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tiens, nous avons nos lois. Quiconque ne les observe pas est appelė transgresseur du précepte. Notre loi ne demande pas la mort d'un homme, mais sa condamnation, et il y a plusieurs manières de punir les malfaiteurs. D'après notre loi, ces évêques ne doivent pas mourir, mais seulement être totalement privés de la dignité du ministère qui leur avait été confié. »

Cela fut agréable aux yeux du roi qui renvoya le Catholique en grand honneur. Celui-ci revint à sa résidence, plein de joie et d'une vive allégresse.

Quand les vénérables évêques furent réunis auprès du Catholique pour le saluer et le consoler, il y eut une délibération au sujet des évêques dont nous avons parlė. Après une longue discussion, lorsque ceux-ci eurent confessé leur méfait, ils lancérent contre eux deux une sentence d'excommunication, et les privérent de toute fonction ecclésiastique.

CHAPITRE VII

DÉPART DE RABBAN ÇAUMA POUR LE PAYS DES ROMAINS AU NOM DU ROI ARGOUN ET DU CATHOLIQUE MAR JABALAHA.

Le Catholique Mar Jabalaha acquérait de l'influence près du prince et sa considération grandissait de jour en jour devant les rois et les reines.

Il démolit l'église de Mar Schalita 1, à Maragha, et la reconstruisit à grands frais. En remplacement des poutres,

1. D'après les Actes de ce saint, publiés en syriaque par M. BEDJAN (Acta martyrum et sanctorum, t. I, pp. 424-465), il était né en Égypte au temps de Constantin, de parents païens qui se convertirent lorsque lui-même était àgé d'environ cinq ans. Il eut plus tard beaucoup à souffrir de la part de Valerianus, préfet d'Alexandrie, qui était arien. Ses miracles lui attirèrent un grand nombre de disciples, mais il les quitta pour s'en aller au monastère de saint Pacôme. Ayant fait la rencontre de Mar Eughin (Eugène), il partit avec lui en Mésopotamie et fut témoin des prodiges qu'il opéra à Nisibe et dans les environs. Il accompagna saint Jacques de Nisibe et saint Eugène à la montagne de l'Arche. Il passa ensuite dans le Beth Zabdai où sa renommée grandit avec le nombre de ses miracles. Il mourut le 19 septembre, à l'àge de quatre-vingtdix ans.

il la fit voûter en deux nefs. Il se fit aussi construire à côté d'elle une résidence.

Son affection pour le roi Argoun était très vive, car ce prince aimait les chrétiens de tout son cœur 1, et songeait à pénétrer dans les régions de la Palestine et de la Syrie pour les soumettre et s'en emparer; mais il se disait : « si les rois occidentaux qui sont chrétiens ne me viennent en aide, je ne pourrai accomplir mon dessein. » Il demanda donc au Catholique de lui donner un homme sage, apte à remplir une ambassade, pour l'envoyer auprès de ces rois. Le Catholique, voyant que personne ne savait la langue, excepté Rabban Çauma, et sachant qu'il était capable de cela, lui ordonna de partir.

Rabban Çauma dit : « Je désire moi-même et souhaite cela. »

2

Aussitôt le roi Argoun lui écrivit des ordres pour les rois des Grecs et des Francs, c'est-à-dire des Romains, et il lui remit des yarliks ', des lettres et des présents pour chacun des rois. Il donna à Rabban Çauma pour lui-même deux mille mithqals d'or, trente excellentes montures et une paiza.

Rabban Çauma vint ensuite à la résidence du patriarche Mar Jabalaha, pour prendre un écrit et lui faire ses adieux. Il lui demandait la permission de s'éloigner. Mais quand le

1. Argoun parait avoir traité les chrétiens avec faveur, non seulement à cause du motif indiqué ici, c'est-à-dire dans l'espoir d'obtenir par leur intermédiaire du secours des Occidentaux pour la conquête de la Palestine, mais aussi par une sorte de respect religieux. Ce prince semble avoir été d'ailleurs assez superstitieux. Nous nous étendrons plus longuement sur ce sujet dans notre Étude sur les relations du roi Argoun, etc.

2. C'est le titre, traduit en syriaque, des lettres des souverains mongols qui commençaient par ces mots Ordre du Khan ou Parole du Khan. Ce terme désigne donc les messages qui devaient être remis aux princes occidentaux. 3. Le mot yarlik, écrit en arabe, en persan et en turc yarligh, est dérivé du mongol yarlikh (= loi, décret, ordonnance, de yar, loi) ou plutôt dcharlig selon les anciennes inscriptions. Il arriva cependant à être employé spécialement pour un ordre, ou lettre patente, émanant directement du souverain. Le missionnaire RICOLD DE MONT-CROIX, parlant de ces ordres, décrit une particularité qui, selon Quatremère, est parfaitement exacte. « Les Tartares, dit-il, honorent tellement leurs législateurs qu'ils n'insèrent pas leur nom avec les autres mots, mais laissent un blanc et insèrent le nom dans la marge » (éd. Laurent, p. 115). Les yarlighs, ou lettres patentes, étaient généralement accompagnés de tablettes de métal appelées paisê, comme nous avons dit plus haut (p. 41, n. 2).

4. Le mithgal d'or arabe équivalait, selon BERNSTEIN (Lexicon syr., p. 568), au dinar d'or; mais il n'est pas certain que la monnaie mongole désignée ici par ce mot eût la même valeur qui d'ailleurs a beaucoup varié selon les époques.

moment de la séparation fut venu, le Catholique ne voulait plus. « Comment est-ce possible? disait-il. C'est toi qui gouvernais ma maison; tu sais que par ton départ mes affaires vont se brouiller. >>

Après s'être répandus en paroles de ce genre, ils se séparèrent l'un de l'autre en pleurant, et le Catholique lui donna des lettres, des dons et des présents convenables pour Mon-. seigneur le Pape, selon ses moyens.

Rabban Çauma à Byzance.

Rabban Çauma se mit en route. Des hommes honorables d'entre les prêtres et les diacres du patriarcat allèrent avec lui'. Il parvint aux frontières des Romains sur les bords de la mer de Mika2 et visita l'église qui se trouve là; puis il descendit dans un navire avec ses compagnons. Il y avait dans ce navire plus de trois cents personnes. Tous les jours Rabban Çauma leur procurait des consolations par ses discours sur la foi. La plupart des passagers étaient Romains. A cause du charme de sa parole ils le tenaient en grand honneur.

Après un certain nombre de jours, il parvint à la grande ville de Constantinople. Avant d'y entrer, il envoya deux de ses serviteurs au palais royal pour faire savoir qu'un ambassadeur du roi Argoun arrivait. Le roi ordonna à ses hommes d'aller au-devant de lui et de l'introduire avec pompe et honneur.

Quand Rabban Çauma fut arrivé, on lui assigna pour demeure une maison, c'est-à-dire un palais 3.

1. Dans ses lettres à Argoun, le pape Nicolas IV nomme, outre Bar-Çauma, le noble Sabadin surnommé l'Archaon, c'est-à-dire, en mongol, le Chrétien; Thomas de Anfușis, et un interprète appelé Ougueto, dont le nom semble être le mot mongol qui désigne sa fonction. Nous reviendrons ailleurs sur ces

noms.

2. Il s'agit de la mer Noire. Au XIIIe siècle, le Pont-Euxin était appelé Mer Majeure. La carte maritime levée à cette époque dont l'original est à la Bibliothèque de Saint-Marc, à Venise, l'appelle Mar Maor. D'après cela, le mot Mika, employé par notre auteur, est peut-être la transcription littérale du grec péyz. On pourrait aussi, en vocalisant différemment, lire notre texte « yama damka », la mer dormante, tranquille, ce qui serait la traduction de la métaphore renfermée dans Tappellation Πόντος Εὔξεινος.

3. Littéralement une cour, c'est-à-dire une maison entière avec ses dépendances.

Lorsqu'il se fut reposé, il alla vers le roi Basileus et après qu'il l'eut salué, le roi l'interrogea: «Comment te trouves-tu des fatigues de la mer et des peines de la route? >>

Rabban Çauma répondit : « A la vue du roi chrétien la peine a disparu et la fatigue s'est évanouie, car je désirais beaucoup voir votre royauté que Notre-Seigneur l'affermisse! >>

Après s'être délecté en mangeant et en buvant, Çauma demanda au roi de voir les églises, les tombeaux des Patriarches et les reliques des saints qui se trouvaient là 2. Le roi confia Rabban Çauma à des grands de son royaume qui lui montrèrent tout ce qu'il y avait en ce lieu.

Il entra premièrement dans la grande église de Zopix.

1. On remarquera ici, et encore plus bas, que notre moine fait un nom propre d'un nom commun. Il a pris le titre de Bastλsús pour le nom du prince. Le monarque qui régnait alors à Constantinople était Andronic II (1282-1328). 2. Ce que Rabban Çauma nous apprend au sujet des monuments et des reliques qu'il visite est fort intéressant et peut servir à éclaircir l'origine de quelques légendes touchant certaines reliques. Je regrette de ne pouvoir indiquer en détail ce qui concerne chacune des données hagiographiques ou archéologiques rapportées par l'auteur; je me bornerai à faire quelques observations sommaires et à renvoyer aux sources. A propos des reliques de Constantinople on trouvera tous les renseignements désirables et l'indication des sources à consulter dans les Exuviae Sacrae, de RIANT, et les Dépouilles religieuses enlevées à C. P. au XIIIe siècle par les Latins, du même auteur (Mém. de la Soc. nat. des Antiquaires de Fr., t. XXXVI). Je me contenterai de faire remarquer ici que la quantité de reliques et d'objets vénérables que l'on montrait à Rabban Çauma, à la fin du xue siècle, après le pillage des sanctuaires par les Latins, peut s'expliquer par plusieurs considérations : 1o un quart des reliques avait été attribué à l'empereur, et un quart et demi aux Vénitiens qui laissèrent une partie de leur trésor dans leur église de Pantocrator et les perdirent lors de la reprise inopinée de C. P. par les Grecs; 20 il n'est pas douteux que l'on ait, dans plusieurs cas, substitué de fausses reliques à celles qui avaient été enlevées, soit pour éviter l'irritation du peuple, soit pour empêcher l'affluence des fidèles (et par suite les offrandes) de diminuer. Il n'y a guère que les grandes reliques que l'on savait avoir été envoyées officiellement par l'empereur, que l'on n'ait pas osé remplacer. En général, pour les reliques doubles (S. Jean Chrysostome, par exemple), il y a beaucoup plus de probabilité pour l'authenticité de celles qui ont été apportées en Occident que pour l'authenticité de celles que l'on montre en Orient. On peut voir, dans les ouvrages cités plus haut, les précautions que prirent les Croisés pour éviter d'ètre trompés sur ce point; 3° enfin, il ne faut pas oublier que les mots bras, tête, doigt, désignent souvent des parties seulement de ces membres, et que plusieurs fois des saints homonymes ont été confondus.

3. Cette célèbre basilique fut édifiée pour la première fois, en 325, par Constantin le Grand, et dédiée non pas à une sainte du nom de Sophie, mais à la Sagesse divine. Elle fut brûlée d'abord en 404, puis une seconde fois en

Elle avait trois cent soixante colonnes, toutes taillées dans le marbre. Quant au dôme de l'autel, personne ne peut en parler à celui qui ne l'a pas vu, ni dire quelle est son élévation et sa grandeur.

Il y avait dans cette église l'image de Madame Marie, peinte par l'évangéliste Luc 1.

532, sous le règne de Justinien qui fit reconstruire l'édifice visité par Rabban Çauma, édifice formant encore la principale curiosité architecturale de Constantinople. Cet empereur voulut que le monument fùt le plus magnifique que l'on eût vu depuis la création. Il fit apporter de toutes les parties de l'empire les matériaux précieux, les marbres, les colonnes, les sculptures des temples les plus renommés. Deux architectes grecs, Anthemius de Tralles et Isidore de Millet, furent chargés de la direction des travaux et de l'exécution du plan qui, selon la légende, avait été révélé à Justinien par un ange. Dix mille ouvriers maçons furent employés à la construction qui dura seize ans. Les murs furent construits en briques, mais on bàtit les piliers en grandes pierres calcaires. Tous les murs intérieurs furent revêtus de tables de marbre. Quand Justinien en fit l'inauguration, en l'an 548, il s'écria : « Gloire à Dieu qui m'a jugé digne d'accomplir cet ouvrage; je t'ai vaincu, Salomon! » La coupole, bien qu'on eùt fait faire à Rhodes, pour sa construction, des briques spéciales très légères, s'écroula, en 559, par l'effet d'un tremblement de terre. Elle fut aussitôt reconstruite et fut de nouveau restaurée en 987. Dans le sanctuaire était l'autel fait d'or et d'argent, de fer et de platine, de perles et de diamants, et incrusté des pierres les plus rares. La table reposait sur quatre colonnes d'or. Au-dessus s'élevait le ciborium, où l'on conservait la sainte hostie. Ce ciborium me parait être « le dôme de l'autel dont parle Rabban Çauma, bien qu'on puisse appliquer ses paroles à la grande coupole. Le ciborium était formé de quatre colonnes et de quatre arcs d'argent, portant une coupole d'or surmontée d'un bloc, pesant 118 livres, selon les auteurs anciens, et d'une croix, également d'or, de 80 livres.

L'édifice, converti en mosquée depuis la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453, est entouré de constructions subséquentes destinées soit à le consolider, soit à l'aménager pour sa nouvelle destination. Le plan primitif n'apparait plus extérieurement. On le reconnait mieux à l'intérieur. L'église est bâtie sur un plan carré de 75 mètres de long (avec l'abside) sur 70 de large. Au centre, s'élève la coupole, de 31 mètres 38 de diamètre au niveau du tambour; sa hauteur est de 65 mètres au-dessus du sol. La mosquée compte en tout 107 colonnes dont les plus remarquables sont les quatre grandes de brèche verte (placées entre les piliers qui soutiennent la coupole), provenant du temple de Diane à Ephèse, et les huit colonnes de porphyre provenant du temple du Soleil à Balbeck.

L'ensemble de la basilique produit un effet grandiose et saisissant, bien supérieur à celui que produit la vue de Saint-Pierre de Rome. Les mosaïques à fond d'or qui ornaient Sainte-Sophie et représentaient des sujets bibliques ont été badigeonnées par les musulmans partout où l'on voyait des figures humaines; ce qui en reste suffit à donner une idée de la magnificence de l'ancienne basilique.

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1. Le pape Innocent III, par une bulle datée de Rome (13 janvier 1207), confirme la sentence d'excommunication portée par le patriarche de Constantinople contre les Vénitiens qui avaient enlevé de force : quamdam iconam in qua beatus Lucas evangelista imaginem beate Virginis propriis manibus dicitur depinxisse, quam ob ipsius Virginis reverentiam tota Graecia veneratur » (Cf. RAYNALDUS, Ann., ad ann. 1207, no 19; Exuviae sacrae, II, 76). L'image vénérée que les Vénitiens avaient voulu transporter dans leur

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