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dans les caves, dans les appartemens intérieurs, on ne marchait que sur des cadavres. Dépouillés aussitôt qu'égorgés, ces corps sans vie ajoutaient à l'horreur de leur aspect le spectacle d'une mutilation que la pensée peut comprendre, mais que la pudeur défend de tracer; et ce sont des femmes, des démons, des furies qui sont les exécuteurs de ces atrocités! Un comédien habitué à jouer les rôles de tyran, et toujours sifflé du parterre, boit publiquement du sang d'un Suisse : on croit être au festin d'Atrée. La plume se refuse à peindre toutes les horreurs dont on a été le témoin; l'imagination ne peut se prêter à un pareil tableau de la dégradation du cœur humain ; et la sensibilité, comme l'a dit M. de Rivarol, n'est pas de mesure avec tant de malheurs.

Le feu, qui avait commencé à neuf heures et demie, cessa tout-à-fait à midi, et le massacre ne discontinua à deux heures, que pour faire place à des assassinats d'un autre genre, qui continuent encore au moment ou j'écris.

Le nombre des Suisses sauvés, tant au corps-de-garde des Feuillans que chez des particuliers, est d'environ cent quatrevingts restent sept cent cinquante qui ont péri dans cette affreuse matinée...

Dès que la populace fut maîtresse du château, l'irruption et le pillage y furent universels; les caves enfoncées, les meubles brisés, jetés par les fenêtres, les secrétaires ouverts; tout présentait l'image de la dévastation et de la mort. On ne respecta que les tableaux de la chambre du lit. Les arts n'eurent au moins pas à rougir de la destruction d'un des chefs-d'œuvre de Lebrun, d'un autre du Carrache, et de la Mélancolie de Féti, qui restèrent intacts...

Telle fut l'insurrection du 10 août, résultat nécessaire d'une constitution qui avait détruit tout équilibre, toute indépendance de pouvoirs, qui avait introduit un roi sans force, au milieu d'un corps toujours agissant, qui avait placé, d'après J.-J. Rousseau, la souveraineté dans le peu

ple, c'est-à-dire dans le nombre, dans la violence, dans la folie, la rage ou la stupidité, au lieu de la placer où elle existe, dans la raison suprême fondée sur la nature des choses, c'est-à-dire dans la propriété, la paternité, la sagesse et l'expérience. — Vous avez de l'or, et nous avons du fer, disait Charles Lameth: Oui, vous avez du fer, et toutes vos lois en sont faites et ces lois ont brisé le fer des défenseurs même de la constitution, et leur or est devenu la proie des non-propriétaires qu'ils avaient imprudemment appelés auprès d'eux pour les aider à soutenir l'édifice de leur révolte. Cette insurrection étant devenue le titre de gloire que réclament aujourd'hui des législateurs parjures, il ne faut plus s'évertuer à en chercher les auteurs. Chabot, dans le journal des Jacobins, du 7 novembre, en a fait le récit avec candeur: Barbaroux est convenu depuis peu qu'elle était arrêtée dès le 29 juillet dans le directoire secret qui se tenait à Charenton. Pétion, dans son discours sur Robespierre, réclame la portion de gloire qui lui revient de droit, pour avoir travaillé pendant dix mois consécutifs à en préparer les voies par la désorganisation générale; enfin, un comité composé de six personnes, Fabre-d'Églantine, Panis, Tallien, Chabot, Bazire et Danton, est chargé d'en rédiger le mémoire historique...

La journée du 10 août coûta à l'humanité environ sept cents soldats et vingt-deux officiers suisses; vingt gardes nationaux royalistes, cinq cents fédérés ou marseillais, cinq gentilshommes, trois commandns de troupes nationales, quarante gendarmes, plus de cent personnes de la maison domestique du roi, deux cents hommes tués pour vols, les neuf citoyens massacrés aux Feuillans, M. de ClermontTonnerre, et environ trois mille hommes du peuple, tués sur le Carrousel, dans le jardin des Tuileries, et à la place Louis XV: au total environ quatre mille six cents hommes. Ce fut sur ces cadavres amoncelés que s'éleva l'édifice monstrueux de LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE et, semblable à ce

monument que fit édifier je ne sais quel despote d'Asie, avec des crânes humains, il choque tellement les regards, que l'on désire involontairement de voir à son tour cet édifice couronné comme son modèle................. par la tête de ses architectes.

2o. Détails sur les événemens du 10 août.

(Ils sont tirés d'un écrit signé Carra, et intitulé: Précis historique et très-exact sur l'origine et les véritables auteurs de la célèbre insurrection du 10 août qui a sauvé la république. L'auteur assure que le maire n'eut pas la moindre part au succès, mais qu'il s'est trouvé en place, dans cette occasion, comme une véritable providence pour les patriotes. Ce morceau est tiré des Annales patriotiques du 30 novembre dernier.)

« Les hommes, dit Jérôme Pétion, dans son excellent discours sur l'accusation intentée contre Maximilien Robespierre, qui se sont attribué la gloire de cette journée, sont les hommes à qui elle appartient le moins. Elle est due à ceux qui l'ont préparée; elle est due à la nature impérieuse des choses; elle est due aux braves fédérés, et à leur directoire secret qui concertait depuis long-temps le plan de l'insurrection; elle est due enfin au génie tutélaire qui préside constamment aux destins de la France, depuis la première assemblée de ses représentans. »>

C'est de ce directoire secret dont parle Jérôme Pétion que je vais parler à mon tour, et comme membre de ce directoire, et comme acteur dans toutes ses opérations. Ce directoire secret fut formé par le comité central des fédérés établi dans la salle de correspondance aux Jacobins Saint-Honoré. Ce fat des quarante-trois membres qui s'assemblaient journellement depuis le commencement de juillet dans cette salle, qu'on en tira cinq pour le directoire d'insurrection. Ces cinq membres étaient Vaugeois, grand-vicaire de l'évêque de Blois; Debessé, du département de la Drôme; Guillaume,

professeur à Caen; Simon, journaliste de Strasbourg, et Galissot de Langres. Je fus adjoint à ces cinq membres à l'instant même de la formation du directoire; et quelques jours après on y invita Fournier l'Américain, Westermann Kienlin de Strasbourg, Santerre, Alexandre, commandant du faubourg Saint-Marceau; Lazouski, capitaine des canonniers de Saint-Marceau; Antoine de Metz, l'ex-constituant; Lagrey, et Garin, électeur de 1789.

La première séance active de ce directoire se tint dans. un petit cabaret au Soleil-d'Or, rue Saint-Antoine, près la Bastille, dans la nuit du jeudi au vendredi 26 juillet, après la fête civique donnée aux fédérés, sur l'emplacement de la Bastille. Le patriote Gorsas parut dans ce cabaret, d'où nous sortîmes à deux heures du matin, pour nous porter près de la colonne de la liberté, sur l'emplacement de la Bastille, et y mourir s'il le fallait pour la patrie. Ce fut dans ce cabaret du Soleil-d'Or que Fournier l'Américain nous apporta le drapeau rouge, dont j'avais proposé l'invention, et sur lequel j'avais fait écrire ces mots; Loi martiale du peuple ⚫ souverain, contre la rébellion du pouvoir exécutif. Ce fut aussi dans ce même cabaret que j'apportai cinq cents exemplaires d'une affiche où étaient ces mots: Ceux qui tireront sur les colonnes du peuple, seront mis à mort sur-le-champ. Cette affiche, imprimée chez le libraire Buisson, avait été apportée chez Santerre, où j'allai la chercher à minuit. Notre projet manqua cette fois par la prudence du maire, qui sentit vraisemblablement que nous n'étions pas assez en mesure dans ce moment, et la seconde séance active du directoire fut renvoyée au 4 août suivant.

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Les mêmes personnes à peu près se trouvèrent dans cette séance, et en outre Camille-Desmoulins: elle se tint au Cadran-Bleu, sur les beaux boulevarts; et sur les huit heures du soir, elle se transporta dans la chambre d'Antoine, l'exconstituant, rue Saint-Honoré, vis-à-vis l'Assomption, juste dans la même maison où demeure Robespierre. L'hôtesse de

III.

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Robespierre fut tellement effrayée de ce conciliabule, qu'elle vint, sur les onze heures du soir, demander à Antoine s'il voulait faire égorger Robespierre. Si quelqu'un doit étre égorgé, dit Antoine, ce sera nous sans doute; il ne s'agit pas de Robespierre, il n'a qu'à se cacher.

Ce fut dans cette seconde séance active que j'écrivis de ma main tout le plan de l'insurrection, la marche des colonnes et l'attaque du château. Simon fit une copie de ce plan, et nous l'envoy âmes à Santerre et à Alexandre, vers minuit; mais une seconde fois notre projet manqua, parce que Alexandre et Santerre n'étaient pas encore assez en mesure, et que plusieurs voulaient attendre la discussion renvoyée au 9 août, sur la suspension du roi.

Enfin la troisième séance active de ce directoire se tint dans la nuit du 9 au 10 août dernier, au moment où le tocsin sonna, et dans trois endroits différens en même temps; savoir: Fournier l'Américain, avec quelques autres au faubourg Saint-Marceau; Westermann, Santerre et deux autres au faubourg Saint-Antoine; Garin, journaliste de Strasbourg, et moi, dans la caserne des Marseillais, et dans la chambre même du commandant, où nous avons été vus par tout le bataillon....

Dans ce précis, qui est de la plus exacte vérité, et que je défie qui que ce soit de révoquer en doute dans ses moindres détails, on voit qu'il ne s'agit ni de Marat, ni de Robespierre, ni de tant d'autres qui veulent passer pour acteurs dans cette affaire; et que ceux-là qui peuvent s'attribuer directement Ja gloire de la fameuse journée du 10, sont ceux que je viens de nommer, et qui ont formé le directoire secret des fédérés.

3o. Récit des événemens du 10 août, par M. J.-L. Soulavie (Extrait d'un recueil intitulé Pièces inédites sur les règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI. Paris, 1809.)

A MINUIT, le 10 août, le tocsin sonne. Mandat, qui réunit

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