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feussent granches. Les fourmens et les orges il les r'avoient mis par monciaus en mi les champs; et quant en les véoit il sembloit que ce feussent montaignes; car la pluie qui avoit batu les blez de lonc temps, les avoit fait germer par desus, si que il n'i paroit que l'erbe vert.

73. Or avint ainsi que quant en les vot mener en Égypte, l'en abati les crotes de desus à tout l'erbe vert, et trouva l'en le fourment et l'orge aussi frez comme l'en l'eust maintenant batu.

74. Le Roy feust moult volentiers alé avant, sans arester, en Egypte si comme je li oi dire, se ne feussent ses barons qui li loerent à attendre sa gent qui n'estoient pas encore touz

venuz.

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Sainte, et de délivrer Jherusalem de la main aus Sarrazins. Le Roy reçut moult débonnairement ses messages, et li renvoya les siens qui demourerent deux ans avant que il revenissent a li. Et par les messages, envoia le Roy au Roy des Tartarins une tente faite en la guise d'une chapelle, qui moult cousta; car elle fu toute faite de bone escarlate finne. Et le Roy, pour veoir se il les pourroit atraire à nostre créance, fist entailler en ladite chapelle, par ymages, l'Anonciation nostre Dame et touz les autres poins de la foy. Et ces choses leur envoia il par deux freres préescheurs qui savoient le sarrasinnois, pour eulz moustrer et enseigner comment il devoient croire. Il revindrent au Roy les deux freres, en ce point que les freres au Roy revindrent en France; et trouverent le Roy qui estoit parti d'Acre, là où ses freres l'avoient les

75. En ce point que le Roy séjournoit en Cypre, envoia le grant Roy des Tartarins ses messages à li, et li manda moult débonnaire-sié, et estoit venu à Sézaire là où il la fermoit, ment paroles. Entre les autres, li manda que il étoit prest de li aidier à conquerre la Terre

les froments et les orges, et, quand on les voyoit, il sembloit que ce fussent des montagnes; car, la pluie qui avoit battu les blés depuis long-temps, les avoit fait germer dessus, si bien qu'il n'y paroissoit que de l'herbe verte.

73. Or, il advint que quand on voulut les transporter en Egypte, on abattit les croûtes de dessus avec l'herbe verte, et l'on trouva le froment et l'orge aussi frais que si on les eût récemment battus.

74. Le roi fût volontiers allé devant en Egypte, comme je lui ai ouï dire, n'eût été que les barons lui conseillèrent d'attendre ses gens qui n'étoient pas encore tous venus.

75. Pendant que le roi séjournoit en Chypre, le grand roi des Tartares* lui envoya ses ambassadeurs et lui fit entendre moult paroles débonnaires. Entre autres, il lui manda qu'il étoit prêt à l'aider à conquérir la Terre Sainte et à délivrer Jérusalem de la main des Sarrasins. Le roi reçut très-bien ses ambassadeurs, et lui envoya les siens qui demeurèrent deux ans avant de revenir à lui;

Voyez sur cette ambassade, le 19 livre de l'Histoire des Croisades.

** Voici ce qu'on trouve sur cette ambassade des Tartares dans l'édition de de Rieux; après avoir parlé des ambassadeurs que saint Louis envoya, en retour, au kan des Tartares, l'édition porte: « Le pape Inno» cent VII envoya de Lyon grand nombre de gens >> religieux pour prêcher, lesquels firent très-bien >> leur devoir et attirèrent le peuple de Tartarie à » croire l'Evangile; et comme tous les jours ils prê>> choient, disant que le pape étoit vicaire de Dieu en » terre, le roi des Tartares délibéra d'envoyer au pape >> Innocent ses ambassadeurs pour entendre si ce que » ces gens de religion lui avoient prêché étoit véritable; » mais les prêcheurs empêchèrent le voyage. Connois

ne n'avoit ne pèz ne trèves aus Sarrazins. Comment les messages le Roy de France furent re

et, par ces ambassadeurs, le roi envoya au roi des Tartares une tente faite en forme de chapelle, qui moult coûta, car elle étoit de fine écarlate; et le roi, pour voir s'il pourroit les attirer à notre croyance, fit entailler, par images, dans ladite tente, l'Annonciation de Notre-Dame et tous les autres points de la foi; et il leur envoya ces choses par deux frères prêcheurs qui savoient le sarrasinois, pour qu'ils leur montrassent et leur enseignassent comment et ce qu'ils devoient croire. Ces deux frères revinrent au roi, lorsque les princes ses frères retournoient en France, et ils trouvèrent qu'il étoit parti d'Acre, là où ses frères l'avoient laissé, et étoit venu à Césarée qu'il faisoit fortifier, et n'avoit ni paix ni trève avec les Sarrasins. Je pourrois vous dire comment les messagers du roi furent reçus, comme ils le contèrent eux-mêmes au roi ; et de ce qu'ils rapportèrent, vous pourriez ouïr moult de nouvelles, lesquelles je ne veux pas conter, parce qu'il me faudroit interrompre le sujet que j'ai commencé, et qui est tel **. Moi qui n'avois pas mille livres de rente

»sant que si les ambassadeurs venoient en France, qu'ils >> verroient tout autrement vivre le peuple, qu'ils ne >> leur auroient dit et prêché, qui pourroit être cause de >> reprendre leur erreur païenne. » Et plus bas il est dit : « Je crois qu'il fut véritable ce qu'aucunes gens de bien >> avoient dit quand ils virent arriver les ambassadeurs » (tartares) devers le roi. C'est que leur venue porteroit >> plus de dommage à leur nouvelle foi, que de bien aux >> chrétiens, attendu qu'ils pouvoient voir tout vice >> abonder entre nous; qui leur donneroit occasion de » faire mauvais rapport de nous, chrétiens, à leur prince » le roi des Tartares. >>

A la suite de ce passage on trouve le fait qu'on va lire :

« Le roi séjournant encore en Chypre, recut des let

çeus vous diré-je, aussi comme il meismes le con- | terent au Roy; et en ce que il raporterent au Roy, pourrez oir moult de nouvelles, lesqueles je ne veil pas conter, pource que il me conviendroit de rompre matiere que j'ai commenciée et qui est tele. Je qui n'avoie pas mil livrées de terre me charjai, quant j'alé Outremer, de moy diziesme de chevaliers et de deux chevaliers banieres portans; et m'avint ainsi, que quant je arivai en Cypre, il ne me fu demouré de remenant que douze vins livres de tournois, ma nef paiée; dont aucun de mes chevaliers me manderent que se je ne me pourvoie de deniers, que il me lèroient. Et Dieu qui onques ne me failli, me pourveut en tel maniere que le Roy, qui estoit à Nichocie m'envoia querre et me retint, et me mist huit cenlz livres en mes cofres; et lors oz je plus de deniers que il ne me couvenoit.

76. En ce point que nous séjournames en Cypre, me manda l'empereris de Constantinnoble que elle estoit arivée à Baphe une cité de Cypre, et que je l'alasse querre et mon seigneur Erart de Brienne. Quant nous venimes là, nous trouvames que un fort vent ot rompues les cordes des ancres de sa nef et en ot mené la nef en Acre, et ne li fu demourer de tout son harnois que sa

en fonds de terre, je me chargeai, quand j'allai outre-mer, de moi dixième de chevaliers et de deux chevaliers portant bannière; il m'advint, ainsi que quand j'arrivai en Chypre, il ne me resta que douze vingts livres tournois, ma nef payée; aussi, aucuns de mes chevaliers me mandèrent-ils que si je ne me pourvoyois de deniers, ils me laisseroient: et Dieu, qui oncques ne me faillit, me pourvut de telle manière, que le roi, qui étoit à Nicosie, m'envoya quérir, et me retint et me mit huit cents livres en mes coffres, et lors j'eus plus de deniers qu'il ne m'en falloit.

76. [Pendant que nous séjournions en Chypre, l'impératrice de Constantinople me manda qu'elle étoit arrivée à Baphe (Paphos), ville de l'île, et que je l'allasse quérir, et monseigneur Erard de Brienne avec elle. Quand nous y arrivȧmes, nous vimes qu'un vent très-fort avoit rompu les cordes des ancres de sa nef et avoit emporté ladite nef à Acre; et de tout son bagage, il ne lui étoit resté que la chape dont elle étoit vêtue et un surtout pour la table. Nous l'emmenâmes à Limisso où

» tres que le maître des Templiers lui écrivoit de Syrie, >> par lesquelles lui mandoit que le soudan d'Egypte >> avoit envoyé par devers lui un de ses amiraux (émirs) » pour parler de la paix, si le roi y vouloit entendre. » Et comme le roi tenoit son conseil pour délibérer de » la réponse qu'il devoit faire, le roi de Chypre, qui » étoit tant sage et connoissant la finesse des Templiers, >> dit u roi saint Louis qu'il étoit bien assuré que le » maitre des Templiers avoit envoyé premièrement de

chape que elle ot vestue, et un seurcot à manger. Nous l'amenames à la meson, là où le Roy et la Royne et touz les barons la recurent moult honorablement. Lendemain je li envoiai drap et cendal pour fourrer la robe. Monseigneur Phelippe de Nanteil le bon chevalier qui estoit encore le Roy, trouva mon escuier qui aloit à l'Empereris. Quant le preudomme vit ce, il ala au Roy et li dist que grant honte avoit fait à li et aus autres barons, de ses robes que je li avoie envoié, quant il ne s'en estoient avisez avant. L'Empereris vint querre secours au Roy pour son Seigneur qui estoit en Constantinnoble demourez, et pourchassa tant que elle emporta cent paire de lettres et plus que de moy que des autres amis qui là estoient; ès quiex lettres nous estions tenus par nos seremens, que se le Roy ou les legaz vouloient envoier trois cens chevaliers en Constantinnoble, après ce que le Roy seroit parti d'Outremer, que nous y estions tenu d'aler par nos sermens. Et je pour mon serement aquiter, requis le Roy au départir que nous feismes, par devant le Conte dont j'é la lettre, que se il y vouloit envoier troiz cens chevaliers, que je iroie pour mon serement acquiter. Et le Roy me respondi que il n'avoit de quoy, et que il n'avoit si

étoit le roi; le lendemain, je lui envoyai du drap pour faire une robe et la pane de vert avec, ainsi qu'une tiretaine et le taffetas pour fourrer la robe. Messire Jean de Nanteuil, qui étoit auprès du roi, rencontra mon écuyer qui alloit à l'impératrice; le bon gentilhomme, voyant cela, alla au roi, et lui dit que grande honte avoit faite à lui et aux autres barons de ces robes que j'avois envoyées à la princesse, avant qu'ils ne s'en fussent avisés. L'impératrice venoit demander au roi secours pour son seigneur qui étoit demeuré à Constantinople; elle fit tant qu'elle emporta bien deux cents lettres et plus, tant de moi que des autres amis qui étoient là: par lesquelles lettres nous étions tous tenus par serment d'aller à Constantinople, si le roi ou les légats vouloient y envoyer trois cents chevaliers, après que le roi seroit parti d'outre-mer; et moi, pour mon serment acquitter, je requis le roi, à notre départ, en présence du comte d'Eu dont j'ai la lettre, que, s'il y vouloit envoyer trois cents chevaliers, je fusse du nombre, et le roi me répondit qu'il n'avoit de

>> vers le soudan, et qu'il avoit attiré à soi celui amiral » qui étoit arrivé vers lui; laquelle chose étoit grande » ment à blâmer, attendu que par ce moyen le soudan >> se tiendroit plus fier, quand il entendroit que le roi » demanderoit la paix, pour s'en retourner en France. » A cette cause, le roi défendit au maître des Templiers » de ne recevoir aucune ambassade du soudan, ni de » parler à eux, en quelque manière que ce fut, etc. » O Capitale de l'ile de Chypre.

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bon trésor dont il ne feust à la lie. Après ce que nous feumes arivez en Egypte, l'Empereris s'en ala en France et enmena avec li mon seigneur Jehan d'Acre son frere, lequel elle maria à la contesce de Montfort.

77. En ce point que nous venimes en Cypre, le soudanc de Coyne estoit le plus riche Roy de toute la Paennime, et avoit faite une merveiile; car il avoit fait fondre grant parti de son or en poz de terre, et fit briser les poz; et les masses d'or estoient demourées à découvert en mi un sien chastel, que chascun qui entroit au chastel y pooit toucher et veoir; et en y avoit bien six ou sept. Sa grant richesce apparut en un paveillon que le Roy d'Ermenie envoia au Roy de France, qui valoit bein cinq cenz livres; et li manda le Roy d'Ermenie que un ferrais au soudanc de Coyne li avoit donné. Ferrais est cil qui tient les paveillons au soudanc et qui li nettoie ses mesons.

78. Le roy d'Ermenie, pour li délivrer du servage au soudanc de Coyne, en ala au roy des Tartarins, et se mist en leur servage pour avoir leur aide; et amena si grant foison de gens d'armes que il ot pooir de combattre au soudanc de Coyne, et dura grant piece la bataille, et li tuerent les Tartarins tant de sa gent, que l'en n'oy puis nouvelles de li. Pour la renom

quoi, et qu'il n'avoit si bon trésor qui ne fût presque à sec. Après que nous fumes arrivés en Egypte, l'impératrice s'en alla en France et emmena avec elle monseigneur Jean d'Acre, son frère, qu'elle maria à la comtesse de Montfort.]

77. Au temps où nous arrivâmes en Chypre, le soudan d'Icone étoit le plus riche roi de toute la païennie, et il avoit fait faire une chose merveilleuse, car il avoit fait fondre grande partie de son or dans des pots de terre, lesquels tiennent bien trois muids ou quatre, et avoit fait briser les pots, et les masses d'or étoient demeurées à découvert au milieu d'un château qui lui appartenoit; chacun qui entroit audit château y pouvoit toucher et les voir, et il y en avoit bien six ou sept. Sa grande richesse parut dans un pavillon que le roi d'Arménie envoya au roi de France, lequel valoit bien cinq cents livres, et le roi d'Arménie lui manda qu'un ferrais du soudan d'Icone le lui avoit donné. Un ferrais est celui qui a soin des pavillons du soudan et qui nettoie ses maisons.

78. Le roi d'Arménie, pour se délivrer du servage du soudan d'Icone, s'en alla trouver le roi des Tartares et se mit à son service pour avoir son aide, et il amena tant de gens d'armes qu'il eut pouvoir de combattre le soudan d'Icone, et la bataille dura long-temps; les Tartares tuèrent tant de ses gens que depuis on n'eut point de nouvelles du soudan. Au bruit qui étoit grand en Chypre de

mée qui estoit grant en Cypre de la bataille qui devoit estre, passerent de nos gens serjans en Ermenie pour gaaingner et pour estre en la bataille, ne oncques nulz d'eulz n'en revint.

79. Le soudanc de Babyloinne qui attendoit le roy qu'il venist en Egypte au nouvel temps, s'apensa que il iroit confondre le soudanc de Hamant qui estoit son ennemi, et l'ala assiéger devant la cité de Hamant. Le soudanc de Hamant ne se sot comment chevir du soudanc de Babiloinne, car il véoit bien qui se il vivoit longuement, que il le confondroit. Et fist tant bagingner au ferrais le soudanc de Babiloinne, que les ferrais l'empoisonnerent. Et la maniere de l'empoisonnement fu tele, que le ferrais s'avisa que le soudanc venoit touz jours jouer aus eschez après relevée sus les nates qui estoient au piez de son lit; laquelle nate sur quoy il sot que le soudanc s'asséoit tous les jours, il l'envenima. Or avint ainsi que le soudanc qui estoit deschaus, se tourna sus une escorcheure que il avoit en la jambe, tout maintenant le venin se feri ou vif, et li tolli tout le pooir de la moitié du cors de celle par vers le cuer. Il fu bien deux jours que il ne but, ne ne manja, ne ne parla. Le soudanc de Hamant laissierent en paiz et le menerent sa gent en Egypte.

80. Maintenant que mars entra, par le com

la bataille qui devoit avoir lieu, plusieurs de nos sergents passèrent en Arménie pour y assister et pour faire du gain, mais nul d'eux oncques n'en revint.

79. Le soudan de Babilone (Caire), qui s'attendoit que le roi viendroit en Egypte au printemps, forma le dessein d'aller confondre le soudan de Hama, qui étoit son ennemi, et il alla l'assiéger devant la cité de Hama. Le soudan de Hama ne sut comment se débarrasser du soudan de Babilone, car il voyoit bien que, s'il vivoit long-temps, il le confondroit. Il sut si bien négocier avec le ferrais du soudan de Babilone que ce ferrais l'empoisonna; et la manière de l'empoisonnement fut telle: ce ferrais pensa que le soudan venoit tous les jours jouer aux échecs après dîner, sur les nattes qui étoient au pied de son lit. Il empoisonua les nattes sur lesquelles il sut que le soudan s'asseyoit tous les jours. Or il advint que le soudan, qui étoit nues jambes, s'appuya sur une écorchure qu'il avoit à la jambe. Aussitôt le venin se porta au vif et lui ôta tout pouvoir de la moitié du corps du côté où est le cœur ; et quand le venin le poignoit vers le cœur, il étoit bien deux jours qu'il ne buvoit, ni ne mangeoit, ni ne parloit. L'armée du soudan d'Égypte laissa alors le soudan de Hama en paix, et ramena le soudan de Babilone en Égypte.

80. Dès le premier jour de mars, par le com

mandement le Roy, le Roy et les barons, et les autres pelerins commanderent que les nez refeussent chargiée de vins et de viandes, pour mouvoir quant le Roy le commenderoit. Dont il advint ainsi que quant la chose fu bien arée, le Roy et la Royne se requeillirent en leur nez le vendredi devant Penthecouste; et dist le Roy à ses barons que ils alassent après li en leur nez droit vers Egypte. Le samedi fist le Roi vcille et tous les autres vessiaus aussi; qui moult fu belle chose à veoir; car il sembloit que toute la mer, tant comme l'en pooit veoir à l'euil, feust couverte de touailles des voilles des vessiaus, qui furent nombrez à dix-huit cens vessiaus que granz que petiz. Le Roy encra au bout d'une terre que l'en appelle la pointe de Limeson, et touz les autres vessiaus entour li. Le Roy descendit à terre le jour de la Penthecouste. Quant nous eumes oy la messe, un vent grief et fort qui venoit devers Egypte, leva en tel maniere que de deux mille et huit cenz chevaliers que le Roi mena en Egypte, ne l'en demoura que sept cenz que le vent ne les eust desseurés de la compaignie le Roy, et menez en Acre et en autres terres estranges, qui puis ne revindrent au Roy de grant piece.

mandement du roi, les barons et les autres pélerins ordonnèrent que les nefs fussent rechargées de vin et de viandes pour partir, quand le roi le commanderoit. Il advint donc que quand tout fut préparé, le roi et la reine se retirèrent dans leur nef, le vendredi d'avant la Pentecôte, et le roi dit à ses barons d'aller, après lui, dans leurs nefs, droit vers l'Égypte. Le samedi, le roi fit voile et tous les autres vaisseaux aussi; ce qui fut moult belle chose à voir, car il sembloit que toute la mer, tant que la vue pouvoit s'étendre, fùt couverte de toile des voiles des vaisseaux, qui furent comptés au nombre de dix-huit cents vaisseaux tant grands que petits. Le roi ancra au bout d'un tertre qu'on appelle la pointe de Limisso, et tous les autres vaisseaux autour de lui. Le roi descendit à terre le jour de la Pentecôte. Quand nous eûmes ouï la messe, un vent fort, qui venoit de vers l'Égypte, se leva de telle manière que de deux mille huit cents chevaliers que le roi menoit en Égypte, il n'en resta que sept cents que le vent ne sépara point de la compagnie du roi; il emporta les autres à Acre et en d'autres terres étrangères, lesquels ne revinrent au roi que long-temps après **.

81. Le lendemain de la Pentecôte le vent tom

Voyez la Correspondance d'Orient, 4 et 7 vol. * Mesnard et Ducange, d'après lui, ajoutent ici cette phrase: « dont il (le roi) et sa compagnie furent toute

81. Lendemain de la Penthecouste le vent fu cheu; le Roy et nous qui estions avec li demourez, si comme Dieu voult, feismes voille derechief; et encontrames le prince de la Morée et le duc de Bourgoingne qui avoient séjourné en la Morée. Le jeudi après Penthecouste ariva le Roy devant Damiete, et trouvames là tout le pooir du soudanc sur la rive de la mer, moult beles gent à regarder; car le soudanc porte les armes d'or, là où le soleil feroit, qui fesoit les armes resplendir. La noise que il menoient de leur nacaires et de leurs cors Sarrazinnoiz estoit espouvantable à escouter.

82. Le Roy manda ses barons pour avoir conseil que il feroit. Moult de gens li loerent que il attendit tant que ses gens feussent revenus, pource que il ne li estoit pas demouré la tierce partie de ses gens, et il ne les en voult oncques croire. La raison pourquoy, que il dit que il en douroit cuer à ses ennemis; et meismement que en la mer devant Damiete n'a point de port là où il peut sa gent attendre, pource que un fort vent nes preist, et les menast en autres terres aussi comme les autres avoient le jour de Penthecouste.

83. Accordé fu que le Roy descendroit à terre le vendredi devant la Trinité, et iroit

ba; le roi et nous qui étions avec lui demeurés comme Dieu voulut, fimes voile derechef et rencontràmes le prince de la Morée et le duc de Bourgogne, qui avoient séjourné dans la Morée. Le jeudi après la Pentecôte, le roi arriva devant Damiette; et nous trouvâmes là toute l'armée du soudan sur le rivage de la mer; c'étoient moult belles gens à regarder; car le soudan portoit des armes d'or sur lesquelles le soleil frappoit et qu'il faisoit resplendir. Le bruit que les Sarrasins faisoient avec leurs nacaires (tymbales) et leurs cors étoit épouvantable à entendre.

82. Le roi appela ses barons pour avoir conseil sur ce qu'il feroit; moult de gens lui conseillèrent d'attendre que ses chevaliers fussent revenus, car il ne lui en étoit pas demeuré la tierce partie, et il ne voulut oncques les en croire. La raison pourquoi, c'est, disoit-il, qu'il donneroit cœur aux ennemis, et aussi qu'il n'y a point dans la mer devant Damiette de port où il pût attendre ses gens; et qu'un vent fort pouvoit de même nous prendre et nous mener en terres étrangères, comme l'avoient été les autres, le jour de la Pentecôte.

83. Il fut convenu que le roi descendroit à terre le vendredi devant la Trinité, et iroit com

cette journée moult doulens et ébahiz; car on les croyoit tous morts ou en grant péril. »

combattre aus Sarrazins, se en eulz ne demouroit. Le roi commanda à monseigneur Jehan de Biaumont, que il feist bâiller une galie à monseigneur Erast de Brienne et à moy, pour nous descendre et nos chevaliers, pource que les grans nefs n'avoient pooir de venir jusques à terre. Aussi comme Diex voult, quant je reving | à ma nef, je trouvai une petite nef que madame de Baruch, qui estoit cousinne germainne le conte de Monbeliart et la nostre, m'avoit donnée, là où il avoit huit de mes chevaus. Quant vint au vendredi, entre moy et monseigneur Erart touz armés alames au Roy pour la galie demander, dont monseigneur Jehan de Biaumont nous respondit que nous n'en arions point.

84. Quant nos gens virent que nous n'ariens point de galie, il se lesserent cheoir de la grant nef en la barge de cantiers qui plus plus, qui mieux mieux. Quant les marinniers virent que la barge de cantiers se esfondroit pou à pou, il s'enfuirent en la grant nef et lesserent mes chevaliers en la barge de cantiers. Je demandai au mestre combien il li avoit trop de gens; et si li demandai se il menroit bien nostre gent à terre, se je le deschargoie de tant gent; et il

battre les Sarrasins, s'ils restoient dans leur position. Le roi commanda à monseigneur Jean de Beaumont qu'il fit bailler une galée (barque) à monseigneur Erard de Brienne et à moi, pour nous descendre ainsi que nos chevaliers, parce que les grandes nefs ne pouvoient venir jusqu'à terre. Aussi, comme Dieu voulut, quand je revins à ma nef, je trouvai une petite nef que madame de Baruch, qui étoit cousine germaine du comte de Montbéliard et la nôtre, m'avoit donnée; il y avoit huit de mes chevaux. Quand vint le vendredi, moi et monseigneur Érard, tous armés, nous allames au roi pour demander la galée; mais monseigneur Jean de Beaumont nous répondit que nous n'en aurions point *.

84. Quand nos gens virent que nous n'aurions point de galée, ils se laissèrent cheoir de la grande nef dans la chaloupe à qui plus plus, à qui mieux mieux. Les mariniers voyant que la chaloupe s'enfonçoit peu à peu, s'enfuirent en la grande nef et laissèrent mes chevaliers dans la chaloupe. Je demandai au maître combien il y avoit trop de gens, et il me dit vingt hommes

* On lit ici dans de Rieux les phrases suivantes : « Mais monseigneur Jean de Briemont nous respondit, présent le roi, que nous n'aurions point de galée; si n'en fiz le roi à l'heure aultre semblant, car je vous assure qu'il avoit beaucoup plus de peine d'entretenir ses gens en paix et amitié qu'il n'avoit à supporter ses ennemis et infortunes. » Dans Mesnard et Ducange on lit: « Mais messire Jean de Belmont nous répondit, présent

me respondit, oyl; et je le deschargai en tel maniere que par troiz foiz il les mena en ma nef où mes chevaus estoient. En dementres que je menoie ses gens, un chevalier qui estoit à monseigneur Erart de Brene, qui avoit a non Plonquet, cuida descendre de la grant nef en la barge de cantiers, et la barge essoigna et chei en la mer et fu noyé.

85. Quant je reving à ma nef, je mis en ma petite barge un escuier que je fiz chevalier, qui ot a non monseigneur Hue de Wanquelour, et deux moult vaillans bachelers, dont l'un avoit non monseigneur Villain de Versey, et l'autre monseigneur Guillaume de Danmartin, qui estient en grief courine l'un vers l'autre, ne nulz n'en pooit faire la pez, car il s'estoient entrepris par les cheveux à la Morée : et leur fiz pardonner leur mal talent et besier l'un l'autre, parce que leur jurai sur Sains, que nous n'iriens pas à terre à tout leur mal talent. Lors nous esmeumes pour aller à terre, et venimes par de les la barge de cantiers de la grant nef le Roy, là où le Roy estoit; et sa gent me commencerent à escrier, pource que nous alions plustost que il ne fesoient, que je arivasse à l'enseigne saint Denis qui en aloit en un autre

d'armes; et je lui demandai s'il mèneroit bien le reste à terre, et que je le déchargerois du surplus, et il me répondit : oui. Et je le déchargeai de telle manière qu'en trois fois, je les menai en ma petite nef où étoient mes chevaux. Et pendant que je les menois, un chevalier, qui étoit à monseigneur Erard de Brienne et qui avoit nom Plouquet, voulut descendre de la grande nef dans la chaloupe, et la chaloupe s'éloigna, et il tomba dans la mer et il fut noyé.

85. Quand je revins à ma nef, je mis en ma petite chaloupe un écuyer que je fis chevalier, et qui avoit nom monseigneur Hugues de Vauqueleur, deux bacheliers moult vaillants dont l'un avoit nom monseigneur Villain de Versey, et l'autre monseigneur Guillaume de Dammartin, lesquels étoient en grand discord l'un vers l'autre ; nul ne pouvoit les apaiser. Ils s'étoient pris aux cheveux à la Morée. Je fis cesser leur rancune et les fis baiser l'un l'autre, parce que je leur jurai sur les saints que nous n'irions pas à terre avec leur rancune **. Lors nous nous disposâmes à aller à terre et vinmes près de la chaloupe de la grande

le roi, que nous n'en aurions jà point. Par quoi pouvez connoistre que le bon roi avoit autant à faire à entretenir sa gent en paix, comme il avoit à supporter ses fortunes et pertes. »

** Ce fait est omis dans Mesnard et Ducange; dans de Rieux, il est autrement raconté, et Joinville y semble étranger à la réconciliation.

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