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Il se brouilla avec le cardinal à l'occasion d'un mariage protestant que Tencin voulait casser; il disait qu'il voulait agir en cardinal, en évêque, en prêtre; Mably lui soutenait qu'il devait agir en homme d'Etat. Le cardinal prétendit qu'il se déshonorerait s'il suivait ses avis; l'abbé, indigné, le quitta brusquement et ne le revit plus. Depuis cette époque il s'adonna tout entier à l'étude et vécut toujours dans la retraite. Il n'eut jamais qu'un seul domestique, et sur la fin de ses jours il se priva de ces commoditiés de la vie que son âge et ses infirmités lui rendaient cependant plus nécessaires, afin d'accroître la petite fortune de ce serviteur fidèle. Il pratiquait à la lettre cette maxime si douce et si humaine, de regarder ses domestiques comme des amis malheureux.

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On a mis au bas de son portrait ce vers de Juvénal, qui semble fait pour lui.

Acer et indomitus libertatisque magister.

La Vie de Frédéric, baron de Trenck, écrite par luimême et traduite de l'allemand en français par M. le baron de Borck (gentilhomme allemand); deux petits volumes avec une gravure.

Nous avons vu plusieurs personnes révoquer en doute une grande partie des faits rapportés dans ces mémoires; mais à la lecture il est impossible d'être de leur avis, on se sent entraîné par le charme de la narration, tout à la fois la plus simple, la plus naturelle et la plus merveilleuse. L'attendrissement

qu'inspire une si longue suite de malheurs et d'infortunes se trouve balancé sans cesse par une constance, une opiniâtreté de courage qu'on ne se lasse point d'admirer, et le mélange de ces deux impressions produit l'intérêt le plus vif et le plus attachant, Mais cela n'est pas trop bien écrit, disait quelqu'un, peut-être est-ce la faute du traducteur ?-Eh! comment sait-on, monsieur, lui répondit une femme d'esprit, si un ouvrage de ce genre est bien ou mal écrit ?.......Des admirateurs passionnés du grand Frédéric auraient désiré, pour la gloire de ce héros, que les mémoires du baron de Trenck n'eussent jamais paru; mais est-il au monde une gloire, quelque grande qu'elle puisse être, qui doive en imposer à la justice? Ce sentiment est développé avec beaucoup de franchise, de noblesse et même de respect, dans l'épître dédicatoire adressée au génie de Frédérie II, roi de Prusse, dans les Champs Elysées.

Il est évident, d'ailleurs, par les aveux même du baron, que le roi de Prusse crut long-temps et qu'il eut même d'assez fortes raisons de croire que l'infortuné prisonnier avait conçu l'affreux projet de le livrer à ses ennemis, peut-être même d'attenter à ses jours.

Peu d'ouvrages ont eu le succès des Mémoires du boron de Trenck; il s'en est vendu, dit-on, quinze à vingt mille exemplaires. Le sieur Curtius et ses rivaux, au Palais-Royal et sur le boulevart, ont gagné beaucoup d'argent à faire voir cet illustre prisonnier représenté en cire, chargé de toutes ses

chaînes, etc. à deux sous en sortant. Son cousin le Pandour ne fera pas, je crois, la même fortune; ses Mémoires traduits de l'italien, s'il en faut croire le titre, sont loin d'offrir le même intérêt, pour le fond comme pour les détails.

Mars, 1788.

On se rappelle peu de séances publiques de l'Académie française moins intéressantes que celle du 13 Mars, pour la réception de M. d'Aguesseau, élu à la place de M. le marquis de Paulmy. Le récipiendaire ne s'est pas borné à battre la campagne, il a battu toute l'Europe pour trouver quelque chose d'intéressant à dire, et il n'a rien trouvé. Il nous a conduits aux bords de la Newa, où il a eu le bonheur de contempler la plus grande des souveraines posant le comble au grand édifice fondé par Pierre I", et c'est pour nous apprendre pu'il ne manquera rien à sa gloire quand, au milieu des neiges et des frimats, il s'élèvera un temple aux Muses sur le modèle de l'Académie française. De là nous avons passé subitement à Constantinople, et pourquoi faire pour y trouver notre auguste monarque représenté par un des membres les plus distingués de la compagnie, etc. Ce que M. Beauzée, remplissant les fonctions de directeur, a imaginé de plus ingénieux et de plus flatteur pour son nouveau confrère, c'est de l'exhorter très-longuement à justifier le choix de l'Académie, en faisant réimprimer un

discours sur la vie et la mort, le caractère et les mœurs de M. d'Aguesseau, conseiller d'Etat, par M. d'Aguesseau, chancelier de France, son fils. La séance, heureusement, n'a pas été longue, M. Marmontel l'a terminée par la lecture des beaux vers qu'il a faits sur la mort du prince Léopold de Brunswick; ils ont été fort applaudis.

Le célèbre Gessner, l'auteur de Daphnis, des Idylles et du Poëme de la Mort d'Abel, est mort dans sa patrie à Zurich, en Suisse, d'une attaque d'apoplexie, le 2 mars, 1788, âgé de soixante-deux ans. Les Muses pleureront long-temps ce poète aimable, qui ne vécut que par elles et pour elles, qui parut ne devoir qu'à leur douce inspiration tous ses talens, tous ses succès, et que son siècle a déjà compté parmi le petit nombre des écrivains modernes qui, dans leur genre, ont égalé, peut-être même surpassé les anciens. On ne saurait refuser du moins au Théocrite de nos jours le mérite éminent d'avoir étendu les limites dans lesquelles s'était renfermée jusqu'ici la pastorale, en lui donnant un intérêt tout à la fois plus moral et plus dramatique, en joignant aux peintures les plus naïves de la simple et belle nature des situations plus touchantes et plus variées avec un caractère de mœurs plus pur et plus idéal.

Considérations sur l'Esprit et les Mœurs, un vo

lume in-8° par M. Sénac de Meilhan,* intendant de Valenciennes, l'auteur des Mémoires d'Anne de Gonzague, et des Considérations sur le Luxe et la Richesse.

L'auteur annonce lui-même dans sa préface, avec assez de candeur, qu'il s'est cru destiné à refaire le livre de La Rochefoucault, déjà refait par La Bruyère et par Duclos. "Ces écrivains, dit-il, semblent avoir épuisé cette partie de la morale, qui a pour objet l'homme vivant en société dans la Cour et la capitale; mais quoique le fond soit le même, l'homme se montre, dans chaque siècle, sous chaque règne, avec des formes différentes. Les idées qui règnent dans le monde, l'accroissement des richesses et des jouissances, les progrès du luxe, la sévérité ou la faiblesse du Gouvernement, l'empire ou l'anéantissement de quelques préjugés, la communication plus ou moins grande de la Cour avec la ville, toutes ces circonstances apportent de grands changemens dans les mœurs d'une nation." Cela est incontestable; ce qui pourrait l'être un peu moins, c'est que M. Senac eût saisi avec beaucoup de sagacité ce qui caractérise plus particulièrement l'esprit et les mœurs de l'époque actuelle. Quoi qu'il en soit, il n'a pas jugé sans doute à propos de s'y borner, car on retrouve dans son livre une multitude d'observations qui appartiennent à tous les temps, qu'on n'a cessé de répéter depuis qu'on écrit

* Fils de M. Sénac, premier médecin du roi.

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