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établi à Chambéry pour former un cadastre en Savoie. Au lieu de s'occuper du cadastre, Roussea s'occupa de musique, et quitta son emploi pour se faire maître de chant. Il eut des écoliers et de jolies écolières, dont il devint amoureux, suivant son usage. Il y avait, entre autres, une demoiselle Lard, qui ressemblait à une statue de marbre et à qui son père fesait apprendre la musique dans la vue de l'animer. Madame Lard sa femme n'en avait pas besoin ; elle avait pris du goût pour Rousseau, et à chaque leçon qu'il donnait à sa fille, elle l'obligeait à recevoir cinq ou six baisers sur la bouche très-vivement appliqués. La présence de M. Lard lui-même ne l'arrêtait point. Rousseau ne manquait pas de faire confidence de ses petites aventures à madame de Warrens; il lui racontait les agaceries de madame Lard, la passion qu'une des principales couturières de la ville avait pris pour lui, quoique assez vieille et fort laide; la bonté avec laquelle cette couturière se chargeait de ses billets pour une jeune demoiselle à laquelle il adressait des déclarations. Madame de Warrens comprit alors tout le danger que courait Rousseau. Une première liaison décide quelquefois du sort de la vie; il pouvait faire de mauvais choix; plus il était innocent, plus le danger était grand. Elle résolut de choisir pour lui, de l'enlever aux périls de l'ignorance, et de le délivrer de cette envie de s'instruire qui aurait pu finir le rendre complètement fou.

par

Dans les premiers temps de son mariage, madame de Warrens s'était liée avec un comte de Tavel, qui avait le malheur d'être athée, et qui lui avait inspiré sur la fidélité conjugale des principes dont il avait su profiter. Elle quitta bientôt ce premier amant, mais elle resta fidèle à ses principes, et devenue catholique de bonne foi, elle continua de regarder ses faveurs comme une chose dont elle avait droit de disposer. Tantôt c'était un moyen de s'attacher davantage ses amis, une autre fois c'était le prix de l'amitié ou des services. Le tempérament n'y entrait pour rien, à ce que Rousseau prétend. Ce point de morale n'était pas le seul objet sur lequel l'opinion de madame de Warrens différât de celle des prêtres : l'éternité des peines, la grâce, les mystères étaient traités avec la même légèreté; et tout ce que les prêtres obtenaient d'elle, c'était un acte de soumission entière à toutes les décisions de l'église, quelles qu'elles fussent; après quoi elle ne se fesait aucun scrupule de critiquer chaque décision en particulier. Depuis son établissement à Chambéry, elle avait jugé que le zèle et les vertus de Claude Anet, son laquais, méritaient la récompense la plus douce qu'elle pût accorder. En même temps elle l'avait changé en directeur de son jardin des plantes ; c'était lui qui allait chercher dans les Alpes les herbes dont elle avait besoin pour son laboratoire. Rousseau savait le germe des liaisons de madame de Warrens avec Claude Anet.. Un jour que,

dans un mouvement de colère, madame de Warrens lui avait dit qu'il n'était qu'un manant, le pauvre garçon s'empoisonna. Il fut secouru à temps par Rousseau, et madame de Warrens, dans le trouble où cette circonstance l'avait jetée, ne put garder son secret.

Ce fut quelque temps après que madame de Warrens mena Rousseau dans le jardin des plantes qu'elle avait hors de la ville: il y avait dans ce jardin un salon, où elle le fit entrer seul avec elle. Là, après lui avoir fait sentir le danger que ses mœurs ou sa santé pourraient courrir si on l'abandonnait à ses sens et à son inexpérience, et après lui avoir exposé ses principes sur la continence, madame de Warrens proposa à son élève de lui faire connaître ce bonheur qu'il ignorait encore, et se chargea de calmer ses sens et de le délivrer de l'état d'angoisse et de tourment où l'excès de continence l'avait réduit. Elle lui proposa alors des conditions dont il fallait jurer solennellement l'exécution, lui donna huit jours pour y réfléchir, au bout duquel temps il reviendrait dans ce jardin pour y déclarer son refus, ou y faire le serment et perdre son puc.... en cérémonie. Rousseau aimait madame de Warrens avec la plus grande tendresse ; cependant l'effet de ce discours fut de lui inspirer l'effroi le plus mortel. Bien loin duttendre la fin des huit jours avec impatience, jamais: il ne se plaignit tant de la briéveté des jours. Le terme fatal arriva. Rousseau se rendit au jardin

tout tremblant, fit le serment convenu, dont il n'a pas jugé à propos de nous donner les détails (quoiqu'ils fussent sûrement bien dignes d'être présentés avec le reste au trône de Dieu). Enfin il reçut avec docilité les leçons de madame de Warrens, le bon Claude Anet fut mis dans la confidence. Ce respectable garçon avait pour sa maîtresse un attachement, une vénération, qui l'empêchaient de se plaindre du partage. Au contraire, il donnait à Rousseau les avis les plus salutaires sur la manière dont il fallait s'y prendre pour rendre heureuse madame de Warrens. Claude Anet mourut peu de temps après d'une pleurésie qu'il avait gagnée en allant herboriser sur les Alpes. Il fut fort regretté de madame de Warrens, qui était parvenue à faire réussir le projet de l'établissement d'une chaire de botanique à Chambéry, école où Claude Anet eût été le premier professeur. Rousseau le pleura comme s'il n'eût pas été son rival. Il parle avec regret des scènes délicieuses qui se passaient entre eux trois, lorsque madame de Warrens les assurait que tous les deux étaient également nécessaires à son bonheur.

Débarrassé de son puc......Rousseau fut plus tranquille, il s'occupa un peu de littérature française. M. Simon, juge-mage de Chambéry, avait une bibliothèque bien composée, fesait venir les livres nouveaux, et ne manquait ni d'instruction, ni de goût. Ses conseils et sa société furent utiles à Rousseau. Ce M. Simon était d'ailleurs pétri de

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ridicules une grosse tête sur le corps d'un nain, des cuisses et des jambes longues et mal tournées, des bras qui descendaient au-dessous du genou, une perruque qui tombait sur ses talons, tel était l'extérieur de M. Simon. D'ailleurs, galant auprès des dames, parlant de ses bonnes fortunes, et ayant tous les airs que les véritables bonnes fortunes peuvent donner à un sot. Après ce portrait, Rousseau ajoute: c'était un bon petit homme, et j'ai cru devoir lui donner ici une marque de ma reconnaissance. Ce fut vers ce temps que Rousseau lut les Lettres philosophiques; il avoue que cet ouvrage fit naître en lui le goût de la philosophie, quoique, dit-il, ce ne soit pas le meilleur ouvrage de Voltaire. Il vit aussi à Chambéry beaucoup d'officiers français qui allaient à l'armée d'Italie et en revenaient, entre autres, M. de Senneterre, dont il parle avec éloge. Le roi de Sardaigne était allié de la France; Rousseau, qui ne voyait que des Français et leurs alliés, se passionna pour la France, et cette passion, il l'a toujours conservée: les défaites des Français ont toujours été pour lui un chagrin très-vif, et leurs victoires le comblaient de joie. Cependant Rousseau, étant encore à Annecy, avait fait un rêve; il s'était vụ transporté dans une petite maison située dans un beau paysage; il y avait passé des instans délicieux avec une femme charmante. Il résolut de réaliser ce rêve avec madame de Warrens: elle loua donc une maison de campagne, où ils allèrent passer l'été. Rousseau

TOME IV.

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