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quelque méfiance, le marquis de La Bourdon- | pression qu'il en avait reçue avait altéré son naye, qu'il chargea de voir M. de Mortemart caractère et se peignait sur son visage, à ce et de s'entendre avec les membres du gouver-point qu'un jour un brave général, le voyant nement provisoire. La Bourdonnaye partit, après passer auprès de lui, dit au ministre, M. Vilavoir essayé, mais sans succès, de lui faire lemain, avec lequel il s'entretenait : « Voilà un quelques insinuations sur la ligne de conduite homme d'honneur que vous tuez peut-être. » qu'il était important de changer. Arrivé au pont Cette malheureuse flétrissure ne fut pas, en efde Grenelle, il fut arrêté et questionné. « Je fet, étrangère à l'affaiblissement de la santé de > suis député, répondit-il, et je me rends à la La Bourdonnaye, et hâta le développement > Chambre. Votre nom? Je m'appelle le d'une affection de poitrine qui l'emporta, le 44 » général Arthur. Il y a à la Chambre un gé- avril 1844, à l'âge 59 ans, tant était grande › néral Arthur; mais c'est le général La Bour- chez lui la délicatesse du sentiment de l'hon> donnaye, un député de la droite. » A cette ob-neur! C'était vraiment un homme des anciens servation, des cris improbateurs s'élevèrent jours, doué d'une susceptibilité chevaleresque. parmi la foule. Quand le calme se fut rétabli, Ses adversaires politiques eux-mêmes lui renl'envoyé reprit la parole avec son sang-froid ha- daient complètement justice : « Nous avons bituel: «Etes-vous des soldats ou une multi-tous été mêlés depuis quarante ans, comme > tude indisciplinée? S'il y a quelque ordre M. de La Bourdonnaye, à la vie publique, di> parmi vous. prouvez-le et conduisez-moi à sait un de ceux-ci; et nous y avons éprouvé > celui qui vous commande. >> Un élève de plus ou moins de succès ou de revers; mais il l'Ecole polytechnique prit alors le général sous n'y a pas un seul de nous dont on puisse dire, le bras, et celui-ci arriva, non sans peine, au comme de lui, qu'il n'a jamais eu d'ennemis. » poste de l'Hôtel-de-Ville, où il fut répondu à La Bourdonnaye fut inhumé dans la chases instances par le mot de toutes les révolu- pelle du château de Blossac, sépulture de sa tions triomphantes: Il est trop tard. La Bour- famille. Il avait épousé Mile Charlotte de Landonnaye, désespéré, retourna rendre compte tivy-du-Reste, fille de M. le comte Lantivyde sa mission à Charles X, et, ne pouvant plus du-Reste, capitaine des vaisseaux du roi, et de ètre utile à ce prince en restant auprès de sa Mlle du Bosc, tous deux d'ancienne extraction. personne, il se hàta de rentrer dans Paris, où il pouvait le servir plus efficacement à la Chambre des députés. Présent à la séance où l'on proclama la déchéance, il fit à la tribune une protestation qu'il adressa aux habitants de Paris. Il refusa d'ailleurs de servir le nouveau gouvernement, et, sur sa demande, il fut mis à la réforme.

Les journaux de toutes nuances s'empressèrent de faire l'éloge du défunt. Nous avons remarqué l'article de la Gazette de France, du 16 avril 1844, signé La Rochejacquelein, article dicté par une verve pleine de chaleur et de sensibilité. On peut également consulter avec fruit le Nécrologe universel du XIX siècle, publié sous la direction de M. E. Saint-Maurice Cabany. Lee. R-n.d.l. R.

LA CHALOTAIS (LOUIS-RENÉ DE CARADEUC DE), mort procureur-général au Parlement de Bretagne, était né à Rennes, le 6 mars 1701.

Rentré dans la vie privée, La Bourdonnaye consacra ses loisirs à l'amélioration de ses vastes domaines situés en Bretagne, et contribua beaucoup, par ses heureux essais, au perfectionnement de l'agriculture dans cette province. Un comice agricole institué à Carentoir, une école gratuite établie à Blossac, des A la fin du xviie siècle, alors que l'esprit de secours sagement distribués aux indigents, té- discussion avait envahi la société politique, aumoignèrent du zèle éclairé d'un propriétaire ri- tant que naguère il avait sapé la société reliche et bienfaisant. Les suffrages des électeurs gieuse, un nom breton apparut entouré d'une de Hennebon vinrent le surprendre dans sa réputation commencée dans le palais du Parleretraite, et, en 1837, il fut nommé député à la ment de Rennes et portée dans toute l'Europe Chambre. Les questions militaires attirèrent par les éloges de Voltaire et de d'Alembert. Če spécialement son attention; et, lors des débats nom c'est celui de La Chalotais. Elevé aux sur les fortifications de Paris notamment, il nues par les uns, décrié par les autres, mais prononça un remarquable discours où il faisait objet de l'attention de tous, le procureur-géressortir les dangers qui résultent pour une néral au Parlement de Bretagne à survécu aux grande nation de la concentration de toutes ses grands orages dont il fut l'un des précurseurs. forces dans la Capitale. Le vote sur la flétris- Il n'est pas en France d'homme lettré qui ne le sure, infligée aux députés légitimistes qui a- connaisse comme une personnification de la vaient fait le voyage de Belgrave-Square, lui guerre acharnée que la fin du xvie siècle vit porta un rude coup, bien que des raisons par- déclarer aux Jésuites; il n'est pas de Breton un ticulières l'eussent empêché de prendre part peu versé dans l'histoire de son pays qui ne se lui-même à cette manifestation. « Je ne suis souvienne en outre de La Chalotais comme pas fait pour rester dans cette chambre, répé- du magistrat qui soutint avec le plus d'énertait-il souvent avec indignation. » La vive ím-gie la lutte engagée, quelques années avant.

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1790, par les Parlements des pays d'Etats, | prit qui s'animait par la discussion et savait y contre l'autorité royale. trouver mille ressources imprévues. A vingtEn effet, deux grandes phases distinguent neuf ans il était avocat-général, et, avant d'ala vie de La Chalotais : la guerre contre les Jé- voir atteint sa cinquantième année, il était prosuites et la lutte parlementaire. Pour beaucoup cureur-général. d'historiens ces deux phases se confondent en une, et la seconde ne serait qu'une conséquence de la première. Pour nous, il n'en saurait être de même; et, bien que La Chalotais lui-même ait tracé à ses biographes la première voie, nous essaierons de replacer cette grande figure dans le cadre véritable qui lui appartient.

Les Parlements étaient alors en possession d'un grand rôle politique. Magistrats souverains, dans toute la force du terme, les membres des Parlements luttaient depuis longues années contre le pouvoir royal. Investis par les anciennes lois du droit d'enregistrement des édits royaux, et du droit de remontrance, ils s'en servaient tantôt pour soutenir le prince dans les mesures sages qu'il adoptait, tantôt pour le forcer à se départir de tendances qui contrariaient la noblesse, en étendant l'influence de la bourgeoisie. Mais, par dessus tout, ils ne pouvaient consentir à la séparation des pouvoirs judiciaire et administratif, créée si violemment plus tard par la Révolution.

Ce n'est pas une idée nouvelle que celle-ci, qu'il ne faut pas juger les hommes des temps passés avec les impressions du temps présent. Les plus grands esprits, bien que se dégageant de la foule et la dépassant de toute la tête, subissent inévitablement l'influence des opinions généralement répandues et dominantes. C'est ainsi que, lorsqu'on scrute la vie des héros et des grands hommes d'autrefois, on y trouve Cette résistance perpétuelle des parlements, des pensées et des actions qui nous semblent qui les forçait à se pénétrer au plus haut point un reflet de la barbarie, quoiqu'elles ne soient, de l'ancien droit français, avait rendu La Chaaprès tout, que l'image morale de leur époque. lotais très-versé dans cette partie. Son goût, Le plus mince libéral de 1848 se trouverait l'entraînant aussi, par une pente naturelle, à un révolutionnaire abominable s'il se compa- l'examen de l'autorité, devait le porter encore rait à Franklin, bien qu'un demi-siècle à peine vers les idées développées par les esprits ennous sépare du républicain de Philadelphie; et cyclopédistes, au milieu du XVIe siècle. le dernier officier de l'armée française trouve- J'ai dit, s'était écrié Diderot, qu'il n'apparrait la plupart des actes des héros du moyen- tenait qu'à un siècle philosophe de tenter une age empreints d'une férocité indigne d'un sol- encyclopédie, et je l'ai dit parce que cet ouvrage dat, s'il les rapprochait de la moralité guer-demande partout plus de hardiesse dans l'esrière de notre époque. prit qu'on n'en a communément dans les siècles Il faut donc, pour bien juger les hommes cé-pusillanimes du goût. La hardiesse philosolèbres des temps passés, se placer côte à côte avec eux, dans le milieu où ils ont vécu; et, avant de les contempler d'un oil scrutateur, étudier la société à laquelle ils se sont trouvés mêlés. C'est ce que nous essaierons de faire, en retraçant la vie de La Chalotais.

phique, telle était la bannière levée en 1761, tel était l'insigne que le siècle de Voltaire, d'Alembert, et Diderot opposait au siècle pusillanime du goût, qui venait de mourir avec Louis XIV. La cour persécutait les encyclopédistes, et cela suffisait à leur donner crédit près des parlements, en lutte eux-mêmes avec la cour. Enfin, le gallicanisme, soulevé par le jansénisme, était à l'état de doctrine militante, et tout ce qui tendait à isoler la France de Rome avait une vogue qui gagnait les esprits éclairés, et les séduisait par cette idée que, suivre cette voie, c'était s'engager dans une

Louis-René de Caradeuc de La Chalotais naquit avec le xvIIIe siècle (1), dans une de ces familles privilégiées qui alors pouvaient seules aspirer aux grandes charges de l'armée ou de la cour. Le siècle de Louis XIV était dans toute sa splendeur; les lettres florissaient, les sciences s'épanouissaient au jour et la philosophie prenait son essor. A peine sorti des pre-route inconnue du vulgaire. mières études, La Chalotais, électrisé par cette atmosphère lumineuse qui l'enveloppait, se destina à la magistrature. Doué d'une imagination vive et de cette persévérance qui est propre à la race bretonne, le jeune homme se distingua bientôt, entre ses collègues du Parlement de Bretagne, par une espèce d'éloquence qui prenait să source autant dans l'étendue de ses connaissances que dans la causticité d'un es

(1) Chaque siècle ne commence que le 1 janvier de l'année se terminant par 1 et non par un 0. Le xvir siècle n'est terminé que le 31 décembre 1700, et le xvi n'ouvre que le 1" janvier 1801.

Telle était la situation des esprits, lorsque l'ordre des Jésuites se mit maladroitement en guerre avec les sociétés politiques. Le Portugal, profitant d'un attentat sur la personne de Joseph Ier, venait de les bannir, et l'un d'eux avait été brûlé comme hérétique, par arrêt de l'Inquisition (1759). L'attentat de Damiens (1757) avait conduit en France à l'examen de leurs doctrines, et, les jansénistes aidant, les philosophes avaient fourni, aux dépens de cet ordre fameux, une vigoureuse campagne contre les envahissements de Rome, dont il était l'agent infatigable. Jésuitisme, régicide étaient devenus synonymes: attentat contre les libertés

gallicanes, ultramontanisme étaient tout un déjà, lorsque le procureur des profès de la Martinique se refusa à payer des effets de commerce qui avaient été souscrits par lui en paiement d'une grosse affaire commerciale. Le provincial de Paris soutint ce procureur, et la chambre consulaire ayant rendu un arrêt qui le condamnait à satisfaire aux engagements contractés, il eut l'imprudence d'en appeler au

Parlement de Paris.

pété. Le Parlement avait spontanément, et dès le 14 août (c'est-à-dire huit jours après l'arrêt rendu par celui de Paris), ordonné que le supérieur des Jésuites du collège de Rennes apporterait, au greffe de la Cour, un exemplaire des Constitutions de la Société de Jésus, ordre auquel le frère le Pays avait obéi dès le lendemain. Cet exemplaire, et deux volumes petit in-folio, intitulés: « Institutum Societatis Jesu, etc. », imprimés à Prague, en 1757, avaient Cette magistrature, notoirement ennemie de été remis au procureur-général, avec injoncl'ordre des Jésuites, saisit habilement cette tion d'en rendre compte à la Cour, le mardi circonstance pour se faire remettre un exem-4er décembre. (Arrêt du 23 décembre 1761.) plaire authentique de leurs statuts. L'examen M. de La Chalotais aborda sans doute ce sévère de leurs constitutions amena deux ar- travail avec quelques idées préconçues, car les rêts le premier déclarait cet ordre dangereux doctrines religieuses avaient depuis long-temps pour la religion et pour l'Etat, et défendait aux occupé son esprit; mais, ni hostilité systémasujets du roi de s'y affilier; le second ordon-tique, ni haine contre les Jésuites ne vinrent nait que certaines œuvres des Jésuites seraient, se mêler à l'accomplissement de son devoir: de comme contraires à la morale, brûlées par la tels sentiments ne pouvaient entrer dans son main du bourreau (6 août 1761). Le Roi hésita âme. Il hésitait même à entreprendre son Compteà sacrifier ainsi les Jésuites (1); mais les minis-rendu. Convaincu de la puissance redoutable de tres insistèrent contre eux, et, en peu de temps, l'ordre des Jésuites, il assembla ses enfants, tous les Parlements du royaume s'emparèrent d'une question qui préoccupait la nation.

et, après leur avoir déclaré « qu'il ne se dissimulait pas les graves conséquences qui pouLa Chalotais, alors procureur-général au Par- vaient résulter pour lui d'un pareil travail,» il lement de Bretagne, marié à trente ans, père ajouta que, « bien qu'il redoutât cette tâche, d'un fils dont l'éducation avait été son plus il remplirait le devoir qui lui était imposé par sa cher devoir, et qui déjà siégeait à ses côtés. La compagnie. » (Notes de famille.) Toutefois, et Chalotais n'avait, jusqu'à ce jour, publié que cette grande résolution prise, il ne pouvait enquelques Plaidoyers, imprimés dans le Jour-core se persuader que le Roi permettrait l'exanal des audiences du Parlement de Bretagne, men des Constitutions des Jésuites. Ceux-ci lui et un Mémoire sur les dispenses de mariage, semblaient tout-puissants à la cour, et la preuve inséré dans un autre recueil intitulé: Avis aux lui en apparaissait dans les lettres-patentes du Princes catholiques. Magistrat austère, il était 29 août, qu'il venait de recevoir. Avant donc de plus chrétien, pratiquant tous ses devoirs d'entreprendre l'œuvre, il chercha, dans une de dévotion avec une sévérité de principes qui assurance positive « émanant du cabinet même eût fort étonné, 's'ils l'eussent connue (2), de M. de Choiseul », une garantie qu'il n'agiceux qui lurent bientôt les fameux Comptes-rait pas contre la volonté du gouvernement. rendus qu'il présenta à sa compagnie contre l'ordre des Jésuites. Ce travail, il ne l'avait pas assumé de lui-même, comme on l'a cru et ré

(1) Le roi ordonna qu'il serait sursis à l'exécution de cet arrêt, parce qu'il voulait s'occuper par lui-même de ce qui concernait l'institut, les constitutions et les établissements de la Société de Jésus. (Lettres-patentes du 29 août 4761.)

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(Mémoires de M. de la Fruglaye, 1761.) M. de Choiseul, on le sait maintenant, mais alors il était permis de l'ignorer en Bretagne, avait entreprís d'expulser les Jésuites de la France, comme ils avaient été expulsés de l'Espagne. Plus tard il fut ainsi amené à poursuivre la destruction totale de l'ordre. Sa réponse ne laissa donc aucun doute à M. de La Chalotais, qui, rassuré sur ce point, se mit au travail (1).

(2) Nous avons sous les yeux des notes de famille qui De tous côtés des documents étaient envoyés non seulement confirment ce fait, mais encore ajoutent au procureur-général. La plupart, pleins de que, tout en s'associant aux attaques dirigées en 1762 fiel et d'amertume, furent rejetés par M. de La contre les congregations religieuses, M. de la Chalotais Chalotais, qui voulait résister à toute impulsion voulut que ses filles et petites-filles fussent toutes élevées au couvent. M de la Chalotais était assez ouvertement étrangère et ne s'inspirer que de son opinion Janseniste, et, comme les plus purs d'entre eux, il sou-personnelle. Cependant il ignorait l'histoire ectenait, avec une grande indépendance de principes, le clésiastique et surtout la théologie ascétique, dogme illibéral de l'action de la grâce imposée par Dieu à quelques élus. Les Jésuites, au contraire, soutenaient ce qui l'empêchait de bien juger plusieurs les droits de la liberté morale, en s'appuyant sur la né- points de la question qu'il traitait et ne lui percessité d'une soumission absolue au Saint-Siége. Inconséquences si communes dans les esprits les plus supérieurs, et preuve nouvelle que ce qui est contradictoire dans les hommes n'est pas toujours contraire. On a vu dans La Chalotais un philosophe; tout nous porte à le voir Jan

séniste.

(1) Ce doute de M. de La Chalotais est, quoi qu'il en soit, une preuve qu'on a dit à tort que l'ordre de poursuivre les Jésuites avait été donné par Louis XV lui-même aux Parlements.

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mettait d'apprécier les constitutions religieuses pères assistèrent en simples surplis. L'office que du point de vue du droit politique et civil. terminé, le célébrant, emportant le saint-ciLes plus grandes exagérations contre une com- boire, laissant le tabernacle ouvert, éteignit la pagnie puissante étaient à la mode, et il faut grande lampe et sortit suivi des pères et d'un être bien fort pour résister au courant des idées grand nombre de leurs élèves. Deux années générales. (Notes de famille.) D'ailleurs la So- plus tard l'ordre succombait par toute la Franciété de Jésus avait eu d'imprudents écrivains; ce. Chacun sait que le pape Clément XIII souet, les doctrines de ceux-ci rejaillissant sur le tint les Jésuites contre cette persécution, mais corps entier, il était bien difficile qu'elles ser- que, perdus par la résistance que l'inflexible vissent à pallier certains abus dont on s'était Ricci, leur général, opposa aux réformes proindigné à bon droit. posées par Clément XIV, ils furent supprimés en 1773, par le pape lui-même, « pour cause d'abus et de désobéissance au Saint-Siége », justifiant eux-mêmes, sinon la proscription et la confiscation prononcées contre eux, du moins les rigueurs des Parlements.

Nous faisons ici de l'histoire; nous écrivons une page qui, dictée par l'impartialité la plus lus absolue, est destinée à déplaire à toutes les personnes pour qui les appréciations historiques doivent être une reproduction de leurs propres opinions; mais nous disons et pour et contre M. de La Chalotais ou les Jésuites ce que notre conscience nous inspire s'il eût dû en être autrement, nous eussions récusé l'honneur d'écrire cet article.

M. de La Chalotais voulait réformer et non détruire. Il avait enlevé l'enseignement aux Jésuites; il s'occupa de le rétablir sur de nouvelles bases. Plusieurs mémoires lui avaient été adressés par les municipalités, et, de son côté, Réformer les abus, rappeler Rome à recon-il publia son Essai d'éducation nationale, ou naître les libertés de l'Eglise gallicane, sous- Plan d'études pour la jeunesse (1763), s'engatraire la jeunesse à des instituteurs opposés à geant sur ce terrain glissant en même temps ces idées, tel était le but auquel tendait M. de que Diderot et J.-J. Rousseau. Cet Essai est le La Chalotais. Il y employa six semaines d'un plus beau titre de M. de La Chalotais à l'admitravail assidu, alors qu'il avait compté sur les ration de la postérité. Son siècle lui avait imposé vacances pour rétablir sa santé, dont l'état fut ses colères contre les Jésuites; mais à son tour singulièrement altéré par cet effort. Enfin, les il le dominait par des aperçus d'une netteté et 4er, 3, 4 et 5 décembre le Parlement, réuni en d'une hardiesse au dessus de tout éloge. Écrit audience solennelle, entendit la lecture du pre- avec pureté et simplicité, l'Essai d'éducation mier Compte-rendu, et, le 23 du même mois, nationale conseillait, en 1763. des réformes il rendit un arrêt par lequel « défense fut faite auxquelles 1852 atteint à peine. Voltaire s'en » aux sujets du Roi d'entrer dans la Société de enthousiasma, un peu sans doute parce que » Jésus; défense à ceux-ci d'enseigner la théo- l'auteur avait fourni une campagne contre les >>logie, la philosophie ou les humanités; défense Jésuites, mais aussi parce qu'il était impossi>> aux étudiants de suivre leurs cours, sous ble qu'un esprit supérieur n'y vit pas une œu» peine d'être réputés fauteurs de leur doctrine vre hors ligne. « Vous donnez, écrivait-il à » impie, sacrilege, homicide, etc. Le même » l'auteur, le 22 juin 1763, envie d'être régent >> arrêt prescrivait à toutes les municipalités » de physique et de rhétorique; vous faites de » d'envoyer mémoires au procureur-général sur» l'institution des enfants un grand objet de >> ce qu'ils estimeraient convenable de faire » gouvernement! » Cependant M. de La Chalo» pour pourvoir à l'éducation de la jeunesse, et » ordonnait enfin que les livres enseignant les > doctrines des Jésuites seraient brùlés par la » main du bourreau. »>

tais était loin de partager certaines idées qui perçaient alors dans les esprits encyclopédistes, et qui plus tard se manifestèrent dans le libéralisme. Ainsi, il ne voulait pas que le bienfait La dernière partie de cet arrêt reçut son exé- de l'instruction fût donné à tout le monde.... cution le 29 décembre. Les livres mentionnés « Les frères ignorantins, dit-il, sont survenus en l'arrêt du 23 furent lacérés et brùlés par» pour achever de tout perdre. Ils apprennent l'exécuteur de la haute-justice, au pied du » à lire et à écrire à des gens qui n'eussent dû grand escalier du Palais. Les pères Jésuites» apprendre qu'à dessiner et à manier le rabot voulurent résister, pour ce qui concernait leur » ou la lime, et qui ne le veulent plus faire.... droit de conserver la gestion du collège de Ren- » Le bien de la société demande que les connes et l'enseignement; mais, sur un nouveau » naissances du peuple ne s'étendent pas plus rapport du procureur-général, un second arrêt ». loin que son éducation.... » M. de Voltaire, du Parlement condamna de nouveau les Con- applaudissant à cette pensée et renchérissant stitutions de l'ordre, et fixa le 2 août pour tout sur ce qu'elle avait de blessant pour les pauvres délai au déguerpissement de ses membres. frères enseignants, s'écriait : « Envoyez-moi (Arrêt du 27 mai 1762.) Le 1er août, le père Du- » surtout des frères ignorantins pour conduire chez, l'un d'eux, célébra, à onze heures, dans » mes charrues ou pour les atteler! » la chapelle du Collége (aujourd'hui église Toussaint), une dernière messe, à laquelle tous les

Quoi qu'il en soit, La Chalotais avait su fixer alors sur lui les yeux de la France et de l'Eu

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rope. La måle et rude éloquence de ses Comptes-»occasion, et cependant j'écris. C'est que les rendus, l'érudition qu'il y avait développée, ne» passions donnent de la force, et les sentipouvaient manquer de produire un effet im- ments que vos bontés m'inspirent sont une mense. Ils avaient aussi ce qui fait le succès» passion. Vous confondez les Jésuites et vous des hommes et des choses, l'à-propos; et, de» instruisez les historiens.... Il y a une chose plus, la popularité leur était acquise: car ils dont on doit s'apercevoir à Paris, supposé frappaient une société attaquée par l'esprit phi-» qu'on réfléchisse, c'est que la vraie éloquence losophique et sapée par les arguments les plus » n'est plus qu'en province.... » Enfin, le 21 terribles. En politique. comme en littérature juillet, une troisième lettre remerciait M. de ou en guerre, les circonstances font plus pour La Chalotais en des termes non moins élogieux. les hommes que les plus grands avantages de « Ces deux ouvrages, disait-elle, sont la voix l'esprit ou du cœur. Se trouver dans leur cou-» de la patrie, qui s'explique par l'organe de rant, avec quelques-unes des qualités qui élè-» l'éloquence et de l'érudition.... Quand la vent un homme, vaut mieux que de le précéder » France n'aura plus un maître italien (le pape) ou de le suivre armé de toutes les vertus. Si» qu'il faut payer, elle dira: c'est à M. de La son siècle lui eût manqué, M. de La Chalotais » Chalotais que nous en sommes redevables. » eût été sans doute un magistrat du premier or- Nous le répétons, Voltaire n'eût point écrit cela dre, mais il n'eût pas légué à la postérité un et le procureur-général au Parlement de Bretagne ne l'eût pas lu sans honte, si ses œuvres nom illustre. eussent été celles de d'Alembert. Il est de plus à remarquer que la correspondance entre celuici et Voltaire n'a pas un mot qui fasse même allusion aux Comptes-rendus, circonstance qui serait impossible dans le cas où ce réquisitoire eût émané de d'Alembert (1).

L'envie s'attaque à tout ce qui est grand, de même que la haine poursuit ce qui écrase et blesse. M. de La Chalotais l'éprouva bientôt à ses dépens. On répandit le bruit que ses Comptes-rendus et son Essai d'éducation nationale n'étaient pas de lui, mais de d'Alembert. Les colléges de Rennes, de Vannes, de Qu'avait-il fallu pour accréditer cette fable? Rien de plus que la connaissance des rela- Quimper. de Nantes, réorganisés par le Partions qui existaient entre ces deux écrivains, lement, que guidait M. de La Chalotais (arrêts célèbres à des titres bien différents. D'Alembert des 28 mai, 23 juin, 19 août 1762) furent biendémentit cette assertion; quant à M. de la Cha- tôt installés, et les Jésuites trouvèrent en lui un lotais, il la méprisa. S'il fallait aujourd'hui la homme disposé à y faciliter leur rentrée dans combattre, nous croyons que la correspondance diverses fonctions. Le 27 mai 1762, le Parlede Voltaire serait à cet égard une preuve irré-ment, en rendant son arrêt déjà mentionné cusable. M. de La Chalotais avait vu le célèbre avait prescrit que nul Jésuite ne serait reçu à écrivain dans les salons de Paris, et il pensa « avoir bénéfice ou charge d'âmes, à moins de devoir, par plus d'une raison, lui adresser son » justifier avoir prêté le serment d'être inviolapremier Compte-rendu. Le 17 mai 1762. Vol-» blement fidèle au Roi; de tenir et enseigner taire, lui en accusant réception, le remerciait» les quatre propositions de l'assemblée du <de s'être ressouvenu de lui », et ajoutait : » clergé de France de 4682 et les libertés de «Votre réquisitoire a été imprimé à Genève et » l'Eglise gallicane, etc. » Ce serment répugnant » répandu dans toute l'Europe avec le succès que à beaucoup d'entre eux, le procureur-général » mérite le seul ouvrage philosophique qui soit fit décider, le 18 décembre, « que ceux des Jé» jamais sorti du barreau... » Si M. de La Cha-> suites qui avaient quitté les maisons de la Solotais n'eût été que le prête-nom de d'Alembert, » ciété avant l'avis ítératif du 27 mai n'étaient il n'eût certes pas recherché pour son plagiat » pas astreints au serment, étant censés avoir les applaudissements de l'ami intime de d'A-» eu bonne intention, en se soustrayant d'euxlembert. Quant à cette expression de Voltaire » mêmes aux constitutions de la Société. »> le seul ouvrage philosophique", quelle idée Le Parlement avait ordonné la vente des biens dut en avoir celui auquel il l'adressait comme appartenant à celle-ci; le procureur-général fit un éloge? Qu'était-ce donc pour M. de Voltaire décider que le produit de cette vente serait apque l'Esprit des Lois, publié, il y avait quel-pliqué à constituer, une fois les dettes payées, ques années à peine. par Montesquieu? Le des pensions alimentaires aux clercs demeurés philosophisme était-il pour lui un esprit étran- sans emploi (18 novembre 1762). Cette conduite de M. de La Chalotais montre, comme ger à la vraie philosophie?o co

La lettre de Voltaire se terminait par une (1) L'argumentation à laquelle s'est livré notre excelplaisanterie qui dut paraître un peu crue à un catholique comme M. de La Chalotais. Cepen-lent collaborateur et ami, M. Marteville, pour démontrer dant l'estime et les compliments d'un tel hom- que d'Alembert n'eut aucune part à la rédaction des me étaient trop précieux pour qu'on les dédai- Comptes-rendus, est victorieuse par elle-même. Elle est en outre confirmée par le témoignage de M. de la Fruglaye, gnât, et le procureur-général ne lui en envoya qui affirme, dans ses Mémoires inédits, avoir lu, feuille pas moins son second Compte-rendu. « Je suis par feuille, les Comptes-rendus, à mesure que son beau>presque aveugle, lui répondit Voltaire à cette père les redigeait. At die du P. L....

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