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55. Ceulz de nostre gent qui furent pris à Saintes, recorderent que il oirent un grant descort naistre entre le roy d'Angleterre et le conte de la Marche; et disoit le Roy que le conte de la Marche l'avoit envoié querre, car il disoit que il trouveroit grant aide en France. Celi soir meismes le roy d'Angleterre meust de Saintes et s'en ala en Gascoingne.

56. Le conte de la Marche, comme celi qui ne le pot amender s'en vint en la prison le Roy, et li amena en sa prison sa femme et ses enfans, dont le Roy ot, par la pez fesant, grant coup de la terre le Conte; mez je ne scé pas combien, car je ne fu pas à celi fait, car je n'avoie onques lors hauberc vestu, mez j'oy dire que avec la terre, le Roy emporta dix mil livres de parisis que il avoit en ses cofres, et chascun an autant.

57. Quant nous fumes à Poytiers, je vi un chevalier qui avoit non mon seigneur Gyeffroy de Rancon; que pour un grant outrage que le conte de la Marche li avoit fait, si comme l'en disoit, et avoit juré sur Sains que il ne seroit ja

55. Ceux des nôtres qui furent pris à Saintes, rapportèrent qu'ils avoient ouï naître un grand discord entre le roi d'Angleterre et le comte de la Marche, et le roi disoit que le comte de la Marche l'avoit envoyé quérir, assurant qu'il trouveroit grande aide en France; ce soir même le roi d'Angleterre partit de Saintes et s'en alla en Gascogne.

56. Le comte de la Marche, comme quelqu'un qui ne peut réparer ses pertes, vint se rendre prisonnier du roi, et lui amena sa femme et ses enfants. Le roi, par la paix qu'il fit, eut grande quantité des terres du comte, mais je ne sais combien ; car je ne fus pas là: je n'avois encore haubert vêtu. Mais j'ouïs dire qu'avec la terre que le roi acquit, le comte de la Marche lui donna dix mille livres parisis, et convint de lui en donner autant tous les ans.

57. Quand nous fùmes à Poitiers, je vis un chevalier qui avoit nom monseigneur Geoffroy de Rancon, lequel pour un grand outrage que le comte de la Marche lui avoit fait, comme l'on disoit, avoit juré sur les saints qu'il ne se feroit jamais couper les cheveux comme les chevaliers,

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mez roingnez en guise de chevalier, moz porteroit grève, aussi comme les femmes fesoient, jusques à tant que il se verroit vengié du conte de la Marche, ou par lui ou par autrui. Et quant mon seigneur Geffroy vit le conte de la Marche, sa femme et ses enfans, agenoillez devant le Roy, qui li crioient merci, il fist aporter un tretel et fist oster sa greve, et se fist roingner en la présence du Roy, du conte de la Marche et de ceulz qui là estoient. Et en cel ost contre le roy d'Angleterre et contre les barons, le Roy en donna de grans dons, si comme je l'oy dire à ceulz qui en vindrent. Ne pour dons ne pour despens que l'en feist en cel host, ne autres de çà mere ne de là, le Roy ne requist ne ne prist onques aide des siens barons, n'à ses chevaliers, n'à ses hommes, ne à ses bones villes, dont on se plainsist. Et ce n'estoit pas de merveille; car ee fesoit il par le conseil de la bone mere qui estoit avec li, de qui conseil il ouvroit, et des preudeshomes qui li estoient demouré du tens son pere et du temps son ayoul.

58. Après ces choses desus dites avint, ainsi

mais les porteroit longs comme faisoient les femmes, jusqu'à ce qu'il se vit vengé du comte de la Marche ou par lui ou par autrui; et quand monseigneur Geoffroy vit le comte de la Marche, sa femme et ses enfants agenouillés devant le roi et lui criant merci, il fit apporter un banc et se fit couper les cheveux en présence du roi, du comte de la Marche et de ceux qui étoient là. En cette armée, conduite contre le roi d'Angle terre et contre les barons, le roi fit de grands dons, comme je l'ouïs dire, à ceux qui en revinrent; et pour les dons, ni pour les dépenses qu'on fit en cette armée, non plus que pour les autres faites deçà ni delà la mer, le roi ne requit ni ne prit oneques aide de ses barons, ni de ses chevaliers, ni de ses hommes, ni de ses bonnes villes, ce dont on se plaignit; et ce n'étoit pas de merveille : car il faisoit cela de l'avis de la bonne mère qui étoit avec lui, par le conseil de laquelle il agissoit, et par celui des prud'hommes qui lui étoient demeurés du temps de son père et du temps de son aïeul *.

58. Après les choses dessus dites, il advint, ainsi que Dieu voulut, qu'une grande maladie

» récité), devoit tenir le parti du comte de la Marche et » du roi d'Angleterre, et se fût trouvé en la bataille » précédente. Mais la fortune l'appela en autres affaires. >> Les Provenceaux maltraités de leur comte Raymond >> par plusieurs fois lui remontrèrent le mauvais traite>>ment qu'il leur faisoit et parce qu'il ne voulut enten» dre à s'amender, ils le chassèrent hors de la ville de >> Marseille, étant résolus de le mettre hors de toute la >> Provence parquoi envoyèrent quérir le comte de >> Toulouse qui étoit le plus prochain parent du comte

comme Dieu voult, que une grant maladie prist le Roy à Paris, dont il fu à tel meschief, si comme il le disoit, que l'une des dames qui le gardoient, li vouloit traire le drap sus le visage, et disoit que il estoit mort. Et une autre dame qui

surprit le roi à Paris. Il en fut si mal, comme il le disoit lui-même, que l'une des dames qui le gardoient voulut lui tirer le drap sur le visage, croyant qu'il étoit mort; et une autre dame, qui étoit de l'autre

» de Provence, pour le faire leur seigneur. Et cette guerre >> s'émut entre le comte de Provence et le comte de Tou>>louse qui les empêcha tous deux qu'ils ne se trouvè>> rent point en la journée des Anglois. Par la paix qui » se fit entre le roi saint Louis et le roi d'Angleterre, >> icelui comte de Provence fit alliance avec les deux >> rois. Il avoit quatre filles, c'est à savoir: Marguerite, >> qu'il donna pour femme au roi saint Louis; Aliénor, >> la seconde, que le roi d'Angleterre épousa; la troi» sième, que Richard, roi d'Angleterre, eut pour femme, » et Béatrix, la dernière qu'il ne voulut encore marier. >> Et par le moyen de ces mariages, le comte mit en son >> obéissance la ville de Marseille; mais pour l'injure >> qu'il en avoit reçue d'en avoir été expulsé, il n'y vou>> lut oncques plus entrer mais usa le demeurant de sa >> vie avec le comte de Savoie qui avoit épousé sa sœur ; >> parquoi ne restoit plus des ennemis au roi qui fussent >> en armes que le comte de Beriers, lequel étoit venu » assiéger Carcassonne et avoit déjà pris les faubourgs, >> dont il battoit la ville, quand le roi vint pour faire le>>ver le siége. Le comte de Beriers ayant peu de force » pour se défendre, vint vers le roi pour obtenir pardon. » Le roi, qui n'eut oncques pareil en clémence et dou» ceur, le reçut et lui pardonna son offense; et ainsi de>> meura le roi paisible en son royaume, sans avoir aucun >> ennemi.

>> Vous avez entendu par le chapitre précédent, que le >> comte de Provence avoit encore une fille à marier. Le >> comte de Toulouse la vouloit avoir pour femme, et le » père de la fille y donnoit son consentement ; mais parce >> qu'ils étoient prochains parens, fut besoin première>> ment d'envoyer à Rome, pour avoir dispense; mais le >> pape favorisant le roi et Alphonse son frère, qui devoit >> succéder au comte de Toulouse, ne voulut accorder >> icelui mariage; et cependant que l'affaire se demenoit » à Rome, le comte de Provence décéda. Parquoi, du con>> sentement du comte de Savoie, Béatrix fut mariée à » Charles, frère du roi saint Louis. Ainsi furent mariées » les quatre filles du comte de Provence, les deux à rois, » et les autres qui seront appelées reines, comme verrez >> par le discours de notre histoire. Les Provenceaux >> par la mort de leur comte, avoient repris leur liberté » de Jaquelle ils abusoient, et les villes de Provence >> étoient en discord l'une contre l'autre parquoi Char» les, à la faveur du roi, alla en Provence, laquelle il >> réduisit du tout en son obéissance, et parce qu'il avoit » épousé la dernière fille du comte de Provence, comme >> nous avons dit, par le vouloir du roi, les Provenceaux >> le reçurent pour leur comte et seigneur; et davantage >> le roi lui bailla les comtés d'Anjou et du Maine; et à >> Robert son plus jeune frère, donna le comté d'Arras. >> Ces choses ainsi ordonnées, le roi se voyant en >> meilleur repos et tranquillité qu'il n'avoit encore été » depuis le commencement de son règne, délibéra du >> tout s'appliquer au bien public de son royaume et

estoit à l'autre part du lit, ne li souffri mie; ainçois disoit que il avoit encore l'ame ou cors. Comment que il oist le descord de ces deux dames, nostre Seigneur ouvra en li et li envoia santé tantost, car il estoit esmuys et ne pouoit

côté du lit, ne le souffrit point: elle disoit qu'il avoit encore l'âme au corps. Il étoit muet et ne pouvoit parler; mais ayant ouï le discours de ces deux dames, notre Seigneur opéra en lui, et

>> donner police de bien vivre à ses sujets. A cette cause, » il se dédia entièrement au service de l'Eglise, et fit >> plusieurs belles et saintes lois par lesquelles il abolit >> grand nombre d'abus qui étoient en France; et entre >> autres choses il chassa de son royaume tous baste>> leurs et autres joueurs de passe-passe par lesquels ve>> noient au peuple plusieurs lascivetés; et en ce temps » comme un mal accumule l'autre, le royaume de >> France fut grièvement opprimé de peste et famine; » et quoique le roi, pour faire céder tant de maux, cher>> chât tous les moyens entre les hommes dont il se pou>> voit aviser, voulut aussi requérir l'aide de Dieu au » moyen de quoi, après avoir fait plusieurs processions, >> lui-même se mit à faire jeûnes et abstinences, et char» gea sur sa chair la haire, et se battoit secrètement » avec des verges, ainsi qu'il fut manifestement connu >> par ceux qui vivoient près de lui; qui est une chose >> digne de grande admiration! qu'un roi, pour la santé >> de son peuple, voulût endurer tant de peine comme >> faisoit le roi saint Louis! et si bien et justement se >> montroit en toutes choses équitable qu'il étoit de tous » réputé et tenu pour saint homme; en sorte que le po>> pulaire l'appeloit vrai père; la noblesse, juste prince >> et conservateur des lois; la France, roi véritable, et >> l'Eglise, tuteur et défenseur de son oppression. Il >> étoit aux étrangers paisible et grandement débonnaire, >> et aux siens se montroit libéral par tous moyens. Et >> ne doit-on prendre ébahissement, s'il vivoit si sainte» ment, vu qu'au commencement de ses jeunes ans, i ,il » avoit été tant bien instruit par la reine Blanche, sa >> mère; et aussi que l'on tenoit pour certain que le roi » Louis, son père, qui régnoit en un temps de tout >> plaisir et volupté, avoit vécu si chastement qu'il n'a» voit eu oncques accointance d'autre femme que de la >> sienne; au moyen de quoi, et par juste raison, tels >> parens de bonne vie, devoient avoir un tel fils, >> comme le roi saint Louis. Tous ceux qui avoient porté >> armes à l'encontre de lui, comme par une manière » de grande repentance, tournèrent leurs forces à l'en>> contre des ennemis de la foi chrétienne. Le comte de >> Champagne et le duc de Bretagne naviguèrent en Asie. » Le roi d'Angleterre, avec grand nombre de Fran» çois, alla en Afrique, pour dompter ceux du pays qui >> ne cessoient de courir en Espagne et la pilloient tous » les jours. Et joignant le roi d'Arragon, son armée » avec le roi d'Angleterre et les François, donna la ba>> taille à ceux qui étoient passés d'Afrique pour venir >> en Espagne et demeura victorieux de ses ennemis; >> reprit sur eux Valence qu'ils avoient occupée. En cette >> bataille les François eurent le loz (la gloire) et prix >> de toute prouesse; parquoi le roi d'Arragon les loua » grandement et leur fit plusieurs dons, avec lesquels » et ensemble les dépouilles qu'ils avoient gagnées sur >> les ennemis, les François s'en revinrent à grand hon»> neur en France. >>

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parler. Il requist que en li donnast la croix, et si fist on. Lor la Royne sa mere oy dire que la parole li estoit revenue, et elle en fist si grant joie comme elle pot plus. Et quant elle sot que il fu croisié, ainsi comme il meismes le contoit, elle mena aussi grant deul comme se elle le veist mort.

59. Après ce que il fu croisié, se croisierent Robert le conte d'Artois, Auphons conte de Poytiers, Charles conte d'Anjou, qui puis fu roy de Cezile, touz troiz freres le Roy; et se croisa Hugue duc de Bourgoingne, Guillaume conte de Flandres, frere le conte Guion de Flandres nouvellement mort; le bon Hue conte de Saint Pol, mon seigneur Gauchier son neveu, qui moult bien se maintint Outremer et moult eust valu se il eust vescu. Si i furent le conte de la Marche et mon seigneur Hugue le Brun son filz; le conte de Salebruche; mon seigneur Gobert d'Apremont son frere, en qui compaingnie je Jehan seigneur de Joinville passames la mer en une nef que nous louames, pource que nous estions cousins; et passames de là à tout vingt chevaliers, dont il estoit li disiesme et je moy disiesme.

60. A Pasques, en l'an de grace qui le milliaire couroit par mil deux cenz quarante et huit, mandé je mes homes et mes fievez à Join

aussitôt lui envoya la santé. Le roi demanda soudain qu'on lui donnât la croix et cela fit-on. Lorsque la reine, sa mère, ouït dire que la parole lui étoit revenue, elle en fit si grande joie, qu'elle ne pouvoit faire plus; et quand elle sut qu'il étoit croisé, ainsi que lui-même le contoit, elle eut aussi grand deuil que si elle l'eût vu mort.

59. Après qu'il se fut croisé, se croisèrent Robert, comte d'Artois; Alphonse, comte de Poitiers; Charles, comte d'Anjou, qui depuis fut roi de Sicile; tous trois frères du roi : et se croisèrent aussi, Hugues, duc de Bourgogne; Guillaume, comte de Flandres, frère du comte Guion de Flandres nouvellement mort; le bon Hue, comte de Saint-Pol; monseigneur Gauchier son neveu, qui se conduisit moult bien outre-mer et qui moult eût valu s'il eût vécu. Aussi firent le comte de la Marche et monseigneur Hugues Lebrun, son fils; le comte de Sarrebruck, monseigneur Gobert d'Apremont, son frère, en compagnie duquel moi, Jean seigneur de Joinville, je passai la mer sur une nef❘ que nous louâmes; car nous étions cousins; et en tout, nous passàmes vingt chevaliers dont il étoit lui dixième et moi disinier.

60. A Pâques, en l'an de gràce mille deux cent quarante-huit, je mandai mes hommes et mes vassaux à Joinville; et la veille de la dite Pàques que tous ces gens que j'avois mandés furent venus,

ville; et la vegile de ladite Pasque, que toute cele gent que je avoie mandé estoient venu, fu nez Jehan mon filz sire de Acerville, de ma premiere femme qui fu seur le conte de Grantpré. Toute cele semaine fumes en festes et en quarolles, que mon frere le sire de Vauquelour et les autres riches homes qui là estoient, donnerent à manger chascun l'un après l'autre, le lundi, le mardi, le mecredi.

61. Je leur diz le vendredi: «Seigneurs, je » m'en voiz Outremer, et je ne scé se je revendré. >> Or venez avant; se je vous ai de riens mesfait, je le vous desferai l'un par l'autre, si comme je

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ai acoustumé à touz ceulz qui vourront riens demander ne à moy ne à ma gent. » Je leur desfiz par l'esgart de tout le commun de ma terre; et pource que je n'eusse point d'emport, je me levoie du conseil, et en ting quanque il rapporterent, sanz débat.

62. Pource que je n'en vouloie porter nulz deniers à tort, je alé lessier à Mèz en Lorreinne grant foison de ma terre en gage, et sachiez que au jour que je parti de nostre païz pour aler en la Terre Sainte, je ne tenoie pas mil livrées de terre; car ma dame ma mere vivoit encore; et si y alai moy disiesme de chevaliers et moy tiers de banieres. Et ces choses voos ramentevoiz je, pource que se Diex ne m'eust aidié, qui onques

naquit Jean mon fils, sire d'Ancerville, de ma première femme, qui étoit sœur du comte de Grantpré. Toute cette semaine, nous fùmes en fêtes et en banquets, car mon frère le sire de Vaucouleurs et les autres riches hommes qui là étoient, donnèrent à manger chacun l'un après l'autre, le lundi, le mardi, le mercredi et le jeudi.

61. Je leur dis le vendredi : « Seigneurs, je >> m'en vais outre-mer, et je ne sais si je revien» drai. Or, adressez-vous à moi; si je vous ai fait >> tort en quelque chose, je le réparerai en tout >> point, comme j'ai accoutumé de le faire, envers >> tous ceux qui viennent pour demander quelque >> chose à moi ou à mes gens. » Ce que je fis par le jugement de tous ceux de ma terre, et pour ne rien avoir à eux, je me tins à l'écart pendant le conseil et exécutai sans débat tout ce qu'ils décidèrent.

26. Et comme je ne voulois point emporter d'argent plus que de raison, j'allai à Metz en Lorraine mettre en gage une grande partie de ma terre, et sachez qu'au jour où je partis de notre pays pour aller à la Terre Sainte, je ne tenois pas mille livres de rente en fonds de terre, car madame ma mère vivoit encore, et ainsi j'allai moi dixième de chevaliers avec trois bannières, et je vous rappelle ces choses parce que si Dieu, qui oncques ne me faillit, ne m'eût aidé, j'eusse eu peine à rester si long-temps, par l'espace de

ne me failli, je l'eusse souffert à peinne par si lonc temps, comme par l'espace de six ans que je demourai en la Terre Sainte.

63. En ce point que je appareillote pour mouvoir, Jehan sire d'Apremont et conte de Salebruche de par sa femme, envoia à moy et me manda que il avoit sa besoigne arée pour aler Outremer li disiesme de chevaliers ; et me manda que se je vousisse que nous loissons une nef entre li et moy, et je li otroia: sa gent et la moie

louerent une nef à Marseille.

64. Le Roy manda ses barons à Paris et leur fist faire serement que foy et loiauté porteroient à ses enfans, se aucune chose avenoit de li en la voie. Il le me demanda, mez je ne voz faire point de serement, car je n'estoie pas son home. En dementres que je venoie, je trouvé trois homes mors sur une charrette, que un clerc avoit tuez; et me dist en que en les menoit au Roy. Quant je oy ce, je envoié un mien escuier après, pour savoir comment ce avoit esté. Et conta mon escuier que je y envoyé, que le Roy quant il issi de sa chapelle, ala au perron pour veoir les mors, et demanda au prevost de Paris comment ce avoit esté. Et le prevost li conta que les mors estoient trois de ses serjans du chastelet, et li conta que il aloient par les rues forainnes pour desrober la gent; et dist au Roy « que il trouverent se clerc que vous veez ci, et li tollirent toute sa robe. Le clerc s'en

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six ans, que je demeurai en la Terre Sainte. 63. Pendant que je me préparois à partir, Jean, sire d'Apremont et comte de Sarrebruck par sa femme, m'envoya dire qu'il étoit tout prêt pour aller outre-mer, lui dixième de chevaliers, et me manda si je voulois que nous louassions une nef à nous deux; et j'y consentis: ses gens et les miens louèrent une nef à Marseille.

64. Le roi manda ses barons à Paris, et leur fit faire serment que foi et loyauté porteroient-ils à ses enfants, si aucune chose fâcheuse lui advenoit dans le voyage. Il me le demanda aussi, mais je ne voulus point faire de serment car je n'étois pas son homme. [Tandis que je m'en venois, je trouvai trois hommes morts sur une charrette, qu'un clerc avoit tués; on me dit qu'on les menoit au roi. Quand j'ouïs cela, j'envoyai après un mien écuyer, pour savoir comment cela avoit été fait, et mon écuyer que j'envoyai, conta que le roi, quand il sortit de sa chapelle, alla au perron pour voir les morts, et demanda au prevôt de Paris comment cela avoit été fait; et le prevôt lui conta que les morts étoient trois de ses sergents du Châtelet, et qu'ils alloient par les rues écartées pour dérober les gens; et il dit au roi « qu'ils trou>> vèrent ce clerc que voici et lui enlevèrent tous >> ses vêtements. Le clerc s'en alla à son hôtel avec

>> ala en pure sa chemise en son hostel, et príst » s'arbalestre et fist aporter à un enfant son fau>> chon. Quant il les vit, il les escria et leur dit » que il y mourroient. Le clerc tendi s'arbaleste » et trait et en feri l'un parmi le cuer, et les >> deux toucherent à fuie, et le clerc prist le » fauchon que l'enfant tenoit, et les ensui à la >> lune qui estoit belle et clere. L'un en cuida >> passer parmi une soif en un courtil, et le » clerc fiert du fauchon, fist le prevost, et li » trucha toute la jambe, en tele maniere que » elle ne tint que à l'estivall, si comme vous » veez. Le clerc r'ensui l'autre, lequel cuida » descendre en une estrange meson là où gent >> veilloient encore, et le clerc feri du fauchon › parmi la teste, si que il le fendi jusques ès dans, si comme vous poez veoir, fist le pre>> vost au Roy. Sire, fist il, le clerc moustra son >> fait au voisins de la rue, et puis si s'en vint » mettre en vostre prison, Sire, et je le vous ameinne, si en ferez vostre volenté, et veez le » ci.-Sire clerc, fist le Roy, vous avez perdu à » estre prestre par vostre proesce, et pour vos>> tre proesce je vous retieng à mes gages, et » en venrez avec moy Outremer. Et ceste chose » vous foiz je encore, pource que je veil bien » que ma gent voient que je ne les soustendrai >> en nulles de leurs mauvestiés. >>> Quant le peuple, qui là estoit assemblé, oy ce, il se escrierent à nostre Seigneur et li prierent que Dieu

>>

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>> sa chemise seule, et prit son arbalète, et fit porter >> à un enfant son fauchon (couteau de chasse). » Quand il les vit, il leur cria qu'ils alloient être » occis. Et le clerc tendit son arbalète, la tira et en >> frappa un au cœur, les deux autres se mirent à >> fuir; et le clerc prit le fauchon que l'enfant te>> noit, et les poursuivît au clair de la lune qui étoit >> belle et brillante; l'un d'eux voulut passer à tra>> vers une haie dans un jardin, et le clerc le frappa » de son fauchon, et lui trancha la jambe de telle » manière qu'elle ne tenoit qu'à la peau, comme vous » voyez, ajoutale prevôt. Le clerc se mit à poursui» vre l'autre, lequel s'imagina de descendre dans >> une maison là où les gens veilloient encore; et le >> clerc le frappa de son fauchon à la tête, si bien » qu'il la fendit jusqu'aux dents, comme vous pou » vez voir. Sire, dit le prevôt, le clerc a montré >> son fait aux voisins de la rue, et puis s'est venu >> mettre en prison; je vous l'amène et vous en fe>> rez, Sire, à votre volonté, et le voici.-Sire clerc, » dit le roi, vous avez perdu à être prêtre par votre >> prouesse, et pour votre prouesse, je vous retiens » à mes gages, et vous viendrez avec moi outre» mer,et je vous fais encore à savoir, que je veux » que mes gens voient que je ne les soutiendrai » dans aucune de leurs méchancetés. » Quand le peuple qui étoit là assemblé ouït cela, tous s'écriè

li donnast bone vie et longue, et le ramenast à joie et à santé.

65. Après ces choses je reving en nostre pays, et attirames le conte de Salebruche et moy, que nous envoierions nostre harnois à charettes à Ausonne, pour mettre ilec en la riviere de Saonne jusques au Rone.

66. Le jour que je me parti de Joinville, j'envoié querre l'abbé de Cheminon, que on tesmoingnoit au plus preudhomme de l'Ordre blanche. Un tesmoignage li oy porter à Clerevaus, le jour de feste nostre Dame que le saint Roy i estoit, à un moinne qui le moustra, et me demanda se je le cognoissoie. Et je li diz pourquoy il me le demandoit? Et il me respondi: Car je entent que c'est le plus preudhomme qui » soit en toute l'Ordre blanche. Encore, sachez, fist il, que j'ai oy conter à un preudomme qui » gisoit ou dortouer là où l'abbé de Cheminon dormoit, et avoit l'abbé descouvert sa poi» trine pour la chaleur que il avoit; et vit ce » preudomme, qui gisoit ou dotouer où l'abbé de Cheminon dormoit, la Mere Dieu qui ala » au lit l'abbé, et li retira sa robe sur son » piz (sa poitrine), pource que le vent ne li fest » mal. »

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67. Cel abbé de Cheminon si me donna m'escharpe et mon bourdon; et lors je me parti de

rent à Dieu, et le prièrent qu'il donnât au roi vie bonne et longue, et le ramenât en joie et en santé. 65. Après ces choses, je revins en notre pays, et nous convinmes, le comte de Sarrebruck et moi, que nous enverrions notre bagage sur des eharrettes à Auxonne, pour le mettre là sur la rivière de Saône, jusqu'au Rhône.]

66. Le jour que je partis de Joinville, j'envoyai quérir l'abbé de Cheminon, qu'on disoit le plus prud'homme de l'ordre de Citeaux. [C'est le témoignage que j'en ai our porter à Clairveaux, un jour de fête de Notre-Dame, que le saint roi y étoit, par un moine qui me le montra et me demanda si je le connaissois; et je lui dis pourquoi il me le demandoit; il me répondit: « C'est que je soutiens que c'est le plus pru>> d'homme qui soit en tout l'ordre. Sachez encore, >> ajouta-t-il, que j'ai ouï conter à un prud'homme » qui étoit couché au dortoir, là où l'abbé de Che» minon dormoit, que l'abbé avoit découvert sa >> poitrine à cause de la chaleur qu'il avoit; et ce » prud'homme qui étoit couché au dortoir où >> l'abbé de Cheminon dormoit, vit la mère de >> Dieu qui alla au lit de l'abbé, et lui étendit sa >> robe sur la poitrine pour que les rayons du so>> leil ne lui fissent mal.] >>

67. Cet abbé de Cheminon me donna l'écharpe et le bourdon, et alors je partis de Joinville sans rentrer au château, jusqu'à mon retour, pieds

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Joinville sanz rentrer ou chastel jusques à ma revenue, à pié deschaus et en langes, et ainsi alé à Blechicourt et à Saint Urbain, et autres cors sains qui là sont; et en dementieres que je aloie à Blechicourt et à Saint Urbain, je ne voz onques retourner mes yex vers Joinville, pource que le cuer ne me attendrisist du biau chastel que je lessoie et de mes deux enfans.

68. Moy et mes compaignons mangames à la Fonteinne l'Arcevesque devant Dongieuz; et illecques l'abbé Adam de Saint Urbain, que Diex absoille, donna grant foison de biaus juiaus à moy et à mes chevaliers que j'avoie. Dès là nous alames à Nansone et en alames à tout nostre hernoiz que nous avions fait mestre èls nez, dès Ansone jusques à Lyon contreval la Sone; et en coste les nés menoit on les grans destriers.

69. A Lyon entrames ou Rone pour aler à Alles le Blanc; et dedens le Rone trouvames un chastel que l'en appelle Roche de Gluy que le Roy avoit fait abbattre, pource que Roger le sire du chastel estoit criez de desrober les pelerins et les marchans.

70. Au mois d'août entrames en nos nez à la Roche de Marseille; à celle journée que nous entrames en nos nez, fist l'en ouvrir la porte de la nef, et mist l'en touz nos chevaus ens, que

nus et en chemise, et j'allai ainsi à Blécourt et à Saint-Urbain et à d'autres saints qui sont là, et, pendant que j'allois à Blécourt et à Saint-Urbain, je ne voulus oncques retourner les yeux vers Joinville, de peur que je ne m'attendrisse trop, à la vue du beau château que je laissois, et au penser de mes deux enfants.

68. Moi et mes compagnons, nous dînâmes à la | Fontaine-l'Archevêque, devant Donieux ; et là, l'abbé Adam de Saint-Urbain, que Dieu absolve! donna grande quantité de beaux joyaux à moi et aux chevaliers que j'avois. De là, nous allâmes à Auxonne et en partimes avec tout notre bagage que nous avions fait mettre sur nefs depuis Auxonne jusqu'à Lyon, en descendant la Saône ; et, à côté des nefs, sur la rive, on menoit les destriers ou chevaux de bataille.

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69. A Lyon, nous nous embarquâmes sur le Rhône pour aller à Arles, et sur le Rhône, nous trouvâmes un château qu'on appelle Roche-deGluy que le roi avoit fait abattre parce que Roger, seigneur de ce château, avoit la réputation de dérober les pélerins et les marchands.

70. Au mois d'août, nous entràmes dans nos nefs, à la Roche-de-Marseille; dans cette journée que nous entràmes dans nos nefs, on fit ouvrir la porte de la nef, et on y mit tous les chevaux que nous devions mener outre-mer, et puis on en ferma la porte et on la boucha comme on

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