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n'est le bonheur réel, du moins l'éclat et la gloire d'une République comme Athènes, même au milieu des plus grands dangers, des plus folles entreprises et des plus cruels revers, ce fut d'abord, comme nous l'avons déjà remarqué, le caractère même de ce peuple vraiment unique parmi tous les peuples dont l'histoire nous a transmis le souvenir. Il est prouvé par plusieurs traits incontestables que ce qu'on peut appeler avec raison la populace d'Athènes y partageait cependant, à certains égards, les avantages de ce degré de culture, d'ambition, de vanité, de point d'honneur, qui chez d'autres peuples ne paraissent appartenir qu'aux classes les plus privilégiées. On ne peut nier encore qu'avec tous ses défauts et tous ses inconvéniens, le génie de leur constitution politique ne fût très-propre à développer, à entretenir, à exalter ce genre de dispositions et de penchans.

La position géographique du pays, l'heureuse température de son climat, la facilité des rapports que lui assurait sa situation péninsulaire avec toutes les îles de l'Archipel et les riches côtes de l'Egypte et de l'Asie mineure; toutes ces circonstances furent singulièrement favorables aux progrès de son industrie, de son commerce, et par-là même à l'accroissement de ses richesses et de sa puissance maritime.

Pour s'expliquer comment avec tant de germes de désordre et d'anarchie cette République put subsister et s'élever même à un si haut degré de considération et de pouvoir, il ne faut pas oublier

que

premièrement que le caractère imprimé aux lois
par une législation aussi sévère, aussi terrible
le fut celle de Dracon, dut conserver long-temps
du moins une partie de son influence sur l'imagi-
nation du peuple, même après que cette législation
eut été modifiée, adoucie par la sagesse et la modé-
ration des lois de Solon.

Il ne faut pas oublier encore à quel point cette merveilleuse démocratie fut neutralisée successive-. ment par la tyrannie des Pisistratides, par l'imposante autorité du génie de Miltiade, de Thémistocle, de Périclès, par celle de l'éloquence d'un Phocion, d'un Démosthène. A l'époque la plus brillante des destinées d'Athènes, la puissance qu'avait su conquérir l'adroite sagesse de Périclès ne le cédait guère à celle du monarque le plus absolu.

que

de

Il est donc permis de dire que la démocratie la plus démocratique qu'il y ait eu peut-être au monde n'eut point de moyen plus sûr de se soutenir cesser souvent de l'être, et que c'est toutes les fois qu'elle fut le moins démocratique de fait qu'elle jouit aussi du sort le plus brillant, le plus véritablement digne d'envie.

Pour avoir essayé de dévoiler aux philantropes de nos jours les vices et les inconvéniens d'une constitution politique sur laquelle on s'est fait de si fausses et de si brillantes illusions, je n'en conçois pas moins vivement l'extrême charme que dut avoir le séjour de l'immortelle patrie de tous les arts du génie et de l'imagination; où l'on vit réunis tant de

grands philosophes, tant d'illustres poëtes, tant d'excellens orateurs, tant d'habiles artistes, les hommes de guerre et les hommes d'état les plus distinguées, un Socrate, un Périclès, un Phidias, une Aspasie. Est-il de plus forte preuve de l'irrésistible attrait de ce séjour d'enchantemens que la faiblesse touchante avec laquelle le plus sage des hommes, au moment même où il se voyait en butte à la plus injuste des persécutions, avoue à ses amis qu'il lui en coûte moins de quitter la vie, qu'il ne lui en coûterait de s'éloigner d'Athènes ?

Voyage en Crimée et à Constantinople en 1786 par mylady Craven; traduit de l'Anglais par M. Guedon de Berchère, notaire à Londres.*

Ce Voyage est un des plus agréables que nous ayons jamais lus. Ce n'est ni un roman comme celui de mylady Montague, ni un recueil d'obser vations pédantesques, ni une suite de descriptions emphatiques ou recherchées, ni un journal pénible et minutieux; c'est véritablement un voyage: l'imagination y parcourt rapidement un espace immense, et se plaît à suivre sans cesse les traces de son guide, parce qu'au milieu d'une foule d'objets toujours nouveaux, toujours variés, elle se sent toujours entraînée vers ceux qui méritent plus particulière ment de fixer l'attention ou par leur importance

* Un vol. in-8vo. de 443 pages, enrichi de plusieurs cartes et

gravures.

ou par leur singularité. La forme épistolaire de l'ouvrage ajoute infiniment à l'intérêt qu'il inspire; on croit voyager avec l'auteur, et cet auteur est une femme et une femme charmante. Sans la connaître, on est sûr, après la lecture de son livre, que les grâces de sa personne doivent être d'accord avec celles de son style. Comme il est impossible que l'auteur des Voyages d'Anacharsis ne fût un vieux savant de l'Académie des Inscriptions, celui des Lettres sur l'Italie un robin de province bien maniéré, quoiqu'avec infiniment de connaissances et d'esprit, on ne peut douter que l'auteur du nouveau Voyage ne soit une Anglaise du rang le plus distingué, douée de tous les goûts, de tous les talens agréables, d'un esprit juste et fin, d'un caractère ferme et facile, de la gaieté la plus naturelle et la plus séduisante, sans autre prévention que celles qui, dans une Pairesse d'Angleterre, tiennent indispensablement à l'amour de son pays; ce qu'on est bien tenté de prendre encore pour une vertu de plus.

Mylady Craven, en partant de Paris, dirige sa route par l'Orléanais, le Blaisois, la Touraine, la Provence; elle s'embarque à Antibes, séjourne à Gênes, a Pise, à Florence, à Bologne, à Venise; elle s'arrête à Vienne, et donne de cette dernière Cour plusieurs détails intéressans; de Vienne elle şe rend à Varsovie, à Pétersbourg, à Moscou, Cherson, Karasbayer, Batchesary, Sévastopole, et dans les autres postes de Crimée. Cette contrée,

devenue aujourd'hui le théâtre de la guerre, fixe plus long-temps ses regards et ses observations. Le précis que donne Mylady des révolutions de cette province, habitée long-temps avant Homère par les Cimériens, nation puissante et belliqueuse descendue des Thraces, est un excellent morceau d'his toire. De Sévastopole, notre aimable voyageuse va se reposer à Constantinople, où elle trouve dans le palais de l'ambassadeur de France toutes les ressources dignes de son instruction et de son goût pour les beaux-arts. C'est, accompagnée des artistes que M. le comte de Choiseul-Gouffier a rassemblés autour de lui, qu'elle visite les monumens les plus curieux de Constantinople, d'Athènes, de Smyrne, de Terrapia, de Varna, etc. Sans trop s'appesantir sur aucun de ces objets, il n'en est point qu'elle n'indique ou ne rappelle de la manière la plus propre à en donner une idée vive et intéressante. C'est par Bucharest, Hermanstadt et Vienne qu'elle retourne dans sa patrie.

Il manquerait, ce me semble, quelque chose à l'intérêt de ces lettres, s'il n'était aisé de reconnaître dans l'ami à qui elles sont adressées un Prince * digne, par son caractère et par toutes ses qualités personnelles, de trouver dans l'attachement de la plus aimable des femmes le prix le plus doux de ses vertus et de sa noble sensibilité. Je ne sais cependant si je veux pardonner à Mylady ce qu'elle lui

*Monseigneur le margrave d'Anspach.

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