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contre l'ensemble et surtout contre l'effet moral de ce système? Tant que l'on se borne à détruire les principes qui servirent long-temps à contraindre les habitudes et les passions des hommes, on réussit facilement à leur plaire; mais lorsqu'à ces principes, dont sans doute on a souvent abusé, l'on veut essayer d'en substituer d'autres, la tâche devient incomparablement plus difficile, et l'on risque de perdre bientôt toute la faveur qu'on s'était acquise d'abord.

Nous conviendrons d'ailleurs que si ces derniers ouvrages diffèrent beaucoup du premier relativement à l'intérêt du sujet, ils n'en diffèrent pas moins par le talent. Le Système de la Nature est fort inégalement écrit, chargé de redites ennuyeuses et de vaines déclamations, mais il y règne en général un ton d'enthousiasme, de philosophie et d'éloquence assez imposant; il y a des pages entières, et il y en a un grand nombre, où l'on reconnaît aisément la plume d'un écrivain supérieur, et cela est fort simple, car ces pages sont de Diderot. Il a eu beaucoup moins de part au Système Social et à la Morale Universelle, où l'on trouve la même prolixité que dans le Système de la Nature, beaucoup d'excellens principes, mais aussi beaucoup de lieux communs, une méthode pesante, peu de mouvement dans le style et peu de variété dans les idées comme dans l'expression.

Concitoyen, ami dès l'enfance du célèbre Lavater, on voudra bien me pardonner de partager un peu sa physiognomanie: j'ai toujours été frappé du rap

port qu'il y avait entre le caractère de la figure de M. d'Holbach et celui de son esprit. Il avait tous les traits assez réguliers, assez beaux, et ce n'était pourtant pas un bel homme. Son front large et découvert, comme celui de Diderot, portait l'empreinte d'un esprit vaste, étendu; mais moins sinueux, moins arrondi, il n'annonçait ni la même chaleur, ni la même énergie, ni la même fécondité; son regard ne peignait point la douceur, la sérénité. habituelle de son âme.

M. le baron d'Holbach devait croire sans peine à l'empire de la raison, car ses passions (et les nôtres sont toujours celles d'après lesquelles nous jugeons celles de nos semblables), ses passions étaient précisément telles qu'il les faut pour faire valoir l'ascendant des bons principes. Il aimait les femmes, il était fort sensible aux plaisirs de la table, mais sans être l'esclave d'aucun de ses goûts. Il ne pouvait haïr personne; cependant ce n'était pas sans effort qu'il dissimulait son horreur naturelle pour les prêtres, pour tous les suppôts du despotisme et de la superstition; en parlant d'eux, sa douceur s'irritait malgré lui, sa bonhomie devenait souvent amère et provoquante. Une des plus violentes passions peut-être qui l'ait occupé toute sa vie, mais surtout dans ses dernières années, c'était la curiosité; il aimait les nouvelles comme l'enfance aime les joujoux, et par cette espèce d'aveuglement si naturel à toute habitude passionnée, il y mettait même fort peu de choix; bonnes ou mauvaises,

fausses ou vraies, il n'y en avait point qui n'eût quelque attrait pour lui, il n'y en avait même point qu'il ne fût fort disposé à croire. Il semblait véritablement que toute la crédulité qu'il avait refusée aux nouvelles de l'autre monde, il l'eut réservée toute entière pour celles de la Gazette et des cafés. Il se plaisait à se faire raconter dans le plus grand détail le fait même dont toutes les circonstances démontraient la fausseté. Vous savez l'histoire qu'on a faite hier?-Non.-Elle n'est pas croyable.-Ah ! dites toujours...-Combien de fois il s'est fâché contre M. de Grimm qui d'un mot à dîner bouleversait toute une histoire dont il s'était délecté le matin sous les arcades du Palais-Royal! Voilà comme vous êtes, lui disait il avec l'humeur de l'amitié, jamais vous ne dites rien, et jamais vous ne voulez rien croire.

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. M. d'Holbach eut pour amis les hommes les plus célèbres de ce pays-ci, tels que MM. Helvétius, Diderot, d'Alembert, Condillac, Turgot, Buffon, Rousseau, et plusieurs étrangers dignes de leur être associés, tels que MM. Hume, Garrick, l'abbé Galiani, etc.* Si le charme d'une société si distinguée fut bien propre à donner à son esprit plus de force et plus d'étendue, on a remarqué, avec la

*Sa maison fut long-temps un des plus doux hospices des initiés de l'Encyclopédie et leur plus célèbre synagogue. Il est trop vrai qu'elle perdit un peu la faveur dont elle avait joui lorsque l'établissement de ses enfans eut forcé M. d'Holbach à restreindre la dépense de son cuisinier.

même vérité qu'il n'y avait pas un seul de ces hommes illustres à qui il n'ait pu apprendre beaucoup de choses utiles et curieuses. Il possédait une fort belle bibliothèque, et l'étendue de sa mémoire suffisait à toutes les connaissances dont ses études l'avaient enrichie; il se rappelait sans effort et tout ce qui méritait et tout ce qui ne méritait guère d'être retenu. Quelque système que forge mon imagination, m'a dit plus d'une fois M. Diderot, je suis sûr que mon ami d'Holbach me trouve des faits et des autorités pour le justifier.

C'est de lui que madame Geoffrin disait avec cette originalité de bon sens qui caractérisait souvent ses jugemens: Je n'ai jamais vu d'homme plus simplement simple.

Un des traits les plus estimables du caractère de M. d'Holbach était sa bienfaisance; on ne peut rien ajouter à l'exemple touchant qu'en a rapporté M. Naigeon, dans le Journal de Paris; et nous nous bornons à le transcrire ici.

"Il y avait dans sa société un homme de lettres (M.S.) qui lui paraissait depuis quelque temps rêveur, silencieux et profondément mélancolique. Affligé de l'état où il voyait son ami, M. d'Holbach court chez lui: "Je ne veux point, lui dit-il, aller au devant d'une confidence que vous ne croyez 66 pas devoir me faire, je respecte votre secret, mais "je vous vois triste et souffrant, et votre situation "m'inquiète et me tourmente. Je connais votre

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peu de fortune, vous pouvez avoir des besoins que

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j'ignore; je vous apporte dix mille francs dont je ne fais rien, que vous ne refuserez pas d'accepter "si vous avez de l'amitié pour moi, et que vous me "rendrez un peu plus tôt, un peu plus tard, quand "la fortune vous viendra"...... Cet ami touché, ému comme il devait l'être, l'assure qu'il n'a aucun besoin d'argent, que son chagrin a une autre cause, et il n'accepte point le service qui lui était offert, mais il ne l'a point oublié, et c'est de lui-même que je tiens le fait.".

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Paul Thiry, baron d'Holbach, membre des Académies de Pétersbourg, de Manheim, de Berlin, était né dans le Palatinat. Elevé dès sa plus tendre jeunesse en France, il y a passé la plus grande partie de sa vie ; il est mort à Paris, le 21 Janvier 1789, âgé de soixante-six ans. Ayant perdu fort jeune sa première femme, mademoiselle d'Aine, il obtint de la Cour de Rome la permission d'en épou ser la sœur, qui lui a survécu. Il laisse deux fils et deux filles, dont l'une a épousé le marquis de Châtenay, et l'autre le comte de Nolivos,

Chanson d'un Suisse à sa Mattresse sous les armes.* Que vois-je? Est-ce toi, belle Ericie? Quel éclat

* Lorsque l'empereur Albert vint faire le siége de la ville de Zurich il y restait peu de guerriers, mais les femmes, revêtues de cuirasses, s'étant mêlées à leurs faibles bataillons, présentèrent bientôt tout l'appareil d'une résistance redoutable. L'empereur, qui comptait surprendre la ville, étonné d'y voir une garnison si nombreuse, crut devoir renoncer à ses projets et se retira.

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