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Vers pour le Vieillard ágé de cent vingt ans, présenté au Roi et à l'Assemblée nationale.

A l'œil des curieux ma vieillesse se livre,

Elle présente à l'homme un agréable espoir.
Je ne me fais pas voir pour vivre,

Mais je vis pour me faire voir.

Extrait du Manuscrit d'une Femme célèbre, intitulé Conseils à ma jeune Amie.

Vous êtes encore loin, ma chère Pauline, du temps funeste où nous sommes forcées de nous avouer que tout passe, mais votre fille en grandissant, en attirant les regards, sera le terme de vos prétensions et le baptistère où l'on ira chercher votre âge. Par ce que vous entendez dire des autres femmes vous devez vous attendre à ce qu'on dira de vous. Pour vous mieux prémunir contre ce moment critique, il faut que je vous conte de quelle manière je l'ai passé moi-même.

J'étais parvenue à l'âge de quarante ans sans d'aucune dégradation dans

m'être aperçue

ma

figure; soit que

l'extrême parure

nécessaire à mes

par

rôles favorisât l'illusion des autres, soit qu'elle fût soutenue par la variété des personnages que je représentais, soit qu'on fût maîtrisé les passions que je m'efforçais de bien peindre, ou par l'optique du théâtre, tous mes amis me trouvaient charmante, et mon amant m'aimait à la folie; bref je ne me doutais de rien. Un jour plus vivement pressée

* Né à Sarsie, au Mont-Jura, le 10 Novembre 1669.

du désir de plaire, je voulus ajouter à mes charmes le secours de ces parures élégantes que nous avons toujours en réserve, et qui font faire Ah...quand on nous voit. Me regardant continûment au miroir pour voir si mes cheveux allaient bien, il me sembla que ma femme de chambre se négligeait, qu'elle oubliait l'air de mon visage, qu'elle avait l'intention de me rendre moins jolie ce jour-là que de coutume. Cependant je demandai avec confiance le charmant bonnet qui devait tout surmonter, mais de quelque façon que je le tournasse j'en fus mécontente, je le jetai, j'en demandai vingt autres, et, confondue de n'en trouver aucun qui m'allât comme je voulais, je m'examinai scrupuleusement moi-même. Le nez sur la glace éclairée par le jour le plus pur je vis plusieurs sillons de rides sur mon front! dans les deux coins de mes yeux! dans le tour de mon cou! la blancheur de mes dents n'avait plus le même éclat! mes lèvres étaient moins fraîches, mes yeux moins vifs, et malheureusement je me portais bien dans ce momentlà! Forcée de m'avouer que ce n'était pas la faute de ma femme de chambre et de mes bonnets, que c'était moi qui n'était plus la même, je fondis en larmes. Quelle faiblesse direz-vous. Hélas! j'aimais, mon bonheur dépendait de plaire, ma raison m'ordonnait de n'y plus prétendre! Ce moment fut affreux, ma douleur dura près de six mois; elle était d'autant plus pénible qu'il fallait la cacher pour n'en pas avouer la cause; mais dès le

premier moment de cette cruelle découverte je me vouai à la plus grande simplicité; en n'attirant plus les yeux sur ma parure je me flattai d'échapper plus aisément aux coups d'œil de détail; la critique et l'envie doivent au moins se taire devant celles qui se font justice; je n'exigeai plus rien; en redou blant tous les soins de l'amour je n'en parlai plus le langage, insensiblement j'en réprimai tous les désirs. Ma conduite frappa, l'on m'en demanda compte, on fut touché de celui que je rendis, j'obtins par là de jouir encore cinq ans d'un cœur que beaucoup de femmes me disputaient, et que la jouissance d'une grande fortune me fit perdre sans retour.

Faites vos réflexions là-dessus, ma chère amie. Arrivées à l'âge de trente ans, les hommes ont la sottise de nous constituer vieilles et de blåmer en nous ce qu'ils osent prétendre pour eux dans la plus dégoûtante caducité; cette injustice est plus digne de pitié que de colère, ne vous en offensez point et n'y sacrifiez jamais rien; c'est votre vanité, votre délicatesse, votre raison qu'il faut consulter pour savoir ce que vous avez encore à prétendre. Vous ne pouvez alors dissimuler que chaque jour va vous enlever une grâce, mais votre âme exercée par le temps et l'expérience voudra sûrement les remplacer par des vertus; elles vous assureront un empire bien plus doux, bien plus durable que celui de la beauté.

Décembre, 1789.

Je

Lettre de M. Pitra, Conseiller Administrateur au département des domaines de la ville de Paris. Ce n'est pas un éloge de Vernet que j'ai l'honneur de vous adresser, ce sont seulement quelques faits épars de la vie de cet homme célèbre, recueillis dans l'intimité de sa société, seul hommage que je puisse rendre à l'amitié dont il m'honorait. regrette bien de n'avoir pas prévu qu'un jour j'aurais à vous entretenir de ce grand peintre; il aimait à parler de son enfance, de ses études, de ses voyages; on pouvait le questionner sur tous les instans de sa vie, il se plaisait à raconter, et j'aurais pu l'engager sans indiscrétion à me communiquer beaucoup d'anecdotes plus intéressantes peut-être que celles dont j'ai conservé le souvenir. Au reste, l'histoire de Vernet*, comme celle de tous les grands talens, est dans leurs ouvrages: c'est à un homme de l'art à écrire la vie de ce grand peintre. Je vais seulement vous en rappeler quelques traits qui vous feront peut-être aimer son caractère autant que vous admirerez son génie.

Vernet fut de ce petit nombre d'hommes qui annoncent presque en naissant ce qu'ils doivent être un jour. Son père était peintre à Avignon ; son talent et sa fortune étaient médiocres. Sa

Claude Joseph Vernet, peintre du Roi, conseiller de son Académie royale de peinture et de sculpture, membre de plusieurs autres Académies, né à Avignon le 14 Août 1714, d'Antoine Vernet et de Thérèse Garnier, mort à Paris le 3 Décembre 1789.

mère lui a souvent raconté que le hochet qui lui plaisait davantage et avec lequel elle était sûre de le faire taire lorsqu'il criait, était un des pinceaux de son père. Ce fait, qui ressemble un peu à un conte de bonne femme, paraîtra mériter plus d'attention lorsqu'on saura que cet enfant s'amusait, dès l'âge de trois ans, avec les crayons de son père; on était obligé de les cacher soigneusement, parce qu'il s'emparait de tous ceux qu'il trouvait, et ne manquait pas, comme on peut croire, de gâter les dessins qu'il s'avisait de retoucher. Ce qu'il y a de sûr, c'est que Vernet, à l'âge de cinq ans, commençait à dessiner la figure, et sa mère, à son retour d'Italie, lui montra plusieurs têtes qu'il avait dessinées à cet âge, et qu'elle avait conservées. A sept ou huit ans son père lui donna une petite palette et un chevalet. Il lui accordait, pour récompense de ses études de dessin, la permission de peindre les esquisses dont il était le plus satisfait. Il le destinait à peindre l'Histoire, et les dispositions du jeune Vernet faisaient espérer qu'il réussirait dans ce genre. Ses progrès furent même si rapides et si marqués, que les amis de son père le déterminèrent à l'envoyer de bonne heure à Rome perfectionner son talent naissant par l'étude des grands modèles. Vernet avait quinze ans et demi lorsqu'il partit d'Avignon. Son père lui remit une douzaine de louis et le recommanda à un voiturier qui se chargea de le conduire à Marseille. Vernet m'a souvent raconté que c'est de ce voyage que date

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