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Hieron 1.

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mille chevaux, surprit l'amiral carthaginois, et le défit le jour même où Thémistocle remportait la victoire de Salamine; cent cinquante mille Africains restèrent sur le champ de bataille, et les prisonniers furent en si grand nombre que l'Afrique, disait-on, se trouvait transplantée en Sicile.

La paix fit plus d'honneur encore à Gélon que la victoire; car il imposa aux Carthaginois la condition d'abolir les sacrifices humains. Il distribua les trésors acquis dans cette guerre entre les plus braves, et en fit aussi des offrandes aux temples, surtout à celui d'Himère. Les prisonniers furent partagés entre les différents corps de l'armée, ce qui permit de mieux cultiver les campagnes, de terminer beaucoup de constructions, d'élever dans Agrigente un temple célèbre et des aqueducs non moins fameux. Gélon accepta l'alliance de ses rivaux, et, le danger conjuré de ce côté, il s'apprêtait à porter à la Grèce les secours promis, quand il apprit que le patriotisme de ses habitants avait suffi pour repousser l'étranger. Alors il licencia ses troupes; puis, ayant rassemblé ses sujets, il parut sans armes au milieu d'eux, leur rendit compte de son administration, et se vit salué des plus vifs applaudissements. Gélon s'était montré rigoureux dans le principe; mais, une fois son autorité affermie, il devint plus humain, fit prévaloir la justice et favorisa l'agriculture, vivant lui-même au milieu des cultivateurs; il repoussa de tout son pouvoir les arts qui énervent et qui corrompent, et mérita que ses sujets l'appelassent leur meilleur ami. Lorsqu'il sentit les années s'appesantir sur lui, il abdiqua en faveur de son frère Hiéron, et mourut peu de temps après. Le magnifique tombeau qu'on lui avait élevé fut détruit par les Carthaginois et par le tyran Agathocle, mais non le souvenir de ses vertus.

Son successeur tint une cour splendide; il disait que les oreilles et le palais d'un roi devaient être ouverts à tous ses sujets. Il mit un frein à l'éloquence, qui se développait alors, et favorisa de préférence les arts d'imagination; aussi vit-il accourir près de lui Bacchylide, Épicharme, le vieil Eschyle, banni de sa patrie, et Pindare, qui ne cesse de l'exalter comme généreux et juste, comme ami de la musique et de la poésie, « ouvrant aux Muses les portes de son riche et magnifique palais; » mais il dissimule l'avarice et les violences dont il se souilla. Simonide surtout s'était acquis la confiance de ce prince, qui lui demanda un jour ce qu'il pensait sur la nature et les attributs de la Divinité. Simonide le pria de lui donner un jour pour répondre, puis deux, puis trois, jusqu'à ce que, pressé par le roi, il lui avoua que, plus il

y pensait, plus le sujet lui paraissait obscur et compliqué. Hiéron attaqua Théron et son fils Thrasydée, rois d'Agrigente, parce qu'ils avaient accordé asile à son frère Polyxène, que la faveur populaire lui faisait redouter; mais Simonide, s'étant rendu médiateur entre eux, rétablit la paix, qu'il consolida par des alliances. Hieron envoya au secours de Cumes sa flotte, qui remporta une victoire sur celle des Étrusques; il transféra à Léontium les habitants de Catane, qu'il remplaça par de nouveaux colons, afin d'acquérir le titre de héros que l'on décernait aux fondateurs de cités, et pour se ménager un refuge en cas de péril.

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Il mourut dans cette ville, et son frère Thrasybule lui succéda; Thrasybule. mais les Syracusains, irrités de ses cruautés, s'entendirent avec les autres villes, le chassèrent, et instituèrent, en mémoire de sa chute, des fêtes annuelles à Jupiter Libérateur, dans lesquelles on sacrifiait quatre cent cinquante bœufs pour la solennité religieuse et le repas public.

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Syracuse rétablit alors le gouvernement républicain; à son époque. exemple, les autres villes chassaient les gens nouveaux pour restituer leurs biens aux anciens propriétaires dépouillés, et leur rendre le privilége des magistratures. Il en résulta de graves désordres et une guerre civile, qui se termina par l'expulsion des étrangers; on leur assigna pour demeure Zancle, qui avait pris le nom de Messine de colons messéniens établis dans cette ville. Ces bannis, la plupart d'origine italienne, formèrent le nœud d'une association de guerriers qui plus tard, sous le nom de Mamertins, ouvrirent l'île aux Romains, c'est-à-dire à la servitude.

Syracuse, placée à la tête des villes grecques de la Sicile, devenait de plus en plus opulente; elle regorgeait d'esclaves, de troupeaux et de tous les biens de la vie (1); car c'était un signe de prospérité que la multiplication des malheureux condamnés par la servitude aux souffrances et à l'opprobre. Leur nombre était immense en Sicile, où on les marquait avec un fer rouge, en les accablant des plus rudes traitements, excepté durant les fêtes annuelles instituées par Hercule.

Tandis que Syracuse aspirait à dominer au dehors, elle était déchirée au dedans par les dissensions. La crainte de la tyrannie lui fit instituer le pétalisme consistant à inscrire sur une feuille (πétaλov) de figuier le nom du citoyen qui, placé au premier rang dans sa patrie, encourait le soupçon de vouloir l'opprimer; si la

(1) Diodore, XI, 72.

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majorité des suffrages le condamnait, il était banni pour cinq ans. Cette loi, qui, semblable à l'ostracisme d'Athènes, éloignait des affaires les citoyens les plus dignes pour livrer la république à une foule ignorante, fut bientôt abrogée.

Les anciens Sicules n'avaient pas tous péri; ils osèrent relever la tête, et, réunissant toutes les villes, à l'exception d'Hybla, dans le même intérêt, ils entreprirent, sous la conduite de Ducétius, de chasser les Grecs. Le succès couronna leurs premiers efforts; mais ils furent enfin vaincus, et Ducétius se réfugia au pied des autels des Syracusains, qui l'envoyèrent à Corinthe. L'ancienne race resta dès lors subjuguée pour toujours.

Syracuse dut l'affermissement de sa puissance à cette victoire et à celle qu'elle remporta ensuite sur Agrigente, sa rivale. Après avoir aussi triomphé sur mer des Étrusques, elle profita de la paix générale pour accroître encore sa prospérité. Mais les Léontins, jaloux de sa puissance et mécontents de se voir enlever leur commerce, attirèrent contre elle les Athéniens, que l'illustre orateur Gorgias mit facilement dans les intérêts de ses compatriotes; car ils ne demandaient pas mieux que d'avoir à se mêler des affaires intérieures d'une île d'une si grande importance dans la Méditerranée. Ils envoyèrent donc une flotte à leur aide, et prirent une part active aux discordes intestines du pays, qui s'apaisèrent enfin, à la condition que chacun garderait ce qu'il possédait. Les Léontins, voyant alors qu'ils ne pourraient plus défendre leur ville, la démolirent, et se transportèrent à Syracuse, qui maintenait sa suprématie, bien que les Athéniens eussent tenté d'armer contre elle une confédération.

Onze années après, Ségeste et Sélinonte en vinrent à des hostilités; Syracuse prit le parti de Sélinonte, et les Ségestains vaincus réclamèrent le secours d'Athènes. Périclès avait donné aux Athéniens la pensée d'occuper la Sicile; mais il avait été assez prudent pour ne pas engager alors sa patrie dans une entreprise aussi incertaine. L'aventureux Alcibiade l'y poussa, au contraire, bien qu'elle eût toute la Grèce sur les bras dans la guerre du Péloponèse, en lui démontrant que la conquête de la Sicile la rapprocherait de l'Afrique et de l'Italie. La guerre fut donc décrétée, Guerre avec et sa direction confiée à Alcibiade lui-même, à Nicias et à Lamachus. La confiance dans le succès était si grande que le sénat avait décidé à l'avance du sort des différentes provinces de l'île. Les gens sages s'opposaient de toutes leurs forces à l'expédition, bien que la loi défendît de remettre en discussion une décision prise. Nicias continua de la combattre avec autant de chaleur qu'Al

les Athéntens.

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cibiade en mettait pour la faire entreprendre. Le peuple, entraîné par celui-ci, et naturellement partisan de tout ce qui est hasardeux, se rangea du côté de la conquête, et fit hâter les préparatifs. Cent trente-quatre trirèmes se réunirent donc à Corcyre avec vingt mille soldats pesamment armés, plus les archers et autres troupes légères, et trente chevaux seulement.

La mer une fois traversée, les Athéniens furent mal accueillis à Thurium, à Locres, à Rhégium, quoique ces villes eussent été colonisées jadis par des Ioniens; les Ségestains, qui s'étaient engagés à payer les dépenses de la guerre, n'avaient pas plus de trente talents (1) dans le trésor public. Nicias propose alors de ne pas fournir aux Ségestains, qui les avaient abusés, au delà du secours qu'ils étaient en mesure de payer, et de revenir à Athènes. Lamachus voulait, au contraire, tenter la fortune contre Syracuse; Alcibiade, entrer en négociation avec les autres villes. La discorde se mit ainsi entre les généraux. Alcibiade, dont l'avis l'emportait, fut rappelé à Athènes pour se disculper de l'accusation de sacrilége. Nicias, qui n'avait point de confiance dans la cause que l'on avait embrassée, hésitait et décourageait les soldats. Enfin Syracuse fut assiégée, mais quand elle avait déjà pu Sede. s'approvisionner en vivres et en munitions, tandis que les Athéniens, au contraire, s'étaient épuisés d'hommes, de provisions, et avaient perdu courage.

Syracuse, située sur un promontoire en forme de triangle, défendue de trois côtés par la mer et dominée par le fort d'Épipoles, était entourée de très-fortes murailles, qui, dans leur enceinte de dix-huit milles de tour, renfermaient douze cent mille habitants. Elle avait trois ports: le Trogile, le petit port appelé de Marbre, et le grand où se trouvaient les chantiers, pouvant recevoir trois cents galères (2). Elle se divisait en quatre quartiers, Achradine, Tyché, Témène et Ortygie ou l'Ile ; ce dernier quartier forme à lui seul toute la ville actuelle, et il est excessivement vaste pour les quatorze mille habitants qui lui restent. Les pierres tirées des latomies voisines, transformées ensuite en prisons, avaient servi à sa construction. On admirait surtout son temple dorique de Minerve, avec ses deux façades et son péristyle extérieur, dans le fronton duquel on voyait une immense égide de bronze ornée de la tête de la Gorgone; les portes, d'un bois rare, étaient incrustées d'or et d'ivoire; des peintures précieuses l'embellissaient, et plus tard

(1) 165,000 francs environ.

(2) DIODORE de SICILE, XVI, 7; FLORUS, II, 6, 24.

Siége

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Août.

Dioclès.

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Archimède dessina sur le pavé un méridien où le soleil venait frapper en droite ligne à l'époque des équinoxes.

Le démagogue Athénagore avait aveuglé les Syracusains sur le danger; aussi, lorsqu'il devint menaçant, s'effrayèrent-ils au point que ce fut à peine si le généreux Hermoclès put relever leur courage. Nicias dirigea les travaux du siége avec une telle habileté qu'il était au moment de s'emparer de la ville, quand Alcibiade, qui, mécontent de sa patrie, s'était refugié chez les Spartiates, conseilla à ces Doriens de secourir la dorique Syracuse; en effet, ils lui envoyèrent Gylippe. Nicias, se trouvant dans une position difficile, demande à être remplacé, et l'on envoie pour prendre le commandement Démosthène et Eurymédon. Le premier, désapprouvant les lenteurs de Nicias, livre bataille, la perd, et le siége est levé.

Les Athéniens ne songeaient alors qu'à se retirer sains et saufs, et il en était temps; mais, comme on allait lever l'ancre, le soleil s'éclipse, et Nicias, ne voulant pas s'embarquer avec un si mauvais présage, fait retarder le départ. Les Syracusains et Gylippe profitent du moment, attaquent les Athéniens par terre et par mer, et leur font essuyer la déroute la plus complète. Les Syracusains s'étaient assuré l'avantage sur mer, en faisant leurs proues moins hautes que celles des Athéniens; ils pouvaient donc frapper les navires ennemis à fleur d'eau ou au dessous, et parfois ils les coulaient du premier choc. Eurymédon périt en combattant; Nicias et Démosthène, faits prisonniers, se donnèrent ou reçurent la mort dans leur cachot. Sept mille prisonniers furent renfermés dans les carrières, où ils restèrent exposés au soleil et à la pluie, n'ayant presque rien pour apaiser leur faim et leur soif. Les uns moururent, les autres résistèrent à cette vie de privations et de douleurs, un certain nombre fut vendu. Heureux, parmi ces derniers, ceux qui connaissaient les productions littéraires de la Grèce ! Les vers d'Euripide, récités de mémoire, valurent à plusieurs d'entre eux la liberté et leur retour dans leurs foyers (1). Ce fut ainsi que les Syracusains se vengèrent de ceux qui venaient envahir leur patrie, et Athènes ne se releva plus d'un aussi rude échec.

Le triomphe des Syracusains accrut encore leur grandeur. Ils se décidèrent, d'après les conseils de Dioclès, à réformer leur gouvernement; des juges furent élus au sort, et l'on chargea de la

(1) PLUTARQUE, Vie de Nicias, 29. Nous y lisons aussi que les Siciliens accueillirent un navire caunien poursuivi par des pirates, et qu'ils repoussaient de leur rivage, aussitôt qu'ils se furent aperçus que ceux qui le montaient savaient des vers d'Euripide.

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