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que c'est à ces mêmes abus, à de plus grands peutêtre, qu'on se verra nécessairement entraîné, si pour vouloir faire de trop grands changemens à-lafois sans égard et sans mesure, l'on court tous les risques d'une subversion générale.

que

La liberté sans doute est le plus grand des biens; mais se doute-t-on seulement en France de tous les sacrifices, de tous les dangers, de toutes les privations auxquels il faudrait se résoudre pour en jouir? N'y paraît-on pas même, au milieu de l'effervescence actuelle, beaucoup plus jaloux de ses vanités de ses droits? L'intervalle qui sépare nos opinions d'un moment et nos mœurs de tant de siècles n'estil pas immense? Est-ce l'affaire d'un jour de les rapprocher, de les réunir, de les confondre? Et que serait-ce donc que la plus belle constitution du monde qui se trouverait sans cesse en opposition avec le génie et les mœurs du peuple qui aurait fait semblant de s'y soumettre?

Le joug des lois pèse comme celui de l'autorité; il est beaucoup de caractères même sur lesquels il pèse cent fois davantage, parce qu'il est de sa nature d'être et plus rigoureux et plus inflexible. On a dit, il y a long-temps, que la Nation Française ne pouvait supporter ni d'être entièrement libre ni d'être entièrement esclave; c'est par cette raison-là que, de tous les gouvernemens possibles, il n'en est aucun qui puisse lui convenir mieux que celui d'une monarchie tempérée, c'est-à-dire une puissance unique capable de contenir une population

immense sans aucune gêne habituelle trop apparente, puissance balancée elle-même par la force des lois et de l'opinion. Ce contre-poids ne fut jamais, il est vrai, tout ce qu'il pouvait, tout ce qu'il devait être ; mais dans quelles circonstances pourrait-on se flatter de l'établir sur de meilleurs principes, sur une base plus solide? Et si l'on dirigeait d'abord vers ce but toutes les forces dont la Nation peut disposer dans ce moment sans exciter aucun trouble, aucune convulsion dangereuse, quel est l'Empire dont les prospérités pourraient égaler celles de la France?

Si l'on s'écarte au contraire d'une route si simple et si facile, que de maux à prévoir! En voulant affaiblir l'autorité du Monarque, on divisera la Nation; on l'armera contre elle-même; on désassemblera toutes les parties de ce grand tout; on anéantira tout-à-la-fois sa force, sa richesse, son repos et son crédit. Ce seront quelques princes, quelques nobles, quelques chefs de parti qui s'empareront des débris du pouvoir suprême, et la multitude des victimes de leurs querelles et de leur ambition pourra bientôt faire regretter l'état même dont on a gémi si long-temps.

On ne veut point du gouvernement d'Angleterre, et l'on aurait raison en jugeant qu'il ne peut convenir à la situation géographique et politique de la France; mais ce n'est pas ce qui occupe nos grands législateurs: ce qui leur déplaît dans la constitution Anglaise, c'est qu'ils n'y voient ni assez d'égalité nị

assez de liberté. Ce scrupule est vraiment admirable, et suffirait seul pour caractériser la justesse de leurs idées. Si l'esprit public pouvait se livrer à des exagérations aussi fanatiques, ce n'est assurément pas du modèle de la liberté Anglaise dont on se rapprocherait ou que l'on parviendrait à perfectionner; la crise excitée par des efforts si contraires à tous les principes, à toutes les habitudes de la Nation, la précipiterait plutôt dans une anarchie semblable à celle des anciennes diètes de Suède ou de Pologne, et aux malheurs d'une pareille anarchie succéderait bientôt de tous les despotismes le plus affreux et le plus redoutable.

Je conviens que de toutes les constitutions du monde il n'en est aucune, sans en excepter celle de l'Angleterre, où l'on trouve des principes de liberté et d'égalité aussi purs que dans celle des Etats-Unis de l'Amérique. Mais qu'y a-t-il de commun entre cette Nation et toutes les autres? c'est une branche du peuple le plus libre de l'ancien Continent entée sur un peuple presque encore sauvage et dans une terre absolument vierge. Quelque admirable cependant que soit à mes yeux la nouvelle constitution des Américains, je doute qu'elle puisse longtemps leur convenir lorsqu'ils auront atteint le degré de richesse et de puissance auquel leur existence commerçante et politique semble les destiner. D'ailleurs, quoique mieux combinée sans doute qu'aucune autre, leur constitution fédérative n'en

* Au moins quant aux arts et aux commodités de la vie.

porte pas moins en elle-même le germe des divisions qui doivent tôt ou tard en séparer ou en confondre les différentes parties. Si quelques ligues fédératives, malgré tous les vices de leur organisation intérieure, ont échappé long-temps à cette fatalité, ce n'est qu'à leur faiblesse, à des hasards singuliers, ou à l'avantage d'une position entièrement isolée qu'elles en sont redevables.

Il est aisé d'être frappé des abus et des inconvéniens de l'administration actuelle, mais a-t-on assez réfléchi sur ceux qui résulteraient infailliblement d'un autre ordre de choses? Ce qui cause les maux dans la société, est-ce donc toujours telle ou telle forme de législation? Non; c'est l'ambition, c'est la cupidité, ce sont toutes les passions funestes qui agitent tour-à-tour le cœur des hommes; ces passions existeront toujours, et peut-être trouveront> elles, suivant le caractère et les mœurs de la Nation, des ressources encore plus dangereuses au milieu des agitations de la liberté que sous le joug même du despotisme.

Souvenons-nous au moins qu'un grand Empire ne peut subsister long-temps sans le ressort d'une grande puissance coercitive; que la force de ce ressort tient à la juste étendue de l'autorité royale: que si l'on ne laisse pas à cette autorité les pouvoirs nécessaires pour avoir une action prompte et sûre, il ne peut manquer de s'établir une guerre intestine entre cette autorité première et les corps qui auront réussi à l'en dépouiller; que les efforts employés à

cette lutte seront perdus pour la puissance et le bonheur de la Nation; qu'enfin le peuple sera toujours peuple; qu'une multitude immense a besoin d'être contenue, de l'être sans cesse, et qu'il n'est aucun moyen raisonnable de prémunir ses erreurs, d'arrêter ses excès, de modérer l'impétuosité naturelle de ses mouvemens, qui ne mérite toute l'attention des lois et de l'autorité chargée de les maintenir.

Il y eut encore une séance publique de l'Académie Française, le jeudi 12 mars, pour la réception de M. de Nicolaï, premier président de la chambre des comptes, élu à la place de M. le marquis de Châtellux.* Le récipiendaire, après avoir parlé avec beaucoup de modestie de l'honneur qu'il venait d'obtenir, après avoir jeté un coup d'œil rapide sur l'esprit du siècle, sur les progrès de l'opinion, après avoir distribué beaucoup de louanges à l'Académie en général et à plusieurs de ses membres en particulier, s'est attaché à rendre à la mémoire de son prédécesseur tous les hommages dus à sa passion pour les sciences et pour les arts, à l'amabilité de son caractère, à la facilité de son esprit, à l'étendue et à la variété de ses connaissances, à ses succès militaires en Allemagne et dans l'Amérique septentrionale, etc.; enfin il a caractérisé lemérite de ses différens écrits, dont les principaux sont un Traité

* Il ne l'a emporté que d'une seule voix sur son concurrent, M. Garat, professeur au Lycée, auteur de plusieurs éloges couronnés par l'Académie.

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