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que se trouve environné d'une multitude de petites puissances subalternes dont les forces sont toujours en mesure pour arrêter, suspendre et contrarier la sienne? N'est-ce pas le réduire à n'être qu'un vain fantôme, une décoration brillante à la vérité, mais beaucoup trop chère, si ce précieux ressort de plus ou de moins ne devait pas influer davantage sur la perfection de la grande machine politique ?

Sans ces corps intermédiaires que le président de Montesquieu regardait comme intimement liés à l'essence de toute monarchie modérée, le Monarque aura toujours ou trop ou trop peu de puissance sur le peuple; il en est ou trop près ou trop loin. Trop près, il ne lui faut que du caractère, des talens ou de la fortune pour en devenir le despote; trop loin, il devient étranger à ses destinées, et l'Empire gouverné sous son nom n'est bientôt plus qu'une République mal ordonnée.

Le jour de la première représentation de la reprise de Brutus a été encore un grand jour d'angoisse et de sollicitude pour toute la Municipalité. On avait triplé, quadruplé la garde ordinaire, M. le Commandant général avait reçu l'ordre de faire marcher des patrouilles à pied et à cheval dans toutes les avenues du quartier, et M. le Maire crut devoir honorer lui-même le spectacle de sa presence, ainsi que M. de Mirabeau, qui, s'étant laissé apercevoir dans une petite loge aux quatrièmes, reçut bientôt une députation du parterre, décrétée par acclama

tion, pour le prier de descendre aux premières, ce qu'il fit au bruit des applaudissemens les plus agréables à son oreille civique, ceux de ce bon parterre et de cette bonne troupe soldée. Peut-être était-ce encore par attention pour cet illustre Député qu'on eut si grand soin ce jour-là de faire désarmer tout le monde à la porte du spectacle et d'y consigner nommément toutes les espèces de cannes et de bâtons. Le premier acte, un des plus beaux sans doute, mais un des plus courts qu'il y ait au Théâtre, dura plus d'une heure, parce qu'à chaque applaudissement qui n'était pas dans le sens de la Révolution il s'élevait des cris et des hurlemens si horribles, que ce n'était qu'après un assez long intervalle que les acteurs pouvaient parvenir à se faire entendre. Après cette première lutte, ce que nous appelons l'aristocratie se vit réduite forcément au silence pendant plus de deux actes; mais à la fin du quatrième, quand Brutus dit à son fils:

Je mourrai comme toi,

Vengeur du nom romain, libre encore et sans Roi, le sans Roi ayant été sifflé, et ce sifflet ayant été hué avec rage, un homme au milieu de l'orchestre, emporté par un élan d'indignation, se lève et crie tout haut: Quoi! l'on ne veut donc plus de Monarchie en France? Qu'est-ce que cela veut dire ? Vive le Roi!... L'accent avec lequel ces derniers mots furent prononcés parut électriser toute l'assemblée, les loges, l'orchestre, les balcons, le parterre même; tout le monde se lève, les chapeaux volent

en l'air et la salle retentit pendant quelques minutes du cri de vive le Roi! N'est-ce pas une fatalité assez remarquable que ce soit là le plus grand effet qu'ait produit cette première représentation de Brutus, préparée avec tant de fracas et si bien appuyée de toutes les puissances de la démagogie

A la seconde, les Comédiens ont fait placer d'un côté le buste de Voltaire, de l'autre celui de Brutus, auquel on a adressé ces vers :

O buste respecté de Brutus, d'un grand homme!
Transporté dans Paris tu n'a pas quitté Rome.

Au dénouement on a mis en action le tableau de David; au moment où l'on annonce à Brutus la mort de son fils, ce père infortuné se place sur un fauteuil antique comme le Brutus du peintre, et de même on voit passer le cortége funèbre qui rapporte ses deux enfans dans sa maison.

A la troisième représentation, M. Charles, cidevant marquis de Villette, a demandé la parole, il l'a obtenue; la toile se levait, le public a demandé qu'on la redescendît, et il a prononcé le discours suivant:

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Messieurs, je demande au nom de la Patrie que le cercueil de Voltaire soit transporté à Paris ; cette translation sera le dernier soupir du fanatisme. Le grand homme qui a buriné le caractère de Brutus serait aujourd'hui le premier défenseur du peuple. Les charlatans d'église et de robe ne lui ont point pardonné de les avoir démasqués, aussi l'ont ils persécuté jusqu'à son dernier soupir. La veille de

sa mort la Cour lui envoya une lettre de cachet, le Parlement un décret de prise de corps, les prêtres le condamnèrent à la voirie. C'est à des Romains, à des Français tels que vous qu'il appartient d'expier tant d'outrages, c'est à vous de demander que la cendre de Voltaire soit déposée dans la basilique de Sainte-Geneviève, en face de Descartes, que l'on alla chercher de même seize ans après sa mort.

"Si cette pétition souffre la moindre difficulté, le pèlerinage de l'abbaye de Cellières et le monument de Voltaire, j'offre que tout soit à mes frais."

Ce discours a reçu les plus vifs, applaudissemens, et sans doute la Municipalité va s'occuper de satisfaire au vœu public.

En attendant la nouvelle organisation de l'armée nationale. (ce soin a été confié à l'expérience d'un jeune prédicant de Nîmes, M. Rabaud de S.-Etienne), nous ne croyons pas devoir oublier un petit trait qui caractérise bien l'organisation actuelle. Un Capitaine de la section des Halles ayant demandé ces jours derniers sa démission, la compagnie fit beaucoup de difficulté pour l'accepter. l'accepter. Nous avons tant de confiance en vous ! pourquoi nous quitter?-Je ne vous quitte point, Messieurs, je reste fusilier.En ce cas quel est donc le motif de votre démission ? -Le motif? ma foi, c'est que je suis bien aise de commander à mon tour.

Un homme assez malavisé pour croire que M. de Mirabeau pouvait avoir eu quelque influence sur la composition du nouveau Ministère, se permit de lui en témoigner sa surprise. Je n'aurais jamais cru que ce fussent là des hommes de votre choix, Eh, ne voyez-vous pas, lui répliqua M. de Mirabeau, que ce ne sont que des valets qui attendent leurs maîtres ?

Décembre, 1790.

Parmi le grand nombre d'imitations ou de suites que l'on a données de la Folle Journée, ou du Mariage de Figaro, nous croyons devoir distinguer les Deux Figaro, comédie en cinq actes, représentée dernièrement au Théâtre du Palais-Royal, ci-devant des Variétés amusantes.* Quoique ce Théâtre ne soit pas de ceux qu'on appelait autrefois Théâtres royaux, nous aurions à craindre d'être soupçonnés de principes anti-constitutionnels, de passer au moins pour de vrais aristocrates en matière de spectacle et de goût, si nous négligions de vous faire connaître les ouvrages qui ont eu quelque

* La nouvelle salle qu'occupe cette troupe a été construite par M. Louis, l'architecte qui a bâti celle de Bordeaux. Elle est toute entière en pierre et en fer, et l'on assure qu'elle a coûté à M. le duc d'Orléans près de deux millions. Ce n'est pourtant pas un monument de grand style, mais le plan en est singulièrement ingénieux, la distribution agréable et commode; et quant à la décoration de l'intérieur, elle n'est que trop riche, trop recherchée, et forme un contraste presque ridicule avec le genre des ouvrages qu'on y a vu représenter jusqu'ici.

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