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ALICE.

Les oiseaux deviennent époux
Aussitôt qu'il leur plaît de l'être.
Il n'en est pas ainsi de nous,
Et nous avons besoin du prêtre.

LEWIN.

Il est si loin! Le bocage est si près !

ALICE.

Tu m'obtiendras à l'autel, ou jamais.

LEWIN.

Qu'importe un oui, pourvu qu'on soit aimée ?

ALICE.

Je veux garder ma bonne renommée ;

Et toi, méchant, tu souffrirais

Que ton Alice méprisée

A ses compagnes désormais

Servît de fable et de risée !

LEWIN.

Peut-tu me croire un semblable dessein?
Foi d'amoureux qui n'est pas un volage,
Foi de berger, je mettrai dès demain
A notre amour le sceau du mariage.

ALICE.

Que n'allons-nous dès ce matin

Puisqu'à tous deux c'est notre envie,

Nous tenant ainsi par la main,

Dire au prêtre qu'il nous marie?

LEWIN.

Ah! j'y consens. Je mets sous ton pouvoir
Ma main, mon cœur, tout mon humble héritage.
Adieu, bosquet, nous reviendrons te voir,
Moi plus ardent, Alice moins sauvage.

ENSEMBLE.

Que d'autres soient jaloux des trésors et des rangs! Un coin de terre est un royaume

Lorsqu'il rassemble deux amans.

Nous serons heureux sous le chaume;
Le heureux valent bien les grands.

Lettres de madame la Princesse de Gonzague

écrites à ses amis pendant le cours de ses voyages d'Italie en 1779 et années suivantes. Deux volumes in-12.

Après tant de Voyages d'Italie, que dire encore sur des pays déjà si connus? Ce qu'on a vu, ce qu'on a senti? ce sont toujours les mêmes objets, mais la manière de les voir et d'en être affecté peut varier à l'infini. Les lettres de madame de Gonzague nous ont paru avoir sous ce rapport un intérêt assez piquant. Quoiqu'on n'y trouve guère cet abandon, cette négligence qui dans le genre épistolaire est quelquefois une grâce de plus, on y reconnait souvent l'impression d'une âme vive cédant au besoin de répandre les idées et les sentimens qui l'ont fortement émue, et les exprimant avec une facilité remplie d'esprit et d'imagination. Pour le prouver nous nous contenterons de citer quelques traits de la description qu'elle fait de Venise.

"J'habite les ondes, et c'est dans un palais magnifique. Je ne vois plus dans la nature que le ciel et l'élément majestueux qui m'environne; tout a disparu. Je n'aperçois partout que l'ouvrage des hommes; ils règnent seuls ici. Les animaux les plus gais, le papillon et la fauvette, fuient dans les airs; ils ne s'arrêtent ni sur les fleurs, ni sur le feuil

* Epouse d'un prince de Gonzague que M. de Voltaire prenait la liberté d'appeler le prince Zigzague. On connaît de lui un discours plein d'esprit et de savoir sur les découvertes qui ont contribué le plus aux progrès de l'esprit humain.

lage, et l'onde a pris la place de la verte prairie. L'homme lui-même, privé des couleurs de la Nature, semble l'avoir oubliée; il n'est plus sensible à ses beautés, et voulant aussi s'oublier lui-même, il cache les traits qu'elle lui donna sous un masque qui devient sa figure pendant six mois de l'année. On dirait qu'il est honteux d'être homme..."

Madame de Gonzague fait un grand éloge du caractère des Dames d'Italie et du bonheur dont elles jouissent. Elle ne traite pas aussi favorablement l'esprit de nos sociétés de Paris. "Pourquoi, dit-elle, cette Nation françoise si aimable et si brillante a-t-elle changé de caractère ? Que je regrette sa franchise, sa loyauté, sa gaieté et même sa frivolité qu'elle a abandonnée pour une philosophie adolescente,* qui ne va point au bonheur et qui les empêche de rire! On devient gauche lorsque l'on quitte son naturel, et leur esprit à présent n'est plus qu'une raison ornée."

Mai, 1790.

Quelques Lettres à mon ami, sur mon voyage

d'Angleterre.

Vous voulez, mon ami, que je vous rende compte de la course que je viens de faire en Angleterre, et moi je ne demande pas mieux. Ne vous attendez cependant pas à lire ni de grands détails, ni de belles descriptions, ni de profondes remarques. J'ai beaucoup vu, beaucoup regardé, mais avec tant d'empres* Expression vraiment heureuse !

sement et de rapidité, qu'il n'y a point de mauvais livre à l'usage des voyageurs qui sous ce rapport ne puisse satisfaire votre curiosité beaucoup mieux que moi; c'est donc bien moins de ce que j'ai vu que de 'ce que j'ai pensé que je vais vous entretenir.

La première impression que j'ai reçue au sortir de l'agonie où j'avais été pendant les dix ou douze heures que dura la traversée est cette espèce de surprise dont il est impossible de se défendre en voyant combien un pays placé à si peu de distance de notre continent offre d'aspects tout-à fait divers, relativement à la nature même du sol, à celle de l'atmosphère qui l'entoure, aux formes de l'architecture, aux coutumes, au langage, au maintien des hommes qui l'habitent. On est porté d'abord à croire qu'il s'est écoulé une longue suite de siècles pendant lesquels il dut n'exister aucune relation entre les deux peuples dont les intérêts et les goûts paraissent aujourd'hui si disposés à se rapprocher.

Je n'ai vu de l'Angleterre que la route de Douvres à Londres et quelques campagnes aux environs de la capitale; mais ce qui m'avait frappé d'abord en arrivant, je ne sais quel air de propreté, de propriété, de sécurité que je n'avais encore vu nulle part, m'a frappé également dans toutes les lieux que j'ai parcourus; c'est là vraiment le charme qui distingue et qui embellit cette heureuse contrée à qui d'ailleurs la nature a refusé bien des avantages qu'elle s'est plu à prodiguer à d'autres climats.

Il me semble qu'en attachant au mot de liberté

ces idées superficielles dont le vulgaire des hommes, et quelquefois même celui des philosophes, s'enivre si facilement, l'étranger qui n'en eût jugé que sur le premier coup-d'œil aurait fort bien pu présumer qu'il existait en France et long-temps avant la Révolution plus de liberté qu'il n'en existe en Angle terre; on ne retrouve point chez les Anglais cette légèreté, cette facilité de maintien, d'habitude, de mouvement qui semble éloigner toute apparence de gêne et de contrainte. En France le peuple conservait sous les haillons même de la misère je ne sais quel air de confiance et de courage prêt à tout af fronter. Quelque pesante que fût sa chaîne, il la soulevait si gaiement que sa démarche n'en paraissait ni plus timide ni plus embarrassée. Abandonné à lui-même, on ne voit pas ce qui pouvait l'arrêter ou le contenir; placé entre son insouciance et sa vanité, heureux esclave, il avait l'air d'être plus libre que tous les Sages et tous les Rois de la terre.

Si j'ose en croire ce premier aperçu, sur lequel on juge quelquefois mieux que sur de lentes observations la physionomie d'un peuple comme celle d'un individu, les Anglais me paraissent plutôt porter daus leur extérieur le caractère d'une assurance réfléchie que celui de cette aisance naturelle qui ne doute de rien, qui se met au-dessus de tout, et qu'on est fort tenté de prendre pour de la liberté lorsqu'on ne s'est pas encore fait une juste idée de la seule espèce de liberté dont une société bien ordonnée puisse être susceptible..

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