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pas sans doute que la Loi déclare sous ce rapport tous les hommes égaux; il faut qu'elle leur assure les moyens de l'êire: il faut donc que le plus faible et le plus pauvre puisse obtenir justice et protection tout aussi facilement que le plus riche et le plus puissant et je le demande, quelle est la constitution au monde où l'on trouve cet avantage bien établi par le droit et par le fait? Je doute qu'on en trouve un exemple plus digne d'être cité que l'aristocratie de Berne; mais l'éloge appartient encore plus à la conduite personnelle des magistrats de cette République qu'à la sagesse de sa législation.

Est-il donc si difficile d'établir l'égalité de droit, qui peut seule réprimer les désordres et les abus. qu'entraîne après elle cette inégalité des conditions, que nous avons reconnue d'ailleurs être aussi avantageuse qu'elle est nécessaire et naturelle? Non, il paraît également juste et simple de déclarer que tous les hommes soumis à la même loi doivent en obtenir la même protection, par conséquent ne subir que les mêmes peines, et contribuer aux charges publiques dans la même proportion, c'est-à-dire en raison composée de leurs facilités et des besoins de l'Etat. La plus grande difficulté que présente, ce me semble, l'exécution d'un ordre si raisonnable, c'est le moyen de rapprocher tellement le Pouvoir de la Loi de tous ceux qui ont à l'implorer, que le plus faible et le plus pauvre puisse l'atteindre aussi facilement que le plus riche et le plus puissant.

C'est vers cette partie essentielle de la réforme, ou

plutôt l'entière régénération de notre jurisprudence, que doivent se diriger les efforts de tous les bons esprits.

Que servent, en effet, les meilleures lois, si elles ne servent qu'à l'usage de ceux qui ont assez de pouvoir, de richesse ou d'esprit pour se les rendre favorables ou s'en passer?

Si la facilité d'acquérir de grandes propriétés ouvre tous les jours de nouvelles sources à la richesse, et par-là même à la prospérité publique, on voit cependant l'influence des grandes fortunes avoir des suites funestes aux droits et aux jouissances des autres citoyens, corrompre les mœurs, etc. Je ne sais s'il existe quelque moyen plus heureux de balancer l'ascendant des richesses que celui de l'ambition et de la vanité. Dans tout pays où l'intérêt de la puissance publique doit favoriser le progrès du commerce et de l'industrie, de l'avarice et de la cupidité, il convient donc plus qu'on ne pense de maintenir aussi la faveur des priviléges et des distinctions honorifiques. Moralistes austères, l'amour de l'argent, celui des honneurs ne sont sans doute à vos yeux que des poisons; mais après avoir reconnu que nos constitutions politiques ne peuvent s'en passer, il doit vous en coûter moins de sentir que le mélange de ces poisons est le seul moyen de les rendre l'un et l'autre moins dangereux.

L'égalité commune y gagnera très-infailliblement, si l'on sait bien que les richesses ne sont pas tout; que les honneurs, qui ressemblent toujours plus ou

moins à la considération, sont en effet plus désirables; que la reconnaissance et l'admiration qu'inspirent de grands talens out quelque chose de plus flatteur encore pour l'amour-propre que tous ces avantages enfin, fussent-ils réunis, ne sont rien sans cette estime qu'on ne doit qu'à la vertu, qu'on ne rend aux qualités même les plus éminentes que lorsqu'elles sont employées à l'utilité publique.

On peut considérer l'amour de l'argent, l'ambition, la mollesse ou le goût des plaisirs comme de grandes puissances qu'il est impossible de détruire, mais dont il faut toujours entretenir la concurrence et les rivalités pour assurer la paix et le bonheur du genre humain. C'est sur leur heureuse mésintelligence que reposa bien souvent l'auguste empire de la gloire et de la vertu.

La Loi, l'Autorité même n'est qu'une idée abstraite, une puissance vaine et sans effet, lorsqu'elle n'est pas entourée d'un cortège propre à la rendre imposante et sensible aux yeux de la multitude. Le Monarque, sans un corps intermédiaire particulièrement dévoué à sa personne, se trouve comme isolé au milieu de la multitude; il se trouve trop faible alors pour résister aux impulsions irrégulières de la puissance nationale, qui, ne pouvant résider que dans une assemblée nombreuse, risque toujours d'être trop agitée, trop instable. Si le corps qui environne le Monarque est l'armée, il devient nécessairement despote; si c'est un ordre de magistrature, cet ordre se change en une véritable aris

tocratie également funeste au Monarque et à la Nation; ce doit donc être un ordre susceptible de prérogatives et de distinctions particulières dans tous les exercices du Pouvoir suprême, et dont l'intérêt se trouve essentiellement uni à ceux du Trône, moins pour en partager les droits que pour en maintenir la faveur. C'est sous ce rapport, ce me semble, que la Noblesse devient un des appuis nécessaires de toute Monarchie tempérée; elle est dans la constitution monarchique ce qu'est, ce que fut presque dans toutes les Républiques l'ordre des Patriciens. Les maximes du Sénat de Rome se corrompirent à mesure que la dignité patricienne perdit de son influence.

*

L'opinion publique est peut-être comme toutes les autres puissances du ciel et de la terre; on les respecte bien plus sûrement tant qu'elles restent enveloppées d'ombres et de nuages. Je vois que le public abstrait est beaucoup plus imposant que le public assemblé. Le public dont on parle sans cesse ne se trompe presque jamais; celui qu'on est à portée de voir et d'entendre est un Roi comme les autres, car, comme les autres, on le flatte, on le séduit, on le trompe, et l'on dirait souvent que, pour avoir tant d'yeux et tant d'oreilles, il n'en est que plus exposé à tous les piéges de ses courtisans et de ses ministres.

La puissance législative appartient toute entière

à la Nation: oui; mais dans ce sens le Roi n'est-il pas lui-même une partie intégrante de la Nation? Et quel est l'individu, quel est le corps qui puisse avoir autant d'intérêt que le Monarque au maintien de la chose publique? Sous ce rapport, son vou est sans doute essentiel au sanctionnement de la Loi. En distinguant l'autorité de la Nation de l'autorité du Roi, cette dernière ne doit-elle pas concourir à l'exercice de la puissance législative pour en modérer les mouvemens, pour en prévenir surtout l'instabilité? Il est à désirer, ce me semble, que le Pouvoir Législatif soit divisé, soit contenu par la nécessité de ce concours, comme il est à désirer que le Pouvoir Exécutif le soit à son tour par l'influence nécessaire du droit de consentir ou de refuser l'impôt.

Le Fleuve et les Ruisseaux. Fable.

On dit que le monde est bien vieux;

Qui pourrait nous dire son âge?

Mais quand Dieu fit ce grand ouvrage,
Croyez-vous qu'il fut tel qu'il se montre à nos yeux ?
Que l'on y vit d'abord ces riantes campagnes,
Ces près fleuris, ces forêts, ces vallons,
Ces champs dorés par les moissons,

Ces fleuves descendus du sommet des montagnes,
Contenus dans leur lit et réglés dans leur cours,
Ces paisibles ruisseaux fecondant leurs entours?
Non; l'univers avait alors une autre face:

Il fut long-temps encor dans le chaos.

Le temps, qui toujours marche et jamais ne se lasse,
Agissant sur le feu, l'air, la terre et les eaux,

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