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procurer aucun détail précis, les registres des néreux dont l'influence sur les lettres françaises Fermes ayant été détruits pendant la Révolu- a été salutaire et féconde à des titres différents. tion. Toujours est-il que, en 1692, il abandonna L'abbé de Lyonne, fils du ministre de ce nom, brusquement, pour se fixer à Paris, un poste si ne tarda pas à pénétrer les heureuses disposipeu conforme à ses goûts. Le Sage fut-il, dans tions de Le Sage; il le combla de présents, et cette occasion, victime d'une injustice qui de- lui assura une pension de 600 livres. Versé dans vint, chez lui, le principe de la haine vigoureuse la connaissance de la langue et de la littérature qu'il garda toujours contre les gens de finances espagnoles, il engagea son protégé à creuser et d'agiot, et qui éclata, plus tard, avec autant cette mine, inexplorée depuis le vieux Corneille, de finesse que d'énergie dans un des chefs- mais qui devait renfermer encore d'incomparad'œuvre de la scène française?- Certains bio-bles richesses.

En venant à Paris, Le Sage avait pour but d'obtenir un emploi qui le mit à même de subsister et d'accorder quelques loisirs à l'étude des lettres, du droit et de la philosophie. Son goût pour la belle littérature, ses bonnes manières et les ressources d'un esprit à la fois observateur et enjoué ne tardèrent pas à lui donner accès dans un monde qui se connaissait en vrai mérite et savait le distinguer. Les portes des meilleurs salons s'ouvrirent pour lui. On assure même qu'une femme de qualité, avec laquelle il avait eu une liaison galante, lui offrit sa fortune et sa main. Le jeune Breton eut-il la sages se de refuser une union brillante, mais qui eût pu compromettre son indépendance et sa dignité, ou l'héroïne de cette aventure revintelle, par la suite, sur ses avances?-Ce qui est certain, c'est que, le 28 septembre 1694, après deux années de cette vie joyeuse et mondaine, nous retrouvons René Le Sage agenouillé, dans l'église de Saint-Sulpice, aux pieds du prêtre qui bénissait son mariage avec Marie-Elisabeth Hugard, fille sans fortune d'un bourgeois de la Cité.

graphes l'affirment, et, pour ma part, je suis Le Sage suivit ce conseil et se mit à étudier porté à le croire. En tout cas, l'auteur de Tur-l'espagnol à une époque où l'on commençait, caret ne serait pas le seul qui se fût vengé d'une en France, à ne plus le savoir. Après de nominjustice par une œuvre de génie. breux essais et des tâtonnements infructueux, il découvrit enfin la véritable vocation de son talent. Il donna coup sur coup au public, pendant l'année 1707. Don César Ursin, comédie héroïque, imitée de Caldéron; Crispin, rival de son maître, et le Diable boiteux. Don César fut applaudi à la cour, mais tomba au ThéâtreFrançais. Crispin, qui fut joué à Versailles sans aucun succès, se releva à la ville, et fut applaudi à outrance par le public parisien. Il faut le reconnaître, le goût de la cour, ordinairement si délicat et si sûr, se trouva cette fois en défaut. Don César Ursin, malgré une intrigue tissue avec assez d'art et un style presque toujours noble et soutenu, était encore trop chargé d'incidents, trop empreint de romanesque et de bel esprit pour se maintenir sur la scène française. Dans Crispin rival de son maitre, au contraire, on retrouve ce dialogue vif et naturel, cette grâce fine, cet esprit à la fois élégant et acéré qui constituent chez nous la vraie comédie, la comédie de mœurs, telle que Molière l'avait créée un demi-siècle auparavant. C'était la première fois que Le Sage s'avisait d'être autre chose qu'un imitateur, et la ville Alors commença pour Le Sage la vie à la fois récompensa, en applaudissements, cette heuoccupée et besoigneuse de l'homme de lettres. reuse présomption. Le temps est venu confirIl se fit d'abord recevoir avocat au Parlement; mer ce verdict et casser le jugement de la cour. mais, entraîné par un penchant irrésistible, il Mais, à ceux qui voudraient tourner en accuabandonna bientôt cette profession pour deman-sations les sifflets de Versailles, il faut rappeder à sa plume la subsistance journalière de saler, avec M. Jules Janin, «que plus d'un chefnouvelle famille. Toutefois, ses débuts dans la » d'œuvre, sifflé à Paris, s'est relevé par le sufcarrière des lettres ne furent pas heureux. Mal» frage de Versailles : les Plaideurs de Racine, conseillé par Danchet, avec lequel il s'était inti- » par exemple, que la cour a renvoyés au poète mement lié à l'Université de Paris, il traduisit les » avec des applaudissements merveilleux, avec lettres d'Aristhènete, philosophe grec duive siè- » les grands rires de Louis XIV, qui sont venus cle, dont le style recherché et la fausse galan- » délicieusement troubler le sommeil de Raterie ne semblaient guère de nature à séduire » cine. le futur auteur d'un roman aussi naturel et aussi >> Heureux temps, au contraire, ajoute le vrai que notre Gil-Blas. L'ouvrage n'eut aucun» même critique, quand les poètes avaient pour succés, fort heureusement pour la gloire de Le» les approuver, pour les juger, cette double Sage, qui, averti par cette leçon du public, se» juridiction; quand ils pouvaient en appeler retourna d'un autre côté pour chercher une » des censures de la ville aux louanges de la veine plus féconde et un genre plus en rapport" cour; des sifflets de Versailles aux applaudisavec sa franche nature. >> sements de Paris. >>

C'est dans ce moment qu'il eut le bonheur de rencontrer un protecteur puissant et un conseiller utile, un de ces Mécénes éclairés et gé

Le Diable Boiteux, qui vit aussi le jour dans le courant de cette même année, 1707, eut un succès moins disputé que les premières œuvres

fluente, se remua beaucoup pour empêcher la comédie de Le Sage d'arriver sous les yeux du public. Elle fit offrir à l'auteur cent mille livres, à la seule condition de retirer sa pièce. Le Sage refusa avec une obstination et une persistance dans lesquelles le caractère breton, habituellement effacé, il faut le dire, sous la souplesse et l'enjouement de l'écrivain, se retrouvé avec toute son énergie.

ve, l'auteur de Turcaret se laissait aller au plaisir bien naturel de faire applaudir dans des salons particuliers quelques-unes des scènes de sa nouvelle comédie. Dans le beau monde, on se disputait Le Sage, pour entendre la lecture de Turcaret, comme autrefois on s'était arraché Molière pour entendre celle du Tartufe avant que la représentation en eût été au torisée. Collé cite, à propos de ces lectures, une anecdote qui mérite d'être rapportée, car elle prouve que Le Sage poussait parfois jusqu'à l'exagération la fierté de l'âme et l'indépendance du caractère.

dramatiques de Le Sage. La cour et la ville s'entendirent cette fois pour faire un accueil enthousiaste à cette vive et piquante satire, à ce brillant panorama de la vie humaine, dont le plan et certains détails étaient bien encore imités d'un auteur espagnol, Louis Velez de Guevara, mais qui se trouvaient rendus avec une élégance toute française et rajeunis par des allusions contemporaines. Les éditions du Diable Boiteux se succédèrent rapidement, et un journal du temps Tout en attendant le jour de la grande épreuraconte que deux jeunes seigneurs mirent l'épée à la main dans la boutique du libraire Barbin, pour se disputer le dernier exemplaire de l'une d'elles (1). J.-B. Rousseau dit aussi quelque part que Boileau ayant un jour surpris ce roman entre les mains d'un de ses domestiques, menaça celui-ci de le chasser si le livre couchait dans la maison. La lecture pouvait effectivement n'être pas sans dangers pour un petit valet, mais cette anecdote, rapprochée de celle du Journal de Verdun, prouve que le Diable Boiteux avait réussi auprès de toutes les classes de lecteurs, et que les vives épigrammes, les peintures de mœurs, les portraits de tout Un jour qu'il s'était fait annoncer à l'hôtel genre qui sont renfermés dans le cadre adopté de la duchesse de Bouillon, Le Sage se trouva par l'auteur, s'adressaient cette fois au public retenu au Palais par un procès important qu'il lui-même et non plus à telle ou telle catégorie de perdit. On comptait que la lecture se ferait la société. Aussi le public de tous les âges, de tous avant le dîner; mais l'auteur arrive plus tard. les états et de tous les rangs, ne tarda-t-il pas à se En entrant dans le salon où se trouvait une reconnaître dans cette galerie où les mœurs de nombreuse société, il se confond en excuses. la cour et de la ville, les intrigues du monde, les La duchesse le reçoit avec hauteur et lui reridicules de toutes les conditions, les réalités, et proche aigrement d'avoir fait perdre plus d'une les chimères (2), l'amour (3), l'amitié (4), heure à la compagnie. «Eh bien, Madame, la folie (5), la jeunesse avec son insouciance» lui répond froidement Le Sage, puisque je et ses présomptions, le vieil âge avec ses tra-» vous ai fait perdre une heure, je vais vous en vers (6), la mort elle-même avec ses ombres et » faire gagner deux. » Et, tirant sa révérence, ses tombeaux (7), étaient peints en traits dé-il sort sans qu'on puisse le retenir. liés et malins par le démon de la bonne plaisanterie.

Cependant les financiers, déconcertés par la tenacité et le désintéressement de Le Sage, et Après le Diable Boiteux, qui contient la sa- effrayés d'un succès que faisaient présager les tire de tous les états, vint Turcaret, comédie applaudissements des salons, se mirent en deen cinq actes, qui est celle d'une classe d'hom- voir d'agir sur les sociétaires de la Comédiemes dont Le Sage avait eu à subir toute la tyran-Française. Leurs cabales ne furent pas infrucnie. Il résolut d'en tirer une juste vengeance. tueuses, et il ne fallut rien moins qu'un ordre Tout ce qu'il y avait de ridicule et d'odieux du Grand-Dauphin (4) pour forcer les coméchez les gens de finance, leur lâche insolence, diens à représenter Turcaret. La preuve de ce leurs folles prodigalités et leurs débauches, leur fait est consignée dans les registres de la Codureté, leur bassesse et leur friponnerie, Le médie Française, où se trouve la note suivante: Sage les réunit dans un type qui demeurera un « Il y a eu quelques difficultés au sujet de la des plus beaux titres de gloire de l'auteur, et » représentation de Turcaret, qui furent levées qui à placé son nom entre ceux de Molière et » par ordre de Monseigneur du 13 octobre 1708, de Regnard. Ce ne fut pas, toutefois, sans avoir » conçu en ces termes: Monseigneur étant eu à triompher de grandes difficultés que Tur-» informé que les comédiens du roi font difcaret put parvenir à la représentation. La race des traitants et des maltôtiers, alors fort in

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» ficulté pour jouer une pièce intitulée Tur» caret, ou le Financier, ordonne auxdits co» médiens de l'apprendre et de la jouer inces>> samment. >>

Turcaret parut enfin sur la scène le 14 février 1709. Les applaudissements d'un public nombreux et choisi, dont la curiosité avait été

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Cette œuvre, jusqu'alors sans exemple, et que toutes les imitations qu'on a tentées depuis n'ont jamais pu égaler, ce prototype de la comédie-roman, c'est Gil-Blas.

Il serait difficile, aujourd'hui, de dire quelque chose de nouveau sur ce chef-d'œuvre de Le Sage. Après les jugements si bien exprimés par Laharpe et Walter-Scott, par MM. Villemain, Patin, Ch. Nodier, Sainte-Beuve, etc.. il ne reste plus guère qu'à glaner pour ceux qui seraient tentés d'analyser, dans un article de critique, les qualités littéraires de notre GilBlas. Mais de tels développements ne sauraient entrer dans le cadre d'une simple notice biographique. Aussi, me contenterai-je de rappeler ici quelques-uns des titres qui, non seulement ont fait de Gil-Blas le premier roman de la nation, mais qui le placent au dessus des œuvres les plus remarquables que les littératures étrangères ont produites en ce genre.

Un tel succès ne paraîtra pas médiocre si l'on songe que, de tous nos auteurs comiques, Le Sage est le seul qui partage avec Molière la gloire d'avoir influé sur la langue et réformé certains ridicules contemporains. Mais ce qui constitue, pour les critiques, un des principaux mérites de Turcaret, est aussi, il faut le dire, une des causes qui en rendent maintenant la représentation assez froide. Les financiers se Tom Jones, Don Quichotte et Werther ont sont tellement éloignés du type créé par Le Sage assurément une valeur littéraire considérable. que les spectateurs actuels ne peuvent guère Ce sont des œuvres nationales au plus haut deen saisir la ressemblance. Aussi, bien que le gré, et qui vivront tant qu'il y aura une littévice qu'il a attaqué avec tant de vigueur existe rature anglaise, espagnole ou allemande. Mais toujours, et que la masse des gens d'affaires il est juste de dire que ces romans ne soulèvent ne soit guère moins corrompue, moins pétrie guère qu'un des coins du voile de l'humaine nad'orgueil, de sottise et de dureté que du temps ture, et que, dans Gil-Blas, au contraire, on de Le Sage, le public laisse aujourd'hui passer rencontre toutes les formes et tous les aspects inaperçus les traits les plus satiriques de Tur-de la vie. Là où Fielding, Cervantes, Goethe, caret, parce qu'ils portent sur des formes vieil- ont retracé des situations exceptionnelles, des lies.

travers particuliers à une époque ou à un pays, des caractères étranges et placés, pour ainsi dire, en dehors des conditions ordinaires de l'existence, Le Sage a entendu tout simple

ment peindre l'homme, l'homme de tous les auquel on a contesté jusqu'à la paternité de son temps et de tous les climats. Aussi, son héros chef-d'œuvre. Bruzen de la Martinière, Voltaire (si l'on peut appeler de ce nom le neveu de Gil- après lui, et plus récemment l'auteur de l'HisPerez), est-il de naissance fort ordinaire et fort toire de l'Inquisition espagnole, Llorente, ont commune. C'est un homme de très-humble prétendu que Gil-Blas était entièrement tiré bourgeoisie, tiré de la moyenne de la société, de l'espagnol Voltaire assurait même que ce et merveilleusement placé, par conséquent, roman n'était qu'une traduction de la Vie de l'épour fronder les travers des grands comme ceux cuyer Obregon, par Espinel. D'un autre côté, du peuple. C'est aussi un homme d'esprit, « né le P. Isla, jésuite espagnol, mort à Bologne en » pour le bien, mais facilement entraîné vers le 1784, laissa une traduction du Gil-Blas qui pa>> mal; profitant de l'expérience qu'il acquiert à rut en 1787, sous ce titre : « Les Aventures de » ses dépens pour tromper, à son tour, les hom-» Gil-Blas de Santillane. volées à l'Espagne » mes qui l'ont trompé; se livrant, sans trop de par M. Le Sage, et restituées à leur patrie et » scrupule, à cette représaille, et quittant vo- » à leur langue naturelles par un Espagnol zélé > lontiers le parti des dupes pour celui des fri- » qui ne souffre pas qu'on se moque de sa na>pons; capable, cependant, de repentir et de» tion. » Cette traduction est précédée d'une >> retour; conservant jusqu'au bout le goût » de la probité, et se promettant bien de re» devenir honnête homme à la première occa» sion. »> (1).

Voilà le portrait de Gil-Blas tracé par un ingénieux écrivain; j'ajouterai volontiers: Voilà celui de l'homme livré à tous les penchants de

sa nature.

Une foule innombrable de personnages et de figures accessoires, d'épisodes, d'observations piquantes, de scènes d'un comique parfait, se pressent et se déroulent autour de cette figure principale. Que de peintures achevées, depuis celle du mendiant implorant la charité publique au bout de son escopette, jusqu'à l'amour-proprè d'auteur du bon archevêque de Grenade! Et, dans tous ces types, qui, pendant les douze livres de Gil-Blas, passent sous les yeux du lecteur avec une magnifique profusion, brigands, poètes, chanoines, licenciés, comédiens, duègnes, soubrettes, médecins, intendants, vieux capitaines, ministres et premiers commis, quelles vérités saisissantes! quelle verve satirique quels traits à la fois déliés et profonds!

Ajoutons que tout cela est revêtu de cette forme simple et naturelle, tempérée dans son élégance, qui était celle de la seconde moitié du XVIIe siècle, et qui fait du Gil-Blas un des livres les plus classiques de notre littérature. Dans ce roman, ainsi que dans le Diable boiteux, qui en est l'esquisse, le style de Le Sage est empreint au plus haut degré de ces qualités de justesse, de clarté, de précision, de propriété dans les termes, sans lesquelles on n'écrit rien de durable en France, qui sont à la fois le privilége et les conditions essentielles de notre fangue, et qui l'ont rendue merveilleusement propre à servir d'outil universel, comme dit précisément dans Gil-Blas le poète Fabrice, à exprimer les idées de tout le monde, à peindre les caractères généraux et les passions de l'humanité.

Tant de mérites réunis devaient faire des envieux; aussi n'ont-ils pas manqué à Le Sage,

(1) M. Patin, Eloge de Le Sage.

!

préface dans laquelle on soutient, sans aucune preuve du reste, l'existence d'un manuscrit primitif dont Le Sage, qui n'a jamais mis le pied en Espagne, serait parvenu à dérober une copie. A cette occasion, tous les biographes de Le Sage n'ont pas manqué de s'escrimer contre la mauvaise foi ou l'ignorance du P. Isla. La vérité est cependant que le jésuite espagnol est parfaitement innocent de toute cette supercherie. Sa traduction parut sept ans après sa mort, et par conséquent sans sa participation. Ce n'est pas lui, mais un sot et avide éditeur qui, pour donner plus de vogue et de débit à la version espagnole, l'annonça avec la préface et le titre fanfaron dont nous venons de parler.

Du reste, toutes ces accusations de larcin et de plagiat ont été victorieusement réfutées par M. François de Neufchâteau, dans deux dissertations lues à l'Académie française, et par M. Audiffret, dans la Biographie universelle (t. XXIV, p. 252, et LXXII, p. 53), et dans une notice plus étendue qu'il a donnée pour l'édition des œuvres de Le Sage, publiée en 1822 par Renouard. Il serait hors de propos de donner ici les détails de cette controverse, et nous devons nous contenter de renvoyer aux travaux que nous venons de citer ceux de nos lecteurs qui voudraient en prendre une connaissance plus étendue. Disons seulement que Voltaire avait quelques raisons personnelles de dénigrer Le Sage, qui s'était permis de s'égayer aux dépens du patriarche du philosophisme dans le Temple de Mémoire, une des nombreuses pièces de son théâtre de la foire, et dans la personne du poète Triaquéro, « dont les vers mal rimés, les

caractères mal formés et mal soutenus, et les pensées souvent très-obscures, font pourtant » fureur à Valence. » Le public avait voulu reconnaître Voltaire dans ce personnage, et Voltaire avait eu le tort de faire comme le public.

Il était, du reste, difficile que la malignité ne s'exerçât pas à propos d'un ouvrage rempli de fines observations de caractères et de moeurs. Tout lecteur voulut saisir une allusion dans chaque aventure, et mettre un nom contemporain au dessous de chaque portrait. On fit la

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rurent en 1715. Le troisième fut édité en 1724, le quatrième en 1735, c'est-à-dire vingt ans Des critiques fort distingués ont cherché à après les deux premiers et onze ans après le combattre cette tendance du public, en lui di- troisième. Le Sage n'écrivait qu'avec peine, et sant que l'auteur avait trop le sentiment et la il travaillait beaucoup ceux de ses écrits qu'il dignité de son art pour individualiser des types jugeait dignes de lui et de la postérité. Mais. créés pour tous les siècles et pour tous les pays; besoigneux et père de famille, il se voyait souque cet artifice convient tout au plus à la mé- vent forcé, par les nécessités journalières de la diocrité maligne et jalouse; que Le Sage avait vie, de jeter au public des ouvrages qui se resd'ailleurs pris soin de prémunir ses lecteurs con- sentaient de la rapidité de leur composition. tre toute espèce d'allusion par la déclaration si C'est ainsi que dans l'intervalle de la publication précise de Gil-Blas en tête du livre. En dépit de son Gil-Blas, il fit paraître successivement : des critiques et de la déclaration elle-même, le La Nouvelle traduction de Roland l'Amoupublic s'est toujours obstiné à saisir des rap-reux de Mathéo Méria Boïardo, comte de Scanprochements satyriques dans un ouvrage où la diano, 2 vol. in-12, 1747. personnalité avait si beau jeu, et peut-être n'avait-il pas tout-à-fait tort. Il est certain, par exemple, que l'aventure de don Valerio de Luna, rapportée au livre VIII, était arrivée à un fils de Ninon de Lencios. Le célèbre docteur Sangrado est, non point Helvétius, comme on l'a dit, mais le janséniste Hecquet, auteur d'un Traité sur la Saignée. La marquise de Chaves est le portrait de la marquise de Lambert. Le vieux militaire privé d'un bras, d'une jambe et d'un œil (2) est le masque du maréchal de Rantzau. Les novateurs contre lesquels l'auteur s'élève (3) étaient Lamotte, Fontenelle, Marivaux, Berruyer et Hauteville. Il nous serait facile de multiplier ces rapprochements, déjà signalés par plusieurs biographes; mais nous aimons mieux consigner ici un fait entièrement inédit, qui prouve, à l'encontre des critiques que nous avons cités ci-dessus, que Le Sage ne dédaignait pas toujours de descendre des hauteurs de sa vaste épopée, pour lancer contre un de ses ennemis un trait caustique et mordant.

(1) Liv. IV, chap. VIII.
(2) Liv. VII, chap. XII.

(3) Id. chap. XIII.

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(1) On en trouve la liste chronologique et parfois historique à la suite de la notice biographique placée en tête des œuvres de Le Sage. Paris, Et. Ledoux, 1828, 12 vol. in-8°.

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