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gens qu'on n'a jamais pu connaître avaient endommagé un crucifix de bois posé sur un pont d'Abbeville, et il résolut de se servir de ces moyens pour perdre son prétendu rival. L'évêque d'Amiens, à qui il dénonça ces faits, fit lancer des monitoires, ordonna une procession solennelle en l'honneur du crucifix mutilé, ce qui ne manqua pas d'exalter toutes les têtes de son diocèse. Le dénonciateur Belleval attira chez lui des valets, des servantes, des manœuvres, pour les engager à lui servir de témoins; malgré toutes ces insinuations, il n'obtint aucune déposition qui pût constater formellement que l'on eût vu ces jeunes gens mutiler le signe heureux du salut des humains; le seul crime dont ils furent dûment atteints et convaincus, c'est d'avoir chanté des chansons irréligieuses, et d'avoir lu avec trop de plaisir le Dictionnaire philosophique de Voltaire. Les juges d'Abbeville ne s'en crurent pas moins obligés à les condamner à avoir la langue et le poing coupés, et à être brûlés à petit feu. Le sieur d'Etallonde échappa au supplice en fuyant en Prusse, où le grand Frédéric accueillit son infortune, et le plaça dans ses troupes. Quant au chevalier de La Barre, qui était prisonnier, le parlement de Paris, juge en dernier ressort de la sénéchaussée d'Abbeville, confirma la sentence, malgré une consultation de dix des plus célèbres avocats de Paris qui démontraient son innocence; il diIninua seulement quelque chose de l'atrocité du supplice (si la question ordinaire et extraordinaire

à laquelle il condamna cet infortuné ne l'aggrava pas), en ordonnant qu'il serait décapité avant d'être jeté dans les flammes. Ce qu'il y a de véritablement affreux dans ce dernier jugement, c'est que de vingt-cinq juges qui composaient la Tournelle, quinze juges furent long-temps d'avis d'absoudre le malheureux jeune homme, et ils ne passèrent à l'avis des dix autres que parce qu'on leur fit observer que dans un moment où le parlement attaquait par ses arrêts les jésuites, les évêques et les billets de confession, il était essentiel de se montrer zélateurs d'une religion dont ils se voyaient obligés de persécuter les ministres. Ainsi, c'est à la bulle Unigenitus, c'est à la faiblesse qu'eut Louis XIV., de la sanctionner de son autorité, que nous devons les malheureuses querelles qui troublèrent presque la vie entière de Louis XV., que nous devons le régicide de ce roi, et l'assassinat que les lois ont commis dans la personne du chevalier de La Barre.

Cette déplorable histoire est le sujet d'Augusta, tragédie de Fabre d'Eglantine, qui n'a pas eu de succès au théâtre Français.

La tragédie finit par un vers tiré des Proverbes du roi Solomon; c'est Augusta qui s'adresse à son fils.

Et souvenez-vous bien

Qu'un excès de vertu n'est pas toujours un bien.

Tournure de phrase qui rappelle malheureusement celle d'un axiome trop connu du Lutrin:

Et souvenez-vous bien

Qu'un dîner réchauffé ne valut jamais rien.

La Vie de Saint Vincent de Paule, instituteur et fondateur des Prétres de la Mission et des Filles de la Charité. A Paris, 2 volumes in-12 de plus de 500 pages chacun.

Si Vincent de Paule est devenu le saint à la mode depuis que l'abbé Maury en a fait un si beau panégyrique, nous craignons beaucoup cependant que l'histoire de sa vie, en deux gros volumes, n'effraie un grand nombre de lecteurs. On y trouve quel ques détails intéressans, mais noyés dans un style prolixe et mêlé d'une foule de puérilités dignes de nos vieilles légendes; une des plus originales est peut-être ce trait du zèle inconsidéré d'un missionnaire nommé Guérin. Quelqu'un lui ayant dit la veille de son départ qu'il allait se faire prendre en Barbarie: C'est trop peu de chose, répondit-il, je n'y voudrais pas aller si je croyais en étre quitte à si bon marché; j'espère bien que Dieu me fera la gráce d'étre empalé ou de souffrir quelque chose de pis. Cela est assurément très-fou; mais cela ne l'est guère plus que le mot du chevalier de Crussol, qui, regardant une pente fort escarpée qu'il y avait à franchir pour monter à la brêche, s'écria: Qui diable voudrait monter là s'il n'y avait pas des coups de fusil à gagner?

Décembre, 1787.

Charade, par M. le chevalier de Lomont.

Mon premier est égal en tout à mon second.
Sans chercher on ne peut trouver ni l'un ni l'autre,

Si, devenant amant, je devenais le vôtre,
De mon tout partagé j'aimerais bien le nom.*

Janvier, 1788.

per

C'est surtout à la France à regretter, dans la sonne du Chevalier Gluck, mort à Vienne, le 17 Novembre 1787, un compositeur dont le nom marquera une époque intéressante dans l'histoire de la musique. Nous ne voulons retracer ici ni la révolution que le chevalier Gluck opéra sur notre théâtre lyrique, ni la guerre injuste et ridicule dont il fut la cause ou le prétexte; nous ne parlerons ni de ses ouvrages ni de ses succès; quel éloge pourrions-nous en faire qui ne parût faible et languissant auprès de l'hommage que M. Piccini vient de décerner à la gloire de ce grand homme?

Dans une lettre insérée dans le Journal de Paris, après avoir loué l'auteur d'Alceste d'une manière qui, nous osons l'avouer, n'appartenait qu'à l'auteur de Didon, M. Piccini propose une souscription, non pour élever au chevalier Gluck un buste, comme l'ont fait Rome et Florence au célèbre Sacchini, mais pour fonder à perpétuité, en l'honneur de ce compositeur, un concert annuel exécuté le jour de sa mort, uniquement composé de sa musique, pour transmettre, dit-il, l'esprit et le caractère de l'exécution de ses compositions aux siècles qui succéderont à celui qui a vu naître ces chefs-d'œuvre, et comme un modèle du style et de la marche de la

* Le mot de la Charade est chercher.

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musique dramatique qu'il importe de retracer aux jeunes artistes qui se destineront à la musique théátrale.

Cet hommage, qui honore également le grand homme qui le décerne et celui qui en est l'objet est une heureuse imitation de ce que l'Angleterre vient de faire pour la mémoire de Handel; mais c'est près d'un demi-siècle après la mort de ce compositeur qu'elle a pensé à lui rendre cet hommage; une fondation n'en garantit pas la perpétuité, et ce n'est pas le rival de Handel qui a élevé ce monument à sa gloire. Cette circonstance, qui en effet honore de la manière la plus touchante le caractère de M. Piccini, a étonné presque également et ses propres partisans et ceux du chevalier Gluck. Les uns ont vu avec peine, parce qu'ils avaient juré et, qui plus est, imprimé le contraire, que Gluck pourrait bien, à la rigueur, être un grand homme, puisque son rival ne refusait pas de lui accorder ce titre ; les autres ont éprouvé une sorte de dépit que ce fût le plus redoutable de ses rivaux qui vînt parer luimême la tête de leur idole d'une couronne immortelle que sa main semble flétrir à leurs yeux. Tel est l'esprit de parti. Il est vrai que ces sentimens outrés n'ont été que ceux des personnes qui, dans cette guerre de musique, dont les débats eurent tant d'importance et de folie, ont joué un rôle plus ou moins tranchant. Mais tous ces chefs de parti, dont les uns avaient fondé sur ces divisions leur gloire littéraire et les autres un intérêt plus solide,

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