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un étranger ne peut pas encore, sans une grande inconvenance, hasarder une décision. Des hommes qui séparément avaient les talens les plus distingués, les ont employés à se combattre l'un l'autre tandis qu'on eût souhaité les voir s'entr'aider pour le bien général. Chacun a fait ses calculs, et est arrivé à son résultat. De part et d'autre on a entendu parler de pièces probantes : celui-ci a été contre l'impôt, celui-là contre l'emprunt ; l'un a prétendu qu'il fallait toujours employer le langage de la vérité, l'autre qu'il ne fallait jamais prendre l'attitude de la pénurie; jusqu'à l'économie qui a été présentée sous deux faces différentes. Il convient en vérité à bien peu d'hommes de prendre parti dans ces controverses. Pour moi je veux me borner à rappeler le petit nombre d'époques principales et de faits non contestés, qui ont précédé ou amené la grande catastrophe.

L'abbé Terray, causant dans sa retraite avec ses proches, prétendait avoir trouvé, en arrivant au contrôle-général, un déficit annuel de soixante millions et treize mois des revenus royaux consommés par anticipation (1). A force d'injustices, de

(1) L'abbé Terray avait été, dès l'avénement de Louis XVI au trône, éloigné du ministère. « Le cri de la France entière, écrasée sous l'administration despotique et dilapidatrice de l'abbé Terray, contrôleur-général, demandait, dit un auteur contemporain, le renvoi de ce ministre : Louis n'hésita pas; une disgrâce aussi bien méritée causa une joie universelle. Le peuple maudissait l'abbé Terray, et le roi savait que la destination principale des impôts dont

Cependant on avait laissé Turgot entamer l'exécution de son plan, et on ne lui permettait pas de l'achever. L'économie des affaires était dérangée. On rejeta sur les peuples le fardeau dont il les avait soulagés, parce qu'on ne lui avait pas laissé le temps de réparer les brèches du revenu. Le successeur que lui donna le comte de Maurepas, entra au contròle-général en disant naïvement, « qu'il n'enten» dait rien en finances, et qu'il avait à s'instruire

était égale. Ils comptaient l'un et l'autre pour ennemis tous ceux qui redoutaient la réforme des abus. Un écrit du temps indique et présente en ces mots les motifs de la coalition sous laquelle ils succombérent.

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« Les efforts de cette ligue, dit-il, se Cirigent principalement' contre M. Turgot et M. de Malesherbes, et cela parce que le bruit est général que ces deux ministres sont à la veille de commencer une reforme dans les dépenses de la cour, et qu'ils vont l'entamer par le grand commun où le gaspillage est énorme. L'ordre qu'ils se proposent d'y mettre fait jeter les hauts cris à toute la ville et à toute la cour. Déjà M. de Malesherbes n'est pas un patriote zélé, une victime du bien public. C'est un encyclopédiste, {un homme à système, ignorant dans les affaires, qui va tout bouleverser. En effet, c'est un furieux bouleversement que de mettre de l'ordre dans le chaos. Quant à M. Turgot, c'est un ho entété, capable de perdre l'Etat plutôt que d'abandonner son i Ces clameurs devraient sans doute tomber d'elles-mèmes, nais on les dit appuyées par une faction puissante. Quelle nation! les gens même les moins intéressés aux malheurs publics se font les échos de tous les fripons, et les malheureux honnêtes gens sc en trop petit nombre pour élever la voix et se faire entende d'une nation légère qui mêle l'inconséquence, l'esprit et la déraison dans ses plaisirs, dans ses projets et dans son gouvernement. Correspondance secrète de la cour de Louis XVI, p. 150. (Note des nouv. édit.)

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avant d'entreprendre (1). » Il tomba malade, et nourut au bout de quelques mois, n'ayant ni appris i entrepris. L'abbé Terray, qui vivait encore, préendait « que déjà le déficit, laissé par lui à cinq millions, s'élevait à trente quatre, et qu'il et qu'il ne savait pas comment on le comblerait, parce qu'il n'y avait plus moyen d'imposer, et qu'il avait épuisé toutes les ressources. »

L'union passagère de M. Taboureau et de M. Necker offrit seulement l'annonce que ces ressources n'étaient pas à beaucoup près épuisées, et que l'ordre était la première de toutes.

Resté seul aux finances, M. Necker parvint, après trois ans et demi d'administration, à établir et à publier ce fameux Compte rendu, objet de tant d'enthousiasme et de tant de censures, qui présentait pour dernier résultat une recette excédant la dépense ordinaire de vingt - sept millions, dont dixsept appliqués à des remuemens passagers.

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Après la lecture du Compte rendu, l'on bénissait le roi, sa bienfaisance, ses travaux son discernement. On admirait tout ce qu'avec son ministre il avait fait pour le bonheur de son royaume pendant la guerre les espérances pour le temps de la paix étaient sans bornes. La confiance ne s'était

(1) Ce successeur était M. de Clugny dont l'administration ne dura que quelques mois. On lui doit l'établissement de la loterie. On voit qu'il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour faire un grand mal.

(Note des nouv. édit.)

jamais manifestée avec un tel abandon. Il ne s présentait pas un emprunt, que le double ne fü offert au Trésor royal; et là précisément était danger, selon les adversaires de ce système d finances. Les étrangers, le parlement d'Angle terre surtout, les ministres comme l'opposition lord North aussi-bien que Burke, étaient frappés de respect, et célébraient, chacun à sa manière, « le trône de France occupé par un digne petit-fils de Henri IV, que servait un nouveau Sully (1)! » Fausse application quant au ministre ! disaient encore ses adversaires. Prestige insensé qui ne devait pas tarder à se dissiper!

Cependant le directeur des finances ne pouvait parvenir à s'entendre, pour la comptabilité, avec l'ancien lieutenant de police Sartine, qui eût été un très-bon ministre de Paris, et dont Maurepas avait fait un secrétaire d'État de la marine. M. Necker profita d'un violent accès de goutte

(1) Nous trouvons à ce sujet l'anecdote suivante dans un écrit du temps. Nous aimons à la citer ici. Elle honore à la fois le prince et le ministre.

« On a lu l'éloge de M. Necker dans quelques discours tenus au parlement d'Angleterre. Le roi se les est fait représenter, en a été enchanté, et la première fois que le directeur-général des finances est venu travailler avec lui, il lui a demandé s'il savait l'anglais ? il a répondu que oui. « Moi, je veux l'apprendre, a continué le >> roi ; j'en ai déjà même traduit quelque chose ;» et, lui donnant en même temps un papier: «< Faites-moi le plaisir de me dire si >> c'est bien. » M. Necker a trouvé ses louanges que le monarque semblait ainsi ratifier. >>

(Note des nouv. édit.)

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par

qu'eut le ministre principal, pour presser le roi de confier ce département à un autre. Un homme dont la vie avait été un modèle de pureté, d'honneur et de zèle; brillant à la guerre, où il avait remporté une victoire sur le duc de Brunswick; actif dans la paix, pendant laquelle il étudiait tout ce qui pouvait le rendre utile à son roi et à son pays; un homme à qui aucune vertu morale, ni aucune connaissance politique n'était étrangère; chevalier sans reproche, courtisan avec noblesse, sagement citoyen; en un mot le marquis, depuis maréchal de Castries, fut proposé pour la marine par M. Necker et nommé le roi qui alla voir son vieux conseiller malade à Paris, pour adoucir par cette faveur signalée le déplaisir qu'il aurait de voir un ministre arriver par un autre que par lui. Le vieux premier ministre dissimula, mais ne pardonna pas au directeur-général d'avoir inspiré au roi un changement et un choix universellement applaudis. Rien n'était plus précieux, dans la circonstance, que l'accord entre le département de la marine et celui des finances : cette idée ne put l'emporter sur l'instinct vindicatif du ministre principal. Chose vraiment incroyable! Le Compte rendu avait été publié sous la garantie de Maurepas à qui toutes les pièces justificatives avaient été soumises. Son nom en attestait l'authenticité, et ses propos le tournaient en ridicule (1). Une

(1) Avez-vous lu le compte bleu, disait-il à tous ses amis avec un sourire ironique. Le Compte rendu, imprimé avec des vignet

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