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Théâtre. A mesure que la sociéte s'est corrompue, et surtout celle des femmes, qui en France influe plus que partout ailleurs sur les mœurs publiques, on en est devenu plus difficile, plus austère sur tout ce qui tient à la décence théâtrale. Nos Comédies ont été privées par-là des effets les plus comiques, elles ont même été forcées de s'éloigner du véritable but moral auquel elles doivent tendre. On peut douter si de nos jours on eût permis à Molière de présenter Tartufe comme il l'a fait, revenant, après avoir fermé la porte, les regards enflammés, se précipitant dans les bras d'Elmire, quoique l'on sache bien qu'elle ne fait semblant de se prêter aux désirs de cet imposteur que pour détromper son mari caché sous la table, et que le but même d'une situ ation si délicate doit en arrêter l'effet au moment où l'honneur du mari et l'honnêteté publique pouvaient en être blessés. Cette réflexion nous conduit naturellement à vous faire observer que la comédie de l'Ecole de la Médisance a des rapports assez remarquables avec le Tartufe; plusieurs parties de l'action se ressemblent : c'est un hypocrite que et l'autre auteurs ont voulu peindre et démasquer. Celui de l'Ecole de la Médisance est un homme du monde, et en cela même son hypocrisie est moins comique que celle du faux dévot, parce que les contrastes y sont moins saillans. Les deux hypocrites se sont également emparés de la confiance de leur bienfaiteur, mais la manière dont Tartufe a su investir toutes les facultés et toutes les affections de sa

l'un

dupe, la crédulité d'un mari qu'il faut convaincre comme malgré lui de l'effronterie des intentions du scélérat qui l'abuse, offrent des développemens d'une touche bien plus vigoureuse que l'ingénieux coup de théâtre qui fait rencontrer à sir Teazle sa femme cachée derrière un paravent chez son pupille. Ce rapprochement ne peut nous faire oublier l'heureuse conception du caractère de sir Charles, de ce jeune étourdi qui, malgré ses dissipations et son libertinage, annonce le cœur le plus sensible et le plus généreux, refuse de vendre le portrait de son oncle, quoiqu'on lui en offre un prix excessif, et s'empresse, avec l'argent qu'il reçoit dans ce moment de besoin, à secourir un vieux parent malheureux ; caractère charmant qui contraste puissamment avec celui de l'hypocrite son frère, création qui appartient toute entière à M. Sheridan, opposition trèsheureuse et qui manque peut-être aux grandes beautés du chef-d'œuvre de Molière.

L'Homme à Sentimens a paru en général assez bien écrit; on y trouve de la négligence, de la contrainte, mais plus souvent du naturel et de la facilité; enfin le peu de succès de l'ouvrage ne doit être attribué qu'à l'extrême difficulté qu'il y aura toujours à transporter sur notre scène les meilleures pièces des Théâtres étrangers, et surtout les pièces de caractère, dont la physionomie, pour ainsi dire locale, constitue particulièrement le mérite. Il est presque impossible d'en conserver les traits les plus caractéristiques sans qu'ils paraissent trop étrangers

à la Nation à qui on les présente; et les altérer, c'est presque toujours en détruire l'effet.

Quelques vues sur les suites probables des EtatsGénéraux.

Si le parti des Princes, de la Noblesse, du Clergé, des Parlemens, des Privilégiés de toutes les classes, si ce parti pouvait encore l'emporter, on verrait bientôt ces mouvemens qui étonnent aujourd'hui la France et l'Europe entière n'aboutir à rien, les Etats-Généraux réduits à l'inaction la plus complète, et le prompt retour de tous les abus, dont la destruction paraît si nécessaire et si prochaine.

Si au contraire le fanatisme républicain prenait tellement le dessus qu'il parvint à subjuguer toutà-la-fois la sage modération du ministre et l'opiniâtre résistance de nos antiques maximes, de nos vieux préjugés, de tous les intérêts divers qui en dépendent, son triomphe serait infailliblement de peu de durée, car en brisant tous les appuis de la Monarchie, il précipiterait l'Etat dans un abîme de désordre et de confusion.

Ce que cette alternative offre de plus affligeant, c'est qu'on peut prévoir que ces deux partis, si fort opposés en apparence, seront également bien servis par des hommes dont les talens et l'ambition ne fondent leur espoir que sur les périls d'un bouleversement général.

On ne sait si l'on doit plus de mépris ou plus de

pitié à ces écrivains qui, se croyant doués du génie des Lycurgue et des Solon, veulent fixer despotiquement les bases d'une constitution libre, et s'étonnent que toutes les opinions, tous les préjugés, tous les intérêts ne se soumettent pas aveuglément à l'autorité de leurs sublimes spéculations. Je vois tous les jours ces hommes de génie dépouiller le Monarque des prérogatives les plus essentielles avec moins de peine qu'on n'en aurait à les faire renoncer eux-mêmes à une seule de leurs phrases. Je vois des Nobles discuter les titres de la couronne avec plus de légèreté qu'ils ne permettraient à qui que ce soit de discuter ceux du moindre de leurs écussons. Je vois d'ardens défenseurs de l'égalité civile et naturelle sourire à l'impunité qu'usurpent une grande audace ou de grands talens, comme si tout droit d'être injuste ou méchant n'était pas également odieux.

J'ai lu, j'ai médité les idées de plusieurs de nos législateurs modernes, et je me permettrai d'avouer que je ne conçois guère le bonheur de vivre sous de pareilles lois. Mais supposons un moment que ces sages eussent trouvé l'idéal de la plus parfaite de toutes les constitutions, est-ce assez pour espérer de voir réaliser un si beau rêve? Quand se lassera-ton de confondre les idées et les choses? Quand cessera-t-on de traiter les élémens de la société comme ceux d'un problème de géométrie ? Quand n'oubliera-t-on plus que les hommes ne se calculent point comme des puissances algébriques dont le

génie peut déterminer avec précision tous les rapports et tous les résultats? C'est sans doute aux bonnes lois à faire le bonheur de l'humanité; mais ces lois n'ont qu'une force abstraite, il faut que leur action se combine avec d'autres pouvoirs qui agissent et, plus vivement et plus continuement sur notre pensée et sur nos volontés; ce sont nos besoins, nos sentimens, nos passions, nos préjugés, nos mœurs, nos habitudes.

Chaque Nation comme chaque individu a un caractère qui lui est propre; ce caractère ne dépend d'aucune circonstance en particulier, et tient à toutes; il est l'effet nécessaire de leur réunion simultanée et successive. C'est ce qui constitue éminemment ce génie national dont l'ascendant paraît souvent irrésistible, qu'il est au moins fort dangereux de vouloir combattre avec trop de violence ou trop de précipitation.

Un écrivain célèbre a dit que la France était géographiquement monarchique. Ne l'est-elle pas aussi moralement ? Comment parvenir à concilier les habitudes d'une Nation si vive, si susceptible, si légère, avec cette raison froide, ces résolutions soutenues, cette austérité de principes et de mœurs sans lesquelles la faveur d'une liberté républicaine serait de toutes les sources de corruption la plus funeste et la plus redoutable? Je suis loin d'en conclure qu'il faut revenir aux anciens abus, n'espérer aucune réforme utile, n'entreprendre rien de ce qui doit nous y conduire; mais je ne crains point d'assurer

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