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A son bon seigneur Looys *, filz du roy de France, par l grace de Dieu roy de Navarre, de Champaigne et de Bie conte palazin, Jehan sire de Joinville, ** son seneschal de Champaigne, salut et amour et honneur et son servise appa reillé. Chier sire, je vous foiz 2 à savoir que madame la royne vostre mère *** qui moult m'amoit, à cui Dieu bonne merci face 3, me pria si à certes comme elle pot 4, que je li feisse faire un livre des saintes paroles et des bons faiz nostre roy 5 saint Looys; et je les y oi en couvenant 6, et à l'aide de Dieu le livre est assouvi 7 en deux parties.

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La première partie si devise comment il se gouverna tout son tens selonc Dieu et selonc l'Église, et au profit de son règne.

La seconde partie du livre si parle de ses granz chevaleries

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* Louis le Hutin, qui n'était alors que roi de Navarre, et qui parvint à la couronne de France après la mort de Philippe le Bel, son père, arrivée en 1314.

** Entre les familles qui ont tenu les premiers rangs à la cour des comtes de Champagne, celle de Joinville fut l'une des plus illustres, tant par l'antiquité de son extraction que par la noblesse de ses alliances. Wassebourg et des Rosiers la font descendre de Geoffroy, neveu du grand duc de Bouillon, qui eut pour partage la seigneurie de Joinville, petite ville de Champagne, située sur la rivière de Marne, entre Chaumont et Saint-Dizier. *** Jeanne de Navarre, femme de Philippe le Bel, morte en 1304.

HIST. DE SAINT LOUIS.

I

du royaume bien et loialment, que que tu le gouvernasses mal apertement. » Le saint ama tant vérité que neis 1 aus Sarrazins ne voult-il pas mentir de ce que il leur avoit en convenant, si comme vous orrez ci-après. De la bouche fu-il si sobre, que onques jour de ma vie je ne li oy deviser nulles viandes2, aussi comme maint richez homes font; ainçois manjoit pacientment ce que ses queus 3 li appareilloient devant li. En ses paroles fu-il attrempez4; car onques jour de ma vie je ne li oy mal dire de nullui, ne onques ne li oy nommer le dyable, lequel nons 5 est bien espandu par le royaume : en ce que je croy qui ne plait mie à Dieu. Son vin trempoit par mesure, selonc ce qu'il véoit que le vin le pooit 7 soufrir. Il me demanda en Cypre pourquoy je ne metoie de l'yaue en mon vin, et je li diz que ce me fesoient les phisiciens 3, qui me disoient que j'avoie une grosse teste et une froide fourcelle 9, et que je n'en avoie pooir de cnyvrer. Et il me dist que il me décevoient; car, se je ne l'apprenoie en ma joenesce, et je le vouloie temprer en ma vieillesce, les goutes et les maladies de fourcelle me prenroient, que jamez n'auroie santé; et se je bevoie le vin tout pur en ma vieillesce, je m'enyvreroie touz les soirs; et ce es-, toit trop laide chose de vaillant home de soy enyvrer.

11 me demanda se je vouloie estre honorez en ce siècle et avoir paradis à la mort, et je li diz oyl 10. Et il me dit : « Donques vous gardez que vous ne faites ne ne dites à vostre escient nulle riens, que se tout le monde le savoit, que vous ne peussiez congnoistre ", je ai ce fait, je ai ce dit. »

Il me dit que je me gardasse que je ne desmentisse, ne ne desdeisse nullui de ce que il diroit devant moy, puis que je n'i auroie ne péchié ne doumage ou souffrir, pour ce que des dures paroles meuvent les mellées dont mil homes sont mors.

Il disoit que l'en devoit son cors vestir et amer en tele ma

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I

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nière, que les preudeshomes de cest siècle ne deissent que il en feist trop, ne que les joenes homes ne deissent que il feist pou 3. Et ceste chose me ramenti 4 le père le roy 5 qui orendroit 6 est, pour les cotes brodéez à armer* que en fait hui et le jour, et li disoie que onques en la voie d'outremer là où je fuz, je n'i vi cottes brodées, ne les roy ne les autrui 7. Et il me dit qu'il avoit tiex atours brodez de ses armes, qui li avoient cousté huit cens livres de parisis. Et je li diz que il les eust miex emploiés se il les eust donnez pour Dieu, et eust fait ses atours de bon cendal 9 enforcié de ses armes, si comme son père faisoit. Il m'apela une foiz et me dist : « Je n'ose parler à vous pour le soutil 1o senz dont vous estes de chose qui touche à Dieu; et pour ce ai-je appelé ses frères qui ci sont, que je vous weil faire une demande. » La demande fu tele: « Séneschal, fistil, quel chose est Dieu? » Et je li diz : « Sire, ce est si bonne chose que meilleur ne peut estre. » — « Vraiement, fist-il, c'est bien respondu; que ceste response que vous avez faite, est escripte en cest livre que je tieing en ma main. Or vous de mandé-je, fist-il, lequel vous ameriés miex, ou que vous feussiés mesiaus12, ou que vous eussiés fait un péchié mortel. » Et je, qui onques ne li menti, li respondi que je en ameraie miex avoir fait trente, que estre mesiaus. Et quant les frères s'en furent partis, il m'appela tout seulet, me fist seoir à ses piez,

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*La cotte d'arme a été le vêtement le plus ordinaire des anciens Gaulois; il était appelé par eux sagum, d'où nous avons emprunté les mots de saye et de sayon. Sa forme était comme celle des tuniques de nos diacres. Les barons et les chevaliers portaient ordinairement la cotte d'arme de drap d'or et d'argent fourré d'hermine, de vair, etc. L'abus qui se glissa avec le temps de ces sortes d'habillements vint à un tel excès, particulièrement dans les voyages d'outremer, qu'on en interdit l'usage. Saint Louis lui-même s'abstint en Palestine de porter l'écarlate, le vair et l'hermine, selon le témoignage du sire de Joinville.

et me dit : « Comment me deistes-vous hier ce? » Et je li diz que encore li disoie-je, et il me dit : « Vous deistes comme hastis musarz'; car nulle si laide mezelerie n'est comme d'estre en péchié mortel, pour ce que l'ame qui est en péchié mortel est semblable au dyable : par quoy nulle si laide meselerie ne peut estre. Et bien est voir 2 que quant l'omme meurt, il est guérie de la meselerie du cors; mès quant l'omme qui a fait le péchié mortel meurt, il ne sceit pas ne n'est certeins que il ait eu tele repentance que Dieu li ait pardonné; par quoy grant poour doit avoir que celle mezelerie li dure tant comme Diex yert 3 en paradis. Ci vous pri, fist-il, tant comme je puis, que vous metés votre cuer à ce, pour l'amour de Dieu et de moy, que vous amissiez miex 4 que tout meschief avenit au cors, de mezelerie et de toute maladie, que ce que le péchié mortel venist à l'ame de vous. »

Il me demanda se je lavoie les piez aux povres le jour du grant jeudi 5: « Sire, dis-je, en maleur 6, les piez de ces vilains ne laverai-je jà. » — « Vraiement, fist-il, ce fu mal dit; car vous ne devez mie avoir en desdaing ce que Dieu fist pour nostre enseignement. Si vous pri-je pour l'amour de Dieu, remier, et pour l'amour de moy, que vous les acoustume à laver. »

Il ama tant toutes manières de gens qui Dieu créoient et amoient, que il donna la connestablie de France à monseigneur Gilles le Brun* qui n'estoit pas du royaume de France,

1 Vous parlez comme un étourdi qui se hâte (trop). —2 Voir: vrai. —3 Yert sera. Miex: mieux. 5 Du jeudi

saint --
En maleur: no vraiment
-7 Que vous preniez l'habitude.

* C'était le surnom de Gilles, seigneur de Trisegnies, connétable de Flandre, qui mourut dans l'expédition de Constantinople, l'an 1204, selon Geoffroi de Villehardouin. Saint Louis éleva Gilles le Brun, son fils, à la dignité de connétable après la mort d'Imbert de Beaujeu. Claude Menard, ainsi que d'autres, d'après du Tillet, se sont mépris quand ils ont avancé que Gilles de Trasegnies le père était de la famille de Lusignan, à cause du surnom de le Brun, qui y fut commun et familier; mais il est probable que ce fut plutôt un sobriquet venant de la couleur de ses cheveux, qui servit à le distinguer de son père, porteur du même nom.

pour ce qu'il estoit de grant renommée de croire Dieu et amer. Et je croy vraiement que tel fu-il.

Maistre Robert de Cerbone *, pour la grant renommée que il avoit d'estre preudomme, il le faisoit manger à sa table. Un jour avint que il manjoit delez' moy l'un à l'autre ; et nous reprist et dit : «< Parlés haut, fist-il, car voz compaignons cuident que vous mesdisiés d'eulz. Se vous parlés au manger de chose qui vous doie plaire, si dites haut; ou, se ce non 2, si vous taisiés. » Quant le roy estoit en joie, si me disoit : « Séneschal, or me dites les raisons pour quoy preudomme vaut miex que beguin. » Lors si encommençoit la tençon 3 de moy et de maistre Robert. Quant nous avions grant piesce desputé, si rendoit sa sentence et disoit ainsi : «.Maistre Robert, je vourroie 4 avoir le non de preudomme, mès que je le feusse, et tout le remenant 5 vous demourast; car preudomme est si grant chose et si bonne chose, que, neis au nommer, emplistil la bouche. »

།། བ

Au contraire, disoit-il que male chose estoit de prendre de l'autrui; car le rendre estoit si grief, que neis au nommer, le rendre escorchoit la gorge par les erres 6 qui y sont, lesquiex sénefient les ratiaus au diable, qui touz jours tire arière vers iceulz qui l'autrui chatel weulent rendre. Et si soutilment le fait le dyable, car aus grans usuriers et aus granz robeurs 9, les attice-il si que il leur fait donner pour Dieu ce que il devroient rendre. Il me dist que je deisse au roi Tibaut de par li, que

1 Delez: près de. - 2 Se ce non • si cela n'est pas. - Tençon: dispute. - Je vourroie je voudrais. - Re

menant reste,
fient signifient.
là le mot cheptel.

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6 Les rr. - Séne8 Chotel: bien. De -9 Robeur: voleur.

* Fondateur du collège de Sorbonne, ainsi appelé de son nom; nous avons de lui quelques petits traités au 3e tome de la Bibliothèque des pères. * Saint Louis mettait de la différence entre preudhomme et preuhomme, en ce que le premier signifiait un homme prudent, de bonne conscience et craignant Dieu, et que preuhomme était un homme preux. Saint Louis s'est donc arrêté à la signification que ce mot avait de son temps, ou plutôt a regardé à la manière dont il se prononçait.

* Thibaut II roi de Navarre, qui avait épousé Isabelle fille de saint Louis.

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