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pareilles remontrances vos plus petits bourgeois se seraient subitement regardés comme des citoyens ; le Parlement se serait vu secondé par tous les ordres de l'État; un cri général d'approbation aurait consterné la Cour, et il n'y a pas jusqu'à ce que vous appelez vos grands seigneurs qui, reprenant une sorte de courage, n'eussent senti qu'on allait leur rendre quelque dignité et les mettre en état de se venger de l'humiliation où les tiennent trois ou quatre Ministres... Croyez-vous que le Parlement de Paris n'eût pas été vigoureusement secondé par tous les autres Parlemens ?.... Croyez-vous que les justices subalternes, encouragées par l'exemple des premiers magistrats et par les éloges et l'admiration du public, eussent cru n'avoir pas d'héroïsme? Croyez-vous qu'on puisse se passer des Parlemens et de l'administration de la justice? Ce que vous appelez la Robe du Conseil * serait terriblement embarrassée. Vos Ministres méprisent le jugement du public, mais ils craignent ses murmures; il n'y a point de monarque, point de sultan sur terre qui ne soit obligé de céder à l'opinion générale de ses esclaves quand elle est connue, etc. etc."

Le bon abbé de Mably ne paraît plus aussi grand prophète lorsqu'il essaie de prévoir quelle doit être naturellement la conduite des magistrats après que leur résistance patriotique aura rendu la tenue des États-Généraux indispensable; mais on trouve encore d'excellentes vues, quoique toujours infini

*Conseillers d'Etat, Maîtres des Requêtes, etc.

ment hardies, dans ses deux dernières lettres, où il examine le partage qu'il convient de faire de la puissance législative et de la puissance exécutrice, d'abord pour affermir la liberté, ensuite pour donner à une constitution libre toute la stabilité dont elle peut être susceptible.

Avril, 1789.

Quelques aperçus sur les causes de la Révolution

actuelle.

Plusieurs circonstances ont favorisé sans doute la révolution qui se prépare.... L'esprit d'indépendance, si naturel à la jeunesse, était devenu le ton dominant de la Cour, et cet esprit fut encore exalté par l'influence marquée de beaucoup de jeunes gens, devenus, grâce à cet avantage, les chefs de leur maison plusieurs des plus illustres familles du royaume crurent avoir à se plaindre des distinctions exclusives de la faveur. . .Pour avoir moins de gêne il y eut moins d'étiquette. Jamais la dépense peutêtre n'avait été si excessive, et jamais elle n'avait servi moins utilement ni les branches les plus essentielles du commerce national, ni ce faste extérieur, qui n'est pas de la dignité, mais qui en est la représentation la plus sensible et la plus imposante. La Cour fut plus aimable peut-être; mais elle avait écarté sûrement les illusions les plus propres à entretenir cette espèce d'idolâtrie monarchique, dont Louis XIV avait su faire un des premiers appuis de son énorme puissance...

Le contraste de l'économie et de l'austerité des

principes de M. Necker avec la légèreté, l'inconsidération, les prodigalités de l'un de ses successeurs, ne pouvait manquer de faire une grande sensation; elle devint plus vive encore par la nécessité où se trouva le premier d'appuyer sa consistance ministérielle de toutes les forces de l'opinion publique, par l'imprudence avec laquelle le second se permit de braver cette première puissance, source de toutes les autres, en révélant tout-à-coup l'excès du désordre, en l'exagérant peut-être pour se préparer de nouvelles ressources, en disant enfin à l'élite de la Nation assemblée, à la face de toute l'Europe; Depuis trois ans je vous ai trompés, mais c'était d'accord avec le Roi. Aujourd'hui nous sommes plus intéressés que jamais à vous tromper encore; croyeznous donc.... C'est exactement le précis de l'étrange Discours de M. de Calonne à l'Assemblée des Notables; aussi le sage Pitt ne douta-t-il point, après la première lecture, que ce ne fût un pamphlet satirique contre le Ministre qui en était l'auteur. Je ne pense pas en effet qu'aucun homme public ait jamais porté plus loin l'audace et la folie; et ce qui me semble plus évident encore, c'est que de toutes les extravagances ministérielles c'était la plus propre à dégrader l'autorité, à l'avilir aux yeux de la Nation et des puissances étrangères. Les suites qu'eut la disgrâce de ce Ministre déprédateur, l'humeur et l'indiscrétion de ses créatures, les intérêts qui divisèrent alors la société la plus intime du Roi et de la Reine, ajoutèrent encore à cette impression

funeste, en laissant éclater des secrets de l'intérieur qu'il convenait plus que jamais de couvrir d'une ombre éternelle, en semant avec une adresse perfide des bruits absolument faux, mais qui, par leur liaison avec des faits avérés, pouvaient usurper plus ou moins de croyance, et blesser ainsi sous plus d'un rapport cette opinion publique, devenue tout-à-lafois si redoutable et si susceptible....

Par

Les Parlemens, comme l'on sait, furent long-temps l'unique barrière qu'il y eut en France contre l'autorité absolue; cette barrière n'avait aucune force réelle, aucune base solide, parce que l'existence de cette sorte de pouvoir intermédiaire n'avait jamais été déterminée, ou reconnue ni par le Roi ni par la Nation. Il n'en est pas moins vrai que le génie législateur n'inventa peut-être jamais un moyen de résistance plus embarassant pour un gouvernement faible, pour une administration incertaine. la nature même de leur composition, les Parlemens embrassent toutes les classes de l'État: sortis la plupart des familles les plus riches et les plus considérables du Tiers-État, les membres des Cours souveraines tiennent encore aujourd'hui, par les magistrats qui les président, aux premières maisons du Royaume; ils y tiennent aussi par leurs allianD'un autre côté, les dernières classes du peuple leur sont encore nécessairement dévouées par l'intérêt qui lie à leur puissance tous les suppôts des justices subalternes et cette multitude innombrable d'avocats, de procureurs, de clercs, d'huissiers, ré

ces.

pandus dans toutes les parties du Royaume; c'est une armée toujours prête, non à combattre, à la vérité, mais à faire quelquefois beaucoup pis, à répandre partout le trouble, la défiance et les alarmés, par ses plaintes, ses murmures et ses clameurs. Il en coûte peu pour la mettre en campagne, il suffit de quelques belles phrases patriotiques qui annoncent la résistance respectueuse de ces Messieurs, et menacent leurs fidèles troupes d'une persévérance capable de les faire mourir de faim pendant plusieurs mois. Rien de plus ridicule en apparence que cette lutte qui s'est renouvelée si souvent entre les Ministres de la justice et ceux de l'autorité; mais au fond rien de plus sérieux, rien de plus redoutable. Toutes les fois que les Cours souveraines n'ont employé que les armes qui étaient à leur usage, elles ont presque toujours été invincibles; leur force d'inertie a résisté à tous les efforts de la puissance royale: et les arrêtés des Parlemens motivés avec adresse, c'est-à-dire avec autant de mesure et de modération que de force et de courage, l'ont emporté le plus souvent sur les arrêts du Conseil, de quelque pouvoir qu'on ait entrepris de les appuyer. Un arrêté de la Cour envoyé à cette foule de tribunaux qui en ressortent suffit pour suspendre tous les exercices du pouvoir exécutif; il arrête, pour ainsi dire au même instant, tous les mouvemens de l'administration: plus de justice, plus de police, et si l'on veut s'obtiner même, plus d'impôts à percevoir. C'est une manière très-commode et très

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