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CHAPITRE XXIX.

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Rofs d'Albe. 1175-796.

LATIUM.

C'était du Latium que devait surgir la puissance destinée par sa force à dominer non-seulement l'Italie, mais le monde (1). On raconte que les Aborigènes descendirent des sommets de l'Apennin pour habiter les plaines du Latium, d'où ils chassèrent les Sicules, et où ils fondèrent un grand nombre de hameaux qui depuis devinrent célèbres, tels que Laurentum, Préneste, Lanuvium, Gabies, Aricie, Lavinium, Tibur, séjour de la Sibylle, Tusculum, aux murailles en blocs pélasgiques, Ardée, résidence des Rutules, enrichis par le commerce, et qui envoyèrent des colonies jusqu'à Sagonte en Espagne. Le lien religieux ne cessait pas d'unir ces populations, qui avaient grandi séparément. Le Lucus Ferentinus, aujourd'hui Marino, le bois sacré de Diane, près d'Aricie, et celui de Vénus, entre Lavinium et Ardée, étaient autant de points de réunion pour les rites d'un même culte. Lors des féries latines sur le mont Albain, semblable au Panionium, on célébrait un sacrifice solennel; les chairs des victimes étaient distribuées à toutes les tribus, auxquelles, du fond de la forêt Albunéa, le dieu Faunus, divinité commune, faisait entendre ses oracles.

Saturne, c'est-à-dire le peuple qui donna son nom aux Latins, vint par mer; les dieux pénates, dans l'origine, étaient déposés à Lavinium sur mer, qui fut la métropole des Latins (μntpóñodis tõv Aatívwv yevouévn) même après les accroissements d'Albe et de Rome. Picus, Faunus, Latinus, passent pour les plus anciens rois du Latium. Sous le règne de Faunus, on vit aborder une colonie d'Arcadiens conduite par Évandre, qu'on peut regarder comme une troisième migration pélasgique; elle s'établit sur les rives du Tibre, où elle bâtit Palatium. Deux générations plus tard, Latinus étant roi, il arriva une quatrième colonie de Troyens échappés à la ruine de leur patrie, qui avaient Énée pour chef. Ce prince, l'ayant emporté sur la dynastie indigène, laissa à ses descendants le trône d'Albe, où se succédèrent Ascanius, Sylvius Posthumus, Sylvius Ænéas, Latinus, Alba, Épistus, Capys, Carpentus, Tibéri

(1) En outre des auteurs déjà cités, voy. M. CONRADINI, De priscis ant. Lat. populis, Rome, 1748; VULPI, Latium vetus; SPANGENBERG, De vet. Latii religione domestica.

nus, Archippus, Arémulus, Aventinus, Procas, Amulius, Numitor. Amulius chassa du trône Numitor son frère, et contraignit Rhéa Sylvia, la fille unique de ce prince, à se faire vestale; mais le dieu Mars féconda son sein, et elle donna le jour à deux jumeaux, Romulus et Rémus, qui, jetés dans le Tibre, furent poussés sur le rivage et allaités par une louve. Devenus grands, ils apprirent le secret de leur naissance; leur courage réunit autour d'eux une bande de valeureux Latins, qu'ils établirent sur les rives du Tibre, à seize milles de son embouchure et un peu au-dessus du Teverone, contrée sauvage et qui renfermait beaucoup de collines. Ce fut sur ces hauteurs, moins insalubres que la plaine, au point où confinaient les Latins, les Sabins et les Étrusques, qu'ils fondèrent une ville à laquelle ils donnèrent le nom de Rome.

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de Rome.

Romulus tue son frère Rémus, et règne seul; il accroît la population de la ville nouvelle en ouvrant un asile ou un marché Les sept rois franc, et distingue les patriciens des plébéiens', mais en les rattachant toutefois par le lien du patronage; il divise les citoyens en trois tribus, et choisit dans chacune cent chevaliers et cent sénateurs. Pour avoir des mariages, il fait enlever les filles des Sabins, qui viennent pour tirer vengeance de cet attentat; mais, suppliés par leurs filles, ils consentent à la paix, et les deux peuples réconciliés n'en forment plus qu'un. Les habitants des contrées voisines sont vaincus, transportés à Rome, ou obligés de recevoir des colonies dans leurs propres foyers; enfin Romulus, mort ou tué, est mis au nombre des dieux.

Au héros succède le législateur, Numa Pompilius, qui réforme le calendrier, emprunte à l'Étrurie les vestales, les féciaux, diverses cérémonies. D'après les avis de la nymphe Égérie, il distribue le peuple en corporations d'arts et métiers, et fonde le temple de Janus, qui doit rester fermé en temps de paix.

Sous Tullus Hostilius, le sort d'Albe est décidé par le combat des Horaces et des Curiaces; Albe est détruite, et ses habitants sont transportés à Rome sur le mont Cœlius.

Ancus Martius est vainqueur des Fidénates, des Sabins, des Latins; il creuse le port d'Ostie, établit des salines, et bâtit les prisons.

Tarquin l'Ancien, originaire de Corinthe et lucumon d'Étrurie, obtient le trône parce que les augures lui sont favorables; il augmente de cent le nombre des sénateurs, crée deux nouvelles vestales, construit des aqueducs, des égouts, le cirque, défait les Sabins, les Latins, les Étrusques, et meurt assassiné.

Servius Tullius continue la guerre contre les Étrusques, intro

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duit l'argent monnayé, institue le cens, distribue le peuple en classes et en centuries, et substitue le vote par centuries au vote par tribus.

"

Servius est assassiné par Tarquin, son gendre, qui, devenu le tyran de ses sujets, reçoit d'eux le surnom de Superbe; il se concilie l'amitié des alliés, bâtit le Capitole, achète les livres sibyllins prédisant les destinées de Rome. Mais son fils ayant attenté à l'honneur de Lucrèce, cette matrone se tue. Collatin, mari de la victime, Lucrétius son père, Junius Brutus son parent, expulsent Tarquin pour venger le sang répandu; la monarchie fut détruite un an après l'expulsion des Pisistratides par les Athéniens, et remplacée par la république sous la direction de deux consuls. Après avoir repoussé le roi étrusque Porsenna, qui était venu pour rétablir les Tarquins; après avoir livré une bataille sur le lac Régille, où le courage d'Albus Posthumius et l'assistance des Dioscures firent perdre aux rois leurs dernières espérances, Rome, dans l'exaltation de la victoire et de la liberté, grandit en puissance. Dans les circonstances difficiles, elle se confie à l'autorité arbitraire d'un dictateur.

Les plébéiens, opprimés bientôt par les patriciens, se soulèvent et se retirent sur le mont Sacré. Ils obtiennent ainsi l'institution des tribuns, qui, ayant mission de les protéger, peuvent suspendre par leur veto les décisions du sénat, et sont investis, par la suite, du droit de convoquer le peuple, de faire des plébiscites, de juger les patriciens. Coriolan, partisan déclaré des nobles, est banni de Rome, lui fait la guerre, et la réduit aux dernières extrémités, quand Véturie, sa mère, parvient à l'apaiser. Enfin les Romains, pour avoir une législation régulière et fixe, envoient recueillir en Grèce les meilleures lois possibles, qui sont inscrites sur douze tables et promulguées par les décemvirs.

Voilà l'histoire des premiers temps de Rome, telle que nous l'ont transmise les prosateurs classiques, et notamment Tite-Live. Il n'est personne qui ne connaisse, depuis ses premières études, les brillants épisodes des Horaces et des Curiaces, de l'augure Accius Nævius qui tranche les pierres avec un rasoir, de Lucrèce et de Brutus, d'Horatius Coclès, de Mucius Scévola, de Clélie, de Ménénius Agrippa, des trois cent six Fabius, de Cincinnatus, de Virginie et d'Appius Claudius, de Camille: histoire et noms auxquels est assuré le privilége de ne jamais périr.

Mais la durée du règne de ces sept rois (1), la variété des faits

(1) Algarotti fut le premier à faire remarquer, dans son Saggio sulla durata

accomplis par eux, la marche régulière des récits, toujours riches d'événements (1), inspirent des doutes; on est porté à croire que ces récits ont été tirés des poëmes nationaux qui Critique. se chantaient dans les banquets, et où l'on représentait, sous le nom d'un homme, le caractère historique et le type d'une époque entière, ou, sous la forme d'événements, la formation successive de la cité ainsi que l'origine de la législation romaine. Quant à nous, nous n'osons rejeter entièrement parmi les fables ces traditions auxquelles le peuple romain ajoutait une foi absolue, et qui eurent une grande influence sur la suite de son histoire. Ces seuls mots : Tu dors, Brutus! poussent le second Brutus à délivrer sa patrie pour imiter le premier; la haine du nom de roi coûte la vie à César; le désir de reprendre l'or payé aux Gaulois décide d'une guerre.

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de' regni dei re di Roma (Opere, t. III), combien il était incroyable que sept rois électifs, qui tous, excepté Romulus, seraient parvenus au trône dans la maturité de l'âge, et dont quatre finirent de mort violente, eussent régné 244 ans ; ce qui fait pour chacun une moyenne de 35 aus. A Venise, quand on ne choisissait pas seulement des hommes âgés, et que le doge était réellement le chef de l'armée et de l'État, quarante doges gouvernèrent de 805 à 1311. C'est une moyenne de douze ans et demi pour chacun. De 1587 à 1763, sept rois électifs occupèrent le trône de Pologne, et, bien que ce soit la plus longue durée de règnes que nous connaissions en ce pays, elle est de soixante-huit ans moindre que celle des rois romains. Les sept souverains polonais qui avaient précédé réguèrent de 1455 à 1586.

Les royaumes héréditaires donnent pour durée moyenne de vingt à vingt-deux ans. Ainsi, en France, les sept premiers Valois, dont quelques-uns montèrent fort jeunes sur le trône, et dont aucun ne périt de mort violente, régnèrent de 1328 à 1498, c'est-à-dire 170 ans. Les six premiers Bourbons, de 1589 à 1792, c'est-à-dire deux cent trois ans, à peu près quarante ans de moins que les sept rois latins; mais les quatre derniers remplissent un espace de cent quatre-vingtdeux ans ; l'un fut d'ailleurs roi à dix ans, deux à cinq. Le règne moyen des trente-trois Capétiens, de 987 à 1792, est de vingt-quatre ans.

Le sept rois d'Angleterre, depuis Henri VII jusqu'à la république, donnent cent soixante-quatre ans, quatre-vingts ans de moins que ceux de Rome, bien que Charles fer soit le seu! que la mort n'ait pas atteint dans son lit. Les sept princes qui vinrent après la république, partie électifs, partie héréditaires, régnèrent cent sept années. Sept rois anglais de la maison d'Anjou durèrent deux cent vingt-deux ans, et les derniers Stuarts d'Écosse deux cent vingt-sept. Sept princes russes, à commencer d'Ivan II, en 1335, jusqu'à Ivan IV, mort en 1584, nous donnent deux cent quarante neuf ans. Six rois d'Espagne, les derniers de la maison d'Autriche, et Philippe V, le premier de celle de France, remplissent un intervalle de deux cent quarante-deux ans.

(1) Niebuhr et Michelet sont ici presque toujours nos guides. Nous avons en outre consulté les Doutes, conjectures et discussions sur différents points de l'histoire romaine, par P. CH. LÉVESQUE, dans les Mémoires de l'Institut de France; HOOKE, Discours et réflexions critiques sur l'histoire et le gouvernement de l'ancienne Rome, Paris, 1834. Sur l'incertitude de l'histoire des premiers temps de Rome, voyez la note B, à la fin du volume.

Mais qui peut dire jusqu'à quel point le mélange de la mythologie grecque, la vanité des rhéteurs, l'ambition des généalogies ont altéré la vérité? Si des intelligences puissantes comme celles de Vico et de Niebuhr sont parvenues quelquefois, par une sorte de divination, à des découvertes des plus heureuses, elles n'ont pu néanmoins arriver à cet ensemble qui satisfait complétement la raison, et la tâche de l'historien en est encore réduite à la critique. Essayons donc d'en faire à notre tour.

On nous dit que Latinus était né de l'Hyperboréen Pallante, ou d'Hercule, et d'une fille de Faunus, ce qui peut indiquer l'association d'une nation septentrionale avec les indigènes. Évandre, qui vient d'Arcadie, est la symbolisation des Pélasges. Une tradition fort ancienne faisait passer dans le Latium une colonie de Troyens fugitifs, après la chute d'Ilion. Timée écrivait en 490 que les Laviniens conservaient dans leurs temples des statues troyennes en argile; le sénat romain motiva même plusieurs fois des traités sur cette croyance. Il n'est donc pas vrai qu'elle ait été introduite ultérieurement par les Grecs; elle était nationale, ce qui pourtant ne signifie pas qu'elle fût vraie, et n'indique peut-être rien autre chose, sinon que la ville d'Albe fut, comme Troie, fondée par les Pélasges (1). Énée peut symboliser ces Pélasges, vaincus dans les conflits héroïques et contraints de s'exiler. Longtemps avant Virgile, la tradition faisait combattre Énée avec Turnus (forme latine de Tyrrhenus) et avec Latinus, qui mourut dans le combat (2). Le mariage du chef troyen avec Lavinie (3) représente le traité de paix et d'union entre les naturels et cette poignée de vaillants aventuriers.

Il se pourrait que cette poignée de Troyens fût même parvenue à s'emparer du pouvoir; mais la liste des rois d'Albe est à coup sûr variable et de date récente. Aux premiers jours de Rome, les fables mêmes révèlent le caractère du peuple qui les inventa, caractère

(1) Les Pélasges parlaient l'éolien, et beaucoup de mots éoliens se trouvent dans le latin, princi palement pour désigner les institutions primitives, comme τρπ. ñúc, tribus ; xvpía, curia; classis, de xλñoıç; plebs, de πλñôoç; clientes, de xkówv. (2) SERVIUS, Comment. sur l'Énéide, IV, 620: Cato dicit, circa Laurolavinium cum Æneæ socii prædas agerent, prælium commissum : in quo Latinus occisus est, fugit Turnus. Plus loin (I, 267): Secundum Catonem, Æneam cum patre ad Italiam venisse, et propter invasos agros contra Latinum Turnumque pugnasse, in quo prœlio periit Latinus. Eufin Servius dit (IX, 745) : Si veritatem historiæ requiras, primo prœlio interemptus est Latinus in

arce.

(3) C'est ainsi qu'Évandre marie à Hercule sa fille Launa, et que Laurina, fille d'un autre Latinus cenotrien, épouse Locrus.

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