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I

jeu, connestable de France, qui n'estoit pas là; ainçois estoit au dehors de l'ost, entre li et le mestre des arbalestriers *, à tout le plus des serjans à armes le roy, à garder nostre ost, que les Turs n'i feissent doumage. Or avint que mons Gauchier d'Autreche se fist armer en son paveillon de touz poins, et quant il fu monté sus son cheval, l'escu au col, le hyaume en la teste, il fist lever les pans de son paveillon et feri des esperons pour aler aus Turs; et au partir que il fist de son paveillon, tout seul, toute sa mesnie3 escria: Chasteillon! Or avint ainsi que, avant que il venist aus Turs, il chaï, et son cheval li vola parmi le cors, et s'en ala le cheval couvert de ses armes à nos ennemis, pour ce que le plus des Sarrazins estoient montez sur jumens, et pour ce trait le cheval aus Sarrazins 4. Et nous contèrent ceulz qui le virent, que quatre Turs vindrent par le seigneur Gaucher qui se gisoit par terre; et, au passer que il fesoient par devant li, li donnoient grant cops de leur maces là òù il gisoit. Là le rescourent 5 le connestable de France et plusieurs des sergans le roy, avec li qui le ramenèrent par les bras jusques à son paveillon. Quant il vint là, il ne pot parler; pluseurs des cyrurgiens et des phisiciens de l'ost alèrent à li; et pour ce que il leur sembloit que il n'i avoit point de péril de mort, il le firent seigner de deux bras. Le soir tout tart, me dit monseigneur Aubert de Narcy que nous l'alissons veoir, pour ce que nous ne l'avions encore veu, et estoit home de grant non et de grant valeur. Nous entrames en son paveillon, et son chamberlanc nous vint à l'encontre pour ce que nous allissiens belement, et pour ce que nous ne esveillissiens son mestre.

Avec la plus grande partie.

2 Serjans à armes le roy sergents d'armes du roi, 3 Mesnie: maison,

famille, vassaux. 4 Le cheva! se retira du côté des Sarrasins. - 5 Rescourent secoururent.

*Thibaut de Montléart eut cette qualité sous saint Louis. Il est nommé entre les grands seigneurs du royaume dans un arrêt de l'an 1270, rapporté par du Tillet.

Nous le trouvames gisant sus couvertouers de menu vert *, ci nous traïmes tout souef vers li', et le trouvames mort Quan! en le dit au roy, il respondit que il n'en vourroit mie avoir tiex mil, puis que il ne vousissent ouvrer de son commandement aussi comme il avoit fait.

Les Sarrazins à pié entroient toutes les nuiz en l'ost, et oc cioient les gens, là où il les trouvoient dormans: dont il avint que il occistrent la gaite 2 au seigneur de Courtenay, et le lessèrent gisant sur une table, et li copèrent la teste et l'emportèrent; et ce firent-il pour ce que le soudanc donnoit de chascune teste des chrestiens un besant d'or. Et ceste persecu tion avenoit pour ce que les batailles guetoient, chascun à son soir, l'ost, à cheval; et, quant les Sarrazins vouloient entrer en l'ost, il attendoient tant que les frains des chevaus et des batailles estoient passées; si se metoient en l'ost par darières les dos des chevaus, et r'issoient avant que jours feust. Et pour ce ordena le roy que les batailles qui soloient 3 guietier à cheval, guietoient à pié; si que tout l'ost estoit asseur de nos gens qui guietoient 4, pour ce que il estoient espandu en tel manière que l'un touchoit à l'autre.

3

Après ce que ce fu fait, le roy ot conseil que il ne partiroit de Damiete, jusques à tant que son frère, le conte de Poitiers **. seroit venu, qui amenoit l'arière-ban de France; et pour ce que les Sarrazins ne se ferissent par mi l'ost à cheval, le roys

Et nous nous approchâmes tout doucement de lui. 2 Guite

senti

nelle. Soloient : avaient coutume.

4 De telle manière que toute l'armée se reposait sur la foi, etc.

* En ce temps-là, les couvertures de lits étaient ordinairement faites de peaux de prix, d'où vient que les auteurs les comptent parmi les plus riches meubles.

** Vincent de Beauvais dit qu'Alphonse, comte de Poitiers, demeura en France avec Blanche, mère du roi, pour gouverner le royaume durant son absence, et que, vers la fête de la Saint-Jean, l'an 1249, il se mit en chemin avec une puissante armée, s'embarqua à Aigues-Mortes, le lendemain de la Saint-Barthélemy, et arriva à Damiette, le dimanche avant la fête de saint Simon et saint Jude. Guillaume de Nangis dit la même chose.

fist clorre tout l'ost de grans fossés, et sus les fossés gaitoient arbalestriers touz les soirs, et serjans, et aus entrées de l'ost

aussi.

Quant la Saint-Remy fu passée, que en n'oy nulles nouvelles du conte de Poitiers, dont le roy et touz ceulz de l'ost furent à grant messaise1; car il doutoient que aucun meschief ne li feust avenu : lors je ramentu le légat comment le dien de Malrut nous avoit fait trois processions en la mer, par trois samedis, et devant le tiers samedi nous arrivames en Cypre. Le légat me crut et fist crier les trois processions en l'ost par trois samedis. La première procession commença en l'ostel du légat, et alèrent au moustier Nostre-Dame en la ville; lequel moustier estoit fait en la mahommerie* des Sarrazins, et l'avoit le légat dedié en l'onneur de la Mère Dieu. Le légat fist le sermon par deux samedis. Là fu le roy et les riches homes de l'ost, ausquiex le légat donna grant pardon.

Dedans le tiers samedi vint le conte de Poitiers, et ne fu pas mestier3 que il feust avant venu; car dedans les trois samedis fu si grant baquenas 4 en la mer devant Damiete, que il y ot bien douze vins vessiaus, que grans que petiz, brisiez et perdus à tout les gens qui estoient dedans, noyez et perdus ; dont, se le conte de Poitiers feust avant venu, et il et sa gent eussent esté touz confondus.

Quant le conte de Poitiers fu venu, le roy manda touz ses barons de l'ost, pour savoir quel voie il tendroit, ou en Alixandre, ou en Babiloinne; dont il avint ainsi que le bon conte Pierre de Bretaingne et le plus des barons de l'ost s'acordèrent que e roy alast assicger Alixandre; que devant la ville avoit bon

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* C'est-à-dire la mosquée. En 1219, lors de la seconde prise de Damiette, temple des infidèles avait été changé par le légat en une église, sous l'infocation de Notre-Dame, comme nous l'apprend Jacques de Vitry. GuilLume Guiart, dans sa branche des royaux Lignages, rapporte qu'en 1249, saint Louis ou plutôt le légat, le fit dédier de rechef sous le nom de NotreDame.

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port, là où les nez arrivent, qui apportent les viandes en l'ost. A ce fu le conte d'Artois contraire, et dit ainsi que il ne s'acorderoit jà que en l'alast mais que en Babiloinne, pour ce que c'estoit le chief' de tout le royaume d'Égypte; et dit ainsi que qui vouloit tuer premier la serpent, il li devoit esquacher le chief. Le roy lessa touz les autres conseulz 3 de ses barons et se tint au conseil de son frère.

En l'entrée des advens se esmut le roy et l'ost pour aler vers Babiloinne, ainsi comme le conte d'Artois l'avoit loé. Assez près de Damiete trouvames un flum 4 qui issoit de la grant rviere; et fu ainsi acordé que l'ost séjourna un jour pour boucher ledit braz, par quoy en peust passer. La chose fu faite assez 'egierement; car l'en boucha ledit bras rez à rez 5 de la grant riviere. A ce flum passer envoia le soudanc cinq cens de ses che valiers, les miex montez que il pot trouver en tout son host, pour aidier l'ost le roy, pour delaier nostre alée 7.

Le jour de la Saint-Nicholas, commenda le roy que il s'atirassent pour chevaucher, et deffendi que nulz ne feust si hardi que il poinsist à ces Sarrazins qui venus estoient. Or avint que, quant l'ost s'esmut pour chevaucher, et les Turs virent que l'en ne poindrent pas à eulz, et sorent par leurs espies 9 que le roy l'avoit deffendu, il s'enhardirent et assemblèrent aus Templ qui avoient la première bataille 1o; et l'un des Turs porta un des chevaliers du Temple à terre, tout devant les piez du cheval, frère Renaut de Bichiers qui estoit lors marechal du Temple. Quant il vit ce, il escria à ses frères : « Or à eulz, de par Dieu! car ce ne pourroie-je plus souffrir. » Il feri des esperons et tout l'ost aussi les chevaus à nos gens estoient frez, et les che

iChief: capitale. -211 lui devait écraser la tête-3 Conseulz: conseils. - Flum: fleuve, courant d'eau. 5 Rez à rez: à la hauteur. 6 Lisez : hardier ou hardoier, c'est-à-dire harceler; cependant l'édition de du Cange porte Que fist le souldan? il envoya devers le roy, cuidant le faire par cautelle, cinq cens de ses chevaliers

des mieulx montez qu'il sceut choisir, disans au roy qu'ils estoient venus pour le secourir, lui et tout son ost, mais c'étoit seulement pour delaier nostre venue. Pour mettre un délai à notre passage. 8 Poinsist: combattit. Et surent par leurs espions.10 Bataille: bataillon.

vaus aus Turs estoient jà foulez; dont je oy recorder que nul n'en y avoit eschappé, que touz ne feussent mort; et pluseurs d'eulz en estoient entré ou flum et furent noyez.

Il nous couvient premièrement parler du flum qui vient de Égypte et de Paradis terrestre ; et ces choses vous ramentoifje pour vous fere entendant aucunes choses qui affièrent à ma matière. Ce fleuve est divers de toutes autres rivières; car quant viennent les autres rivières aval, et plus y chieent de petites rivières et de petiz ruissiaus; et en ce flum n'en chiet nulles: ainçois avient ainsi que il vient tout en un chanel 'jusques en Egypte, et lors gete de li ses branches qui s'espandent parmi Egypte. Et quant ce vient après la Saint-Remy, les sept rivières s'espandent par le païs et cuevrent les terres pleinnes; et quant elles se retraient, les gaungueurs 2 vont chascun labourer en sa terre à une charue sanz rouelles; de quoy il treuvent dedens la terre les fourmens, les orges, les comminz 3, le ris, et vivent si bien que nulz n'i sauroit qu'amender4; ne ne scet l'en dont celle treuve 5 vient, mez que de la volenté Dieu; et, se ce n'estoit, nulz biens ne venroient ou païs, pour la grant chaleur du solleil qui ardroit tout, pour ce que il ne pluet nulle foiz ou payz. Le flum est touzjours trouble, dont ceulz du païs, qui boire en welent, vers le soir le prennent et esquachent quatre amendes ou quatre fèves ; et lendemain est si bone à boire que rien n'i faut 7. Avant que le flum entre en Egypte, les gens qui ont acoustumé à ce faire, getent leur roys & desliées parmi le flum, au soir; et, quant ce vient au matin, si treuvent en leur royz cel avoir de poiz 9 que l'en aporte en ceste terre, c'est à savoir gingimbre, rubarbe, lignaloecy 1o et canele; et dit l'en que ces choses viennent de paradis terrestre, que le vent abat des arbres qui sont en paradis, aussi comme le vent abat en la

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