Imatges de pàgina
PDF
EPUB

de la justice, les fameuses ordonnances qui amenèrent la révolution de juillet. Ce fut lui qui composa le rapport qui précédait ces ordonnances. Sa signature, son rapport, son arrestation, le procès et la condamnation qui en furent la suite, voilà à peu près tout ce qui a fait de M. de Chantelauze un personnage historique. Jusque-là sa destinée n'avait rien présenté de remarquable; il avait acquis une réputation honorable dans la magistrature du parquet, mais presque aucune renommée dans la science du gouvernement.

«

[ocr errors]

Avant de se faire l'instrument aveu

gle de l'absolutisme, M. de Chantelauze avait manifesté des opinions extrêmement libérales. En 1814, il publia sur le projet de constitution présenté à Louis XVIII au nom du sénat conservateur, une brochure inspirée par les plus vifs sentiments d'indépendance. Il voulait que l'initiative fût accordée aux chambres, et que, même sans l'assentiment du roi, elles eussent le droit de faire toutes les propositions qui leur paraîtraient conformes à l'intérêt du pays. « La matière des impôts, écrivait-il, doit être le dernier objet des délibérations des législa<< teurs. Avant d'accéder aux deman<< des du ministère, ils doivent faire << entendre leurs plaintes.... Subsides « et plaintes, disait un auteur anglais, « se sont toujours tenus par la main. » Mais ce qui est encore plus remarquable, et ce qui a reçu des événements une consécration à laquelle l'auteur ne s'attendait certes pas alors, ce sont les principes suivants qui se trouvent professés dans la même brochure : «< Il << faut au peuple une garantie de la «< conduite des ministres : cette garan<< tie n'est autre que leur responsabilité personnelle. La personne sacrée du roi << est inviolable; les agents qu'il emploie doivent être soumis à la cen<< sure publique. Il eût été insuffisant « de confier l'exercice de la censure << aux tribunaux : les deux chambres << sont l'autorité sous laquelle les « agents doivent fléchir. » Tel fut le début politique de M. de Chantelauze;

[ocr errors]
[ocr errors]

et, comme on voit, il n'était pas de nature à faire pressentir sa fin.

Grâce à une assez grande facilité d'élocution, et au patronage de quelques amis haut placés, son avancement fut rapide. Substitut du procureur du roi au tribunal de Montbrison en 1814, il était déjà avocat général à la cour royale de Lyon en 1815. Le 21 juillet 1826, il fut nommé procureur général à la cour royale de Douai, et, trois mois après, transféré à celle de Riom pour y remplir les mêmes fonctions. Dès 1821, il avait obtenu la décoration de la Légion d'honneur.

Ce fut seulement en 1828 que commença d'une manière active sa carrière politique, qui devait être si courte et se terminer si tristement. Aux élections de novembre 1827, le grand collége de Montbrison lui ouvrit les portes de la chambre des députés. Le ministère déplorable venait d'être remplacé par le ministère Martignac. M. de Chantelauze manifesta d'abord des sentiments de libéralisme; puis, peu à peu, à mesure que la chute du nouveau cabinet semblait devenir plus probable, il modifia adroitement ses opinions, de sorte que, vers la fin de la session, il put se prononcer hautement pour le château. Lors de la discussion sur le projet relatif à l'orga nisation municipale et départementale, il taxa de tentative périlleuse la loi présentée par le ministère, et prononça des paroles qui laissaient voir combien il désirait son renversement. « Je ne << viens, dit-il, ni évoquer de lugubres « Souvenirs, ni vous montrer le fantôme sanglant de la souveraineté du peu<< ple, ni poursuivre d'impuissantes << clameurs le comité directeur dont << on fait tant de bruit. Mais le temps où nous sommes n'est pas celui où << l'on peut fonder des institutions du<«<rables. On ne veut pas générale<< ment de révolution, mais on adopte « à son insu les idées qui y condui<< sent. On ne veut pas compromet << tre le repos public, mais on ne fait « rien pour le conserver.... Dans ce << temps de difficile passage, rien n'é<< tait plus nécessaire que de chercher

[ocr errors]
[ocr errors]

« à se rasseoir en ne s'occupant que « d'intérêts matériels. C'est là ce que <«< dictait la sagesse, ce que comman« dait la sécurité du pays. Le minis<< tère a mal étudié cette position, mal << connu les circonstances actuelles, en « proposant une loi tellement impor<< tante, qu'elle a reçu le nom de << charte, en soulevant un fardeau que << ses forces épuisées ne pouvaient plus soutenir. » Depuis ce temps, M. de Chantelauze ne cessa de défendre, avec un zèle qui manquait souvent de dignité, les prérogatives financières de la couronne. Une fois entre autres, il s'éleva contre le général Lamarque, qui avait osé disputer au roi le pouvoir qu'il avait eu de disposer de la dotation du sénat.

«

Dès que M. de Polignac fut arrivé au ministère, M. de Chantelauze reçut une première récompense de sa conversion aux doctrines purement monarchiques. Le 26 août 1829, il fut nommé président de la cour royale de Riom. A l'ouverture de la session de 1830, les députés ministériels essayèrent vainement de le porter à la présidence de la chambre; il n'obtint que cent seize voix. Dans le comité secret du 15 mars, il s'opposa énergiquement au projet d'adresse; et, malgré le désaveu qu'il en fit le lendemain dans les journaux, il menaça les députés constitutionnels d'un 5 septembre monarchique. Aussi, M. de Polignac, qui avait beaucoup de mal à trouver des collègues, parce qu'être collègue d'un tel ministre c'était devenir son complice, M. de Polignac voulut à tout prix recruter M. de Chantelauze. Il faut dire toutefois, à la louange de celui-ci, qu'il ne céda qu'à regret aux instances du président du conseil ; son instinct lui révélait ce qu'il y avait de périlleux dans les tendances révolutionnaires de la cour, et la manière dont ses propres menaces avaient été accueillies à la chambre était bien faite pour le confirmer dans cette croyance. D'ailleurs le système vers lequel il penchait, il l'avait déjà fait connaître dans son discours contre la loi communale et départementale : c'é

tait de ne s'occuper que des intérêts matériels. Mais depuis ce discours, la situation politique avait beaucoup changé, et, entraîné lui-même par le torrent monarchique, M. de Chantelauze avait laissé échapper de sinistres paroles. Dix mois après la formation du ministère Polignac, lors de la démission de M. de Courvoisier, le roi lui fit proposer les sceaux. Il résista longtemps, quoique le dauphin joignît ses instances à celles de M. de Polignac. Il écrivit à ce dernier qu'il croyait peu convenable, à la veille de la convocation des colléges, de modifier le ministère, et que, dans tous les cas, il regardait comme une nécessité de rappeler M. de Peyronnet au pouvoir.

[ocr errors]

Sa présence au conseil, ajoutait-il, « lèverait quelques objections qui me << sont personnelles; car un engage«ment que je ne puis rompre me lie << à ses destinées politiques. Il m'en << coûte d'avouer que, même en ce cas, j'aurais une peine très-grande à me « déterminer au sacrifice qu'on me <«< demande. Au reste, je suis prêt à << partir pour Paris, lorsque l'ordre « m'en sera donné. Ce n'est que là que « je pourrai juger si mes avis et mon <<< concours seraient utiles au service « du roi.» M. de Polignac étant absent, cette lettre fut remise à Charles X. Voici comment ce prince s'en expliqua par écrit avec son premier ministre « Je vous renvoie, «< cher Jules, la longue lettre de M. de << Chantelauze; elle dit tout, excepté << le fin mot de la chose : c'est qu'il a << peur de perdre une place agréable <«<et inamovible, pour en prendre une << malheureusement trop amovible. Au surplus, je ne change rien à nos projets, et s'il nous convient toujours, « comme je le crois, nous le ferons prêcher par Peyronnet. » Il en arriva ainsi que l'avait prévu Charles X : M. de Chantelauze vint à Paris, et fut vaincu par l'éloquence des précheurs de la cour.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

mon

Il ne paraît pas qu'il ait été l'un des provocateurs des ordonnances; lorsqu'elles furent discutées dans le conseil, il ne se prononça ni pour ni

contre, mais il les signa sans résister. Comme nous l'avons déjà dit, il rédigea le rapport qui motivait ces ordonnances. Ce fut également lui qui dressa celle qui suspendait la liberté de la presse.

Ce même homme, qui sanctionnait par sa signature la violation de la charte, avait dit, environ une année auparavant, sous l'administration de M. de Martignac, et en présence de la chambre des députés : « Comme le « ministère, je suis attaché au gou<< vernement représentatif; comme le « ministère, je veux le maintien de la «charte et le développement monar« chique de nos institutions. Voilà la profession de foi publique que je << fais à cette tribune, et dont je ne « dévierai jamais. » Après cela, on concevra facilement l'émotion à laquelle il était en proie, lorsque, le 25 juillet, à 11 heures du soir, il remit les ordonnances à M. Sauvo, rédacteur du Moniteur. Le mardi 27, il assista au conseil où il fut décidé que Paris serait mis en état de siége. Le 28, il notifia cette décision au procureur général près la cour royale de Paris, avec ordre de se conformer aux conséquences légales de l'état de siége, Le même jour, il fit enjoindre à la cour royale de se rendre aux Tuileries. Dans quelle intention? C'est ce qu'on ignore; mais son ancienne menace d'un 5 septembre monarchique permet de supposer qu'il songeait à des mesures de rigueur.

La manière dont la capitale répondit au parjure de Charles X força bientôt M. de Chantelauze à se rendre à Saint-Cloud, et de là à Rambouillet, où il suivit la cour. Après l'abdication de Charles X, il prit la fuite avec MM. Guernon-Ranville et Peyronnet. Tous les trois se dirigèrent séparément dans la direction de Tours. Aux portes de cette ville, M. de Chantelauze voyant flotter le drapeau tricolore, revint sur ses pas, et prit le chemin d'une petite commune qui en était éloignée d'environ une lieue et demie. Il portait un mauvais habit noir. des bottes percées, et

avait eu la précaution de ne prendre que trois francs sur lui; mais le déla brement de son costume fut précisément ce qui attira l'attention sur sa personne. Il fut arrêté et conduit à Tours. Après avoir longtemps refusé de se faire connaître, il se nomma enfin, et réclama l'inviolabilité attachée à sa qualité de député. On lui répondit : « En qualité de député, vous «êtes inviolable, mais en qualité de garde des sceaux, vous êtes déclaré << traître à la nation.» En conséquence, il fut écroué dans une prison où se trouvait déjà M. de Peyronnet, et où fut amené , peu de jours après, M. Guernon-Ranville.

[ocr errors]

Le 27 août, à deux heures après minuit, une voiture dans laquelle étaient les trois prisonniers, traversa Paris et se rendit à Vincennes. Ils y restèrent jusqu'au 10 décembre, époque où ils furent transférés au Luxem bourg. M. de Chantelauze, qui était tombé dangereusement malade à Vincennes, n'arriva à Paris que quelques heures après les autres. Le 15 décembre, les débats s'ouvrirent devant la chambre des pairs: M. de Chantelauze y montra beaucoup de calme, et ne désavoua aucun des faits qui lui étaient imputés. Il avait pour défenseur M. Sauzet, qui fit son éloge comme magistrat et comme homme privé, et dit à la cour: « Renvoyez l'accusé,

mais sans

<< non pas sans censure, « anathème. » Le 22 décembre, le ju gement fut prononcé; il condamna M. de Chantelauze à la prison perpé tuelle, à l'interdiction légale et aux frais du procès. La même peine fut portée contre MM. de Peyronnet et Guernon-Ranville. Lorsque le greffier vint leur lire l'arrêt de la cour des pairs à Vincennes, où ils avaient été ramenés, M. de Chantelauze dit à M. Guernon - Ranville : « Eh bien! << mon cher, nous aurons le temps

[ocr errors]

de

jouer aux échecs. » L'amnistie prononcée sous le ministère Molé fit cesser la captivité de M. de Chantelauze.

Dans M. de Chantelauze, l'homme privé inspire évidemment de l'intérêt. il avait du talent, de la probité. Sans

[graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors]
« AnteriorContinua »