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dans les différentes situations de la vie; contes moraux, anecdotes sentimentales à la manière de Sterne; instructions minutieuses sur les grands chemins, les postes et les auberges, mais qui peuvent n'être pas sans quelque utilité pour les voyageurs, il n'est rien qu'on ne trouve dans ces deux volumes; mais ce qu'on a sans doute été plus étonné d'y remarquer, c'est la réunion de deux choses qu'on avait cru jusqu'ici tout-à-fait incompatibles, beaucoup de manière dans le style, quelquefois même une affectation ridicule avec un grand fonds de candeur et de vérité dans les idées et dans les sentimens. Il faut que l'auteur, que nous ne connaissons point personnellement, mais à qui l'on ne refusera point, après avoir lu son ouvrage, et beaucoup d'esprit et beaucoup de sensibilité, se soit laissé séduire à la fantaisie d'imiter un modèle qui ne convenait ni à la nature de son talent, ni au génie de sa langue. En lui pardonnant ses néologismes, ses afféteries sentimentales, la philanthropie qui taille ses plumes, l'équilibre des humeurs qui monte ses affections morales au ton de l'expansive bienveillance, la multitude des étres environnans qui sont les doigts rapides du facteur qui inventa l'instrument homme, le langage grossier, mais français, des matelots qui vibre doucement ses fibres, etc. vous trouverez dans sa manière d'observer et les hommes et les choses dé la finesse, de l'intérêt, très-souvent même une vérité simple et naïve.

Tout ce que nous avons pu apprendre de l'auteur,

c'est qu'il se nomme M. de Lacoste, et qu'il a fait le voyage d'Angleterre à la suite de M. le duc de Chaulnes, dont il a sans doute eu fort à se plaindre; car il y a plus d'un endroit de son livre où ce seigneur français est infiniment maltraité; voici les derniers traits sous lesquels il s'est plu à le montrer à ses lecteurs.

".......Dans le même hôtel (à Douvres) logeait aussi un grand seigneur de nom et armes. Cet homme, trop connu, avait amené de Londres une fille enlevée aux porteurs de chaise de Covent-Garden; les caprices entre deux amans de cette trempe ne sauraient être de ces aimables bouderies qui sont autant d'anneaux ajoutés à une chaîne de fleurs.... A la suite d'un de ces passe-temps, un coup de pied dans le ventre ayant jeté à croix pile la fugitive amante, cette fière beauté se relève, saisit un balai, et d'un bras exercé sous les portiques et dans les bagnes de bière de son quartier, elle charge son auguste amant. Un homme de qualité, un pair de France pirouetter sous un manche à balai, cela n'est pas soutenable; celui-ci court à ses pistolets, la princesse s'effraye, se sauve, saute les escaliers et gagne la rue en criant à l'aide; son amant, l'œil égaré, bouche ouverte et écumante, langue paralysée, la poursuit un pistolet à la main, et parvient sans opposition jusqu'à la porte; mais, ô revers! quelques matelots rassemblés et causant devant l'hôtel s'indignent de voir un homme poursuivre un être faible et sans défense; l'un d'eux se détache, croise l'étranger,

et, un coude en arrière, l'autre élevé à la hauteur des yeux, lui offre le combat; celui-ci le fixe, l'évalue, ne juge pas la partie avantageuse, et lui présente le pistolet. Cette détermination était un peu ducale; l'anglais, qui n'apercevait en lui qu'un hommc, se croit dégagé des lois du combat seul à seul, écarte l'arme à feu d'un revers du bras qu'il tenait élevé pour la défense, et d'uu coup de pied dans le ventre envoie dans le ruisseau la lourde masse de son adversaire. La jeune fille avait eu le temps de disparaître; le vainqueur la recherche des yeux, ne la voit plus, jette un froid regard sur le vaincu, qui se débat dans la bouc, et rentre à pas lents dans le cercle d'où il s'était détaché. Le grand seigneur n'ayant plus à craindre que les huées des spectateurs, qui cependant ne daignèrent pas en accompagner sa retraite, le grand seigneur se releva, ramassa son pistolet, son faux toupet et ses dents postiches, rentra, et remonta dans son appartement, en passant devant plusieurs groupes. d'Anglais qui souriaient avec dédain, et de Français qui baissaient les yeux, humiliés de l'opprobre dont se couvrait un de leurs compatriotes."

Au lieu de recueillir ici quelques observations du nouveau voyageur, qui perdraient infiniment de leur prix détachées de l'espèce de tableau qui sert à les faire valoir, qui leur prête du moins le plus grand intérêt, nous préférons de rappeler à nos lecteurs un précis des réflexions de M. le baron d'Holbach

sur l'Angleterre, tel que nous l'avons trouvé dans la lettre d'un de ses meilleurs amis.

"Ne croyez pas (dit cet ami) que le partage de la richesse ne soit inégal qu'en France. Il y a deux cents seigneurs anglais qui ont chacun six, sept, huit, neuf, jusqu'à dix-huit-cent mille livres de rente; un clergé nombreux qui possède, comme le nôtre, un quart des biens de l'Etat, mais fournit proportionnellement aux charges publiques, ce que le nôtre ne fait pas; des commerçans d'une opulence exorbitante: jugez du peu qui reste aux autres citoyens. Le monarque paraît avoir les mains libres pour le bien, et liées pour le mal, mais il est autant et plus, maître de tout qu'aucun autre souverain; ailleurs la, cour commande et se fait obéir, là elle corrompt et fait ce qui lui plaît, et la corruption des sujets est peut-être pire à la longue que la tyrannie. Il n'y a -point d'éducation publique; les colléges, somptueux bâtimens, palais comparables à notre château des Tuileries, sont occupés par de riches fainéans qui dorment et s'ennuient une partie du jour, dont ils emploient l'autre à façonner grossièrement quelques maussades apprentifs ministres. L'or qui afflue dans la capitale, et des provinces et de toutes les contrées de la terre, porte la main-d'œuvre à un prix exorbitant, encourage la contrebande et fait tomber les manufactures. Soit effet du climat, soit effet de l'usage de la bière et des liqueurs fortes, des grosses viandes, des brouillards continuels, de la fumée du charbon de terre qui les enveloppe sans cesse, le

peuple est triste et mélancolique. Les jardins sont
coupés d'allées tortueuses et étroites; partout on y
reconnaît un hôte qui se dérobe et qui veut être
seul. Là vous rencontrez un temple gothique, ailleurs
une grotte, une cabine chinoise, des ruines, des
obélisques, des tombeaux. Un particulier opulent
fait planter un grand espace de cyprès; il a disposé
entre ces arbres des bustes de philosophes, des urnes
sépulcrales, des marbres antiques sur lesquels on lit:
Diis manibus; ce que le baron appelle un cimetière
romain, ce particulier l'appelle l'Elysée. Mais ce
qui achève de caractériser la mélancolie nationale,
c'est leur manière d'être dans ces édifices immenses
et somptueux qu'ils ont élevés au plaisir; on y en-
tendrait trotter une souris ; cent femmes, droites et
silencieuses, s'y promènent autour d'un orchestre
construit au milieu, où l'on exécute la musique la
plus délicieuse. Le baron compare ces tournées aux
sept processions des Egyptiens autour du mausolée
d'Osiris. Ils ont des jardins publics qui sont peu
fréquentés; en revanche, le peuple n'est pas moins
serré dans les rues qu'à Westminster, célèbre abbaye
décorée des monumens funèbres de toutes les per-
sonnes illustres de la nation. Un mot charmant de
notre ami Garrick, c'est que Londres est bon pour
les Anglais, mais Paris est bon pour tout le monde.
Lorsque le baron rendit visite à ce comédien célèbre,
celui-ci le conduisit par un souterrain à la pointe
d'une terrasse arrosée la Tamise; là il trouva une
par
coupole élevée sur des colonnes de marbre noir, et

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