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l'expédition de Minorque occupe presque tout le second volume. Pour prouver que l'auteur de la notice historique ne peut être soupçonné d'avoir présenté son héros sous un aspect trop favorable, on ne citera que l'anecdote suivante; elle pourra donner en même temps l'idée du style et bon goût de notre panégyriste. "Il survint, dit-il, au Maré"chal une maladie de peau; on lui conseilla d'appliquer sur les parties affectées des tranches de veau, ce qui fit dire aux plaisans que ce n'était "plus qu'un vieux bouquin relié en veau.” *

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Novembre, 1789.

Elle vient de paraître enfin la seconde partie des Confessions de J. J. Rousseau, en deux volumes in-8., et c'est sur une copie déposée à Genève que paraît avoir été fait l'édition. Cette seconde partie, quant au talent de l'écrivain, est assurément au dessous de la première; elle est plus méprisable encore quant au fonds; c'est un tissu de bassesses, de folies, souvent même de platises, le mot est de l'invention de Rousseau, et semble fait tout exprès pour caractériser une grande partie des détails contenus dans ce singulier ouvrage. Il y a cependant une sorte de charme attaché à cette lecture dont on ne saurait se défendre; on se fâche, on s'indigne souvent contre l'auteur, on est tenté plus d'une fois de jeter le livre, mais on le reprend toujours, et quelque humeur que puissent donner ses injustices, ses préventions, ses extravagances, on finit par

* Ce mot est attribué au duc de Fronsac, fils du maréchal de Richelien.

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admirer le talent qui a pu jeter tant d'intérêt sur des inepties aussi bizarres, quelquefois même aussi odieuses.* Indépendamment de cette magie de style qui n'appartient qu'à Rousseau, l'on sent que tout homme capable d'impressions vives et qui se permettrait d'exprimer toutes celles qu'il a éprouvées dans le cours de sa vie, sans aucun ménagement ni pour lui-même ni pour les autres, offrirait toujours à la curiosité de ses lecteurs un attrait assez piquant; mais comment un homme qui a quelque moralité dans le cœur peut-il se déterminer à laisser un pareil ouvrage après lui? Les Confessions de JeanJacques décèlent un motif qui le rend plus coupable; il paraît évident qu'il ne s'est déterminé à se peindre lui-même avec tant de franchise que pour acquérir le droit de consacrer ainsi la mémoire de tous ses ressentimens personnels, et dans l'espérance de faire croire le mal qu'il dirait des autres comme celui qu'il jugerait à propos de dire de lui-même. Mais Rousseau, dit-on, voulait que cet ouvrage ne parût que vingt-cinq ans après sa mort, lorsqu'il serait à présumer que toutes les personnes compromises par ses aveux ou par ses préventions ne seraient plus.... Ah! c'est en cela, même que l'idée m'en paraît mille fois plus révoltante; se retrancher dans sa tombe pour déchirer, pour assassiner plus

* Que penser par exemple d'un homme qui, après avoir annoncé qu'il envoya ses trois enfans à l'hôpital des Enfans-Trouvés, ajoute: "Si je disais mes raisons, j'en dirais trop; puisqu'elles "ont pu me séduire elles en séduiraient bien d'autres."

sûrement les objets de ses liaisons les plus intimes, n'est-ce pas ajouter à la plus noire perfidie la plus odicuse lâcheté ? Si votre âme a besoin de haine et de vengeance, laissez du moins à ceux que vous "Ne voulez poursuivre le moyen de se défendre.

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voyez-vous pas, dit M. Cérutti, combien il est "horrible qu un homme, fût-il un demi-Dieu, im"mole en mourant sur sa tombe les amis de sa vie, "et force leurs mânes plaintifs à suivre avec op"probre les siens jusqu'à la dernière postérité ? "Des confessions de ce genre sont un héritage de "fureur et des legs d'infamie."

Ce qui peut consoler infiniment les personnes calomniées dans cet ouvrage, c'est que l'ouvrage même, tout séduisant qu'il est, n'en renferme pas moins toutes les preuves de la folie de l'auteur et de l'absurde injustice de la plupart de ses visions. Un des hommes qu'il paraît avoir aimés le plus tendrement pour le haïr ensuite avec la violence la plus extravagante est M. de Grimm, mais lorsque les plaintes qu'il se permet de répandre contre lui avec tant de fiel et d'amertume cessent d'être vagues, lorsqu'il cherche à se justifier en quelque manière des torts dont il l'accuse, il ne trouve à citer que les actions en elles-mêmes les plus indifférentes, des tracasseries, de véritables misères de société sur lesquelles son imagination, offusquée de sombres vapeurs, élève les complots les plus criminels, les conspirations les plus monstrueuses; cette démence va jusqu'à lui persuader que M. de Grimm, du fond de

son cabinet, s'était ligué avec les Puissances pour faire entreprendre à M. de Choiseul la conquête de la Corse, uniquement afin d'empêcher Jean-Jacques d'en être le législateur.

S'il y a quelque chose de clair dans l'origine de ces terribles querelles de Rousseau avec l'Encyclopédie, c'est que toutes les têtes de nos philosophes et surtout la sienne avaient été étrangement brouillées par la coquetterie de madame d'Epinay et de madame la comtesse d'Houdetot, sa belle-sœur. La première avait donné à Rousseau les preuves les plus touchantes de la plus tendre amitié, et n'en fut récompensée que par des procédés d'une ingratitude atroce. L'autre lui inspira un amour dont les transports sont peints comme il les avait sentis, en traits de feu. L'histoire de cette passion si brûlante et si malheureuse forme la partie la plus intéressante des nouvelles Confessions; en voici un détail exprimé tout-à-la-fois avec tant d'énergie et tant de décence qu'on nous pardonnera de la citer.

"Il y avait une lieue de l'Hermitage à Eaubonne (où demeurait alors madame d'Houdetot). Je passais par les coteaux d'Andilly qui sont charmans. Je rêvais en marchant à celle que j'allais voir, à l'accueil caressant qu'elle me ferait, au baiser qui m'attendait à mon arrivée. Ce seul baiser, ce baiser funeste, avant même de le recevoir, m'embrasait le sang à un tel point que ma tête se troublait, un éblouissement m'aveuglait, mes genoux tremblans ne pouvaient me soutenir, j'étais forcé de m'arrêter,

de m'asseoir; toute ma machine était dans un désordre inconcevable ; j'étais prêt à m'évanouir. Instruit du danger, je tâchais en parlant de me distraire et de penser à autre chose. Je n'avais pas fait vingt pas que les mêmes souvenirs et tous les accidens qui en étaient la suite revenaient m'assaillir sans qu'il fût possible de m'en délivrer, et de quelque façon que je m'y sois pu prendre, je ne crois pas qu'il me soit jamais arrivé de faire seul ce trajet impunément. J'arrivais à Eaubonne faible, épuisé, rendu, me soutenant à peine. A l'instant que je la voyais tout était réparé, je ne sentais plus auprès d'elle que l'importunité d'une vigueur inépuisable et toujours inutile, etc."

Le Nuage, apologue imité du Hollandais, par M. Mallet de Genève.

Au temps où le soleil va dorer les moissons,

Un jour que dans le ciel les vents étaient en guerre,

Un nuage de neige abattu sur la terre

Blanchit en un instant et coteaux et vallons.

"Nous avons changé les saisons,"

Disait le nuage superbe,

"On ne voit plus la terre, on n'aperçoit plus d'herbe,
"Tout est couvert de nos flocons."

Tout changement subit ne peut être durable.
Le soleil darde ses rayons,

La neige disparaît, la terre est habitable.
L'intrigant rit en vain du sage qu'il accable,
Il ne lui peut ôter nos cœurs et ses vertus.
Le Ciel parle, tout change à sa voix formidable;
L'homme de bien triomphe, et le méchant n'est plus.

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