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Voyages du jeune Anacharsis en Grèce, dans le milieu du quatrième siècle, avant l'Ere vulgaire ; par M. l'abbé Barthélemy. Quatre volumes in 4., et sept volumes in-s?

Ce grand ouvrage, commencé en 1757, vient enfin d'être publié, et ne paraît pas indigne de la haute attente qu'on en avait conçue. Ce n'est ni un poëme ni un roman: l'érudition semble y tenir l'imagination par la lisière; mais il était difficile de rassembler dans un cadre plus intéressant tout ce que l'on sait, et tout ce que l'on a pu deviner sur l'histoire, les mœurs, les usages et les arts de la Grèce.

Janvier, 1789.

L'ouvrage dont nous allons avoir l'honneur de vous rendre compte, quoique imprimé, n'est pas encore public, et n'est pas même destiné à l'être: ce sont les Lettres de madame la baronne de Staël, ambassadrice de Suède, Sur les Ouvrages et le Caractère de J. J. Rousseau, un petit volume in-12 de 140 pages. Elle n'en a fait tirer qu'une vingtaine d'exemplaires qui n'ont été confiés qu'à l'amitié et avec des réserves infinies. Nous ne croirons point trahir son secret en tâchant de vous faire connaître autant qu'il nous sera possible les détails les plus intéressans d'une production qui nous aurait toujours paru d'un grand prix, quel qu'en fût l'auteur, mais qu'il est impossible de ne pas admirer encore davantage lorsqu'on sait qu'elle est

échappée aux distractions d'une jeune personne de vingt ans entourée de toutes les illusions de son âge, de tous les plaisirs que peut rassembler la plus brillante société de la ville et de la cour, et de tous les hommages enfin que lui attirent la gloire de son père et sa propre célébrité, sans compter encore un désir de plaire tel qu'il suppléerait seul peut-être tous les moyens que lui ont prodigués la nature et le 'destin.

La première de ces lettres contient quelques idées générales aur le style de Rousseau; les voici : Nous louerons peu, nous critiquerons encore moins, pour avoir le plaisir de citer beaucoup.

"Il ne travaillait ni avec rapidité ni avec facilité, mais c'était parce qu'il lui fallait pour choisir entre toutes ses pensées le temps et les efforts que les hommes médiocres emploient à tâcher d'en avoir; d'ailleurs ses sentimens sont si profonds, ses idées si vastes, qu'on souhaite à son génie cette marche auguste et lente. Le débrouillement du chaos, la création du monde se peint à la pensée comme l'ouvrage d'une longue suite d'années, et la puissance de son auteur n'en paraît que plus imposante.

"C'est à la raison plutôt qu'à l'éloquence qu'il appartient de concilier des opinions contraires ; l'esprit montre une puissance plus grande lorsqu'il sait se retenir, se transporter d'une idée à l'autre ; mais il me semble que l'âme n'a toute sa force qu'en s'abandonnant, et je ne connais qu'un homme qui ait su joindre la chaleur à la modéra

tion, soutenir avec éloquence des opinions également éloignées de tous les extrêmes, et faire éprouver pour la raison la passion qu'on n'avait jusqu'alors inspirée que pour les systèmes.

"On a souvent vanté la perfection du style de Rousseau; je ne sais pas précisément si c'est là l'éloge qu'il faut lui donner. La perfection semble consister plus encore dans l'absence des défauts que dans l'existence de grandes beautés, dans la mesure que dans l'abandon, dans ce qu'on est toujours que dans ce qu'on se montre quelquefois ; enfin la perfection donne l'idée de la proportion plutôt que de la grandeur; mais Rousseau s'abaisse et s'élève tour-à-tour, il est tantôt au-dessous, tantôt au-dessus de la perfection même; il rassemble toute sa chaleur dans un centre et réunit pour brûler tous les rayons qui n'eussent fait qu'éclairer s'ils étaient restés épars. Ah! si l'homme n'a jamais qu'une certaine mesure de force, j'aime mieux celui qui les emploie toutes à-la-fois; qu'il s'épuise s'il le faut, qu'il me laisser retomber, pourvu qu'il m'ait une fois élevée jusqu'aux nues. Cependant Rousseau, joignant à la chaleur et au génie ce qu'on appelle précisément de l'esprit, remplit souvent par des pensées ingénieuses les intervalles de son éloquence, et retient ainsi toujours l'attention et l'intérêt des lecteurs...M. de Buffon colore son style par son imagination, Rousseau l'anime par son caractère; l'un choisit les expressions, elles échappent à l'autre. L'éloquence de M. de Buffon ne

le

peut appartenir qu'à un homme de génie; la passion pourrait élever à celle de Rousseau......Son style n'est pas continuellement harmonieux, mais dans les morceaux inspirés par son âme on trouve, non cette harmonie imitative dont les poëtes ont fait usage, non cette suite de mots sonores qui plairaient à ceux même qui n'en comprendraient pas sens, mais, s'il est permis de le dire, une sorte d'harmonie naturelle, accent de la passion, et s'accordant avec elle comme un air parfait avec les paroles qu'il exprime. Il a le tort de se servir souvent d'expressions de mauvais goût, mais on voit au moins, par l'affectation avec laquelle il les emploie, qu'il connaît bien les critiques qu'on peut en faire, il se pique de forcer ses lecteurs à les approuver, et peut-être aussi que par une sorte d'esprit républicain il ne veut point reconnaître qu'il existe des termes bas ou relevés, des rangs même entre les mots, etc......

Ces réflexions sont terminées par une analyse rapide des premiers ouvrages de Rousseau, de ses discours sur les sciences, sur l'inégalité des conditions, sur le danger des spectacles.

Le reproche le plus grave que fait ici madame de Staël à Rousseau, c'est d'avoir avancé dans une note de ce dernier écrit que les femmes ne sont jamais capables des ouvrages qu'il faut écrire avec de l'âme et de la passion. De ses argumens, le plus irrésistible ne serait-il pas celui qu'elle n'a osé faire valoir, elle-même ?

La seconde lettre est consacrée toute entière à

Héloisé. Nous ne pouvons nous empêcher d'observer que c'est de toutes ces lettres celle qui paraît écrite avec le moins d'abandon; elle dit elle-même : "J'écrirai sur Héloïse comme je le ferais, je crois, si le temps avait vieilli mon cœur."

Après avoir remarqué que le but de l'auteur semble avoir été d'encourager au repentir, par l'exemple de la vertu de Julie, les femmes coupables de la même faute qu'elle; après avoir avoué que le sujet de Clarisse, de Grandisson est plus moral, elle ajoute: "Mais la véritable utilité d'un roman est dans son effet bien plus que dans son plan, dans les sentimens qu'il inspire bien plus que dans les événemens qu'il raconte......Pardonnez à Rousseau, si à la fin de cette lecture on se sent plus animé d'amour pour la vertu, si l'on tient plus à ses devoirs, si les mœurs simples, la bienfaisance, la retraite ont plus d'attraits pour nous......"

"Je trouve quelquefois, dit-elle, dans cet ouvrage des idées bizarres en sensibilité; je ne puis supporter, par exemple, la méthode que Julie met quelquefois dans sa passion, enfin tout ce qui dans ses lettres semble prouver qu'elle est encore maîtresse d'elle-même, et qu'elle prend d'avance la résolution d'être coupable. Quand on renonce aux charmes de la vertu, il faut au moins avoir tous ceux que l'abandon du cœur peut donner. Rousseau s'est trompé s'il a cru, suivant les règles ordinaires, que Julie paraîtrait plus modeste en se montrant moins passionnée: non, il fallait que l'excès de cette pas

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