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différens costumes des provinces que nous avons traversées. Pour les affaires étrangères, que les bien intentionnés s'en rapportent à l'impératrice elle-même ; elle travaillait tous les jours en voyage, le matin avec le comte Bezborodkow, ministre du plus grand mérite; et qu'ils apprennent, outre cela, que le prince Potemkin, homme du génie le plus rare, esprit vaste, ne voyant jamais qu'en grand, seconde parfaitement les vues de l'impéra trice ou les prévient, soit comme chef du département de la guerre et des armées, ou comme chef de plusieurs gouvernemens. L'impératrice, qui ne craint pas qu'on l'accuse d'être gouvernée par quel. qu'un, lui donne, ainsi qu'à ceux qu'elle emploie, toute l'autorité et la confiance possibles; il n'y a que pour faire du mal qu'elle ne donne de pou voir à personne. Elle se justifie de sa magnifis cence en disant que donner de l'argent lui en rapporte beaucoup, et que son devoir est de récompenser et d'encourager; d'avoir créé beau coup d'emplois dans ses provinces, parce que cela fait circuler les espèces, élève des fortunes, et oblige les gentilshommes à y demeurer plutôt qu'à s'entasser à Pétersbourg et à Moscou; d'avoir bâti en pierres deux cent trente-sept villes, parce qu'elle dit que tous les villages de bois, brûlés si souvent, lui coûtaient beaucoup; d'avoir une flotte superbe dans la mer Noire, parce que Pierre ler. aimait beaucoup la marine. Voilà comme elle a toujours quelque excuse de modestie pour

toutes les grandes choses qu'elle fait. Il n'y a pas d'idée à se faire du bonheur qu'on a eu de la suivre. On fesait quinze lieues le matin; on trouvait au premier relai à déjeûner dans un joli petit palais de bois, et ensuite à dîner dans un autre; et puis encore quinze lieues, et un plus grand, plus beau et meublé à merveille pour coucher, à moins que ce ne fût dans les villes de gouvernement, où les gouverneurs-généraux ont partout de superbes rési+ dences en pierres, colonnades et toutes sortes de décorations. Il y a des marchands très riches dans toutes les villes et beaucoup de commerce depuis Krementschuk, Kaursk, Orel, Toula, jusqu'ici, et une surprenante population dont l'im pératrice est adorée. Dans le dénombrement qu'on en rapporte quelquefois dans les papiers publics, on ne parle que des mâles, et dans les autres pays on compte tout. Si les bien intentionnés (car je n'écris que pour eux) craignent que la Tauride ne soit une mauvaise acquisition, qu'ils se consolent en apprenant qu'après avoir traversé quelques espaces abandonnés par des familles Tartares, qui demandent aujourd'hui à y revenir, on trouve le pays le mieux cultivé; qu'il y a des forêts superbes dans les montagnes; que les côtes de la mer sont garnies de villages en amphithéâtre, et tous les vallons plantés en vignes, grenadiers, palmiers, figuiers, abricotiers et toutes sortes de fruits et plantes précieuses de beaucoup de rapport: Je trouve enfin qu'il ne suffit pas que nous ayons été fort heureux

de suivre l'impératrice, et que ses sujets le soient, mais qu'il faut encore que les gazettiers et ceux qui les ont crus le soient en apprenant la fausseté de leurs nouvelles, et qu'ils nous aient une éternelle obligation de les avoir rassurés au point qu'ils peuvent promettre de notre part une récompense de mille louis à celui qui prouvera la fausseté d'un seul des faits que nous avons rapportés ici par l'intérêt le plus pur pour leur instruction, ce qui leur fera croire qu'en conservant nos mille louis, nous n'avons pas mis autant de soins à économiser notre temps.

Le parterre ayant applaudi avec une affectation indécente ces quatre vers, la police les a fait supprimer à la seconde représentation d'Antigone, ou la Piété fraternelle, tragédie.

Créon. Les grands l'ont approuvé, pourrait-il vous déplaire? Vous avez vu le peuple obéir et se taire.

Hémon.-La voix du courtisan soutient d'injustes lois;

Quand le peuple se tait, il condamne ses rois.

Cette pensée est la même que M. l'évêque de Senez avait encore mieux exprimée dans son Oraison funèbre de Louis XV: Le silence du peuple est la leçon des rois.

On a même fort applaudi ces deux vers-ci de Tirésias à Créon :

Le remords, il te presse, il s'attache à tes pas ;
C'est le maître de ceux qui n'en connaissent pas:

La séance publique de l'Académie Française,

tenue, suivant l'usage, le 25 de ce mois, n'a pas été fort brillante. C'est M. de Beauzée qui l'a Quverte, en qualité de directeur, en annonçant que le prix de poésie proposé par une personne de la plus haute distinction (c'est, comme l'on sait, monseigneur le comte d'Artois) avait été donné à l'Ode de M. Terrasse Desmareilles, officier de la chambre de la reine. Cette Ode, dont M. de la Harpe a fait la lecture en conscience, a été faiblement applaudie. Il a lu ensuite plusieurs strophes d'une même Ode sur le même sujet, de M. l'abbé Noël,* qui, au jugement de l'Académie, avait paru mériter la première mention honorable. Le public, en prodiguant à ce dernier ouvrage les applaudissemens les plus marqués, a témoigné hautement qu'il osait en appeler du jugement des quarante immortels. Quelque respect que nous portions à la liberté des enrégistremens de cette cour, liberté peut-être plus incontestable encore que celle de toutes les cours souveraines du royaume, nous ne pouvons pas dissimuler qu'il pouvait se trouver dans l'assemblée plus de quatre-vingts personnes fort intéressées à douter de l'infaillibilité académique, M. Terrasse Desmareilles n'ayant pas eu moins de quatre-vingts concurrens. En laissant à part toute espèce de préventions, on ne sera pas éloigné de convenir qu'il y a dans l'Ode de l'abbé Noël plus d'images et plus de pensées; mais un goût sévère trouvera, je

* Professeur en l'Université de Paris au collège de Louis-leGrand.

pense, moins à reprendre dans celle de M. Terrasse; l'ensemble en est mieux ordonné, la marche plus rapide, la diction en général plus facile et plus pure. Voici quelques-unes des strophes de POde mentionnée qui ont paru les plus propres à justifier l'espèce d'enthousiasme séditieux qu'a excité la lecture de cet ouvrage.

Filles des monts voisins, cent sources vagabondes

A l'Oder ont porté le tribut de leurs ondes;

Il s'enfle, il gronde, il bat ses bords épouvantés,
Et bientôt, franchissant sa barrière impuissante,
La vague mugissante

S'élance et se répand à flots précipités. ·

Lorsqu'aux fiers Aquilons, à la Nuit, à Neptune,
César dans un esquif oppose sa fortune,

La victoire et l'empire est le prix qu'il attend.
D'un dévotment obscur autant que volontaire

Quel est donc le salaire ?

Ah! qu'il sauve un seul homme, et Brunswick meurt content. Bientôt le dieu cruel des rives inondées,

Ramenant à grand bruit ses ondes débordées,

Dédaigne d'inspirer de vulgaires terreurs.
Peuples, ne craignez plus; l'impitoyable abîme
A choisi sa victime,

Et Léopold suffit à toutes ses fureurs.

Ainsi, lorsque le sein de la terre ébranlée
S'entrouvrit dans les murs de Rome désolée,
A peine Curtius eut dévoué ses jours,
Trois fois l'avare Erèbe en tressaillit de joie,
Et, content de sa proie,

Le gouffre empoisonné se ferma pour toujours,

Cessez donc de penser, dieux mortels de la terre,
Que vous ne devez rien à l'humble tributaire,

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