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sans enfants. Lycurgue, son frère, aurait dû lui succéder; mais, la veuve s'étant trouvée enceinte, il ne voulut être que le protecteur de l'enfant qui naîtrait d'elle, et rejeta la proposition que lui faisait sa belle-sœur de faire périr son fruit s'il voulait l'épouser. Pour écarter même tout soupçon, Lycurgue s'éloigna de sa patrie, Lycurgue. et visita les pays les plus cultivés, étudiant les lois et les usages qui pourraient être le plus utiles à ses concitoyens.

en Crète.

1360.

Il visita d'abord la Crète, île distincte de la Grèce, mais consi- ses voyages dérée comme grecque. Peuplée d'un mélange de Curètes, de Pélasges et d'autres nations, auquel, lors des troubles antérieurs, s'étaient adjoints beaucoup d'Hellènes de race dorique et éolienne, elle était gouvernée de temps immémorial par des rois. Astérius, l'un d'eux, avait envoyé contre les Phéniciens un de ses généraux, qui, s'étant épris d'Europe, fille d'Agénor, roi de Phénicie, l'enleva sur un vaisseau dont la proue portait la figure d'un taureau, et la conduisit sur le continent qui prit d'elle le nom d'Europe.

De cette union naquit, vers l'an 1300, Minos, qui, ayant succédé à son père, soumit l'île entière à son autorité. La situation de la Crète, isolée au milieu de la mer, à l'abri des incursions des nomades, et pouvant communiquer facilement avec l'Égypte et la Phénicie, y hâta la civilisation; elle devint, en outre, puissante sur mer, et Minos purgea, dit-on, l'archipel des pirates qui l'infestaient, occupa les îles et rendit la sécurité à la navigation. Afin d'aider aux réformes qu'il projetait dans son royaume, il se fit passer pour fils de Jupiter et prétendit avoir des entretiens avec lui : commerce surnaturel que nous avons trouvé et que nous trouverons attribué à tant de législateurs, comme pour nous prouver combien est enracinée chez les peuples cette croyance, que le pouvoir et la sanction des lois dérivent d'une source plus sublime que les conventions humaines.

Les lois promulguées par Minos tenaient du caractère farouche des temps héroïques; elles étaient très-rigoureuses, et avaient surtout pour objet de donner de la vigueur au corps : les citoyens devaient toujours être armés, même pour s'exercer à la danse; ils s'asseyaient à des tables communes (avôpta) où les jeunes gens servaient les magistrats de la patrie, ou matrie, comme ils l'appelaient d'un nom plus affectueux. Les arts et l'agriculture étaient abandonnés aux Périéciens, esclaves distribués en plusieurs classes, auxquels la loi accordait une action contre leurs maîtres et le droit de leur commander durant les fêtes de Mercure.

Ces institutions révèlent une république plutôt qu'une monar

Enlèvement d'Europe.

Minos.

1320.

chie, comme aussi la sanction du peuple, déclarée nécessaire pour valider les décisions des gérontes. LE BIEN SUPRÊME DES SOCIÉTÉS CIVILES EST LA LIBERTÉ, telle était la maxime capitale des lois crétoises. Nous inclinons donc à penser que cette législation prit naissance après l'expulsion des rois, faute de pouvoir connaître avec certitude, à si grande distance, la part qu'y aurait prise l'idéal Minos (1). Il avait acquis, du reste, un si grand renom de justice qu'il passait pour avoir été choisi, avec son frère Rhadamanthe, afin de juger les péchés des humains après leur mort. N'était-ce pas une allusion aux jugements des morts, qu'ils auraient empruntés à l'Égypte et introduits en

Crète?

Bien que cette île eût un roi, les villes ne conservaient pas moins leur constitution intérieure, chacune ayant son sénat de douze cosmes ou ordonnateurs, choisis parmi les premières familles, magistrats suprêmes durant la paix et capitaines en temps de guerre ; à leur sortie de charge, ils siégeaient dans le conseil. Les juges devaient être d'un âge mûr, et les jeunes ne pouvaient proposer aucun changement de loi. L'assemblée du peuple pouvait accepter ou repousser les propositions des cosmes, non les modifier. Si les cosmes n'accomplissaient pas leurs devoirs, l'insurrection était légitime. Le produit des terres était divisé en douze portions, dont une pour les sacrifices, une pour l'hospitalité; le reste se mettait en commun. Le coupable d'adultère était exposé avec une couronne de laine sur la tête et perdait ses droits publics. Quand un Crétois s'éprenait d'un autre, il l'enlevait violemment, et, rapt accompli, personne n'avait le droit de le lui reprendre; après l'avoir retenu deux mois, il le renvoyait comblé de dons. On donnait à ces ganуmèdes (Tαрaata0évτeç) les premières places aux courses et aux banquets: loi d'infamie justement chargée de réprobation par Aristote et Platon.

le

Gnosse et Gortyne occupaient le premier rang parmi les cités de l'île, et, quand elles étaient unies, elles dominaient les autres à leur gré; mais souvent, comme il arrive d'ordinaire, la discorde se mettait entre elles, et alors Cydonie faisait pencher la balance du côté où elle se rangeait. Ces dissensions troublaient la paix de l'île lorsque sa position isolée aurait dû la lui assurer. Enfin, vers l'an 800, la monarchie s'éteignit avec Étéarque, et dix cosmes gouvernèrent le pays. Les mœurs et le caractère national finirent

(1) Selon d'autres historiens, deux Minos régnèrent en Crète : le premier, fils d'Europe, vers 1500; le second, frère de Rhadamanthe et père d'Androgée, vers

1320.

même par s'altérer; les lois de Minos tombèrent en désuétude; les règles qu'il avait introduites ou établies pour la vie privée furent mises en oubli dans les villes, et se conservèrent à peine dans la campagne (1).

Ces lois parurent à Lycurgue les plus convenables pour une nation dorique; mais il chercha à les améliorer en visitant l'Égypte, l'Inde, la Grèce. Ayant entendu chanter chez les Ioniens et les Éoliens des épisodes du poëme d'Homère, il reconnut combien ils pourraient contribuer à civiliser et à réunir ses Doriens; il les recueillit donc en un seul corps d'ouvrage, et les apporta dans sa patrie à Sparte.

Il trouva cette ville en proie à cette anarchie qui fait sentir le besoin d'une organisation et d'un frein. Il soumit ses lois à l'examen d'amis sûrs et prudents; afin de satisfaire le vulgaire, il fit déclarer par la Pythie qu'aucun peuple n'en avait de meilleures, et, pour dompter les opposants, il se montra armé au milieu de ses partisans.

Après avoir vu fonctionner ses institutions, dont l'effet lui parut bon, il feignit d'avoir à interroger encore sur certains points le dieu de Delphes, sans l'avis duquel il ne faisait rien; il fit donc jurer aux Spartiates de ne rien changer à son code jusqu'à ce qu'il fût de retour. Il alla consulter Apollon, et l'oracle lui répondit que les Spartiates seraient grands s'ils observaient les lois qu'il leur avait données. A partir de ce moment, il erra loin de sa patrie jusqu'à sa mort, et, près d'expirer, il ordonna que ses cendres fussent jetées à la mer, de peur que, si elles étaient rapportées à Sparte, ses concitoyens ne se crussent dégagés de leur serment.

Lycurgue n'écrivit rien; ses lois consistaient en maximes et sentences (pa) qui se transmettaient de vive voix. De là vint qu'on lui attribua un grand nombre d'institutions beaucoup plus récentes, et d'autres plus anciennes; l'examen de sa législation fait donc naître le doute et multiplie les contradictions. Il ne songea pas (non plus que tout autre législateur) à constituer d'un seul jet un ordre politique nouveau, mais à ramener sa nation aux anciennes coutumes des Doriens, d'autant plus que les Spartiates, par leur position même, s'étaient tenus à l'écart du progrès uni

(1) Voy. Meursii, Creta, Rhodus, Cyprus, 1675. Les inscriptions publiées par CHISHULL dans ses Antiquitates asiaticæ, 1728, portèrent un nouveau jour sur ce sujet. SAINTE-CROIX, Des anciens gouvernements fédératifs, etc. — MANSO, Minos. NEUMANN, Rerum antiquarum specimen, HOEK, Creta. Goëttingen, 1829.

Éphores.

Rois.

forme des autres races grecques, et que chez eux le raisonnement l'emportait encore sur l'imagination. Le but de Lycurgue fut de perpétuer la liberté du petit nombre, aussi bien dans le sens moral que dans le sens politique, en détruisant les inclinations basses et en conservant l'antique gouvernement patriarcal. Quelqu'un lui conseillait d'établir à Sparte la démocratie : Commence donc, lui répondit-il, par l'établir dans ta maison.

Il conserva les deux rois et le sénat, composé de citoyens âgés de plus de soixante ans. Dans la Laconie, comme dans la Messénie et d'autres lieux du Péloponèse, le pouvoir de cette assemblée était contre-balancé par cinq éphores, magistrats annuels armés d'une autorité redoutable pour préserver de toute atteinte la liberté aristocratique. Lycurgue limita leur pouvoir, et peut-être même les abolit à Sparte; mais, 130 ans après, Théopompe les rétablit ils pouvaient casser les sénateurs et les punir (1), arrêter les rois et les suspendre jusqu'à ce que l'oracle les eût rétablis. Quand le roi se présentait dans l'assemblée, les éphores ne se levaient pas; mais le roi se levait à leur arrivée. Ils juraient de lui obéir tant qu'il n'outre-passerait par ses pouvoirs ; ils veillaient sur la continence des reines, recevaient les ambassadeurs, levaient les soldats, convoquaient l'assemblée du peuple, rappelaient le roi durant la guerre, même au milieu de ses triomphes, marchaient aux combats à son côté pour le conseiller; en un mot, ils étaient tout-puissants comme les prêtres en Égypte. Agésilas était vainqueur quand les éphores lui intimèrent l'ordre de revenir, et il obéit; avant qu'il rentrât dans Sparte, ils lui ordonnèrent d'aller en Béotie, et il obéit encore. Léonidas, ne s'étant pas rendu à leur appel, fut déposé. Le premier éphore donnait son nom à l'année.

ils

Comme descendants de Jupiter, les deux rois faisaient les sacrifices; comme issus des premiers conquérants, ils commandaient les armées; comme représentants du pouvoir public, présidaient les assemblées. Autant leur autorité était limitée, autant on leur prodiguait les honneurs : ils avaient l'initiative dans le conseil, et ils députaient, quand il leur plaisait, deux magistrats pour consulter la Pythie, moyen facile pour faire jouer l'intrigue; les jeunes filles orphelines recevaient d'eux un époux; ils envoyaient les ambassadeurs, obtenaient une plus grande portion de terres et le tiers du butin; leur héritier présomptif était élevé

(1) Aucun fait historique n'atteste pourtant celte assertion toute récente.

à part des autres Spartiates; quand ils mouraient, le deuil était général.

Sénat.

Vingt-huit gérontes à vie, de soixante ans passés, élus par les citoyens, conjointement avec les deux rois proposaient et discutaient les lois, que le peuple acceptait ou refusait à son gré; ils jugeaient les causes civiles et criminelles, même contre les rois. Chaque citoyen âgé de trente ans et payant la cote pour le repas Assemblées. public avait voix dans l'assemblée générale, où l'on traitait de la paix et de la guerre. La petite assemblée se composait des rois, des éphores et des magistrats; on y discutait les affaires d'État, de religion, et les questions, plus délicates encore, où il s'agissait de juger les princes, de déposer les magistrats.

Lorsque nous disons tout citoyen, il faut entendre les seuls Spartiates, dont les Lacédémoniens n'étaient que les sujets. Sparte avait une constitution aristocratique, sans liberté plébéienne. Le nombre des familles qui jouissaient du droit de cité ne s'accroissait jamais par leur alliance avec des familles nouvelles; en outre, comme la guerre en éteignait beaucoup, la cité fut réduite à une extrémité telle que la perte d'une bataille (celle de Leuctres) la mit au bord de sa ruine. L'aristocratie ne se composa plus alors que de quelques oligarques, qui, vivant clair-semés dans leur patrie, au milieu d'une population étrangère et mécontente, durent avoir recours à des soldats mercenaires et mendier des subsides de souverains étrangers.

Lycurgue, pour assurer à Sparte une existence forte par ellemême, des citoyens invincibles de corps et d'un courage inébranlable, s'occupa moins de la constitution politique que de la vie privée et de l'éducation physique. En conséquence, il eut exclusivement pour but l'égalité des biens et l'uniformité dans la manière de vivre, afin que tous fussent intimement convaincus qu'ils appartenaient à l'État comme à une famille, et que dès lors ils lui prêtassent une obéissance aveugle. D'ordinaire les associations politiques s'affermissent par le soin qu'elles prennent de défendre et de conserver les propriétés et les droits du citoyen; mais Lycurgue commença la sienne en les violant et en les détruisant. Il partagea de nouveau les terres, dont neuf mille portions furent assignées aux Spartiates, et trente mille aux Lacédémoniens; on pouvait les transmettre en héritage ou les donner, mais non les vendre. Elles étaient distribuées de manière qu'il revînt à chaque homme soixante-dix mesures d'orge, douze à chaque femme; les produits, dans la même proportion. Cependant, comme il avait permis aux femmes d'acquérir plusieurs parts, soit par don ou succession, les propriétés

HIST. UNIV.

T. II.

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