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Le dimanche suivant, Monseigneur le Pape fit une ordination et imposa les mains à trois évêques.

Rabban Çauma et ses compagnons virent ainsi leurs usages et prirent part avec eux à ces saintes fêtes 1.

Après ces fêtes, Rabban Çauma demanda à Monseigneur le Pape la permission de retourner.

Celui-ci lui dit : « Nous voulons que tu restes chez nous; tu seras avec nous, nous te garderons comme la prunelle de nos yeux. »

› Rabban Çauma répondit : « Pour moi, ô Père, je suis venu en ambassade auprès de vous; mais si je retourne et que j'expose aux rois de là-bas les bienfaits que vous m'avez accordés, tout indigne que je suis, je crois qu'il en résultera pour les chrétiens une grande tranquillitė. Or, je prie Votre Sainteté de daigner m'accorder quelque peu des reliques qui se trouvent chez vous. >>

Monseigneur le Pape lui dit : « Si nous avions la coutume de donner de ces reliques à chacun, alors même qu'elles eussent été grandes comme des montagnes, elles seraient épuisées; mais, puisque tu es venu des pays lointains, nous t'en donnerons un peu. »

Il lui donna une petite parcelle du vètement de Notre-Seigneur le Christ; une du mouchoir, c'est-à-dire du voile de Madame Marie, et des petites parties des reliques des saints qui se trouvaient là.

Il envoya à Mar Jabalaha le Catholique sa propre tiare 2, en or pur, ornée de pierres précieuses, des ornements sacrés couleur de pourpre, tissus d'or, des bas et des souliers enrichis de petites perles précieuses et aussi l'anneau de son doigt et une lettre patente, qui contenait l'autorité patriarcale sur tous les Orientaux. Il donna à Rabban Çauma une patente de visiteur sur tous les chrétiens et le bénit. Il lui fit remettre pour les dépenses de la route mille cinq cents mithqals d'or rouge.

1. Pâques se trouvait cette année là (1288) le 28 mars.

2. Ceci paraitra moins extraordinaire si on se rappelle que la tiare papale ne différait pas beaucoup alors, par sa forme, de celle en usage chez les évèques orientaux, car à cette époque elle ne se composait que d'une seule couronne et non pas de trois comme aujourd'hui. La seconde fut ajoutée par le pape Boniface VIII († 1303) et la troisième par Benoit XII († 1342).

Il envoya également au roi Argoun quelques présents '. Il embrassa et baisa Rabban Çauma et le congédia. Rabban Çauma rendit grâces à Notre-Seigneur de ce qu'il l'avait jugé digne de tels bienfaits.

Rabban Çauma revient de Rome, de chez Monseigneur le Pape, Catholique, Patriarche des pays romains et de tous les Occidentaux 2.

Il revint en passant les mêmes mers qu'à l'aller, et arriva en paix, le corps sain et l'âme préservée, près du roi Argoun. Il lui remit les écrits de bénédiction et les présents qu'il lui apportait de la part de Monseigneur le Pape et de tous les rois des Francs; il lui exposa avec quelle affection ils l'avaient reçu et comment ils avaient accueilli favorablement les propositions qu'il leur avait transmises; il raconta les merveilles qu'il avait vues et la puissance de leur royaume.

Le roi Argoun se réjouit et tressaillit d'allégresse. Il remercia Rabban Çauma et lui dit : « Nous t'avons causé beaucoup de fatigues, car tu es un vieillard; désormais, nous ne te laisserons plus te séparer de nous; mais nous ferons élever, à la porte de notre résidence royale, une église dans laquelle tu feras l'office et la prière. »

Rabban Çauma dit au prince: « S'il plaît à Monseigneur le Roi, qu'il ordonne au patriarche Mar Jabalaha de venir recevoir les présents qui lui sont envoyés par Monseigneur le Pape, ainsi que les ornements sacrés qu'il lui a destinės; luimême fera construire l'église que le roi veut élever à la porte de sa résidence et la consacrera. »

Les choses se passèrent ainsi.

Comme nous ne nous sommes pas proposé de raconter ou de transcrire tout ce que Rabban Çauma a fait ou a vu, nous avons omis beaucoup de ce qu'il avait écrit lui-même en persan; et, parmi les choses que nous avons citées ici, les unes.

1. Nous donnerons, dans notre Étude sur les relations du roi Argoun, le texte des lettres remises par le pape à Rabban Çauma pour le roi et le patriarche, et nous y étudierons de plus près ces intéressants documents.

2. Ces mots, comme il est facile de s'en apercevoir, font partie du texte original.

sont plus abrégées, les autres moins, selon que les circonstances l'exigeaient.

CHAPITRE VIII

BIENFAITS DU ROI ARGOUN; SA MORT.

L'an 1598 des Grecs ', le roi Argoun donna ordre de faire venir au camp le Catholique Mar Jabalaha, comme Rabban Çauma l'avait demandé. Pour l'honneur du Catholique et la consolation de tous les chrétiens qui confessent le Christ, et pour accroître leur affection à son égard, Argoun fit élever l'église très proche de la tente royale, au point que les cordes de celle-ci s'enchevêtraient avec celles de l'église.

Il donna un grand festin qui dura trois jours; lui-même personnellement servit à manger au Catholique et lui présenta la coupe ainsi qu'à ceux qui l'accompagnaient. Or, beaucoup d'évêques, de pères saints, de prêtres, de diacres, de moines, persévéraient dans les veilles et l'office sacré, car le roi Argoun avait ordonné que le son de la cloche ne cessât pas dans cette église.

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L'honneur des chrétiens, tant Orientaux qu'Occidentaux, fut si haut placé que tous unanimement s'écriaient : « Bėni soit le Seigneur qui nous a enrichis! Le Seigneur a visité son peuple et lui a procuré le salut! »

Quand le camp changeait de place, les prêtres transportaient aussi l'église et tout ce qui en dépendait *.

1. Cette date, qui nous reporte à l'année 1287 de notre ère, est une erreur évidente, comme le fait observer M. BEDJAN. Rabban Çauma quitta Rome après les fêtes de Pâques 1288; il a donc dù arriver au camp d'Argoun à l'automne, c'est-à-dire au commencement de l'année 1600 des Grecs. Cette erreur se répète encore deux fois, un peu plus bas, où on lit 1599 et 1600 des Grecs, au lieu de 1601 et 1602, puis elle disparait et le récit présente de nouveau les vraies dates. 2. Il ne s'agit pas d'une véritable cloche, mais de l'instrument dont on se sert encore dans beaucoup d'églises orientales pour appeler les fidèles à l'office. Il consiste dans une simple planche de bois, suspendue par des cordes, que l'on fait résonner en la frappant à l'aide d'un marteau également en bois. 3. ZACH., XI, 5. LUC, 1, 68.

4. On saisira mieux le sens de ces passages en les rapprochant des lignes suivantes tirées du tableau que D'OHSSON (Hist. des Mongols, I, p. 12 et suiv.) a tracé, d'après les récits des voyageurs, des mœurs et des usages mongols : « Les Mongols habitaient des huttes construites avec des claies de la hau

Rabban Çauma fut le recteur de cette église, le procureur et l'administrateur qui distribuait le traitement aux prêtres, aux diacres, aux employés et aux intendants. Le roi Argoun, en effet, avait ordonné, à cause de sa grande affection pour Rabban Çauma, qu'on ne cessât de dire la messe et de prier pour lui'.

L'année suivante, c'est-à-dire l'année 1599 des Grecs, au mois d'Iloul (septembre), le roi Argoun se rendit à la résidence de la ville de Maragha, pour voir Monseigneur le Catholique. Il avait fait baptiser son fils au mois d'Ab (août) et voulait lui faire recevoir la sainte communion.

La prédication vivifiante de l'Évangile grandit et la bonne nouvelle du royaume des cieux fut répandue par tout l'univers, au point que l'on venait de tous côtés à la résidence du patriarche pour en obtenir des secours, et que ce n'étaient plus seulement les chrétiens confessant la foi qui venaient solliciter l'appui de Monseigneur le Catholique pour obtenir ce qu'ils désiraient.

Peu de temps s'était écoulé depuis les choses que nous venons de raconter, lorsque le Dieu tout puissant, maître de la mort et du trépas, transporta le roi Argoun au festin

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teur d'un homme, posées en cercle et supportant des perches dont les extrémités étaient fixées dans un anneau de bois. On couvrait ce mince échaffaudage de pièces de feutre liées ensemble et assujetties par des cordes de crin qui entouraient la hutte. La portière, également en feutre, était toujours tournée vers le midi. Le cercle supérieur restait ouvert pour donner passage à l'air et à la fumée du foyer qui occupait le centre de cette habitation où se tenait toute une famille. Leurs troupeaux qui consistaient en chameaux, bœufs, moutons, chèvres et surtout en chevaux, fournissaient à leur subsistance et composaient toute leur richesse... La nourriture de leurs troupeaux (et aussi le climat) obligeait ces peuples pasteurs à émigrer sans cesse. Dès que le district où ils se trouvaient était épuisé d'herbages, on défaisait les huttes, on en chargeait le dos des animaux qui transportaient aussi les meubles, les ustensiles de ménage, les plus jeunes enfants, et la horde allait chercher de nouveaux pâturages... »

Le camp royal n'était en réalité que le lieu de campement du prince et de ses principaux chefs, dont les migrations ne différaient pas beaucoup de celle qui vient de nous être décrite.

1. On lit dans la note de Buscarel: « Jour de Pâques proche passé, ledit Argoun fit chanter la messe en une chapelle qu'il fait porter à soi à Rabanata, évêque nestorin, que l'autre an vous vint en message ».

2. Lire 1601 (1289). Voir ci-dessus, page 94, note 1.

3. Ceci est confirmé par le témoignage des ambassadeurs d'Argoun près du pape Nicolas IV qui l'en félicite dans une lettre que nous reproduirons. Il s'agit de son troisième fils Kharbandé, né en 1281, qui devint plus tard roi sous le nom de Oldjaïtou. Voir ci-dessous, chap. XVII.

joyeux dans le sein d'Abraham '. Ce trépas plongea dans le deuil toute l'Église qui est sous les cieux; car les affaires qui avant lui étaient en mauvais état furent bien conduites de son temps 2.

Qui donc ne s'affligerait du changement de royauté? Comment cet événement ne serait-il pas pénible pour tous et difficile à exprimer? Car quand on connaît les grands du roi et les familiers du palais il est plus facile de trouver accès auprès du roi lui-même 3.

CHAPITRE IX

LE ROI KAIKHATOU ET MAR JABALAHA.

L'Église passa quelque temps en cet état, puis tout à coup

1. Argoun tomba malade à sa résidence d'hiver à la fin de l'année 1290. Comme il allait déjà mieux, un bakhchi, prêtre lamite, lui fit prendre une potion qui lui causa une rechute suivie de paralysie. Les médecins désespérèrent de sa guérison. On rechercha les causes de cette rechute. Les magiciens consultés déclarèrent qu'elle était l'effet d'un sortilège. On en accusa l'une des femmes d'Argoun, nommée Toutchac. On la fit comparaître avec les autres Khatouns; elle fut mise à la torture, et déclara que pour s'attirer la tendresse du prince elle avait employé, comme font les femmes, un charme consistant en quelques mots écrits. Cet aveu fut sa perte; on la noya, le 19 janvier 1291, avec d'autres femmes.

Cette mort n'amena pas d'amélioration dans l'état de la santé d'Argoun, et, malgré les aumônes, les actes de bienfaisance, les remises d'impôt, l'élargissement des prisonniers, les gràces nombreuses que son ministre prodiguait dans le but de détourner la colère du ciel de la tête du souverain, le mal empira. Enfin, après cinq mois de maladie, ce prince mourut le 7 mars, dans sa résidence de Bagtché-Arran. Il fut inhumé sur la montagne de Sidjas que les Mongols appellent Avisé (D'OнSSON, t. III, p. 53-58).

2. Nous parlerons plus amplement de la conduite d'Argoun, vis-à-vis des chrétiens, des faveurs qu'il leur accorda, de la liberté dont ils jouirent sous son règne, dans notre Étude sur les relations du roi Argoun avec les princes chrétiens.

3. Traduction douteuse de ce paragraphe dont le texte paraît fortement altéré.

4. En cet état, c'est-à-dire dans l'état de perturbation et de trouble qui suivit la mort d'Argoun, comme l'insinuent les dernières lignes du chapitre précédent.

Déjà, avant la mort du Khan, les seigneurs mécontents, dès qu'ils surent que tout espoir de le rendre à la santé était perdu, firent périr les principaux favoris et le premier ministre Sa'd ud-Dévlet. Dès que la mort du roi fut connue dans sa résidence, les soldats coururent piller les habitations des Musulmans et des Juifs qui s'y trouvaient. On désigna des gouverneurs pour toutes les provinces afin de maintenir l'ordre, mais malgré cela l'anarchie fut complète. Ceux qui exerçaient l'autorité refusaient d'obéir. Le souverain du Lour s'empara même

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