et un curé qui après le dîner nous lut une tragédie de sa façon. Elle était précédée d'un discours sur les compositions théâtrales dont voici la substance. Il distinguait la comédie et la tragédie de cette manière dans la comédie, disait-il, il s'agit d'un mariage, et dans la tragédie d'un meurtre. Toute l'intrigue dans l'une et dans l'autre roule sur cette péripétie: Epousera-t-on, n'épousera-t-on pas Tuera-t-on, ne tuera-t-on pas? On épousera, on tuera, voilà le premier acte. On n'épousera pas, on ne tuera pas, voilà le second acte. Un nouveau moyen d'épouser et de tuer se présente, et voilà le troisième acte. Une difficulté nouvelle survient à ce qu'on épouse et qu'on tue, et voilà le quatrième acte. Enfin, de guerre lasse, on épouse et l'on tue, c'est le dernier acte.....Nous trouvâmes cette poétique si originale qu'il nous fut impossible de répondre sérieusement aux demandes de l'auteur, j'avouerai même que moitié riant, moitié gravement, je persiflai le pauvre curé. Jean-Jacques n'avait dit le mot, n'avait pas souri un instant, n'avait pas remué de son fauteuil; tout-à-coup il se lève comme un furieux, et s'élançant vers le curé, il prend son manuscrit, le jette à terre, et dit à l'auteur effrayé: Votre pièce ne vaut rien, votre discours est une extravagance, tous ces Messieurs se moquent de vous; sortez d'ici, et retournez vicarier dans votre village...Le curé se lève alors non moins furieux, vomit toutes les injures possibles contre son trop sincère avertisseur, et des injures il aurait passé aux pas coups et au meurtre tragique si nous ne les avions séparés. Rousseau sortit dans une rage que je crus momentanée, mais qui n'a pas fini, et qui même n'a fait que croître depuis. Diderot, Grimm et moi nous avons tenté vainement de le ramener, il fuyait devant nous. Ensuite sont arrivées toutes ses infortunes auxquelles nous n'avions de part que celle de l'affliction. Il regardait notre affliction comme un jeu, et ses infortunes comme notre ouvrage. s'imagina que nous armions le Parlement, Versailles, Genève, la Suisse, l'Angleterre, l'Europe entière contre lui. Il fallut renoncer non à l'admirer ni à le plaindre, mais à l'aimer ou à le lui dire. Février, 1790. Doris, églogue; par M. le prince Baris de Galitzin. Le soleil a déjà terminé sa carrière, Viens, Doris, viens, suis-moi dans ce lieu solitaire * Ces vers, d'un Prince russe, dans une langue qui n'est pas la sienne, ont paru mériter d'être conservés. (Note de l'Editeur.) Regarde l'épaisseur de ce sombre feuillage Quoi! Doris, tu pourrais dans l'âge heureux de plaire De deux jeunes amans, enfans de la Nature, Que son cœur s'est rendu quand sa bouche a dit non, Quand les tendres larcins, la douce violence Rendent l'amant vainqueur de tant de résistance, Quand tous ces jeux divers, inventés par l'amour, Ont embrasé leurs sens plus épris chaque jour, Alors un nouvel astre à leur âme enivrée Fait goûter sa douceur trop long-temps ignorée, Sur leurs yeux se répand un prestige enchanteur, Tout s'embellit pour eux de leur propre bonheur. Ensemble ils se plairaient même à verser des larmes ; Pour les cœurs amoureux le chagrin a ses charmes. Ainsi de ces amans on voit couler les jours Comme un ruisseau tranquille en son paisible cours. Doris, ne sens-tu pas s'élever dans ton âme Ces mouvemens confus d'une naissante flamme, Ces chagrins inquiets, plus doux que les plaisirs, Cette douce langueur qui suivent les désirs ? Dans tes regards se peint un sentiment plus tendre, Avec plus d'intérêt tu consens à m'entendre; Je le vois, des soupirs s'échappent de ton sein, Ils m'annoncent sans doute un plus heureux destin. Cependant tous les deux approchaient du bocage. Tircis fut plus pressant, plus tendre en son langage, Il peignit avec feu ce que son cœur sentait. Doris ne disait rien, mais Doris l'écoutait. Mille amans, poursuit-il, sont jaloux de te plaire. Les plus riches bergers aiment tous ma bergère. Tityre et Licidas, dont les nombreux troupeaux Couvrent au loin les prés voisins de ces hameaux, Tityre et Licidas t'adressent leur hommage. Mon trésor, c'est mon cœur, je n'ai rien davantage ; Mais crois-en ce cœur tendre, il parle sans détour, S'ils ont plus de richesse, ils ont bien moins d'amour. Ce feu que je nourris, que ta présence augmente, Qui consume mon cœur, le charme et le tourmente, N'est point un sentiment volage et passager Que fait naître un instant, qu'un instant peut changer. Profondément empreint dans mon cœur tout de flamme, Lui tend la main, soupire et le suit dans le bois. Le Cerf-Volunt, Fable; par M. le marquis de Bonnay, député de Nevers. Le plus noble hochet de notre adolescence, Un cerf-volant audacieux, Echappant un beau jour à la main qui le lance, Avec majesté se lance; Mais bientôt oubliant sa fragile substance, Dit-il aux habitans des airs : Cessez, cessez d'être si fiers Lorsque des pins vous dépassez la cime, Mon orgueil est plus légitime, C'est moi qui vais régner dans ces vastes déserts; Là je veux fixer mon séjour, Là je veux des mortels échapper à la vue, |