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goin, élève de l'Ecole Militaire, qui a passé plusieurs années en Espagne avec M. le comte de Montmorin, et qui est dans ce moment ministre du roi à Hambourg; c'est lui du moins qui en avait rassemblé tous les matériaux. 'Les occupations dont il est chargé ne lui ayant pas permis d'en achever entièrement la rédaction, il en a laissé le soin à son ami, M. l'abbé Giraud, qui a parcouru lui-même une grande partie de l'Europe, et qui eut l'honneur d'accompagner monseigneur le comte d'Artois au siége de Gibraltar.

Décembre, 1788.

L'extrême rigueur de la saison n'a pas empêché qu'il n'y eût une grande affluence d'auditeurs à la dernière séance de l'Académie française, tenue le jeudi 11 de ce mois, pour la réception de M. Vicq d'Azyr. Monseigneur le prince Henri de Prusse l'a honorée de sa présence. On devait bien s'attendre que le récipiendaire ayant à faire l'éloge d'un académicien aussi célèbre que M. de Buffon, le choix du sujet de son discours l'embarrasserait bien moins que la manière de le traiter la plus propre à remplir une si grande attente. Le parti qu'il a pris n'est pas sans doute celui qui pouvait produire le plus d'effet, mais c'est du moins celui qu'il était le plus facile de faire approuver généralement; au lieu de se livrer aux mouvemens d'une éloquence vive et passionnée, au lieu de prodiguer au génic, aux talens de l'Aristote français l'hommage d'une admiration

exclusive, il s'est borné à faire l'analyse de ses ouvrages, et l'a faite avec autant de justesse que d'élégance, avec autant de savoir que d'impartialité. Voici l'idée générale qu'il nous donne du caractère qui distingue les travaux de cet illustre écrivain.

"Il excelle surtout dans l'art de généraliser ses idées et d'enchaîner ses observations. Souvent, après avoir recueilli des faits jusqu'alors isolés et stériles, il s'élève et arrive aux résultats les plus inattendus. En le suivant, les rapports naissent de toutes parts; jamais on ne sut donner à des conjectures plus de vraisemblance, et à des doutes l'apparence d'une impartialité plus parfaite. Voyez avec quel art, lorsqu'il établit une opinion, les probabilités les plus faibles sont placées les premières; à mesure qu'il avance il en augmente si rapidement le nombre et la force, que le lecteur subjugué se refuse à toute réflexion qui porterait atteinte à son plaisir. Pour éclairer les objets, M. de Buffon emploie, suivant le besoin, deux manières; dans l'une un jour doux, égal se répand, sur toute la surface; dans l'autre une lumière vive, éblouissante ne frappe qu'un seul point. Personne ne voila mieux ces vérités délicates qui ne veulent qu'être indiquées aux hommes; et dans son style, quel accord entre l'expression et la pensée ! Dans l'expression des faits, sa phrase n'est qu'élégante; s'il décrit une expérience, il est précis et clair, on voit l'objet dont il parle, et pour des yeux exercés c'est le trait d'un grand artiste; mais on s'aperçoit sans peine que ce

sont les sujets les plus élevés qu'il cherche et qu'il préfère; c'est en les traitant qu'il déploie toutes ses forces et que son style montre toute la richesse de son talent.....En lui la clarté, cette qualité précieuse des écrivains, n'est point altérée par l'abondance. Les idées principales, distribuées avec goût, forment les appuis du discours; il a soin que chaque mot convienne à l'harmonie autant qu'à la pensée; il ne se sert, pour désigner les choses communes, que de ces termes généraux qui ont avec ce qui les entoure des liaisons étendues. A la beauté du coloris se joint la vigueur du dessin, à la force s'allie la noblesse ; l'élégance de son langage est continue, son style est toujours élevé, souvent sublime, imposant et majestueux; il charme l'oreille, il séduit l'imagination, il occupe toutes les facultés de l'esprit, et, pour produire ces effets, il n'a besoin ni de la sensibilité qui émeut et qui touche, ni de la véhémence qui entraîne et qui laisse dans l'étonnement celui qu'elle a frappé, etc.”

Après avoir tracé le plan de l'Histoire Naturelle de M. de Buffon, le nouvel académicien s'arrête pour fixer un instant ses regards sur l'ensemble de ce beau monument. "Parmi tant d'idées exactes et de vues neuves, comment ne reconnaîtrait-on pas, dit-il, une raison forte que l'imagination n'abandonne jamais, et qui, soit qu'elle s'occupe à discuter, à diviser ou à conclure, mêlant des images aux abstractions et des emblêmes aux vérités, ne laisse rien sans liaison, sans couleur ou sans vie, peint ce que les

autres ont décrit, substitue des tableaux ornés à des détails arides, des théories brillantes à de vaines suppositions, créé une science nouvelle, et force tous les esprits à méditer sur les objets de son étude, et à partager ses travaux et ses plaisirs?"

Voulant mettre M. de Buffon en parallèle avec ses adversaires, il le compare d'abord avec l'abbé de Condillac, selon lui le plus redoutable de tous.... "Son esprit, dit-il, jouissait de toute sa force dans la dispute; celui de M. de Buffon y était en quelque sorte étranger. Qu'on jette les yeux sur ce qu'ils ont dit des sensations; la statue de M. l'abbé de Condillac, calme, tranquille, ne s'étonne de rien, parce que tout est prévu, tout est expliqué par son auteur. Il n'en est pas de même de celle de M. de Buffon, tout l'inquiète, parce qu'abandonnée à ellemême elle est seule dans l'univers; elle se meut, elle se fatigue, elle s'endort, son réveil est une seconde naissance, et comme le trouble de ses esprits fait une partie de son charme, il doit excuser une partie de ses erreurs......Dans l'une on admire une poésie sublime, dans l'autre une philosophie profonde."

Un parallèle encore plus adroit, peut-être, est celui qu'il fait entre le Pline de la France et celui de la Suède. "Le savant d'Upsal dévoua tous ses momens à l'observation; l'examen de vingt mille individus suffit à peine à son activité. Il se servit, pour les classer, de méthodes qu'il avait inventées ; pour les décrire, d'une langue qui était son ouvrage; pour les nommer, de mots qu'il avait fait revivre ou

que lui-même avait formés; ses termes furent jugés bizarres; on trouva que son idiome était rude, mais il étonna par la précision de ses phrases, il rangea tous les êtres sous une loi nouvelle. Plein d'enthousiasme, il semblait qu'il eût un culte à établir et qu'il en fût le prophète. Avec tant de savoir et de caractère, Linné s'empara de l'enseignement dans les écoles, il y eut les succès d'un grand professeur: M. de Buffon a eu ceux d'un grand philosophe. Plus généreux, Linné aurait trouvé dans les ouvrages de M. Buffon des passages dignes d'être substitués à ceux de Sénèque, dont il a décoré le frontispice de ses divisions. Plus juste M. de Buffon aurait profité des recherches de ce savant laborieux. Ils vécurent ennemis, parce que chacun regarda l'autre comme pouvant porter quelque atteinte à sa gloire. Aujourd'hui que l'on voit combien ces craintes étaient vaines, qu'il me soit permis, à moi leur admirateur et leur panégyriste, de rapprocher, de réconcilier ici leurs noms, sûr qu'ils ne me désavoueraient pas eux-mêmes s'ils pouvaient être rendus au siècle qui les regrette et qu'ils ont tant illustré."

La manière dont travaillait M. de Buffon nous a paru décrite avec beaucoup d'intérêt dans le morceau suivant.

"A Montbar, au milieu d'un jardin orné, s'élève une tour antique; c'est là que M. de Buffon a écrit l'histoire de la Nature, c'est de là que sa renommée s'est répandue dans l'univers. Il y venait au lever du soleil, et nul importun n'avait le droit de l'y

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