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grant joie que en ne pooit goute oïr, et en louoient NostreSeigneur, et disoient que il me cuidoient avoir perdu.

Nous n'eumes guères demouré illec, quant en fist lever l'un des plus riches homes qui là feust, et nous mena en un autre paveillon. Moult de chevaliers et d'autres gens tenoient les Sarrazins pris' en une court qui estoit close de mur de terre. De ce clos où il les avoient mis les fesoient traire l'un après l'autre, et leur demandoient : « Te weulz-tu renoier? » Ceulz qui ne se vouloient renoier, en les fesoit mettre d'une part et coper les testes; et ceulz qui se renoioient, d'autre part. En ce point nous envoia le soudanc son conseil pour parler à nous; et demandèrent à cui il diroient ce que le soudanc nous mandoit. Et nous leur deismes que il le deissent au bon conte Perron de Bretaingne. Il avoit gens illec qui savoient le sarrazinnois et le françois, que l'en appele drugemens', qui enromançoient 3 le sarrazinnois au conte Perron. Et furent les paroles teles: «< Sire, le soudanc nous envoie à vous pour savoir se vous vourriés estre délivrés? » Le conte respondi «< Oil. << Et que vous donrriés au 4 soudanc pour vostre délivrance. — « Ce que nous pourrions faire et souffrir par reson, » fist le conte. « Et donriés-vous, firent-il, pour vostre délivrance, nulz des chastiaus aus barons d'outre-mer? » Le conte respondi que il n'i avoit pooir; car en les tenoit de l'empereur d'Alemaingne, qui lor vivoit. Il demandèrent se nous renderions nulz des chastiaus du Temple ou de l'Ospital pour nostre délivrance. Et le conte respondi que ce ne pooit cstre; que, quant l'en y metoit les chastelains, en leur fesoit jurer sur sains, que pour délivrance de cors de homme, il ne renderoient nulz des chastiaus. Et il nous respondirent que il leur sembloit que nous n'avions talent 5 d'estre délivrez, et que il s'en iroient et nous envoieroient ceulz qui joueroient à nous des

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1 Les Sarrazins tenoient prisonniers plusieurs chevaliers, etc. Corrup tion du mot arabe tergumán, qui si

gnifie interprete. · 3 Enromancer: traduire en français.

vous donneriez,

4 Et ce que

5 Talent: désir.

espées, aussi comme il avoient fait aus autres. Et s'en alèrent. Maintenant que il s'en furent alez, se féri en nostre paveillon une grant tourbe de joenes Sarrazins, les espées caintes, et amenoient avec eulz un home de grant vieillesce, tout chanu', lequel nous fist demander se c'estoit voir que nous créions en un Dieu qui avoit esté pour nous navré et mort pour nous, et au tiers jour resuscité. Et nous respondimes : « Oyl. » Et lors nous dit que nous ne nous devions pas desconforter, se nous avions soufertes ces persécucions pour li; « car encore, ditil, n'estes-vous pas mort pour li, ainsi comme il fu mort pour vous; et, se il ot pooir de li resusciter, soiés certein que il vous délivrera, quant li pléra. » Lors s'en ala et touz les autres joenes gens après li, dont je fu moult lié; car je cuidoie certeinnement que il nous feussent venu les testes trancher. Et ne tarja guères après quant les gens le soudanc vinrent, qui nous distrent que le roy avoit pourchacié nostre délivrance.

Après ce que le vieil home s'en fu alé, qui nous ot réconfortez, revint le conseil le soudanc à nous, et nous dirent que le roy nous avoit pourchacié nostre délivrance, et que nous envoïons quatre de nos gens à li pour oyr comment il avoit fait. Nous y envoiames monseigneur Jehan de Walery le preudome, monseigneur Phelippe de Monfort, monseigneur Baudouyn dit Belin, séneschal de Cypre, et monseigneur Guion dit Belin, conestable de Cypre, l'un des miex entechez chevaliers que je veisse onques, et qui plus amoit les gens de cest pays. Ces quatre nous raportèrent la manière comment le roy nous avoit pourchacié nostre délivrance; et elle fu tele.

Le conseil au soudanc essaièrent le roy en la manière que il nous avoient essaiés, pour veoir se li roys leur vourroit promettre à délivrer nulz des chastiaus du Temple ne de l'Ospital, ne nulz des chastiaus aus barons du païs; et ainsi comme Dieu voult, le roy leur respondi tout en la manière que nous avions

Chanu chenu, blane. - Lisez là et au nom qui suit: d'Ibelin.

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respondu; et il le menacèrent et li distrent que puisque il ne le vouloit faire, que il le feroient mettre ès bernicles. Bernicles est le plus grief tourment que l'en puisse souffrir; et sont deux tisons' ploians, endentés au chief 2, et entre l'un en l'autre, et sont liés à fors corroies de boeuf au chief. Et quant il veulent mettre les gens dedans, si les couchent sus leur costez et leur mettent les jambes parmi les chevilles dedans; et puis si font asseoir un home sur les tisons, dont il ne demourra jà demi pié entier de os qu'il ne soit tout debrisiés. Et pour faire au pis que il peuent, au chief de troiz jours que les jambes sont enflées, si remettent les jambes enflées dedans les bernicles et rebrisent tout derechief. A ces menaces leur respondi le roy, que il estoit leur prisonnier et que il poroient fère de li leur volenté.

Quant il virent que il ne pourroient vaincre le bon roy par menaces, se revindrent à li et li demandèrent combien il voudroit donner au soudanc d'argent*, et avec ce leur rendît Damiete. Et le roy leur respondi que se le soudanc vouloit prenre résonnable somme de deniers de li, que il manderoit à la royne que elle les paiast pour leur délivrance. Et il distrent: Comment, est-ce que vous ne nous voulez dire que vous ferez ces choses? » Et le roy respondi que il ne savoit se la royne

«

Tisons: pièces de bois.

2 Garnis de dents à l'extrémité.

* Mathieu Paris (Hist. maj., ann. 1250; édit. de Paris, M. DC. XLIV., pag. 551-533) dit que le sultan proposa de retenir le roi et de l'envoyer au khalife de Bagdad, ou de le traîner en triomphe jusqu'au fond de l'Orient, afin de servir d'exemple aux autres princes chrétiens qui oseraient tenter de pareilles entreprises; mais le désir.qu'il eut de retirer de ses mains Damiette, défendue par le duc de Bourgogne et Olivier de Thermes, et où s'étaient sauvé le légat Eudes de Châteauroux, avec beaucoup d'autres prélats qui assistaient l'infortunée reine Marguerite, lui fit abandonner ce dessein pour tenter une ruse il fit revêtir ses troupes à la française, et les envoya devant Damiette, où l'on n'avait pas encore appris ces tristes nouvelles; mais la garnison reconnut bientôt les infidèles à leur démarche et à leurs visages basannés. Se voyant déçu, le sultan traita son captif avec plus de douceur, lui permit d'être servi par sa maison, et commença à lui proposer les conditions de sa délivrance.

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le vourroit faire, pour ce que elle estoit sa dame. Et lors le conseil s'en r'ala parler au soudane; et raportèrent au roy que se la royne vouloit paier dix cens mil besans d'or, qui valoient cinc cens mil livres il délivreroit le roy. Et le roy leur deque 9 manda par leur seremens se le soudanc les délivreroit pour tant, se la royne le vouloit faire. Et il r'alèrent parler au soudanc; et au revenir firent le serement au roy, que il le délivreroient ainsi. Et maintenant que il orent juré, le roy dit et promist aus amiraus que il paieroit volentiers les cinc cent mil livres pour la délivrance de sa gent, et Damiete pour la délivrance de son cors; car il n'estoit pas tel que il se deust desraimbre à deniers'. Quant le 'soudanc oy ce, il dit : Par ma foy! larges est le Frans quant il n'a pas bargigné sur si grant somme de deniers. Or li alés dire, fist le soudanc, que je li donne cent mil livres pour la reançon paier.

Lors fist estre le soudanc les riches homes en quatre galies, pour mener vers Damiete. En la galie là où je fu mis, fu le bon conte Pierre de Bretaingne, le conte Guillaume de Flandres, le bon conte Jehan de Soissons, monseigneur Imbert de Biaugeu, connestable de France; le bon chevalier monseigneur Jehan d'Ybelin et monseigneur Gui, son frère, i furent mis. Cil qui nous conduisoient en la galie, nous arrivèrent devant une herberge que le soudane avoit fet tendre sur le flum, de tel

Qu'il se dût racheter à prix d'argent.

Le besant était une monnaie d'or des empereurs d'Orient, ainsi appelée du nom de Bysantium, qui est le premier nom de la ville de Constantinople, et valant à peu près neuf francs cinquante centimes de notre mon naie. Voyez le Traité historique des Monnoyes de France, de le Blanc, pag. 158.) Les quatre cent mille besants seraient donc représentés aujourd'hui par une somme de sept millions six cent mille francs.

L'extrait d'un registre de la chambre des comptes de Paris marque que la rançon de saint Louis monta à la somme de 167,102 livres, 18 sous, 8 deniers tournois, laquelle somme fut prise sur les deniers de son hôtel, Le surplus des 400 mille livres qui était le prix de la rançon, puisque le sultan avait eu la générosité d'en rabattre cent mille livres, fut pris des leniers destinés aux dépenses de la guerre.

manière comme vous orrez. Devant celle herberge avoit une tour de parches de sapin et close entour de telle tainte', et la porte estoit de la herberge; et dedans celle porte estoit un paveillon tendu, là où les amiraus, quant il aloient parler au soudanc, lessoient leur espées et leur harnois. Après ce paveillon r'avoit une porte comme la première, et par celle porte entroit l'en en un grant paveillon qui estoit la sale au soudanc. Après la sale avoit une tel tour comme devant, par laquelle l'en entroit en la chambre le soudanc. Après la chambre le soudané, avoit un prael, et enmi le prael avoit une tour plus haute que toutes les autres, là où le soudanc aloit veoir tout le pays et tout l'ost. Du prael movoit 3 une alée qui aloit au flum, là où le soudane avoit fait tendre en l'yaue un paveillon pour aler baigner. Toutes ses herberges estoient closes de trellis de fust 4, et par dehors estoient les treillis couvers de toilles yndes, pour ce que ceulz qui estoient dehors ne peussent veoir dedans; et les tours toutes quatre estoient couvertes de telle.

Nous venimes le jeudi devant l'Ascencion en ce lieu là où ces herberges estoient tendues. Les quatre galies là où entre nous estions en prison, entra 5 ou devant de la herberge le soudanc. En un paveillon qui estoit assez près des herberges le soudanc, descendi-on le roy. Le soudanc avoit ainsi atiré, que le samedi devant l'Ascencion en li rendroit Damiete, et il rendroit le roy.

Li amiraut que le soudanc avoit osté de son conseil pour mettre les siens que il ot amenez d'estranges terres, pristrent conseil entre eulz; et dit un sage home sarrazin en tel manière : « Seigneur, vous véez la honte et la déshoneur que le soudanc nous fait, que il nous oste de l'honeur là où son père nous avoit mis. Pour laquel chose nous devons estre certeins que, s'il se treuve dedans la forteresce de Damiete, il nous fera =prenre et mourir en sa prison, aussi comme son aieul fist aus amiraus qui pristrent le conte de Bar, le conte de Monfort; et

Telle tuinte: toile peinte. 'Prael: préau. -3 Moroit: partait.

-Fust bois. 5 Lisez ancra-on, c'est-à-dire on ancra, on fit mouiller.

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