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Mais du but emporté par l'esprit de système,
Il cesse d'être grand sitôt qu'il est extrême.
Des antiques jardins il a vu les défauts,
Et les a remplacés par des vices nouveaux.
Justement fatigué des formes symétriques,
Des compas, des niveaux, des plans géométriques,
Il a, dans sa fureur, une hache à la main,
Renversé le tilleul, abattu le sapin.

Hélas! ils ne sont plus ces temples de verdure,
Ces dômes que le temps, les soins et la culture
Avaient si lentement élevés jusqu'aux cieux.
Un gazon les remplace et ne présente aux yeux
Qu'un immense tapis, froid, monotone, aride,
Où tout est naturel et tout est insipide.

Quelques arbres épars, qui paraissent se fuir,
Apauvrissent la scène au lieu de l'enrichir.

Le Poëme sur la nature champêtre est suivi de quelques pièces fugitives et d'un conte moral en prose, intitulé l'Heureuse Famille.

Copie d'une lettre de M. le prince de Ligne à M. le baron de Grimm.

De Moscou, le 3 Juillet, 1787. "On vous aime beaucoup, M. le baron, on parle souvent de vous, mais vous écrit-on? Catherinele Grand (car elle fera faire une faute de français à la postérité) n'en a peut-être pas le temps. Peutêtre ces petits détails que je viens de dicter vous donneront-ils une idée, quoique bienfaible, de ce que nous avons vu; d'ailleurs, c'est indignatio fecit relation; car je suis outré de la basse jalousie qu'en Europe, l'on a conçue contre la Russie. Je

*On trouvera cette relation à la suite de la lettre.

voudrais apprendre à vivre à cette petite partie de l'Europe qui cherche à déshonorer la plus grande; si elle se donnait la peine de voyager, elle verrait où il y a le plus de barbarie. Il est extraordinaire, par exemple, que les Grâces aient sauté notre saint Empire à pieds joints pour venir de Paris s'établir à Moscou, et deux cents werstes encore plus loin, où nous avons trouvé des femmes charmantes, mises à merveille, dansantes, chantantes, et aimantes peutêtre comme des anges.

"L'empereur a été extrêmement aimable les trois semaines qu'il a passées avec nous. Les conversations de deux personnes qui ont soixante millions de sujets et huit cent mille soldats ne pouvaient être qu'intéressantes en voiture, où j'en profitais bien, les interrompant souvent par quelque bêtise qui me fesait rire en attendant qu'elle fit rire les autres, car nous avons toujours joui de la liberté, qui seule fait le charme de la société; et vous connaissez le genre simple de celle de l'impératrice, qu'un rien divertit, et qui ne monte à l'élévation dụ sublime que lorsqu'il est question de grands objets.

"Il faut absolument, M. le baron, que nous revenions ici ensemble; ce sera le moyen que je sois encore mieux reçu. Ce n'est pas que vous ayez besoin de rappeler à l'impératrice tout ce que vous avez d'aimable; car absent, elle vous voit, mais elle sera fort aise de dire: Présent, je le trouve, Vous ferez de charmantes connaissances; M. de Momonów, par exemple, est un sujet de grande

espérance; il est plein d'esprit, d'agrément et de connaissances. Vous vous doutez bien de l'agrément que le comte de Ségur a répandu dans tout le voyage. Je suis désolé qu'il soit presque fini.

"J'ai fait bâtir un temple dédié à l'impératrice par une inscription, près d'un rocher où était celui d'Iphigénie, et un autel à l'amitié pour le prince Potemkin, au milieu des plus beaux et gros arbres à fruits que j'aie vus, et au bord de la mer, où se réunissent tous les torrens des montagnes. Cette petite terre, que m'a donnée l'impératrice, s'appelle Parthenizza ou le cap Vierge, et est habitée par cinquante-six familles tartares, qui ne le sont pas autant que les déesses et les rois qui exigeaient de durs sacrifices, comme tout le monde sait. Je ne connais pas de site plus délicieux; je pourrais dire: Sur les bords fortunés de l'antique Idalie,

Lieux où finit l'Europe et commence l'Asie,

car on découvre les montagnes de la Natolie. Ce qu'il y a d'assez singulier, c'est que c'est sur les bords de la mer Noire que, tranquille et vivant au milieu des infidèles, j'ai appris que les fidèles sujets de la maison d'Autriche se révoltaient sur les bords de l'Océan. Je ne m'attendais pas qu'il y eût plus de sûreté pour moi dans mes terres du Pont-Euxin que dans celles de la Flandre.

"Auriez-vous la bonté de faire remettre ce paquet à son adresse, et de recevoir les assurances de la considération distinguée que je partage pour vous avec tous ceux qui vous connaissent ou ont entendu

parler de vous, de même que je partage avec vos amis le tendre attachement que vous inspirez si vite, et avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc. Signé le prince de Ligne.”

De Moscou, le 3 Juillet, 1787 (nouveau style). "Il y a aujourd'hui deux mois que nous sommes partis de Kiovie, et nous arrivons tous ici en bonne santé du voyage le plus intéressant, le plus triomphal et le plus magnifique qui se soit jamais fait, sans la moindre contrariété et sans le plus petit accident. Il ne m'est pas possible de m'empêcher de dire que les gazettes qui ont eu la bonté de s'occuper de nous nous ont bien amusés. Pour rassurer tant de gens bien intentionnés pour la Russie, je leur dirai qu'après une navigation charmante sur le Borysthêne, nous avons trouvé des ports, des armées et des flottes dans l'état le plus brillant; que Cherson et Sébastopol surpassent tout ce qu'on peut en dire, et que chaque jour était marqué par quelque grand évènement; tantôt c'était la manœuvre de soixantedix escadrons de troupes réglées et superbes qui chargeaient en ligne à merveille; tantôt un nuage de Cosaques qui exerçaient autour de nous à leur manière; tantôt les Tartares de la Crimée, qui, infidèles jadis à leur kan Sahin-Guerai, parce qu'il voulait les enrégimenter, avaient formé d'eux-mêmes des corps pour venir au-devant de l'impératrice. Les espèces de désert qu'on avait à traverser pendant deux ou trois jours aux lieux d'où sa majesté

impériale a chassé les Tartares Nogaïs et Zaporoviens qui, il y a dix ans encore, ravageaient ou menaçaient l'empire, étaient ornés de tentes magnifiques aux dînées et aux couchées, et ces campemens de pompe asiatique avec l'air de fête qui, sur l'eau comme sur terre, nous a suivis partout, présentaient le spectacle le plus militaire. Que ces déserts même n'alarment pas trop les gens bien intentionnés, comme les gazetiers du Bas-Rhin, de Leyde, le Courier de l'Europe, etc., ils seront bientôt couverts de grains, de bois et de villages; on y en bâtit déjà de militaires, qui, étant l'habitation d'un régiment, deviendront bientôt celle des paysans qui s'y établiront à cause de la bonté du terrain. Si ces messieurs apprennent que, dans chaque ville de gouvernement, l'impératrice a laissé des présens pour plus de cent mille écus, et que chaque jour de repos était marqué par des dons, par des bals, des feux d'artifice et des illuminations à deux ou trois lieues à la ronde, ils s'inquiéteront sans doute des finances de l'empire. Malheureusement elles sont dans l'état le plus florissant, et la Banque nationale, sous la direction du comte André Schuvalow, l'un des hommes qui ont le plus d'esprit et de connaissances, source inépuisable pour la souveraine et les sujets, doit les rassurer. Si, par humanité, ils sont inquiets du bonheur des sujets, qu'ils sachent qu'ils ne sont esclaves que pour ne pas se faire du mal, ni à eux ni aux autres, mais libres de s'enrichir, ce qu'ils font souvent, et ce qu'on peut voir par la richesse des

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