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«<nesse, et leur partagea son royaume. Ainsi ses lieutenants (1) << devinrent rois (2). » Au moment d'expirer, il dit: Je laisse l'empire au plus fort; car je prévois que mes amis célébreront mes funérailles, les armes à la main, par des combats funèbres. En effet, le jour même où il donna à ses soldats sa main mourante à baiser, cavaliers et fantassins furent au moment de se charger aux portes de Babylone (3). Puis, quand deux jours après ses amis réunirent en conseil les principaux chefs de l'armée, les soldats et le peuple accoururent en foule, et beaucoup de ceux qui n'avaient pas été convoqués firent irruption à grand bruit dans l'assemblée; reprenant ainsi l'ancien droit macédonien de délibérer tous sur les intérêts communs. Perdiccas déposa alors sur le trône d'Alexandre les insignes royaux, avec l'anneau du prince, déclarant renoncer au pouvoir que celui-ci semblait lui avoir conféré en remettant cet anneau entre ses mains. Il dit que l'empire avait besoin d'un chef; que Roxane était enceinte; que, si elle donnait le jour à un fils, il devait succéder à son père. Néarque approuva que le diadème passât à un descendant de leurs rois; mais il ajouta qu'il était urgent d'avoir de suite un chef, sans attendre l'accouchement incertain de Roxane, et il proposa Hercule, qu'Alexandre avait eu de la danseuse Barsine; mais la phalange manifesta son improbation en choquant ses armes. Ptolémée était d'avis d'établir une régence jusqu'à ce que l'on eût un prince capable de régner; d'autres voulaient donner la royauté à Perdiccas; enfin Méléagre proposa Arrhidée, frère naturel d'Alexandre; et la phalange, affectionnée à la race de ses rois et au nom de Philippe, que ce prince avait pris, approuva ce choix à grands cris,

(1) Soldats sous Alexandre et rois après sa mort. (Voltaire : Artémire, acte I, scène 5.)

(2) Machabées, I, 1-9.

(3) Diodore de SICILE, qui puisa ses renseignements dans l'ouvrage de JÉRÔME DE CARDIE, écrivain contemporain, fournit dans ses livres XVIII, XIX et XX la principale base du récit des faits de cette époque. ARRIEN avait écrit l'histoire des successeurs d'Alexandre; mais elle a été perdue, sauf quelques fragments conservés par Photius. Nous nous sommes aidé aussi de PLUTARQUE dans les vies d'Eumène, de Démétrius et de Phocion; de JUSTIN, dans le livre XIII, et de quelques autres qui ont été examinés et mis à contribution par MANNERT, Histoire des Successeurs d'Alexandre, Leipzig, 1786. Voyez aussi CHAMPOLLION-FIGEAC, Annales des Lagides, Paris, 1819; DROYSEN, Geschichte Alexander des Grossen, Berlin, 1838; FLAEHN, Gesch. Macedoniens und der Reich, welche von macedonischen Königen beherrscht wurden, Leipzig, 1834.

malgré l'extrême mécontentement des généraux, dont l'unique but était de s'emparer de l'autorité, chacun pour soi et à l'exclusion des autres.

On portait donc au temple de Jupiter Ammon (1) les restes du héros macédonien, et déjà ses amis formaient le dessein d'exterminer sa famille et de se partager ses dépouilles. A force d'employer l'épée dans tant de combats, ils avaient contracté ce besoin d'action qui ne trouve à se satisfaire qu'en se plongeant dans le carnage; privés désormais d'un but commun et d'un chef, il était facile de prévoir leurs sanglantes dissensions. De la famille d'Alexandre il restait Roxane, sa veuve, qui trois mois après sa mort mit au monde un fils, héritier du nom paternel et de l'empire; Hercule et Arrhidée, fils et frère naturels du monarque défunt; sa cruelle et orgueilleuse mère Olympias; sa sœur Cléopâtre, aussi veuve ; l'adroite Eurydice, fille de Cyane sa tante, mariée plus tard à Arrhidée; enfin, Thessalonice, fille de Philippe, qui épousa Cassandre de Macédoine.

Famille d'Alexandre.

Cratère, l'un des plus vieux généraux, était absent, ainsi ses généraux qu'Antipater, autre débris de la cour de Philippe. Ce prince, en l'élevant aux premiers honneurs, avait mis en lui une telle confiance, qu'il s'écria une fois : J'ai dormi profondément, parce qu'Antipater veillait. Alexandre en fit aussi très-grand cas, car ce fut à lui qu'il confia non-seulement la Macédoine, mais toute la Grèce, dont le moindre soulèvement aurait pu arrêter les triomphes de l'armée d'Asie. Fidèle à son maître sans en être l'esclave, il conserva son estime tant qu'il vécut; il se voyait désormais réduit par la nécessité à se maintenir au pouvoir avec la famille royale ou à tomber avec elle. Les autres généraux survivants étaient Léonnat, Lysimaque, Ariston, Perdiccas, Ptolémée, Peuceste, Pithon, déjà fameux sous Alexandre; Eumène, Méléagre, Antigone, Séleucus, qui s'illustrèrent dans les querelles qui suivirent la mort du conquérant. Per

(1) Diodore décrit (livre XVIII, ch. 26-28) le char funèbre d'Alexandre ainsi que la pompe de ses obsèques, dont les préparatifs durèrent deux ans. Beaucoup d'érudits se sont exercés sur ce monument singulier, en essayant d'en donner la meilleure explication possible, c'est-à-dire en le dessinant; mais, sans parler du marquis Poleni et du comte de Caylus, qui s'y employèrent avant que notre époque eût mis en lumière tant d'antiquités grecques, SainteCroix aussi le reconstitua, autrement que ne le fit Quatremère de Quincy, dont on peut voir la description et le dessin, fait sur une assez grande échelle, dans les Mémoires de l'Institut, tome IV.

Premier partage

Grèce.

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diccas, qui l'emportait sur tous par sa naissance, par son grade, par la confiance d'Alexandre et des nobles macédoniens, se mit à la tête de la régence au nom du prince à naître; tandis que Méléagre, fort du vœu de la phalange, prit avec Attale parti pour Arrhidée, prince faible de corps et d'esprit, sous le nom duquel il agissait à son gré; il sut en outre faire placer à côté de Perdiccas Antipater et Cratère. Mais Perdiccas parvint à se débarrasser de Méléagre et de ceux qui le secondaient ; il alla jusqu'à faire écraser, une fois, trois cents soldats sous les pieds des éléphants: puis, afin que chacun des généraux fût à même de satisfaire son ambition, il partagea entre eux plusieurs royaumes, en apparence pour les administrer, en fait pour y exercer le pouvoir souverain. Ptolémée, fils de Lagus, eut l'Égypte; Léonnat, la Mysie; Antipater et Cratère, les États d'Europe; Antigone, la Phrygie, la Lycie, la Pamphylie; Lysimaque, la Thrace; Eumène obtint la Cappadoce et la Paphlagonie, qui étaient encore à subjuguer; Pithon, la Médie, où il eut bientôt à soutenir une guerre dangereuse.

Perdiccas ne réserva rien pour lui, déguisant sous une apparence de désintéressement le désir de rester à la tête de l'armée et de la régence. Mais s'il crut avoir ainsi décidé les choses à son avantage, le soulèvement général dut bientôt le désabuser. En effet, cette grande pensée d'Alexandre de faire marcher l'Europe contre l'Asie, et d'allier l'une à l'autre dans l'unité du commerce et des intérêts, fit place aux misérables intrigues, aux rivalités, tantôt ouvertes et violentes, tantôt secrètes et lâches, au moyen desquelles durant vingt-deux ans ces chefs, qui voulaient tous commander et non obéir, se supplantèrent l'un l'autre.

Déjà du vivant d'Alexandre la Grèce se plaignait de ces expéditions lointaines, qui l'épuisaient sans avantage apparent; d'autant plus qu'il traitait les Hellènes avec une orgueilleuse dureté. A peine eut-il donc fermé les yeux, qu'il y eut des soulèvements en Europe et en Asie. Ceux qu'il avait répartis dans les nouvelles colonies, parmi lesquels se trouvaient des factieux bannis de leur patrie et des vétérans qui avaient combattu à Issus et à Arbelles, composèrent une armée de vingttrois mille hommes, tant cavaliers que fantassins; et la voyant grossir de ville en ville, ils pensaient s'ouvrir le passage, revenir en Europe et y opérer des changements à leur profit. Ils avaient à leur tête Philon d'Enos et Lypodore; mais Perdiccas

envoya contre eux dix-huit mille hommes commandés par Pithon, qui, à l'aide des troupes que lui fournirent les satrapes de différentes provinces, et plus encore par la trahison de Lypodore, remporta une victoire complète. Pithon cependant, loin de vouloir les exterminer, se proposait de les gagner et de s'en faire un appui pour se ménager une souveraineté indépendante; mais Perdiccas, qui avait deviné ses projets, les avait prévenus en donnant l'ordre exprès, aux trois mille Macédoniens qu'il lui avait envoyés pour cette expédition, de ne point accorder quartier aux révoltés. Ainsi, bien que Pithon leur eût promis la vie et la liberté dans les résidences que leur avait assignées Alexandre, les Macédoniens se jetèrent sur eux et les massacrèrent. Perdiccas profita de la circonstance, et dans la chaleur de la victoire il fit casser tumultueusement par le cri de la multitude ceux des règlements d'Alexandre qui auraient pu l'empêcher de disposer à son gré des forces et du trésor de P'État.

L'incendie ne fut pas aussi facile à éteindre en Europe, où les dispositions hostiles des Athéniens et des Étoliens, déjà mécontents du rappel des exilés ordonné par Alexandre, finirent par éclater contre Antipater. Léosthène, habile capitaine, qui avait conduit cette trame, se chargea de diriger la guerre une fois qu'elle fut déclarée. Les Locriens et les Phocidiens se réunirent à sept mille Étoliens, en même temps que les Athéniens, excités par les orateurs Hypéride et Démosthène, rappelés de l'exil, s'armèrent et chassèrent les garnisons. Phocion leur conseillait en vain de ne pas avoir recours à la violence, chacun se vantait d'être prêt à renouveler pour la liberté de la Grèce les prodiges héroïques de Marathon et de Salamine.

Mais combien la Grèce n'était-elle pas changée depuis ce corruption. temps! Des lois sévères étaient encore gravées sur l'airain et sur le marbre; mais l'argent, l'intrigue et le bavardage des sophistes étaient tout-puissants dans Athènes. La flotte qui avait vaincu celle des Perses exerçait maintenant la piraterie, et les capitaines des forces navales communes rançonnaient les îles et les côtes qui ne voulaient pas se racheter du pillage. L'expédition d'Alexandre avait détourné le commerce du Pirée : dans Rhodes et dans Alexandrie se multipliaient les écoles, qui jadis semblaient le privilége d'Athènes. D'excellents artistes y demeuraient encore, bien qu'Alexandre en eût emmené plusieurs avec lui; mais ils travaillaient désormais pour des rois et non

Guerre

plus pour le peuple. La musique et la danse, l'occupation des esprits qui n'ont pas celle des affaires publiques, étaient plus cultivées que l'éloquence, l'histoire et la poésie. Trois mille acteurs célébrèrent les jeux en l'honneur d'Éphestion, et Démosthène reprocha à ses concitoyens de faire tant de frais pour le théâtre quand ils pourvoyaient si mesquinement aux besoins de la guerre.

L'exercice des armes était abandonné à des mains mercenaires; Sparte seule entretenait l'esprit guerrier, mais elle avait perdu ses vieilles institutions politiques, et rien ne restait pour mettre obstacle au débordement des mœurs. A ses sobres banquets, à son brouet noir avaient succédé des repas exquis qu'on servait sur des tapis précieux: l'éducation s'était amollie; les femmes s'étaient dépravées. D'après cela, que l'on songe à ce que devait offrir la voluptueuse Athènes. Les sommes énormes répandues par les corruptions de Philippe et par la générosité d'Alexandre avaient accumulé d'immenses richesses dans les mains de certains hommes; ils les employaient à construire des maisons qui rivalisaient avec les édifices publics de la ville la plus renommée pour sa magnificence. Épicrate possédait six cents talents (1).

Les fonctions publiques, la piraterie, les services vendus, le loyer des esclaves, étaient autant de sources de lucre. On tirait avec avidité de la Syrie, de Rhodes, de la côte d'Asie, les vins, les étoffes, les objets de luxe, tant pour les consommer à l'intérieur que pour les transporter dans les villes situées sur les côtes de la mer Noire. D'autres s'enrichissaient au métier de sophiste, en soutenant le pour et le contre, en flattant les rois et les hommes puissants, en tenant enfin des maisons de prostitution des deux sexes: car la débauche, ne se couvrant plus de cette délicatesse dans laquelle elle semblait chercher son excuse au temps d'Aspasie, affichait publiquement son obscène trafic.

Avec de pareilles mœurs était-il à espérer que la Grèce s'unît Lainiaque. dans cet accord de volonté qui la fit triompher des Perses? N'était-ce pas chez Démosthène le délire d'un esprit trop prévenu en faveur de ses concitoyens, que de vouloir ramener les temps glorieux qui n'étaient plus? Dès la première chaleur du soulèvement, les Béotiens, découragés par les ruines de Thèbes

(1) Près de trois millions et demi, et trente en proportion de la valeur actuelle de l'argent.

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