine àgé de vingt-deux ans, qui avait pris la croix deux ans auparavant, au milieu des fêtes d'un tournoi, et qui expira avec le regret de n'avoir pu combattre les ennemis de Jésus-Christ. La comtesse Blanche, veuve de Thibaut, trouva en Ville-Hardouin un bon conseiller et un ferme défenseur dans ses négociations politiques avec Philippe-Auguste. Après la mort du jeune chef de la croisade, le duc de Bourgogne et le comte de Bar-le-Duc ayant refusé de le remplacer, ce fut Geoffroy qui engagea les barons champenois à proposer le commandement de l'armée à Boniface, marquis de Montferrat. Les avis du maréchal étaient accueillis comme autant d'inspirations salutaires; Geoffroy avait des rapports d'amitié ou de considération avec les principaux personnages du royaume, et la droiture de ses jugements, jointe à une connaissance complète des affaires, lui donnait une puissante autorité; il était l'homme des négociations difficiles, le messager des remontrances délicates; c'est ainsi qu'on l'envoya auprès de Louis, comte de Blois, qui, marchant avec sa troupe, avait pris

aux environs de Troyes, l'un à 3 lieues d'Arcis, à 7 lieues de Troyes; l'autre à 3 lieues et demie d'Ervy, à 4 petites lieues de Troyes.

un autre chemin que Venise pour aller outremer. Le maréchal parvint à ramener le comte de Blois, et ce ne fut point là un médiocre service qu'il rendit à l'armée chrétienne.

Geoffroy avait pris à cœur cette grande entreprise; combien il est navré quand il raconte les divisions, les déplorables querelles qui éclatèrent parmi les pélerins à Venise, à Zara et à Corfou! Il se plaint surtout avec amertume des croisés qui voloient l'ost dépécier, qui queroient mal à l'armée. Aussi, lorsqu'après les discussions les plus malheureuses, la flotte chrétienne part enfin de Corfou pour faire voile vers Constantinople, on se sent ému en voyant la joie vive et l'enthousiasme du maréchal; c'est alors que Geoffroy se nomme comme l'auteur de cette histoire; et bien TESMOIGNE JOFFROIS LI MARESchaus de CHAMPAIGNE,

QUI CETTE OEUVRE DICTA. Frappé du spectacle de tant de navires chrétiens courant la vaste étendue des eaux, il s'écrie que onc si bèle chose ne fu veuë, et que li cuer des homes s'en esjoissoient mull.

Uniquement préoccupé des grandes choses qu'il raconte, Ville-Hardouin, marchant droit à son but comme un bon croisé des premiers temps, ne songe point à la géographie des régions qu'il parcourt; il ne faut point chercher dans son récit la description d'une côte ou d'une île, les souvenirs que les âges antiques y ont laissés. Ainsi VilleHardouin, après un séjour de trois semaines dans l'île de Corfou, se contente de dire que cette île mult ère riche et plentureuse; le maréchal ne s'arrête guère qu'aux détails qui intéressent l'expédition dont il est l'historien; voilà pourquoi, dans le trajet sur mer, il ne néglige pas de nous apprendre si les journées sont belles, si les vents sont propices. Quand la flotte quitte Corfou, il ne s'inquiète point de savoir quelles sont les terres qu'il laisse au loin à l'horizon; peu lui importe si ces terres se nomment Leucade, Céphalonie, Itaque ou Zante; ce qu'il demande, c'est une heureuse et rapide traversée aussi s'écrie-t-il que li jors fu bels et clers et li vents dols (doux) et soés (bons). C'était en effet au mois de mai que les vaisseaux francs cinglaient vers Constantino-ple; ils avaient vent arrière sous le nord-ouest, qui est le vent du printemps dans ces parages: c'est ce vent du nord-ouest qui soufflait dans nos voiles, lorsqu'au mois de juin 1830, entraînés sur les mêmes mers, nous cherchions les rivages de la Grèce. La flotte chrétienne laissa à gauche, à l'est, Navarin et Modon que nous avons visités; Navarin, entouré aujourd'hui de ruines récentes sur un rivage désert; Modon, qui a relevé ses murailles avec une garnison française; les petits îlots stériles de Sapience, qui n'ont point connu les demeures de l'homme. Ville-Hardouin n'indique ni Coron, ni Calamata, mais seulement le cap Malée, que les marins ne regardent point

(1) Brandonvilliers, à 10 lieues de Châlons-surMarne.

« AnteriorContinua »