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M. Jourdain. Non, non, point de vers.

Le Philosophe. Vous ne voulez que de la prose? M. Jourdain. Je ne veux ni prose ni vers.

Le Philosophe. Il faut bien que ce soit l'un ou l'autre.

M. Jourdain. Pourquoi ?

Le Philosophe. Par la raison, Monsieur, qu'il n'y a pour s'exprimer que la prose ou les vers.

M. Jourdain. Il n'y a que la prose ou les vers ? Le Philosophe. Non, Monsieur; tout ce qui n'est point prose est vers, et tout ce qui n'est point prose.

vers est

M. Jourdain. Et comme l'on parle, qu'est-ce c'est donc que cela?

que

Le Philosophe. De la prose.

M. Jourdain. Quoi! quand je dis: Nicole, apporte-moi mes pantoufles, c'est de la prose?

Le Philosophe. Oui, Monsieur.

M. Jourdain. Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela.

Le Philosophe. Dites votre dernier mot; est-ce en vers ou en prose que vous voulez le compliment? M. Jourdain. Encore une fois, ni en vers ni en prose.

Le Philosophe. Et en quoi donc ?

M. Jourdain. Ah! en quoi donc ? en chanson... Il me faudrait...là...vous m'entendez bien...une petite chanson nouvelle.

Le Philosophe. Ah! vous voulez quelque chose de neuf ?

M. Jourdain. Oui vraiment, de neuf, comme un pont-neuf, par exemple: c'est pour un prince.

Le Philosophe. Et pour quel prince? Est-ce pour un prince en général ?

M. Jourdain. Oui, en général; car autrefois il s'amusait à gagner des batailles, et tout le monde en mourait de peur.

Le Philosophe. Ah! c'est pour un prince en général; ce n'est pas donc pas pour un prince en particulier ?

M. Jourdain. Si fait, car il est chez nous tout comme un particulier.

Le Philosophe. Eh bien à quoi donc peut-on le reconnaître ?

M. Jourdain. Ma foi, à rien; excepté que c'est toujours le plus aimable.

Le Philosophe. Et ce prince a sans doute un nom?

M. Jourdain. Pardi vraiment; j'ai même entendu dire qu'il s'en était fait un bien grand, bien grand.

Le Philosophe. Mais avant que de s'en faire un est-ce qu'il n'en avait pas ?

M. Jourdain. Si fait; il s'appelle Henri, comme celui qui est sur le Pont-Neuf; c'est pour cela aussi que je vous demande un pont-neuf pour celui-ci.

Le Philosophe. Ah! je comprends à cette heure, un pont-neuf, une chanson?

M. Jourdain. Oui, un pont-neuf à-peu-près comme celui-ci :

Si le Roi m'avait donné, etc.

Le Philosophe. Si ce n'est que cela, j'en ai un dans ma poche, et précisément sur le même air. M. Jourdain. Voyons.

Aux deux Henri s'est donné

Paris, la grand'ville;
D'abord on a pour l'aîné

Fait le difficile ;

Mais on dit à celui-ci :

Pourquoi n'avoir pas choisi

Votre domicile ici,

Votre domicile ?

Il va trop tôt nous quitter,
Le sort nous l'envie ;
Paris qui veut l'arrêter

Vainement s'écrie:

Demeurez, bon prince Henri,

Les lieux où l'on est chéri

Sont une patrie aussi,

Sont une patrie.

Laissez-moi ça, je m'en servirai tantôt. Mais dites-moi, ne serait-il pas bon aussi pour une princesse?

Le Philosophe. Non. Vous verrez dans la suite de nos leçons qu'il faut distinguer les deux genres, et, pour me servir d'une expression tirée de la poésie, pour laquelle vous montrez de si grands talens, je vous dirai que la cuirasse du dieu Mars blesserait la délicatesse de Vénus ou de Minerve.

M. Jourdain. Et qu'est-ce que c'est que Mars?

Le Philosophe. Vous en parliez tout-à-l'heure. M. Jourdain. Et Vénus et Minerve, qu'est-ce que c'est

que

cela?

Le Philosophe. Ce sont les noms poétiques que l'on donne à la Beauté et à la Vertu.

M. Jourdain. Ce sont donc deux personnes différentes ?

Le Philosophe.

Ordinairement; cependant il

n'est pas impossible que cela ne fasse qu'un.

M. Jourdain. Je n'entends pas tout cela. Donnez-moi vite quelque chose à dire à une princesse, afin qu'elle n'aille pas me prendre pour un bourgeois. Il me faudrait encore une petite chansonnette, mais sur un air plus doux ; car la princesse que je dois voir a l'air si doux! si doux!

Le Philosophe. Bien pensé; Aristote lui-même n'aurait pas mieux jugé des convenances.

Je crois que j'ai encore quelque chose qui pourra vous convenir.

M. Jourdain.

Donnez.

Vous dont l'aspect est un délice

Pour tous les cœurs, pour tous les yeux,

On voit en vous l'astre propice

Qu'imploraient tant de malheureux,

L'astre dont la vertu secrète

Les réchauffait sur des glaçons,

Dont les rayons dans la disette
Font pour eux naître des moissons.

Mais, princesse, en vain on croit lire
Ce qui se passe en votre cœur,
Cette blancheur que l'on admire
N'égale point votre candeur.

La douceur qui règne en votre âme
Voudrait encor des traits plus doux,
Et quoi qu'on en dise, Madame,
Votre âme est plus belle que vous.

Oh! cela n'est pas un beau compliment, et si je le dis à la princesse, j'ai peur qu'elle n'en soit offensée et qu'elle ne me donne un soufflet.

Le Philosophe. Allez, Monsieur, si cela arrive, je le prends sur ma joue.

M. Jourdain. A la bonne heure. Je vous remercie, et vous prie de revenir demain.

Quand la Victoire

Adopte un favori,

S'il fuit la gloire,

Elle court après lui ;

Et voilà l'histoire
De notre prince Henri.

Guerrier terrible

Dans le fort du combat,
Quoiqu'invincible,

Souvent le cœur lui bat ;

Car ce cœur sensible

Souffre pour le soldat.

Henri préfère

La paix à tant de bruit.

Loin de la guerre

Sa bonté, son esprit

Rassurent la terre

De la peur qui'il lui fit.

La séance publique de l'Académie Française, pour la réception de M. le duc d'Harcourt à la place de M. le maréchal de Richelieu, eut lieu le Jeudi 26

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