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52. Ensi commencha la bataille de iaus deus. Il s'entrefiérent tant des espées parmi les hiaumes, que tout li laics en sont detrenchiet, et que li uns l'a à l'autre errachié hors de la tieste. S'il eust en Pieron Vens autant de loyauté comme il avoit de traïson, merveilles fesist à proisier d'armes. Bauduins de Soriel ne le va de riens esparengant, ains le fiert de l'espée parmi le coife de fer, si que li espée coula jusques au ties, en tel maniére que se il ne se fust sousployet de sous le cop, il eust esté mors sans doute. Non pourquant li cops li coula sor le diestre bras, si que poi s'en failli qu'il ne li destacha, et que ne'l trébucha jus del cheval. Et quant Pieres Vens vit k'il l'aloit si appressant, si li rent s'espée et fianche prison à tenir. Et nostre gent ront tant fait, par la divine souffranche de nostre Signour, que bien ont retenu la moitié de lor anemis; et Mahieus Bliaus a pris Raoul le chastelain de Cristople; si l'a fait loyer sour un povre ronchin, les piés loyés par desous le ventre au plus vielment k'il onques pooit; et dist que bien estoit drois et raisons que gueredons li soit rendus de la grant honte et de la grand vilounie, qu'il avoit faite à son seignour, quant il son chastel avoit fremet contre lui. Que vaut chou? Il le mainent en prison tout playet et tout ensanglenté, et mult durement esbahi

leur pointe. Et quand Baudouin de Sorel a sa pointe parachevée, il met l'épée à la main et puis court sur Pierre Vens et Pierre court à lui.

52. Ainsi commença le combat d'eux deux. Ils se portèrent tant de coups d'épée parmi les heaumes, que tous les liens en furent tranchés, et que l'un arracha le heaume de la tête de l'autre. Si Pierre Vens avoit eu autant de loyauté comme il avoit de trahison, il eût fait merveille en fait d'armes. Baudouin de Sorel ne le va épargnant en rien, mais le frappe de l'épée vers la calotte de fer, tellement que l'épée coula jusqu'au crâne, et si Pierre Vens n'eût ployé sous le coup, il fût mort sans doute. Néanmoins le coup porta sous le bras droit et peu s'en fallut qu'il ne l'abattit et que Pierre Vens ne tombât de dessus son cheval. Quand Pierre Vens vit qu'il étoit si fort serré de près, il rendit son épée et se résigna à prison lenir. Nos gens firent tant, par la divine permission de notre Seigneur, que bien retinrent la moitié de leurs ennemis. Mathieu Bliaut prit Raoul, le châtelain de Christople; il le fit lier sur un pauvre roncin, les pieds attachés par dessous le ventre, le plus fort qu'il put, et dit que bien étoit droit et raison que récompense lui fût donnée de la grande honte et de la grande vilainie qu'il avoit faite à son seigneur en fermant son chateau contre lui. Que vous dirois-je ? Ils le menèrent en priC. D. M., T. I.

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de la grant honte k'il atent, dont jamais ne se verra deschargiet. Mout s'i prouvérent bien nostre gent à celle desconfiture, et mout fisent grand hounour à lor contrée, et à tous chiaus dont il estoient estrait. Que vaut chou? Lombart i furent desconfit, pris et loyé, ensi come vous avés oï. Jehans de Geulaing ki fut freres Symon de Geulaing, Jakemes Bliaus, qui fu nés pardevers Blavegnies, et tout li autre i fisent bien lor hounour come aparant fu, car cascun y fu ou lieu de Olivier et de Roelant. Mult i ot de pris à celle fois; et chil qui fuir s'en pot, si s'en fuirent deviers les montaignes por lor vies garandir. Mais Griffon lor salirent illoec qui tous les ont pris et ochis.

53. Quant li cuens Biertous sot que tous li Lombart estoient ensi pris et desconfit, si en fu mult lies et mout joians pour cou que il quide ore mout bien que pour iaus arendre et délivrer li doie on rendre Cristople. Dont s'en vint à Dragines; si mena le conte o lui, et là parlérent ensamble. Aprés vinrent devant Cristople atout lor prisons, et disent à chiaus de laiens que se il lor voloient rendre Cristople tout entirement, salves lor vies, lor membres et lor avoirs, li quens et tout li autre seroient délivré. Et cil qui laiens estoient ne lor daignoient onques respondre, fors tant que il se traient en sus d'iaus;

son tout lié et tout ensanglanté, et moult durement ébahi de la grande honte qu'il attend et dont jamais ne se verra déchargé. Nos gens moult se montrèrent bien à cette déconfiture, et firent moult grand honneur à leur pays et à tous ceux dont ils étoient sortis. Quoi de plus? Les Lombards furent déconfits, pris et liés, ainsi que vous venez d'ouïr. Jean de Geulaing, qui étoit frère de Simon Geulaing; Jacques Bliaut, qui naquit près de Blavegnies, et tous les autres y firent bien leur honneur comme fut apparent : car chacun y fut comme Olivier et Roland. Il y en eut moult de pris à cette fois; et ceux qui purent fuir s'en allèrent vers les montagnes pour garantir leur vie; mais les Grecs les y assaillirent, et tous les prirent et les occirent.

53. Quand le comte Bertout sut que tous les Lombards étoient ainsi pris et déconfits, il en fut moult joyeux et content, parce qu'il pensa alors que pour les rendre et les délivrer, il faudroit qu'on lui rendit Christople Il s'en vint donc à Dragines et mena le comte avec lui, et là ils parlèrent ensemble. Les nôtres vinrent ensuite devant Christople, avec leurs prisonniers, et dirent à ceux qui étoient dedans, que s'ils leur vouloient rendre Christople tout entièrement, leurs vies, leurs membres et leurs biens saufs, le comte et tous les autres seroient rendus. Et ceux qui étoient dedans ne leur daignèrent onques répondre, si

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et devisérent entr'iaus que il les tréroient, ne que jà ne rendroient le chastiel pour cose que il faire peuscent ne seuscent, ne que il prisent l'empereour le montanche de un tout seul denier; et se on les assaut, il se défendront, chou dient-il, mult bien et cortoisement.

54. Quant li nostre Franchois oïrent ceste response, il s'en tournérent arriére, et prisent lor chemin pour aler à Salenique à tout lor prisons. Là venu li empereres apela Raoul; si li dist: « Raoul, Raoul! n'est il ore mie bien drois » que nous nous vengions chiérement de la honte et de la dolereuse souffraité, et de la > maelhaise que vous nous fesistes soufrir par >> devant Cristople, et chou que vous nous feistes jesir as chans sour la gielée et sour la noif >> sans loge et sans paveillon. Et la gent ki avoec moi estoient venue orent encore plus grant mal

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aise de moi; car jou noets se bien non envers iaus, et vous estiez en vostre solas et en grant »joie en vostre chastel. Par mon chief, sire chastelains, chil qui telle chose fait à son si» gnour ne li monstre mie que il l'aime par >> amours. Or sachiés que celle félounie n'ai-jou >> pas encore oubliée, que vous la me feistes. Si >> vous di qu'il ne peut remanoir que vous n'en ayés gueredon tel come vous l'avés déservi. » 55. Ensi manache li empereres li chastelain, et Pieron Vens et Vivyen. Que vous diroie-jou

non qu'ils tireroient sur eux, et ils décidèrent entre eux qu'ils tireroient, et que jamais ils ne rendroient le château pour chose que les nôtres pussent ou sussent faire, et qu'ils ne prisoient pas l'empereur plus que le montant d'un seul denier, el que si on les assailloit, ils se défendroient moult bien et courtoisement, se disoient-ils.

54. Quand nos François ouïrent cette réponse, ils se retirèrent et prirent leur chemin pour aller à Salonique avec leurs prisonniers. Arrivé là, l'empereur appela Raoul et lui dit : « Raoul! Raoul! >> N'est-il pas bien juste à présent que nous nous » vengions chèrement de la honte, de la doulou>> reuse souffrance et du malaise que vous nous >> fites endurer devant Christople, et de ce que >> vous nous fites coucher aux champs sur la gelée >> et la neige, sans logement et sans pavillon? » Et la gent qui étoit venue avec moi eut en>> core plus de malaise que moi; car je ne la crois >> jamais bien si je ne suis avec elle; et vous, >> vous étiez dans votre château en grands ébats et >> en grande joie. Par mon chef, sire châtelain, >> celui qui telle chose fait à son seigneur, ne lui >> montre pas qu'il l'aime par affection. Or, sachez » que je n'ai pas encore oublié cette félonic que >> vous me fites; aussi vous dis-je qu'il ne peut » se faire que vous n'en ayez la récompense que »Vous avez méritée. »

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plus ? Li empereres s'atourne et garnist le chas tiel et la tour del vesque del Sablat. Et en chou qu'il faisoit sa garnison et ordenoit atant esvous un message de par Roelant Pice, qui donne à l'empereour unes lettres ens lesquelles il li mandoit que il li envoyast trente chevaliers, pour chou que Lombart s'estoient haati de venir sour lui, si com il faisoit à entendre en son escrit, et que il voloient dou sien: et li empereres dist que, puisqu'il est ses hom, il n'est mie droit que il li faille à cest besoing. Dont apiela nostre empereres Ansiel de Chaeu, et Guillame de Sains, et lor dist qu'il li convenoit aler en celui voiage, et si y fut avoec iaus Guillame de Blenduel. Que vous conterofe-jou? Trente en y ot qui disent que mult volentiers feroient le commandement lor signour, et moult volentiers iroient. Donques se sont mis en chemin; et li traistres, en la qui aide il aloient s'iert aloyés as Lombart, parmi deniers donans et bons pourpres d'or que il en avoit rechus, en itele maniére que il nous devoit destraindre par son chastel et guerroyer; et ensi avoit fait li traistres son marché as Lombart.

56. Ansiaus de Chaeu s'en va à tout ses compaignons à Placemont, en la aide de celui qui les traist en son pooir, et les decevera s'il onques poet, se Diex proproment n'y met son bon conseil. Il ont tant chevauchié qu'il sont venu jus

55. Ainsi, l'empereur menaça le châtelain et Pierre Vens et Vivyen. Que vous dirai-je plus? L'empereur s'en va et garuit le château et la tour de l'évêque de Sablat; et, pendant qu'il faisoit et régloit sa garnison, il lui arriva de la part de Rolland Pice un messager, qui donna à l'empereur une lettre, dans laquelle il lui mandoit qu'il lui envoyȧt trente chevaliers, parce que les Lombards s'étoient hâtés de venir sur lui, comme il faisoit entendre dans son écrit, et qu'ils vouloient lui enlever de ses terres. Et l'empereur dit que, puisqu'il étoit son homme, il n'étoit pas juste qu'il lui manquât dans ce besoin. Notre empereur appela donc Anseau de Caheu et Guillaume de Sains, et leur dit qu'il leur convenoit d'aller en ce voyage, et y fut avec eux Guillaume de Blenduel. Il y en eut trente qui dirent que moult volontiers ils feroient le commandement de leur seigneur, et moult volontiers iroient. Ils se mirent donc en chemin; et le traître au secours duquel ils alloient, s'étoit lié avec les Lombards, au moyen des deniers comptants et des pièces d'or qu'il en avoit reçus, de manière qu'il devoit nous attaquer de son chateau et nous guerroyer. Le traître avoit ainsi fait son marché avec les Lombards.

56. Anseau de Caheu s'en va avec tous ses compagnons à Placemont, au secours de celui qui veut les attirer en son pouvoir et les tromper s'il le

ques à Placemont, mais n'entrérent mie dedans la vile, ains envoia mesire Ansiaus de Chaeu à Rollant Pice. Si n'estoit pas à cel point el chastel, ains estoit alés pour Lombart, pour faire prendre nostre gent quant il seroit enserit. Tel traïson avoit enpris Roelant Pice envers nostre gent; mais nostre Sires ne le vaut mie consentir car il donna volenté et talent à un sergeant ki lor fist à savoir, et lor dist pour Dieu qu'il se retournassent erraument arriére; car se Roelant pooit iestre de nus d'iaus en saisine, il aront acreut sor lor piaus. Et quant nostre gent sorent la traïson, si retournérent arriére à la Gyge, et mandérent à l'empereour tout ensi com vous avés oï.

57. Quant li empereres oï cou, si en fu mult dolans, et dist que bien li quidoiet li traistres avoir engignié; mais bien sache qu'il a engignié lui tout avant, et tout son lignage aprés lui. Et non pourquant li empereres ne s'esmaia de nule riens, ains atourne son afaire à Salenique, et fait tant que tout si saudoyer se tiennent à bien payet de lui. Dont a pris congié à le empereis, et elle le gracie mout de le hounour qu'il li avoit faite. Dont se part de la vile, et atant fait entre lui et ses homes, li un par mer, li autre par terre, li un à pié, li autre à cheval, k'il s'en sont venu au Cytre, et il meismes vint lui dixiéme de chevaliers sans plus par mer, et plus n'en y laissa-il avoec lui entrer; car

il avoit pleu et négié tant durement que li flum estoient si creu et parfongié que li pré et la terre en estoient tout couviert; si que pour poi que li soumier ne noioient pas dedens. Et li home y estoient si baignié que tous estoient ensi comme mort, que de le aigue, que dou froit En ceste chevauchie estoit Cuenes de Biétune, ki mult maudissoit durement chiaus qui là l'avoient menet, et disoit que chil ki si trèsgrande penanche souffroit pour nostre Signour, à chou que chascuns fu trenchiés de froidure et de dolour, avoit bien déservit son paradys : « et >> s'il ont auques grandes saldées, bien les ont, » che dit, déservis. » Que vous diroie-jou? Une nuit se herbergiérent devant la Verre; de là s'en sont alé au Cytre.

58. Or sont nostre gent au Cytre venut; si y ont trouvé lor signour l'empereour et toute son ost ki illoec séjournoient: si lor fist mesire Ouris dou Cytre trestoute la hounour qu'il onques lor pot faire; et tant lor a fait que li empereres tout avant et tout chil de l'os aprés lui s'en loérent mout durement. Donques devisa li empereres toute sa choze, et s'en ala une viesprée en Salenique entre lui et Cuenon de Biétune; car on li dist que toute sa gent dut y estre toute revelée contre lui: puis a atourné sa garnison de la tour ki estoit sour la mer. Si laissa Hûon Bliaus et autres chevaliers que je ne sai mie noumer; et aprés cou retourna al Cytre; si apela Wistase

peut, à moins que Dieu n'y mette bon ordre. Tant chevauchèrent qu'ils vinrent jusqu'à Placemont; mais ils n'entrèrent pas dans la ville. Messire Anseau de Caheu envoya un message à Rolland Pice; celui-ci n'étoit pas alors au château, il étoit allé vers les Lombards pour faire prendre notre gent à la tombée de la nuit. Rolland Pice avoit entrepris cette trahison envers les nôtres, mais notre Seigneur ne la voulut pas favoriser ; car il donna volonté et moyen à un sergent, qui leur fit à savoir et leur dit que, pour Dieu, ils s'en retournassent promptement en arrière, car, si Rolland pouvoit se saisir d'eux, ils auroient encore sur leur peau; et, quand nos gens surent la trahison, ils retournèrent à la Gyge et mandèrent à l'empereur tout ce que vous avez ouï. 57. Quand l'empereur sut cela, il en fut moult dolent, et dit que le traître croyoit bien l'avoir trompé; mais qu'il sut bien que lui-même l'avoit trompé lout auparavant, et tout son lignage après lui. Et cependant l'empereur ne se troubla de rien, mais retourna à son affaire de Salonique, et fit en sorte que tous ses soldats fussent bien payés. Il prit alors congé de l'impératrice, et elle lui rendit grâce de l'honneur qu'il lui avoit fait. Il partit de la ville, et ses hommes partirent aussi, les uns par mer, les autres par terre; les uns à pied, les autres à

cheval; ils arrivèrent à Cytre, et lui-même vint, lui dixième de chevaliers, par mer, et n'en laissa pas plus entrer avec lui; car il avoit plu et neigé si fort que les fleuves étoient tant grossis et débordés que les champs et la terre en étoient tout couverts, et peu s'en fallut que les bêtes de somme ne se noyassent; les hommes étoient si mouillés que tous étoient ainsi comme morts, tant de l'eau que du froid. Conon de Béthune étoit en cette chevauchée, qui moult maudissoit ceux qui l'avoient amené là; et disoit que celui qui si très-grande peine souffroit pour notre Seigneur, dans laquelle chacun étoit miné de froid et de douleur, avoit bien mérité son paradis; et s'ils y ont grandes récompenses, bien les ont, dit-il, achetées, Que vous dirai-je? Une nuit ils logèrent devant Béroë, et de là s'en allèrent à Cytre.

58. Toute notre gent, étant alors venue à Cytre, y trouva son seigneur empereur et toute sa troupe qui y séjournoit. Messire Ouris de Cytre leur fit tous les honneurs qu'il pouvoit leur faire, et tant leur en fit que l'empereur, tout le premier, et tous ceux de l'armée, après lui, s'en louèrent moult vivement. L'empereur, après s'être consulté, s'en alla le soir à Salonique, ayant avec lui Conon de Béthune, car

son frère et Anséel de Chaeu, si lor dist : « Si-parole à l'empereour come devant avés oï.

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gnour, vous eslirés dusques à trente homes

des plus preudomes que vous porrés trouver

61. L'empereres voit bien que Lombart ne le gaitent fors pour dechevoir. Lors s'en vait vers >> en toute ceste ost, puis vous irés ou val de la le pont de l'Arse, et se logent à douze milles >> Verisse, et passerés la Closure. » Et endemen-prés, car toutes voies oroit-il volentiers lor retiers mandérent Lombart à l'empereour une pais nonchement : car il avoit envoyé un évesque et tele com je vous dirai.

59. Si en fut Robert de Manchicourt messages à l'empereour, et il dist que il le conte de Blansdras délivrast, et le remeist en possession dou royaume de Salenique dont il l'avoit dessaisi, et puis si s'en voist al Corthiac, et il iront illoec à lui pour lui droit faire. « Or, biaus amis, >> fait li empereres, vous meismes poés ore bien >> savoir se celle demande est raisonnable, et s'il y a raison. Or me doint Diex tant vivre, se lui plest, que jou puisse mon coer de iaus esclai>> rier. >>

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60. Chis mandemens fu fais à l'empereour, ensi com vous avés oï par un joedi absolu; et le jour de la Paeske, aprés mangier, départi li empereres don Cytre à tout son ost, et dist bien que jamais ne retourneroit arriére, si aroit auques sa volenté de Lombart ki tant anui li ont fait. Dont passa li empereres la Closure tot sériement, et vint dusques à la Verisse, où il trouva sa gent en grant joie et en grant solaes; et là renvoyérent Lombart chargiet de tele

on lui avoit dit que tous ses gens y étoient soulevés contre lui, puis il disposa sa garnison de la tour qui étoit sur la mer. Il y laissa Hue Bliaut et autres chevaliers que je ne sais nommer, et après cela retourna à Cytre. Il appela Vitace son frère et Anseau de Caheu, et leur dit : « Sei>> gneurs, vous choisirez jusqu'à trente hommes des >> plus prud'hommes que vous pourrez trouver en >> toute cette armée, puis vous irez au val de >> Verisse, et passerez la Closure. » Et pendant ce temps, les Lombards demandèrent à l'empereur une paix telle que je vous dirai tout à l'heure.

59. Robert de Manchicourt fut envoyé à l'empereur, et lui dit qu'il délivrât le comte de Blandras et le remit en possession du royaume de Salonique, dont il l'avoit dessaisi, et puis s'en allàt à Corthiac, et qu'ils iroient l'y trouver pour lui faire droit. «Mes biaux amis, répondit l'empereur, vous >> pouvez bien vous-mêmes savoir si maintenant >> cette demande est raisonnable. Que Dieu me >> donne assez de vie, s'il lui plaît, pour que je >> puisse faire connaître mon cœur. »

60. Cette demande fut faite à l'empereur, telle que vous l'avez ouïe, un jeudi-saint. Le jour de Påques, après avoir mangé, l'empereur partit de Cytre avec toute sa troupe, et dit bien que jamais il ne retourneroit en arrière, et qu'il ne changeroit point de volonté envers les Lombards qui lui avoient tant fait de mal. Et l'empereur passa tout

un nouvel chevalier par lesquels il lor avoit mandé que il feroit volentiers pais à iaus, s'il offroient chose où il y eust raison: si qu'il demouraiscent en la terre, et il lor donroit encore de la soie pour acroistre la lor, mais que il soient si home, et qu'il li fachent homage et feuté. Et Lombart disent qu'il jà il n'en feroient riens; car il ont lor conestables à qui il ont toute lor espérance.

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62. Limessages que li empereres y avoit envoyés revinrent à l'empereour, et li disent : « Sire, se >> vos volés avoir pais as Lombart, il convient >> tout avant que vous délivrés le conte de Blansdras, et que vous aprés le metés en possession » de sa baillie, et puis vous en alés al Corthiac; » et là vous venront-il faire droit, ossi avant » come il deveront; et se il vous desplaist à séjourner al Corthiac, retrayés arriére en Constantinoble, et là vous feront-il ce meismes » par le los de Lombart et de François; et vous >> mandent bien par nous qu'il ne vous en feront » autre chose. »

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tranquillement la Closure, et vint jusqu'à Verisse, où il trouva ses gens en grande joie et en grands ébats. Là les Lombards renvoyèrent des députés chargés, pour l'empereur, de paroles telles que vous les avez déjà ouïes.

61. L'empereur vit bien que les Lombards ne le guettoient que pour le tremper. Alors il s'en va vers le pont de l'Arse, et se loge à douze milles environ, car il auroit assez volontiers consenti à leur retraite ; il leur avoit envoyé un évêque et un nouveau chevalier, par lesquels il leur avoit mandé qu'il feroit volontiers paix avec eux, s'ils offroient chose où il y eût raison; qu'ils demeureroient dans le pays, et qu'il leur donneroit encore du sien pour accroître le leur, pourvu qu'ils fussent ses hommes et qu'ils lui fissent hommage et fidélité. Les Lombards dirent qu'ils n'en feroient jamais rien, car ils avoient leur connétable, en qui ils avoient tout leur espoir.

62. Les députés que l'empereur avoit envoyés revinrent à l'empereur, et lui dirent : « Sire, si vous » voulez avoir la paix avec les Lombards, il con» vient avant tout que vous délivriez le comte de » Blandras, et qu'après vous le mettiez en pos» session de sa régence, et puis vous vous en irez » à Corthiac, et là vous feront-ils droit autant » comme ils le devront; et, s'il vous déplait de » séjourner à Corthiac, retournez à Constanti»nople, et là vous feront-ils la même chose, pour

63. Quant li empereres oï le mandement des Lombart, et le grant orguel qui fu en oes, fu si esmeus d'ire et de rage, qu'il ne desist un tout seul mot qui li donnaest grant chose. Il séoit adont al mangier; mais il s'en leva par si trésgrant air, qu'il trébucha par terre le maistre dois où il séoit, et puis jura que, puisque Lombart ne voloient envers lui faire pais ne acorde, il sara s'il arout pooir contre lui. Adonques comanda li empereres que si tret fuscent destendut; car il vaura, çou dist, jésir au pont; et a fait adonques crier par toute l'ost ke chascuns fust armés et apareilliés; puis chevauchiérent droit vers le pont de l'Arse, et li empereres a fait ses batailles rengier et ordener, si se plainst mult des Lombart à tous ses chevaliers. Et lors envoia li empereres chevaliers avant pour savoir se Lombart avoient le pont desfait, ou se il estoit encore tous entiers. Si fu envoyés Guillame de Sains et Guillame de Belines, Gossians li Moines, Ernous de Vilers, Gautiers de la Riviére, Robert de Boves; et chou fu chil que tous premiers passa outre le pont. Si y fu avoec Alars de Kieri, Guillame d'Arondiel et Raoul ses compains, et un chevaliers qui Pieres estoit apiélés, si estoit de la meisnie Guillame de Belines. Si y fut Cadous de Kieri et Gilles de Brebiére et Girous de Lemicourt.

64. Lors vinrent nostre gent et chevaliers au

» l'honneur des Lombards et des François; et ils >> vous mandent bien par nous qu'ils ne feront au>> tre chose. »>

65. Quand l'empereur ouït la réponse des Lombards et le grand orgueil qui étoit en eux, il fut si ému de colère et de rage qu'il ne prononça pas un seul mot; il étoit assis à table; mais il se leva si brusquement qu'il renversa par terre le siége où il étoit, et puis jura que, puisque les Lombards ne vouloient faire avec lui paix ni accord, il sauroit s'ils avoient pouvoir contre lui. Alors l'empereur commanda qu'on détendit ses pavillons, car il vouloit, ce dit-il, aller coucher au pont; il fit aussitôt crier par toute l'armée que chacun fût armé et préparé, puis on chevaucha droit vers le pont, et l'empereur fit ranger et ordonner ses batailles, et se plaignit moult des Lombards à lous ses chevaliers; et alors l'empereur envoya des chevaliers en avant pour savoir si les Lombards avoient défait le pont, ou s'il étoit encore tout entier. Si furent envoyés Guillaume de Sains et GuilJaume de Belines, Gossians-le-Moine, Ernous de Vilers, Gautiers de la Rivière, Robert de Boves, et ce furent eux qui tous les premiers passèrent au-delà du pont; aussi y allèrent Alars de Kieri, Guillaume d'Arondel et Raoul ses compagnons, et un chevalier appelé Pierre, qui étoit de la maison de Guillaume de Bélines. Aussi y furent

pont; et avoient arbalestriers avec iaus que li empereres y avoit envoyés. Si lor aida tant nostre Sires que il trouvérent le pont tout entier. Robert de Boves s'est mis desus tout premiérement, et tout li autre s'aroutérent aprés lui. Dont gardent par-devant iaus, si ont veu Lombart descendre qui lor venoient à l'encontre; et li nostre, come preu et hardi, les ont recoellies à lor glaves mout fiérement. Là ne fu mie Gossians li Moines come laniers, ains s'y prouva comme chevaliers preu et vaillans et poisans d'armes; et souvent recouvroient entour lui si compaignon. Et sachiés que mult y ot des autres ki mult furent preudome de lor cors à celui besoing, si comme Guillame de Sains, Rrnous de Vilers, Gautiers de la Riviére et Alars de Kieri. Et tant fisent par lor proéches que li pons fu détenus dusque adont que chil qui estoient arriére furent venu là. Nostre gent passérent le pont com chil qui bien en conquisent l'entrée par lor proéches; et si y ot un petit sergeant que on apieloit Capitiel, et, comme disent tout li nostre, çou fut un de ciaus qui là fussent, qui tout le miex le fist. Nostre gent coitièrent Lombart de si trés-prés, que il les fisent par droite fine forche rentrer ou chastel, et conquisent terre sur oes dusques à la maistre porte; et si abatirent mult de lor chevaliers, et retinrent. Mout part y ot trés-grant hustin à

Cadous de Kieri, et Gilles de Brebière, et Girous de Lemicourt.

64. Lors vinrent nos gens et chevaliers au pont ; avec eux étoient des arbalètriers que l'empereur y avoit envoyés. Notre Seigneur tant les aida qu'ils trouvèrent le pont tout entier. Robert de Boves s'élança le premier sur le pont, et tous les autres s'y acheminèrent après lui. Ils examinoient devant eux, et virent des Lombards descendre et venir à leur rencontre. Les nôtres comme preux et hardis les accueillirent moult fièrement avec leurs épées. Là, Gossians-le-Moine ne fut point comme un poltron, mais au contraire se montra comme chevalier preux et vaillant et puissant d'armes, et souvent ses compagnons se rallioient autour de lui. Et sachez qu'il y en eut plusieurs autres qui, dans cette occasion, furent moult prud'hommes de leur corps; tels Guillaume de Sains, Ernous de Vilers, Gautiers de la Rivière et Alars de Kieri. Et tant firent, par leurs prouesses, que le pont fut occupé jusqu'à ce que ceux qui étoient derrière y fussent arrivés. Les nôtres passèrent le pont, comme des gens qui en avoient conquis le passage par leurs prouesses; il y eut un petit ser gent qu'on appeloit Capitiel, et qui, comme le dirent tous les nôtres, fut un de ceux qui firent le mieux. Nos gens poursuivirent les Lombards de si près qu'ils les firent par belle force rentrer au châ

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