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France oirent ce, qui l'attendoient à Val-Secre, il furent touz aussi comme desvez du despit de ce que il leur avoit fait, et maintenant envoierent querre la royne de Cypre; et si tost comme elle fut venue, ils pristrent un commun acort qui fu tel, que il manderoient ce que il pourroient avoir de gent à armes, et enterroient en Brie et en Champaingne par devers France; et que le duc de Bourgoingne, qui avoit la fille au conte Robert de Dreus, ranterroit en la conté de Champaingne par devers Bourgoingne, pour la cité de Troyes prenre se il pooient. Le duc manda quanque il pot avoir de gent; les barons manderent aussi ce que il en porent avoir. Les barons vindrent ardant et destruyant d'une part, le duc de Bourgoingne d'autre; et le roy de France d'autre part, pour venir combattre à eulz. Le descort fut tel au conte de Champaingne que il meismes ardoit ses villes, devant la venue des barons, pource que il ne les trouvassent garnies. Avec les autres villes que le conte de Champaingne ardoit, ardi il Espargnay et Vertuz et Sezenne.

dé toute sa gent à armes, mut de Joingville à l'anuitier, si tost comme ces nouvelles li vindrent, et vint à Troies ainçois que il feust jour, et par ce faillirent les barons à leur esme, que il avoient de prenre la dite cité; et pour ce les barons passerent par devant Troies et se alerent logier en la praerie de Lés, là où le duc de Bourgoingne estoit.

47. Le roy de France qui sot que il estoient là, il s'adreça tout droit là pour combattre à eulz; et les barons li manderent et prierent que il son cors se vousist traire arieres, et il se iroient combattre au conte de Champaigne et au duc de Lorreinne, et à tout le remenant de sa gent, a trois cens chevaliers de moins que le Conte n'auroie ne le Duc. Et le Roy leur manda, que à sa gent ne se combatroient il ja, que son cors ne feust avec. Et il revindrent à li et li manderent que il feroient volentiers entendre la royne de Cypre à paiz, ce il li plaisoit. Et le roi leur manda que à nulle paiz il n'entendroit ne ne souferroit que le conte de Champaingne y entendit, tant que il eussent vidié la contée de Champaingne; et il la vidierent en tel maniere que dés Ylles là où il estoient, il alerent

46. Les bourgois de Troies, quant il virent que il avoient perdu le secours de leur seigneur, il manderent à Symon seigneur de Joing-logier dessous Juylli; et le Roy se loja à Ylles, ville, le pere au seigneur de Joinville qui ore est, qui les venist secourre. Et il qui avoit man

cela, ils furent tous comme enragés de dépit de ce qu'il leur avoit fait, et incontinent ils envoyèrent quérir la reine de Chypre, et sitôt qu'elle fut venue ils prirent une résolution qui fut telle: Ils devoient appeler tout ce qu'ils pourroient avoir de gens armés, et entrer en Brie et en Champagne, du côté de France; et le duc de Bourgogne, qui avoit pour femme la fille du comte Robert de Dreux, devoit rentrer dans la comté de Champagne, par la Bourgogne, et ils prirent jour pour s'assembler tous devant la ville de Troyes, afin de la prendre s'ils pouvoient. Le duc réunit tout ce qu'il put avoir de gens; les barons réunirent aussi ce qu'ils en pouvoient avoir. Les barons vinrent brûlant et détruisant d'une part, le duc de Bourgogne de l'autre, et d'autre part le roi de France venoit pour les combattre. Le déconfort fut tel pour le comte de Champagne que lui-même brûloit ses villes avant l'arrivée des barons, pour qu'ils ne les trouvassent point garnies. Entre autres villes, le comte de Champagne brûla Épernai, et Vertus, et Sésanne.

45. Les bourgeois de Troyes, quand ils virent qu'ils avoient perdu le secours de leur seigneur, mandèrent à Simon, seigneur de Joinville, père du seigneur de Joinville d'aujourd'hui, de venir à leur secours; et lui qui avoit appelé tous ses gens d'armes partit de Joinville à l'entrée de la nuit, sitôt que ces nouvelles lui furent arrivées, et vint

dont il les avoit chaciés. Et quant il seurent que le Roy fu alé là, il s'alerent logier à

à Troyes avant qu'il fût jour; et par là les barons manquèrent le dessein qu'ils avoient de prendre la ville; et ils passèrent devant Troyes et s'allèrent loger en la prairie d'Isles, là où le duc de Bourgogne étoit.

47. Le roi de France, qui sut qu'ils étoient là, alla droit à eux pour les combattre, et les barons lui mandèrent et le prièrent qu'il voulût bien se retirer de sa personne, qu'ils iroient combattre le comte de Champagne et le duc de Lorraine, el tout le reste de ses gens, avec trois cents chevaliers de moins que n'auroient le comte et le duc; et le roi leur répondit qu'ils ne se combattroient point à sa gent, s'il n'y étoit en personne. Les barons revinrent à lui et lui dirent que volontiers ils feroient entendre à la reine de Chypre qu'elle fit sa paix, s'il lui plaisoit. Et le roi leur répondit qu'il n'entendroit à aucune paix et ne souffriroit que le comte de Champagne y entendit, tant qu'ils n'auroient pas évacué la comté de Champagne; et ils l'évacuèrent de telle manière que de l'Isles là où ils étoient, ils s'allèrent loger au-dessous de July; et le roi se logea à Isles d'où il les avoit chassés. Quand ils surent que le roi étoit allé là, ils s'al lèrent loger à Chaource, et n'osant attendre le roi, ils s'allèrent loger à Laignes, qui appartenoit au comte de Nevers, lequel comte étoit de leur parti. Ainsi le roi accorda le comte de Champagne avec la reine de Chypre, et la paix fut faite

Chaorse et noserent le Roy attendre, et s'alerent logier à Laingnes qui estoit au conte de Nevers, qui estoit de leur partie. Et ainsi le Roy accorda le conte de Champaingne à la royne de Chypre, et fu la paiz faite en tel maniere, que ledit conte de Champaingne donna à la royne de Cypre entour deux mille livrées de terre (environ deux mille livres de rentes en fonds de terres), et quarante mille livres que le Roy paia pour le conte de Champaingne. Et le conte de Champaingne vendi au Roy, parmi les quarante mille livres, les fiez ci-après nommés; c'est à savoir, le fié de la contée de Bloiz, le fié de la contée de Chartres, le fié de la contée de Senserre, le fié de la vicontée de Chasteldun; et aucunes gens si disoient que le Roy ne tenoit ces devant diz fiez que en gaje, més ce n'est mie voir, car je le demandai nostre saint Roi Looys Outremer.

mier of non Henri, le secont ot non Tybaut, le tiers ot non Estienne. Ce Henry desus dit fust conte de Champaingne et de Brie, et fu appelé le conte Henri le Large; et dut bien ainsi estre appelé, car il fu large à Dieu et au siecle; large à Dieu, si comme il appiert à l'esglise saint Estienne de Troies, et aus autres esglises que il fonda en Champaingne; large au siecle, si comme il apparut ou fait de Ertaut de Nogent et en moult d'autres liex que je conteroie bien, se je ne doutoie à enpeeschier ma matiere. Ertaut de Nogent fu le bourgois du monde que le conte créoit plus, et fu si riche que il fist le chastel de Nogent l'Ertaut de ses deniers. Or avint chose que le conte Henri descendi de ses sales de Troie pour aller oir messe à saint Estienne le jour d'une Penthecouste; aus piez des degrez s'agenoilla un poure chevalier, et li dit ainsi : « Sire, je vous pri pour Dieu que 48. La terre que le conte Tybaut donna à la >> vous me donnés du vostre, par quoy je puisse royne de Cypre, tint le conte de Brienne qui >> marier mes deux filles que vous veez ci. ore est et le conte de Joigny, pource que l'aïole Ertaut qui aloit dariere li, dist au poure chele conte de Brienne fu fille à la royne de Cy-valier : « Sire chevalier, vous ne faites pas que pre, et femme le grant conte Gautier de Brienne.

49. Pource que vous sachiez dont ces fiez que le Sire de Champaingne vendi au Roy, vindrent, vous foiz je à savoir que le grant conte Tybaut qui gist à Laingny, ot trois filz; le pre

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» courtois, de demander à mon seigneur; car il a » tan donné que il n'a mez que donner. » Le Large Conte se tourna devers Ertaut, et li dist: « Sire vilain, vous ne dites mie voir, de ce que » vous dites que je n'ai mez que donner; si ai » vous meismes: et tenez, sire chevalier, car je

de cette manière : ledit comte de Champagne donna à la reine de Chypre environ deux mille livres de rente en fouds de terre et quarante mille livres que le roi paya au comte de Champagne; et pour le prix de ces quarante mille livres, le comte de Champagne vendit au roi les fiefs ci-après nommés, savoir le fief de la comté de Blois, le fief de la comté de Chartres, le fief de la comté de Sancerre, le fief de la vicomté de Châteaudun. Aucuns disoient que le roi ne tenoit ces fiefs qu'à titre d'engagement; mais cela n'est mie vrai; car je le demandai à notre bon roi Louis, étant outre

mer.

48. Les terres que le comte Thibault donna à la reine de Chypre sont maintenant au comte de Brienne d'aujourd'hui et au comte de Joigoy, parce que l'aïeule du comte de Brienne étoit fille de la reine de Chypre et femme du grand comte Gauthier de Brienne.

49. Pour que vous sachiez d'où venoient ces fiefs que le sire de Champagne vendit au roi, je vous dirai que le grand comte Thibault, qui gît à Laigny, eut trois fils; le premier eut nom Henri, le second eut nom Thibault, et le troisième eut nom Etienne. Henri fut comte de Champagne et de Brie, et fut appelé le comte Henri-le-Large (le Généreux), et il mérita bien d'être ainsi appelé,

car il fut large envers Dieu et envers le siècle. Large envers Dieu, comme il paroît par l'église de Saint-Etienne de Troyes et autres églises qu'il fonda en Champagne; large envers le siècle, comme il parut au fait d'Arthault de Nogent et de moult autres lieux que je vous citerois bien si je ne craignois d'embarrasser mon sujet. Arthault de Nogent fut le bourgeois du monde en qui le comte eut le plus de confiance; il fut si riche qu'il båtit de ses deniers le château de Nogent. Or i advint que le comte Henri descendit de ses salles de Troyes pour aller ouïr la messe à Saint-Etienne un jour de Pentecôte. Au pied des degrés, un pauvre chevalier s'agenouilla et lui dit : « Sire, je vous prie, pour >> Dieu, que vous me donniez du vôtre pour que je >> puisse marier mes deux filles que voici.» Arthault qui alloit derrière, dit au pauvre chevalier : «Sire >> chevalier, vous n'agissez pas en homme courtois, » de demander à monseigneur, car il a tant donné » qu'il n'a plus de quoi donner. » Le large comte se tourna vers Arthault et lui dit : « Sire vilain, >> vous ne dites pas vrai en disant que je n'ai plus » de quoi donner; car j'ai vous-même; et tenez, » sire chevalier, je vous le donne et vous le garan« tis. » Le chevalier ne fut pas ébahi, il prit au contraire Arthault par son manteau et lui dit

>> le vous donne, et si le vous garantirai. » Leonques; car à la table le Roy mangoit, emprès chevalier ne fu pas esbahi, ainçois le prist parli, le conte de Poitiers que il avoit fait chevala chape, et li dist que il ne le lairoit jusques à | lier nouvel à une saint Jehan; et après le conte tant que il auroit finé à li; et avant que il li | de Poitiers, mangoit le conte Jehan de Dreuez eschapast, ot Ertaut finé à li de cinq cens que il avoit fait chevalier nouvel aussi ; après le livres. conte de Dreuez, mangoit le conte de la Marche; après le conte de la Marche, le bon conte Pierre de Bretaingne : et devant la table le Roy, endroit le conte de Dreuez, mangoit mon seigneur le roy de Navarre, en cote et en mantel de samit, bien paré de courroie de fermail et de chapel d'or; et je tranchoie devant li. Devant le Roy, servoit du mangier le conte d'Artoiz son frere; devant le Roy, tranchoit du coutel le bon conte Jehan de Soissons. Pour la table garder, estoit monseigneur Ymbert de Biaugeu, qui puis fu Connestable de France; et mon seigneur Engerrand de Coucy, et monseigneur Herchanbaut de Bourbon. Dariere ces trois

50. Le secont frere le conte Henri ot non Thibaut et fu conte de Blois; le tiers frere ot non Estienne et fu conte de Sancerre. Et ces deux freres tindrent du conte Henri touz leurs héritages et leur deux contées et leur apartenances; et les tindrent après des hoirs le conte Henri qui tindrent Champaigne, jusques alors que le roy Tybaut les vendi au roy de France, aussi comme il est devant dit.

51. Et revinrons à nostre matière et disons ainsi, que après ces choses tint le Roy une grant court à Saumur en Anjo, et là fu je, et vous tesmoing que ce fu la miex arée que je veisse

qu'il ne le laisseroit pas jusqu'à ce qu'il eût terminé avec lui; et avant qu'Arthault lui échappât, il convint de donner cinq cents livres au chevalier.

50. Le second frère du comte Henri eut nom Thibault, et fut comte de Blois; le troisième frère eut nom Etienne, et fut comte de Sancerre, et ces deux frères tinrent du comte Henri tous leurs héritages et leurs deux comtés et leurs appartenances, et les tinrent ensuite des héritiers du comte Henri, qui eurent la Champagne jusqu'à ce que le roi Thibault les vendit au roi de France, comme il est devant dit.

fait chevalier à une Saint-Jean; et après le comte de Poitiers mangeoit le comte Jean de Dreux qu'il avoit aussi nouvellement fait chevalier; après le comte de Dreux mangeoit le comte de la Marche; après le comte de la Marche le bon comte Pierre de Bretagne; et devant la table du

roi, vis-à-vis le comte de Dreux, mangeoit monseigneur le roi de Navarre, en robe et en manteau de samit, bien paré d'une ceinture à agrafe et de chapel d'or, et je tranchois devant lui. Devant le roi, le comte d'Artois, son frère, servoit du manger, le bon comte Jean tranchoit du coutel. Pour garder la table étoient monseigneur Im

51. Or revenons à notre sujet, et disons qu'a-bert de Beaujeu, qui depuis fut connétable de près ces choses le roi tint une grande cour à Saumur en Anjou, là où je fus; je vous assure que ce fut la mieux ordonnée que je visse oncques; car à la table du roi mangeoit auprès de lui le comte de Poitiers, qu'il avoit nouvellement

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Il y a ici une lacune dans les éditions de Mesnard et de Ducange et même dans celle du Louvre. Cette lacune se trouve remplie dans la version de Pierre de Rieux; Voici ce passage:

« Et se voyant le roi être en paix et au-dessus de tous » ses ennemis, il lui prit avis et vouloir de visiter son >> royaume; et en le visitant érigea plusieurs comtés et >> duchés, et par spécial, il érigea le comté de Poitou en >>duché et le donna à Alphonse son frère, et commanda » à tous les seigneurs de Poitou de faire foi et hommage » de leurs terres et seigneuries au nouveau duc; par ce » moyen étoit requis Hugues comte de la Marche (qui » étoit enclose au duché de Poitou) de reconnoître pour » seigneur le duc Alphonse; mais sa femme le dissuadoit » toujours de le faire, et remontroit que ce n'étoit point >> chose raisonnable qu'un père de roi (comme étoit le >> comte de la Marche) devînt homme-lige du duc Al>>phonse; davantage qu'elle étoit mère de roi et avoit » été femme de roi (mère de Henri III, roi d'Angle» terre, et veuve de Jean-Sans-Terre), car elle avoit été » mariée au roi d'Angleterre, et qu'encore elle portoit le

France, et monseigneur Enguerrand de Coucy, et monseigneur Archambault de Bourbon. Derrière ces trois barons il y avoit bien trente de leurs chevaliers, en cotte de drap de soie, pour les garder, et derrière ces chevaliers il y

avoit

>> nom et étoit appelée reine; parquoi, disoit-elle, je ne >> vois aucun droit parquoi le duc Alphonse doive avoir >> seigneurie aucune sur nous, ni que je sois tenue de faire » révérence à Jeanne sa femme. Toutes ces remontran>> ces faisoit-elle au comte de la Marche son mari; et en>> core davantage, elle sollicita le comte Geoffroy de Lu» signan, de ne point obéir au duc Alphonse, lui rappe>> lant qu'il avoit eu deux frères qui avoient été l'un roi » de Jérusalem, et l'autre roi de Chypre; au moyen de >> quoi seroit indigne et mal-séant à la maison de Lusi>> gnan qui étoit de lignée royale de recevoir pour sei» gneur le duc Alphonse. Par ces persuasions, le comte » de Lusignan délaissa la foi et amitié du roi, délibérant »>> de ne reconnoître aucun droit de subjection au duc de >> Poitou : parquoi secrètement il commença à favoriser >> le comte de la Marche, lequel déjà, sans que personne >> s'en aperçut, donnoit ordre de faire assemblée de gens » pour se défendre, si le roi le vouloit contraindre à faire >> hommage au duc de Poitou. Or il advint un jour ce >> temps, pendant que le roi étant en la ville de Saumur, » qu'il tint une grande cour et maison ouverte, etc. »

barons avoit bien trente de leurs chevaliers, | entendoit que sa mere li avoit maintes foiz besié.

52. Au chief du cloistre d'autre part estoient les cuisines, les bouteilleries, les paneteries et les despenses; de celi cloistre servoient devant le Roy et devant la Royne, de char, de vin et de pain. Et en toutes les autres elez et ou prael d'en milieu mangoient de chevaliers si grant foison, que je ne scé le nombre; et dient moult de gent que il n'avoient onques veu autant de seurcoz ne d'autres garnemens de drap d'or à une feste, comme il ot là, et dient que il y ot bien trois mille chevaliers.

en cottes de drap de soie, pour eulz garder; et darieres ces chevaliers avoit grant plenté de sergans vestus des armes au conte de Poytiers, batues sur cendal. Le Roy avoit vestu une cotte de samit ynde, et seurcot et mantel de samit vermeil fourré d'ermines, et un chapel de coton en sa teste qui moult mal si seoit, pource que il estoit lors joenne homme. Le Roy tint cele feste és hales de Saumur; et disoit l'en que le grand roy Henri d'Angleterre les avoit faites pour ces grans festes tenir. Et les hales sont faites à la guise des cloistres de ces moinnes blans; 53. Après celle feste mena le Roy le conte de mès je croi que de trop il n'en soit nul si grant. Poytiers à Poytiers, pour reprenre ses fiez; et Et vous dirai pourquoy il le me semble; car à la quant le Roy vint à Poytiers, il vousist bien paroy du cloistre où le Roy mangoit, qui estoit estre arieres à Paris; car il trouva que le conte environné de chevaliers et de serjans qui te- de la Marche qui ot mangié à sa table le jour de noient grant espace, mangoient à une table vingt la Saint Jehan, ot assemblé tant de gent à que évesques que arcevesques, et encore après armes ilec Joingnant de lez Poytiers. A Poyles évesques et les arcevesques mangoit encoste tiers fu le Roy près de quinzeinne, que onques cele table la Royne Blanche sa mere, au chief du ne s'osa partir tant que il fu accordé au conte cloistre, de celle par là où le Roy ne mangoit pas. de la Marche. Ne ne scé comment plusieurs foiz Et si servoit à la Royne le conte de Bouloingne vi venir le conte de la Marche parler au Roy à Poyqui puis fu Roy de Portingal, et le bon conte de tiers de les Joingnant (de Lusignan), et touz jours Saint Pol, et un Alemant de l'aage de dix-huit ans, amenoit avec li la royne d'Angleterre sa femme, que en disoit que il avoit esté filz saint Hélizabeth qui estoit mere au roy d'Angleterre. Et disoient de Thuringe; dont l'en disoit que la Royne Blan-moult de gent que le Roy et le conte de Poytiers che le besoit ou front par devocion, pource que ele avoient fait mauvèse paiz au conte de la Marche.

grand nombre de sergents vêtus des armes du comte de Poitiers brodées sur cendal (taffetas). [Le roi étoit revêtu d'une cotte de samit bleu et d'un surtout et manteau de samit vermeil fourré d'hermine, et un chapel de coton étoit sur sa tête, lequel moult mal lui séioit, parce qu'alors il étoit jeune. Le roi tint cette fête aux halles de Saumur. On disoit que le grand roi Henri d'Angleterre les avoit fait construire pour tenir ses grandes fêtes; et ces halles sont faites à la façon des cloîtres des moines blancs (religieux de l'ordre de Citeaux); mais je crois que bien loin il n'y a nuls cloîtres si grands. Et je vous dirai pourquoi il me le semble; car à la paroy du cloître où mangeoit le roi, qui étoit environué de chevaliers et de sergents, lesquels tenoient grand espace, mangeoient à une table vingt tant évêques qu'archevêques, et encore après les évêques et les archevêques mangeoit à côté de cette table la reine Blanche sa mère, au haut du cloître, du côté là où le roi ne mangeoit pas. Et servoient la reine, le comte de Boulogne (de Loignie), qui depuis fut roi de Portugal, et le bon comte de Saint-Pol, et un Allemand de l'âge de dix-huit ans, qu'on disoit être fils de sainte Elisabeth de Thuringe; duquel disoil-on aussi que la reine Blanche le baisoit au front par dévotion, parce qu'elle avoit ouï dire que sa mère l'y avoit maintes fois baisé.]

52. Au haut du cloître, de l'autre côté, étoient C. D. M., T. I.

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les cuisines, les bouteilleries, les paneteries et les dépenses d'où l'on apportoit, devant le roi et la reine, la viande, le vin et le pain; et dans toutes les autres alles et au préau du milieu, mangeoient si grande quantité de chevaliers que je n'en sais le nombre. Bien des gens disoient qu'ils n'avoient oncques vu autant de surtouts, et autres vêtements de drap d'or, à une fête comme il y en eut là, et disoient qu'il y avoit bien trois mille chevaliers.

53. Après cette fête le roi mena le comte de Poitiers à Poitiers, pour reprendre ses fiefs, et quand le roi fut arrivé dans cette ville, il eût bien voulu être de retour à Paris: car il trouva que le comte de la Marche, qui avoit mangé à sa table le jour de la Saint-Jean, avoit assemblé grand nombre de gens d'armes de les Joignant ( Lusignan) près de Poitiers. Le roi fut près de quinze jours à Poitiers sans oser partir, avant d'avoir traité avec le comte de la Marche; je ne sais combien de fois je vis venir ce comte parler au roi. Tous les jours il amenoit de Lusignan avec lui, la reine d'Angleterre, sa femme, qui étoit mère du roi d'Angleterre ; et bien des gens disoient que le roi et le comte de Poitiers avoient fait mauvaise paix avec le comte de la Marche *.

* Les éditions de Mesnard et Ducange ne parlent point de ces allées et venues du comte de la Marche, ni de la 13

54. Après ce que le Roy fu revenu de Poytiers, ne tarja pas grandement après ce, que le roy d'Angleterre vint en Gascoingne pour guerroier le roy de France. Nostre saint Roy, à quanque il pot avoir de gent, chevaucha pour combattre à li. Là vint le roy d'Angleterre et le conte de la Marche, pour combattre devant un chastel que en appele Taillebourc, qui siet sus une male riviere que l'en appele Tarente, là où en ne peut passer que à un pont de pierre moult estroit. Si tost comme le Roy vint à Taillebourc, et les hos virent l'un l'autre, nostre

54. Après que le roi fut revenu de Poitiers, il ne tarda guères que le roi d'Angleterre vint en Gascogne pour guerroyer contre le roi de France. Notre saint roi chevaucha avec tout ce qu'il put avoir de gens pour le combattre. Le roi d'Angleterre et le comte de la Marche vinrent pour livrer combat devant un château qu'on appelle Taillebourg, lequel est sis sur une mauvaise rivière qu'on appelle Charente, là où l'on ne peut passer que sur un pont de pierre moult étroit. Sitôt que le roi vint à Taillebourg et que les armées se virent l'une l'autre, nos gens qui avoient

mauvaise paix que le roi et le comte de Poitiers avaient faite avec lui. Mais Pierre de Rieux donne, sur la comtesse de la Marche, de curieux détails qui ne sont point dans les trois autres éditions. Nous les transcrivons :

« Après cet accord, le roi partit incontinent de Poi» tiers pour retourner en France: mais le comte de la >> Marche avec ses alliés, refusoit toujours l'obéissance au >> comte de Poitiers; pourquoi le roi fit dresser grosse ar» mée et tira droit en la Marche, et à sa venue, assiégea >> Montreul et Benne et les prit d'assaut, et y mettant >> garnison, vint assiéger Fonçay où étoit Geoffroy comte » de Lusignan, et après y avoir tenu le siége quelques » jours, il le prit à forces d'armes et entra dedans. Du>> rant ces siéges et que le roi mettoit victorieusement à >> fin toutes ses entreprises, il fut assailli d'un autre côté >> dont il ne prenoit point garde. La comtesse de la Mar» che, usant de la malice des femmes, songea de faire >> mourir le roi par poison. Pour cela elle trouva aucuns >> familiers, auxquels elle fit de riches dons, qui lui pro>> mirent d'empoisonner le roi; et ayant reçu le poison » des mains de la comtesse, s'en vinrent là où étoit le roi; >> et voulant exécuter leur damnable malice, furent trou»vés et pris sur le fait, en jettant les poudres vénéneuses » sur les viandes du roi: la vérité confessée, ils furent >> pendus et étranglés. La comtesse connoissant que sa » méchanceté étoit découverte, entra en si grande rage » de dépit, qu'elle-même se voulut tuer n'eût été qu'au, >> cuns de ses domestiques l'en gardèrent. Néanmoins >> elle demeura toujours en son mauvais cœur. En sorte >> que le bruit courut jusqu'à la connoissance du roi >> qu'elle avoit attitré aucuns pour le tuer. Au moyen de >> quoi le roi avoit toujours à l'entour de sa personne grand >> nombre de gens armés; et ne parloit à lui aucun hom>> me inconnu qu'il ne fût premièrement bien visité, s'il >> portoit aucun arnois. En ce même temps la comtesse >> envoya en Angleterre certain nombre de gens, lesquels, >> sous ombre de prêcher la parole de Dieu, incitoient les » Anglois à prendre les armes à l'encontre des François,

gent qui avoient le chastel devers eulz, se esforcierent à grant meschief, et passerent perilleusement par nez et par pons et coururent sur les Anglois, et commença le poingnayz fort et grant. Quant le Roy vit ce, il se mist ou péril avec les autres; car pour un homme que le Roy avoit quant il fu passé devers les Anglois, les Anglois en avoient mil. Toute voiz avint il, si comme Dieu voult, que quant les Anglois virent le Roi passer, ils se desconfirent et mistrent dedans la cité de Saintes, et plusieurs de nos gens entrerent en la cité mellez, et furent pris.

le château devant eux, s'efforçant avec grand peine et travail, passèrent périlleusement sur des bateaux et vaisseaux et coururent sur les Anglois. Alors commença grande mêlée : quand le roi vit cela, il se mit au péril avec les autres; car pour un homme que le roi avoit, quand il fut passé vers les Anglois, ceux-ci en avoient bien mille. Toutefois, il advint, ainsi que Dieu voulut; quand les Anglois virent le roi passer, ils se mirent en désordre et s'enfuirent dans la cité de Saintes, et plusieurs de nos gens y entrèrent avec eux et furent pris.

>> disant que le roi saint Louis molestoit par guerre toute » la noblesse et même celle qui descendoit du roi d'An>> gleterre et avoit délibéré de l'abolir et perdre du tout; >> davantage, disoient-ils, il a chassé à tort les Anglois » du pays de Normandie, et s'efforce encore d'occuper » sur eux le duché d'Aquitaine; il a spolié le comte de >> Lusignan de tous ses biens, et non content de ce, veut >> à présent chasser le comte de la Marche de ses pays et >> priver ses enfans qui sont frères de roi, de leur vrai hé>> ritage, sans être mu de pitié pour leurs jeunes ans, et >> sans avoir égard à la noblesse dont ils descendent. » Parquoi entreprendre la guerre contre le roi de France >> seroit plus juste et raisonnable qu'aller guerroyer con>>>tre les Sarrasins et infidèles.

>> Ces preschemens faisoit-on aux Anglois par le moyen » de la comtesse. A cette cause le roi d'Angleterre prit >> haine pour le roi saint Louis, et levant une grosse ar»mée, aprés l'avoir défié, passa en France où il connut >> depuis qu'il avoit affaire à un sage et puissant roi. >> Avant que l'Anglois fût descendu en France, le roi alla » mettre le siége à Fontenai; lequel fut très bien défendu >> par ceux qui étoient dedans, et ne pouvoit le roi les >> dommager grandement; parquoi commanda de faire >> une haute tour de bois, par laquelle on pouvoit aisé>> ment voir dans la ville et y jetter pierres et dards; mais >> ne tarda guères que ceux de la ville jettèrent le feu dans >> ladite tour et la brùlèrent. En ce conflit le comte de >> Poitiers fut blessé au pied, de quoi le roi grandement >> irrité fit donner l'assaut plus dur que devant, en sorte » qu'en peu de temps la ville fut prise et mise à sac et »> ne demeura que les églises, que tour ne fût rasé. Le fils » du comte de la Marche fut trouvé dedans et pris pri» sonnier. Après, le roi prit et abattit Villiers apparte»> nant à Guy de Rochefort qui tenoit le parti de l'An>> glois.

» Le roi d'Angleterre s'avançoit toujours pour venir >> joindre le comte de la Marche et les armées assemblées » se vinrent camper auprès de Taillebourg, etc. »

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