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fut la réponse donnée à ceux qui avaient parlé devant le roi contre la citadelle.

Le patriarche était venu avec le camp à Ala-tagh, à cause de la nécessité dans laquelle il se trouvait, car il n'avait plus un lieu où reposer sa tête. Le roi victorieux lui adressa deux des grands de son entourage : l'un était Khodja Raschid edDîn 1, et l'autre l'émir Tarmada 2. Ceux-ci lui dirent : « Le roi a ordonné. Que Monseigneur le Catholique écoute son ordre. » Le Catholique répondit : « Sans doute; qui donc ne reçoit pas les ordres du roi ? qu'il vive à jamais ! »

Ceux-ci reprirent : « Le roi ordonne : Si le roi faisait sortir les chrétiens de la citadelle et leur donnait des terres, de l'eau et des maisons, s'il les défendait contre tout ce qui peut leur nuire, les faisait amener ici et les exemptait de toute charge d'impôt, qu'adviendrait-il? que t'en semble-t-il? L'inimitié a grandi entre les deux religions des Arabes et des Syriens; si la chose reste en l'état actuel il s'ensuivra pour

1. Il s'agit du célèbre historien persan. Fadhel Allah Raschid ed-Din, fils d'Aboul-Kaïr, fils d'Ali, surnommé el-Tahib (le médecin) naquit à Hamadan et exerça d'abord la médecine. Selon quelques historiens, il était né juif et se fit mahométan. Il passait pour un esprit fort; par ses mérites et aidé de la faveur de Cazan, il s'éleva à la première dignité de l'empire. Sous le règne d'Oldjaïtou il continua à jouir des honneurs dus à ses mérites, mais sous Abou-Said, successeur de ce prince, un autre vizir avec qui il partageait l'administration de l'empire, Ali-Schah, jaloux de l'influence de Raschid, résolut de le perdre. Après avoir essayé beaucoup d'intrigues, il le fit accuser d'avoir fait empoisonner par son fils Soultan - Ibrahim le roi Oldjaïtou. Tockmak et Hadji Dilcandi témoignèrent contre eux et ils furent condamnés à mort. Ibrahim fut exécuté sous les yeux de son père et Hadji coupa Raschid par le milieu du corps (18 juillet 1318). Ses biens et ceux de sa famille furent confisqués. Sa tète fut promenée à Tauriz, ses membres furent exposés en divers lieux et son tronc fut brùlé. Il était àgé de plus de quatrevingts ans.

Le principal ouvrage auquel Raschid ed-Din doit sa célébrité est intitulé Djama out-Touarik, ou Collection des Annales. Il s'étend depuis le règne de Houlaghou jusqu'à la mort de Cazan.

L'histoire des règnes d'Oldjaïtou et d'Abou-Saïd a été écrite par Massoud, fils d'Abdallah, sur l'invitation du sultan Scharoukh, fils et successeur de Tamerlan, pour compléter l'histoire de la dynastie de Houlaghou. Cet immense ouvrage, entrepris à la sollicitation de Cazan, est un très curieux spécimen de la littérature orientale. Il est fort précieux par les renseignements qu'il contient sur l'histoire et la géographie de l'Asie. On n'en connaît en Europe qu'un seul manuscrit complet conservé au British Museum. Cfr. QUATREMÈRE, Mémoire sur la vie et les ouvrages de Raschid ed-Din, en tête de sa traduction de l'Histoire des Mongols (Collect. Orient., t. I).

2. Je ne sais quel personnage peut désigner cette transcription syriaque d'un nom mongol. Peut-être s'agit-il du général Taremtan, qui combattit dans le Khoraçan sous les règnes d'Oldjaïtou et d'Abou-Saïd son successeur.

cet empire de graves dommages; beaucoup d'autres se révol teront si on ne réprime ceux-ci. Que dira le patriarche de ce dessein et de la manière de l'accomplir? »

Celui-ci leur répondit. En entendant cela ses yeux se remplirent de larmes; sa bouche laissa échapper l'expression de sa douleur amère et il dit en suffoquant : « J'ai entendu l'ordre du roi mon maître; personne ne peut s'en écarter ni en changer la teneur. Mais, quand je me souviens de ce qui m'est arrivé et que je le fais connaître, le ciel et la terre sont contraints de pleurer. S'il vous plaît, puisque vous demandez de moi une réponse à donner au roi victorieux, voici ce que je dis « J'avais une résidence à Bagdad, avec une église et <«< une dotation foncière; tout cela m'a été enlevé 1. L'église et << la résidence de Maragha ont été détruites de fond en comble <«<et on a enlevé tout ce qui y avait été déposé, comme vous « savez1. J'ai à peine échappé au massacre de Tauriz, comme le <«<fait est manifeste . L'église et la résidence de Tauriz ne sont « qu'une place nivelée et tout ce qu'il y avait a été pillė; la « résidence de la ville de Hamadan a disparu avec l'église : « on ne peut pas même en montrer la place. Reste la rési«dence et la citadelle d'Arbèle occupée par une centaine <«< d'habitants. Voulez-vous aussi disperser et piller ceux-là? <«< A quoi bon la vie? Que le roi m'ordonne de retourner en « Orient d'où je suis venu ou d'aller finir mes jours au pays « des Francs! >>

En entendant cela, les envoyés furent peinės et leurs yeux se remplirent de larmes. Ils se levèrent aussitôt, allérent en hâte trouver le roi victorieux et lui transmirent exactement ces réponses. Alors le roi - qu'il vive à jamais! ordonna de ne pas faire sortir les chrétiens de la citadelle, et, s'ils manquaient de vivres, de leur en fournir pendant l'hiver, aux frais du Diwan, jusqu'à ce que l'armée puisse descendre å leur secours.

1. Cfr. ci-dessus, p. 117.

2. Voir ci-dessus, pp. 109 et 121.

3. Il faut conclure de cette phrase que le Catholique se trouvait à Tauriz au moment du pillage des églises. L'événement devrait donc être placé dans les premiers jours d'octobre 1295 au moment où le patriarche s'enfuyait de Maragha, ce qui concorde bien avec les données de BAR-HÉBRÉUS (loc. cit.). 4. Cfr. ci-dessus, p. 117.

Un émir, homme haineux, empêcha cela; il écrivit et agit autrement'.

Ce qui importait c'était la délivrance des malheureux habitants de la citadelle enfermés dans ses murs.

Après beaucoup de fatigues et des courses continuelles, un édit parut et des envoyés furent désignés pour aller à Arbėle délivrer les habitants de la citadelle.

Le Catholique fit partir un évêque avec eux pour la citadelle, pensant que par son intermédiaire les envoyés se feraient ouvrir plus facilement les portes et que les habitants en viendraient à une complète réconciliation.

Le patriarche se sépara des envoyés et de l'évêque qui allait avec eux. Ceux-ci parvinrent à Arbèle le 14 d'Iloul de l'année susdite (septembre 1297). Ils rétablirent le pont de la citadelle. Ils y entrèrent; ils délivrèrent les habitants et les réconciliérent avec les Arabes, aprės beaucoup de difficultés, de tourment d'esprit et d'affliction du cœur.

Les dépenses qui incombèrent au patriarche et aux chrẻtiens d'Arbėle ne furent pas minimes dix mille [dinars], sans compter ce qui fut donné par la résidence aux émirs qui leur rendirent ce service, c'est-à-dire quinze cents autres dinars!

Le pacte de réconciliation des Arabes fut signé par leur chef, et le pacte de réconciliation des chrétiens avec ceux-ci fut signé par leur métropolitain3: un émir emporta les deux écrits et les montra au roi victorieux.

Bientôt parut un nouvel édit ordonnant que la citadelle demeurât aux chrétiens et donnant à ceux-ci le droit de réclamer tout ce qu'on leur avait enlevé.

Le mal cessa et la réconciliation s'affermit par la protection de Dieu et l'effusion de ses miséricordes sur ses créatures.

Cependant, comme les Arabes ne cessent de faire le mal, ils cherchaient à nuire aux chrétiens, ainsi qu'ils ont fait de tout temps. Survint, en effet, un certain Naçr ed-Din, maître

1. Cet émir était un certain Naçr ed-Din dont il est parlé à la fin de ce chapitre et encore plus loin (chap. xvIII).

2. Le scheik Mohammed; cfr. ci-dessous, p. 156.

3. Abraham, dont nous avons rencontré le nom ci-dessus, p. 125.

du Diwan, qui obtint du roi un édit forçant les chrétiens à payer la capitation et à porter des ceintures quand ils iraient par les rues. Cette mesure fut le plus pernicieux de tous les maux. Beaucoup de chrétiens furent massacrés dans la Ville de la Paix (c'est-à-dire à Bagdad'). On exigea d'eux sans délai le tribut, c'est-à-dire la capitation, et on les contraignit de s'attacher des ceintures autour des reins. A vrai dire, ce n'était pas l'acquittement du] tribut, mais une complète spoliation.

Toutes les fois que les chrétiens allaient par les rues ou dans les maisons, on les insultait, on les tournait en dérision, on se moquait d'eux en disant : « Voyez à quoi vous ressemblez avec ces ceintures, misérables! » On ne laissa de côté aucune des vexations qu'on put leur faire subir, jusqu'au moment où Dieu prenant pitié d'eux, allégea, par sa grâce, les fardeaux qui pesaient sur eux et éloigna d'eux les épreuves dans lesquelles ils étaient tombés et qui les environnaient de tous côtés 2.

1. Le premier nom que Bagdad reçut, à sa fondation, fut celui de Médinet es-Salam, qui signifie, en arabe « Ville de la Paix ». Les auteurs byzantins contemporains le traduisent par Irênopolis qui en est l'équivalent.

2. BAR HÉBRÉUS (Chron, syr., p. 595) semble rapporter cet édit à Naurouz, au commencement de l'année 1607 (octobre 1295), ce qui parait plus vraisemblable, bien qu'il ne soit pas difficile de supposer que Naçr ait renouvelé la méme mesure. Il s'accorde avec notre auteur sur les détails de la persécution: « Il serait impossible, dit-il, de décrire les vexations et les insultes que les chrétiens eurent à subir, principalement à Bagdad où, dit-on, aucun d'eux n'osait se montrer dans les rues; c'étaient leurs femmes qui sortaient pour acheter et vendre, parce qu'on ne les pouvait pas distinguer extérieurement des femmes mahométanes; mais si par hasard on les reconnaissait, elles étaient insultées et frappées. Enfin, tous les chrétiens habitants de ces contrées furent affligés d'un inenarrable abandon de Dieu. Leurs ennemis leur disaient en se moquant : Où est votre Dieu? Voyons si vous avez un protecteur ou un libérateur. » Cette persécution ne se borna pas à nous seuls, elle s'étendit aussi aux Juifs et aux prêtres idolâtres; elle dut mème paraitre à ces derniers encore beaucoup plus dure après les grands honneurs qu'avaient coutume de leur rendre les souverains mongols qui leur donnaient la moitié des fonds versés dans le trésor pour en faire des idoles d'or et d'argent. Aussi beaucoup de ces ministres des idoles se firent-ils mahométans à cette époque. »

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CHAPITRE XV

MAR JABALAHA EST EN FAVEUR PRÈS DU ROI ET FAIT ACHEVER LE COUVENT DE MARAGHA.

Le Catholique alla cet hiver-là avec le roi victorieux à Moughan, leur quartier d'hiver. De là, il revint avec lui á Tauriz et passa l'été dans le camp 1. Il espérait ainsi arriver habilement à pourvoir aux nécessités les plus urgentes de son église et aux siennes, à détourner l'impétuosité et la violence de l'obstination de ses ennemis, et à apaiser leur colère.

Pendant ce temps, le roi victorieux rendit un édit par lequel il donnait au patriarche un sceau pareil au grand sceau qui lui avait été dérobé et portant les mêmes caractères que celui-ci, et aussi un soukour, c'est-à-dire un parasol . Des lueurs d'affection commencèrent à briller pour le Catholique.

Il alla passer l'hiver de l'année 1610 (1298-1299) dans la citadelle d'Arbėle, dont il n'avait pas vu les habitants depuis l'année que nous avons indiquée, c'est-à-dire depuis 1605. Il fut réjoui de les revoir et passa agréablement avec eux cet hiver. Grande fut la joie du père avec ses enfants et celle des enfants avec leur père ils sortaient, en effet, des labeurs, c'est-à-dire des épreuves, et ils étaient à peine au lendemain. d'un grand malheur et d'une violente douleur.

Quand l'hiver fut passé, au mois de Nisan, le Catholique partit pour le camp et alla trouver le roi à Oughan, sa station d'été. Celui-ci l'accueillit avec grande joie et le traita avec beaucoup d'honneur. Il lui permit de retourner à Mara

1. Cazan partit de Tauriz le 7 novembre 1297, pour aller hiverner dans l'Arran. Il revint à Tauriz le 25 mai 1298 et quitta de nouveau cette ville au mois d'octobre pour aller passer l'hiver dans l'Irak-Arabi. Il est probable que dans l'intervalle il s'était rendu à la Montagne Noire pour y passer l'été, et c'est vraisemblablement là que le Catholique le rejoignit.

2. Cf. ci-dessus, p. 120.

3. Cf. ci-dessus, p. 41, n. 2.

4. Cazan revenu à Bagdad le 8 mars 1299 quitta cette ville le 20, pour se rendre à Oudjan où il arriva le 28 mai. Il y passa l'été et y épousa, le 17 juillet, Kéramoun, fille de Koutlouktimour.

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