Imatges de pàgina
PDF
EPUB

Un Français sous l'ancien régime, par son air, par ses manières, semblait dire à l'univers: Je suis le maître de faire tout ce qui me plaît.

Un Anglais annonce un sentiment de son être moins vague et moins métaphysique. Il est un empire auquel il a l'habitude d'être soumis, mais cet empire il l'aime, il le respecte, c'est celui de la Loi; il sait tout ce que cette Loi lui permet ; ce qu'il sait mieux encore, c'est tout ce qu'elle lui assure; et là-dessus reposent la douce confiance et la noble sécurité de sa pensée et de son maintien. Il ne croit pas pouvoir tout oser, mais, satisfait de ses droits, il est bien sûr de ce qu'il est, de ce qu'il a, de ce qu'il peut, de ce que les autres lui doivent, de ce qu'il leur doit lui-même.

C'est une remarque dont je fus frappé d'abord dans une circonstance assez peu importante, et c'est par cette raison peut-être qu'elle me frappa davantage au premier pour-boire que me demandérent les porteurs du paquebot je ne reconnus point cette importunité tour-à-tour indiscrète et polie à laquelle on est si accoutumé en France; c'était un compte précis, détaillé pour chaque objet, dont on exigeait le paiement, sans rudesse à la vérité, mais aussi sans aucun de ces artifices avec lesquels on tâche de séduire, au hazard d'obtenir quelquefois beaucoup plus, quelquefois beaucoup moins qu'il n'est dû; chacun dans ce pays, depuis le premier lord jusqu'au dernier coachman, parait savoir plus

précisément que partout ailleurs what is fair. (Ce qui est juste.)

Je ne crois pas vous tromper en vous assurant que si les hommes de travail en Angleterre sont communément mieux vêtus, mieux nourris, mieux logés qu'en France, ils se fatiguent aussi beaucoup moins, et vous en serez peu surpris, si vous considérez d'abord que le prix de leur journée est un peu plus considérable, que leur nourriture étant plus substantielle, leur donne plus de force; ensuite que, s'occupant avec plus d'assiduité, ils sont moins souvent dans le cas où se trouvent si fréquemment nos ouvriers français, d'être obligés de réparer, par des efforts de travail extraordinaire, des journées entières perdues par caprice, par paresse ou par débauche.

Si l'industrie en France paraît plus ingénieuse, plus facile, plus variée, plus active, tous ces avantages semblent céder à celui que donne aux ouvriers anglais plus d'application, plus de patience, plus de tenue.

La route de Douvres à Londres est, comme vous pouvez croire, une des plus fréquentées ; c'est dans la plus belle saison et par une des plus belles journées que j'ai fait cette route sans rencontrer plus de deux voyageurs à pied; c'étaient des garçons de métiers étrangers; on me l'a dit du moins, et tous deux en avaient l'air et le costume. En revanche, on voyage beaucoup sur l'impériale des voitures; j'ai vu jusqu'à huit et neuf personnes juchées sur le même carosse, et dans le nombre quelques femmes, dont

l'habillement annonçait l'aisance la plus honnête: cet usage cependant a donné lieu à tant d'accidens fâcheux, qu'il est question de le supprimer entièrement ou d'en restreindre au moins les abus.

Peut-être m'avait-on trop prévenu de l'impression que me ferait la beauté de la verdure en Angleterre ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle ne m'a point étonné ; je crois en avoir vu de plus belle dans quelques contrées de la Suisse, et sans sortir de la France, il me semble qu'il est des cantons en Normandie et dans le Boulonais qui m'avaient offert des aspects tout aussi frais, tout aussi rians. Ce que je n'ai pu me lasser d'admirer, c'est cette multitude d'enclos de haie vive bien soignés, bien entretenus: c'est la grande propreté qui décore les habitations les plus simples, qui donne même dans les villages aux plus minces boutiques un air d'abondance et de richesse, je n'ai pas été aussi flatté de l'usage où l'on est de vous présenter à chaque poste une jatte de punch ou de brandy, que l'on a souvent la politesse de faire circuler de bouche en bouche; je n'ai pas aimé non plus, aux meilleures tables d'hôte, ces grandes nappes avec lesquelles on se croit dispensé de vous donner une serviette, ni ce linge qui sent le charbon, ni ce porter si fort, si lourd, ni ce small beer qui a presque toujours un goût de tisane, ni ce vin de Porto, si épais et si liquoreux. Je m'arrangerais, je crois, d'ailleurs à merveille de la cuisine anglaise ; je ne con'nais rien dont on se nourrisse mieux et dont on se lasse moins que du bon beefsteak, des potatoes, du royal plumpudding et de l'excellent fromage de Chester, etc.

Je l'ai vu enfin ce Londres que j'avais tant désiré de voir. En vous disant qu'à l'approche de cette superbe capitale j'ai vivement éprouvé ce sen timent de joie, de bonheur et de sécurité que m'inspira toujours la vue d'une grande ville après quelques jours de voyage ou d'éloignement, je sais fort bien qu'une pareille émotion n'a rien de romanesque, rien de poétique, rien de champêtre surtout; je dois craindre même que, sur un pareil aveu, beaucoup de gens ne prennent une assez mauvaise opinion ou de ma philosophie ou de ma sensibilité, mais je ne veux point paraître meilleur que je ne suis. Je me trouve heureusement ou malheureusement beaucoup, plus cosmopolite que citoyen, et les grandes villes me paraissent la patrie commune de tous les hommes indépendans et civilisés; c'est le centre où viennent se réunir tous les talens, tous les arts, toutes les connaissances, toute l'industrie, toutes les ressources d'une Nation; c'est de ces grands foyers de lumière et d'activité que se répandent sans cesse toutes les faveurs que le génie de la civilisation se plaît à verser sur l'espèce humaine...Mais ne quittons point Londres avant d'y être arrivés.

Si la plus belle ville est celle où l'on voit le plus grand nombre de vastes bâtimens, de maisons somptueuses, de riches palais, assurément Paris l'emporte de beaucoup sur Londres ; mais si l'on faisait plus d'attention à l'étendue du terrain qu'occupe une ville, à la régularité de ses rues, à la multiplicité de ses places, au spectacle plus ou moins

animé de l'industrie, de l'aisance, de l'activité du peuple qui l'habite, Londres, sous tous ces rapports, paraîtrait, je crois, fort au-dessus de Paris. Excepté l'église de Saint-Paul, belle et noble imitation de Saint-Pierre de Rome; Westminster, monument remarquable dans le genre gothique; le palais de Somerset, la Banque, la Bourse, la maison du Lord-Maire, je n'ai pas vu un seul édifice qui mérite d'être distingué. Saint-James ressemble à une vieille abbaye, ou, si vous l'aimez mieux, à de vieilles casernes. Les prétendus palais, nouvellement bâtis pour le prince de Galles et le duc d'York, sont des modèles de mesquinerie et de mauvais goût. Les salles de spectacle, assez commodes quant à l'intérieur, ne présentent au dehors que l'aspect de misérables jeux de paume. Le Ranelagh, le Wauxhall, le Panthéon, dont la décoration intérieure est assez riche, ne peuvent être cités comme ouvrages d'architecture.

Hé bien, en convenant de tout cela sans aucune prévention, je ne puis vous exprimer à quel point le premier aspect de la ville de Londres m'a paru singulier, remarquable, imposant. L'espèce d'uniformité qui règne dans les bâtimens les embellissant, pour ainsi dire, l'un par l'autre, semble suppléer à tout ce qui leur manque d'ornement et de magnificence. La largeur de la plupart des rues, l'extrême commodité des trottoirs, la variété, la propreté, l'arrangement, le luxe ingénieux de cette multitude innombrable de boutiques de toute espèce for

« AnteriorContinua »