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août, venait d'absoudre Montmorin (1); soit qu'il n'eût pas trouvé de preuves suffisantes suffisantes, ou plutôt que ce jugement eût été concerté avec les chefs pour amener la catastrophe. Les agitateurs profitent du mécontentement qui se manifeste, s'emportent contre les juges, les accusent de s'être laissé corrompre. «< Tous les conspirateurs, disent-ils, échapperont successivement à la peine qu'ils ont méritée ; absous par des tribunaux perfides, on les verra bientôt ourdir de nouvelles trames, ils portent déjà l'insolence jusqu'à braver la justice nationale; l'un d'eux, condamné dernièrement aux fers, a eu l'audace de menacer les patriotes, et de vomir les injures les plus grossières contre les autorités constituées. » Danton, ministre de la justice, afin de donner plus de consistance à ces discours, s'op

(1) On confond quelquefois les deux personnages qui, sous le nom de Montmorin, ont joué un rôle déplorable dans la ̈· révolution. L'un, le comte de Montmorin, avait été, comme le lecteur l'a vu dans le commencement de ces Mémoires, ministre des affaires étrangères; le second, le marquis de Montmorin, était gouverneur de Fontainebleau. Ce fut lui que le tribunal criminel acquitta quelques jours avant le 2 septembre. Le motif de son arrestation se trouvait dans une pièce écrite de sa main, trouvée au château des Tuileries. Pour le premier, arrêté par erreur à cause de la même pièce, et maintenu en arrestation quoique son interrogatoire eût prouvé à l'Assemblée qu'elle s'était trompés, il fut égorgé le 2 septembre à l'Abbaye.

(Note des édit.)

pose hautement à l'élargissement de Montmorin, et ordonne d'instruire de nouveau son procès.

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Enfin, le 2 septembre, on répand avec affectation la nouvelle alarmante que le roi de Prusse s'est emparé de Verdun, et qu'il marche sur Paris. Manuel, procureur-général de la commune requiert qu'à l'instant même on sonne le tocsin dans les quarante-huit sections; que les citoyens, en état de porter les armes, se réunissent au Champ-deMars; que les barrières soient fermées, et que personne ne sorte de Paris qu'enrégimenté. Il ajoute qu'il faut prendre les chevaux de luxe pour monter la cavalerie; obliger les personnes infirmes et hors d'état de servir, à céder leurs armes; désarmer celles qui sont suspectes, et les renfermer dans un lieu de sûreté.

La commune arrête, d'une voix unanime, les propositions de Manuel. Danton se charge de les appuyer d'un décret de l'Assemblée (1). Il entre avec le regard farouche qui annonce la mort. «< Messieurs, >> c'est une vive satisfaction pour moi de vous ap>> prendre que la France est sauvée.... Oui, dans le >> moment où je vous parle, la commune proclame, » de la manière la plus solennelle, le danger » de la patrie, et la nécessité de la sauver. Vous >> savez que Verdun n'est pas encore au pouvoir >> de l'ennemi. Nos généraux se combinent pour » arrêter sa marche. Le peuple entier de Paris se

(1) Séance du 2 septembre 1792.

» lève, et va se diviser en trois parties. L'une >> marchera, aux frontières, l'autre travaillera aux >> retranchemens; la troisième, armée de piques,

>>

gardera l'intérieur. Le mouvement se porte au » Champ-de-Mars. Le pouvoir exécutif vous pro» pose de nommer des commissaires, qui, de con» cert avec lui, dirigeront l'enthousiasme. Une » grande mesure devient nécessaire; c'est la peine » de mort contre quiconque, requis de marcher, >> refusera de le faire ou de donner ses armes. » Le tocsin qui sonne va se propager. Ce n'est >> pas le cri de l'alarme; c'est le cri de la charge. » Il faut de l'audace, encore de l'audace, toujours » de l'audace, et la patrie est sauvée. »

Danton sort au bruit des acclamations des tribunes et des députés : le tocsin sonne; le canon d'alarme mêle ses sons effrayans aux sons lugubres du tocsin; les citoyens s'interrogent, se demandent avec inquiétude quelle est la cause de ce mouvement inattendu; chacun appréhende et des malheurs publics et des malheurs particuliers.

Quelques soins que l'on eût pris pour dérober aux prisonniers la connaissance des desseins que l'on avait sur eux, il s'était répandu des bruits vagues d'un massacre général dans les prisons. Un événement arrivé à l'Abbaye de Saint-Germain, en les éclairant sur leur véritable situation, ne leur laissa plus aucun doute. La veille de l'exécution, plusieurs raisonnaient entre eux, et s'épuisaient en conjectures sur ce qu'ils avaient à craindre et ce

III.

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qu'ils avaient à espérer. M. de Chantereine, colonel de la garde constitutionnelle du roi (1), plongé dans une profonde rêverie, se lève toutà-coup, jette un regard sombre autour de lui, et dit : « Nous sommes tous destinés à être massacrés ; >> saisissant un couteau sur la table où l'on venait de servir le dîner, il s'en donne trois coups dans la poitrine, en s'écriant : «< Mon Dieu! je vais à vous,>> et expire. Cette action désespérée frappe de terreur tous ceux qui en sont témoins. Le plus grand nombre est consterné, quelques-uns se hâtent d'écrire à leurs amis, et les conjurent de les arracher à une mort affreuse. M. Brossin, prêtre insermenté, conserve seul le calme de l'homme juste. « Mes amis, s'écrie-t-il (avec le sentiment énergique de la foi, qui met le vrai chrétien au-dessus de tous les événemens), la charité ne saurait nous empêcher de voir que l'on a choisi bien des victimes; mais souvenez-vous qu'il ne tombera pas un cheveu de nos têtes, que Dieu ne l'ait permis pour notre plus grand bien ! »>

que

Tandis les commissaires de la commune échauffent la populace par le récit de faits imaginés à dessein, et soufflent dans les cœurs toutes les fureurs dont ils sont animés, deux à trois cents scélérats se portent aux Carmes et à Saint-Germain, y égorgent quatre cents prêtres; ils se rendent

(1) Ou plutôt, si l'on en croit Peltier, inspecteur du gardemeuble de la couronne. (Note des édit.)

ensuite à l'Abbaye : bientôt les cris des mourans et les hurlemens de la populace qui appelle sans cesse de nouvelles victimes, portent l'effroi dans l'ame des prisonniers; chacun attend avec la plus pénible anxiété le moment qui va décider de son sort. Au milieu du trouble et de la confusion qui règnent de toutes parts, l'abbé Lenfant (1), confesseur du roi, et l'abbé Chapt de Rastignac (2), ou

(1) L'abbé Lenfant, membre de la congrégation des jésuites, avait été prédicateur de Joseph II, et ensuite de Louis XVI. Peltier lui attribue le Discours à lire au conseil, sur le projet d'accorder l'état civil aux protestans, publié en 1787. Il avait soixante-dix ans quand il périt massacré à l'église des Carmes. Comme prédicateur, l'abbé Lenfant avait un talent très-distingué. (Note des édit.)

(2) Nous ne pouvons résister au désir de mettre ici sous les yeux du lecteur un passage d'un écrit publié par l'un des prisonniers, qui échappa comme par miracle aux massacres du 2 septembre. Voici comment, dans cet écrit intitulé Mon agonie de trente-huit heures, M. de Saint-Méard rend compte de la scène rapportée par Ferrières.

« A dix heures du soir, l'abbé Lenfant, confesseur du roi, et l'abbé de Rastignac, parurent dans la tribune de la chapelle qui nous servait de prison. Ils nous annoncèrent que notre dernière heure approchait, et nous invitèrent à nous recueillir pour recevoir leur bénédiction. Un mouvement électrique, impossible à définir, nous précipita tous à genoux, et, les mains jointes, nous la reçûmes. Ce moment, quoique consolant, fut un des plus terribles que nous ayons éprouvés. A la veille de paraître devant l'Être Suprême, agenouillés devant deux de ses ministres, nous présentions un spectacle indéfinissable; l'âge avancé de ces deux vieil

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