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vibrations des corps sonores. Ils l'étendirent, par la suite, aux sciences morales et à la médecine, mais comme une algèbre, un langage universel des sciences, une méthode de comparaison. Quelque mystère qui enveloppe encore la véritable science des nombres pythagoriques, on doit supposer que tel en était le sens, et telle l'application à l'art de guérir.

Rien, il est vrai, ne prouve à priori que la nature ait une préférence quelconque pour les nombres trois, sept ou quarante; mais l'expérience ne révèle-t-elle pas un certain ordre même dans ce qui semble le plus désordonné, et une certaine périodicité dans les mouvements vitaux, dans la formation et le développement des organes, dans la marche de leurs fonctions, dans les crises des maladies? Les faits recueillis par Hippocrate, Galien, Arétée et d'autres anciens, puis par leurs abréviateurs et continuateurs, semblèrent d'accord pour vérifier l'exactitude de la doctrine des nombres chez les anciens; parmi les modernes, Stahl embrasse cette doctrine, la fortifie, l'applique à l'histoire des phénomènes de la vie; Hoffman, bien que plus timide, s'en rapproche dans plusieurs de ses dissertations; Boerhaave finit par lui rendre hommage, et Cabanis la respecte; pour nous, qui sommes loin de l'adopter, nous rappellerons seulement qu'il est très facile de tourner en ridicule un homme ou une doctrine, et que rien n'est plus opposé que l'histoire à l'esprit de légèreté et de moquerie.

Quand l'association pythagoricienne fut dissoute, ses membres se dispersèrent dans toute l'Italie et la Grèce, et les habitants de Crotone et de Cyrène furent en grande réputation comme médecins. Comme investigateurs libres, ils visitaient au lit le malade, qui n'était plus contraint de se faire apporter au temple; dégagés des idées superstitieuses, ils cherchaient les causes de la maladie dans la nature, et non dans la colère des dieux. Les Asclépiades de Cnide, n'ayant pu réussir à se délivrer de leur concurrence par la calomnie et les persécutions, durent, eux aussi, renoncer au mystère; ce fut alors qu'ils se mirent à pratiquer ouvertement les méthodes de traitement recueillies des tablettes votives, et réduites en aphorismes : cette forme proverbiale, nous la trouvons commune à d'autres sciences encore au berceau.

460-360.

A cette époque, Hérodicus ressuscitait la médecine gymnastique, invention d'Esculape, qui s'accordait avec le génie des Grecs en proposant comme remède les exercices du corps; c'était associer la médecine aux institutions publiques, comme les prêtres l'avaient combinée avec la religion. Son disciple fut Hippocrate, Hippocrate,

issu d'une famille d'Asclepiades qui, depuis dix-sept générations, exerçaient la médecine à Cos, Ayant abandonné sa caste, qui l'aurait asservi à la routine, il étudia et exerça, dans d'autres lieux; mais il s'instruisit surtout auprès des périodeutes.

Doué de l'esprit d'invention et de ce bon sens qui plane audessus des opinions dominantes et devance les siècles, il saisit le premier le véritable aspect sous lequel la médecine devait être considérée, et la sépara de la philosophie des écoles; aux observations faites dans les temples il joignit ses propres observations, et fut surtout vanté pour l'excellence de sa méthode dans le traitement des maladies aiguës. Celui qui le jugerait d'après l'état présent de la science pourrait se rire facilement d'un savant qui ne distinguait pas les veines des artères, connaissait peu le pouls, ignorait le jeu des muscles ainsi que l'importance du système nerveux, et avait à peine une notion des principaux organes renfermés dans les grandes cavités du corps; ce qui l'obligea, dans une aussi grande disette d'éléments physiologiques, à ne faire usage, dans l'exercice de la médecine, que de la synthèse expérimentale. Mais Hippocrate devient prodigieux quand on le considère relativement au temps où il vivait : il n'est pas de phénomène morbide qui lui échappe, quoiqu'il n'en scrute pas l'origine et ne cherche pas à les réunir tous pour en former des classes distinctes, qu'il s'égare même en de vaines rêveries lorsqu'il recherche les causes des symptômes. Il se vantait, comme de la plus utile de ses découvertes, d'avoir inventé l'hygiène ; il part de l'état de l'homme en santé pour expliquer celui du malade; il étudie très-attentivement les phénomènes qui nous entourent, l'air, les eaux, les lieux, les épidémies, les influences des vents, deyançant de deux mille ans Montesquieu, Bodin, Herder, Cabanis, et tous ceux qui affirment que l'homme doit tout au climat; moins blâmable qu'eux en ce qu'il n'avait pas l'histoire pour le démentir (1). Il expose ses

(1) « Les Européens qui habitent les montagnes, les pays rudes, élevés, secs, où les saisons amènent de grands changements, sont naturellement de haute stature, laborieux, braves; ils ont dans leur caractère quelque chose d'agreste et de sauvage. Ceux qui habitent les vallées, les pays couverts de pâturages, tourmentés par des chaleurs étouffantes, plus exposés aux vents du midi que du nord, ceux-là sont petits, mal proportionnés, trapus; ils ont les cheveux foncés, et sont moins flegmatiques que bilieux, sans pourtant manquer ni de force ni de courage, et ils pourraient acquérir l'un et l'autre si les institutions venaient en aide. Au reste, s'il y avait dans leur pays des fleuves qui entraînassent les eaux dormantes et celles de pluie, ils pourraient jouir d'une bonne santé et avoir un beau teint. Si, au contraire, il n'y avait pas de fleuve, et s'ils buvaient des aux stagnantes dans des réservoirs ou des eaux de marais, ils auraient infailli

idées avec netteté et concision, sans faire usage de ces termes prétentieux dont quelques-uns hérissent la science; il se sert, au contraire, d'expressions simples et populaires. La maladie et la nature, toujours bonne et sage, luttent ensemble, et, selon que cède l'une ou l'autre, c'est le malaise, la santé ou la mort. La tâche du médecin n'est donc que de seconder, que d'aider la nature, qui est le médecin par excellence; pour cela, il doit observer attentivement les temps critiques.

Hippocrate voulait que les médecins fussent chastes, décents, discrets, aimables, reconnaissants; qu'ils secourussent gratuitement le pauvre, et crussent que les choses humaines sont dans la main de la Divinité. La peste s'étant déclarée dans les provinces perses, le grand roi envoie vers Hippocrate, auquel fait offrir honneurs et trésors s'il consent à donner ses soins à ses sujets; mais Hippocrate répond: J'ai dans ma maison la nourriture, le vêtement et un lit; je n'ai besoin de rien au delà, et je n'irai pas servir les ennemis de ma patrie et de la liberté.

Voilà le grand homme, s'écrie Cabanis, le sage philanthrope, qui, par ce simple refus, sert sa patrie autant que Miltiade et Themistocle par leurs éclatantes victoires, et dont la mémoire contribua ensuite, plus qu'on ne le croit, à l'affranchissement des nations (1).

blement de gros ventres et seraient sujets à des affections de la rate. Ceux qui habitent des lieux élevés, aérés, exposés au soleil, et en même temps humides sont d'ordinaire grands et se ressemblent entre eux; leurs moeurs sont moins viriles et plus douces. Ceux qui habitent des terroirs légers, secs et nus, ont la constitution sèche et nerveuse, et une opiniâtreté que rien ne fléchit. Partout enfin où les saisons produisent de grands changements, les hommes changent aussi d'aspect et de tempérament, comme de mœurs et d'habitudes.

« Ainsi la différence des saisons peut être considérée comme la première cause de celle des hommes, puis les qualités du sol et des eaux; et l'on peut établir en principe que toutes les autres productions de la terre se conforment également à la nature du sol, »

Hippocrate va encore plus loin: La lâcheté, ajoute-t-il, s'accroît par l'indolence et l'inaction; « le courage naît de l'exercice et du travail; les Grecs sont pour cela plus aptes à la guerre que les Asiatiques; mais les lois qu'ils se donnent eux-mêmes, au lieu de les recevoir d'un roi, y entrent pour beaucoup. Partout où le despotisme règne, la valeur manque nécessairement. Des esclaves n'exposent pas volontiers leur vie pour augmenter la puissance de leur maître. Si la nature leur départ du courage, le joug sous lequel ils sont condamnés à vivre ne tarde pas à le leur enlever. Ceux qui se régissent par leurs propres lois bravent les dangers avec joie, parce que c'est pour eux-mêmes qu'ils cherchent la victoire. Les institutions contribuent donc à rendre les hommes lâches ou courageux. » —— Traité des airs, des eaux et des lieux, 23 et 24.

(1) Du degré de certitude de la médecine.,

Nous admirons aussi de semblables vertus, mais avec la réserve convenable, eu égard à l'égoïsme national, caractère de l'époque païenne. On admirerait bien plus aujourd'hui, et l'on a admiré en effet de nos jours, ceux qui, sans distinction de peuple et de croyance, vont porter secours à l'humanité partout où elle souffre. Quoi qu'il en soit, les Athéniens reconnaissants accordèrent à Hippocrate le droit de cité, l'initiation aux mystères d'Éleusis, et les honneurs du Prytanée, comme à l'un des bienfaiteurs de la patrie (1).

(1) « Attendu qu'Hippocrate de Cos, médecin, descendant [d'Esculape, déploya le plus grand zèle pour la conservation des Grecs quand les barbares y apportèrent la peste; qu'en envoyant ses élèves où le mal sévissait, il fit connaître les remèdes qui préservaient ou guérissaient; qu'il publia tout ce qu'il avait écrit sur la médecine, voulant que d'autres médecins fussent en état de conserver où de rendre la santé; que le roi de Perse lui offrit de grands honneurs et de très-riches présents, et qu'il les refusa parce que ce roi est l'ennemi des Grecs;

« Le peuple d'Athènes voulant montrer combien il apprécie tout ce qui est profitable à la Grèce, voulant aussi donner à Hippocrate une récompense digne des services qu'il a rendus, décrète qu'Hippocrate sera initié aux grands mystères, comme le fut Hercule, fils de Jupiter; il recevra une couronne d'or, et le héros proclamera ce don dans les grandes Panathénées. Les enfants nés à Cos pourront passer leur adolescence à Athènes comme les enfants des Athénions, par égard pour un pays qui a produit un tel homme. Le droit de cité est accordé à Hippocrate, qui sera, durant toute sa vie, nourri dans le Prytanée. »

SERMENT D'HIPPOCRATE.

« Je jure par Apollon médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, et par tous les dieux et toutes les déesses, selon mes forces et mon intelligence, d'accomplir ce serment; je jure d'honorer comme mon père celui qui m'a enseigné cet art, de veiller à sa subsistance, de pourvoir libéralement à ses besoins, de considérer ses enfants comme mes propres frères, de leur apprendre cet art sans salaire ni conditions, s'ils veulent l'étudier; de communiquer les préceptes vulgaires, les connaissances secrètes et tout le reste de la doctrine à mes enfants, à ceux de mes maîtres et aux adeptes qui se seront enrôlés et que l'on aura fait jurer selon la loi médicale, mais à aucun autre. Je ferai servir, suivant mon pouvoir et mon discernement, le régime déitétique au soulagernent des malades; j'éloignerai d'eux tout ce qui pourrait leur être nuisible et toute espèce de maléfice, je n'administrerai un médicament mortel à qui que ce soit, quelques sollicitations qu'on me fasse, et jamais je ne le conseillerai. Je n'administrerai non plus à aucune femme des drogues abortives; je conserverai ma vie pure et sainte, aussi bien que mon art. Je n'opérerai point ceux qui souffrent de la pierre, mais je laisserai la taille aux opérateurs. J'entrerai dans les maisons pour y secourir les malades, me gardant de toute iniquité volontaire, m'abstenant de toute espèce de débauche, m'interdisant tout commerce honteux, soit avec les femmes, soit avec les hommes, libres ou esclaves. Les choses que je verrai ou que j'entendrai dans l'exercice de ma profession, ou hors de mes fonctions dans le commerce des hommes, et qui ne devront pas être divulguées, je les tairai,

Il est probable que ses ouvrages nous sont parvenus altérés et mutilés. Galien nous apprend qu'il écrivit très-peu, et pour son usage, non pour le public; que ses fils coordonnèrent et disposèrent à leur gré ses travaux, auxquels ils ajoutèrent leurs doctrines propres et celles des temps, ainsi que des passages de médecins antérieurs (1). Mais l'esprit d'observation, né avec lui, ne s'éteignit plus. Les sophistes, néanmoins, causèrent à la médecine un tort considérable, en substituant les discours prolixes à l'aphorisme précis, les subtilités à l'expérience, et en mêlant ensemble les systèmes des différentes écoles. Il est vrai que les Grecs songèrent plus à jouir de leur air limpide et de la pureté de leurs eaux qu'à les analyser.

Les États qui s'occupèrent des arts avec tant de soin, négligè

les regardant comme des secrets inviolables. Si je ne viole ni ne mets en oubli ce serment, que ma conduite et mon art puissent me profiter, et ma réputation vivre à jamais parmi les hommes; si je le néglige ou me parjure, que le contraire m'arrive! >>

Hippocrate passe en revue les qualités du médecin dans l'opuscule intitulé : Du médecin.

« Ce livre, dit-il, est la règle du médecin et enseigne ce qu'il doit faire pour bien disposer l'officine médicale. Nous estimons qu'il est nécessaire pour le médecin d'avoir, autant que la nature le lui permet, le teint frais et de l'embonpoint, parce que le vulgaire pense que celui qui ne se porte pas bien lui-même ne peut rien pour la santé des autres. Il faut qu'il soit propre sur sa personne, qu'il soit vêtu honorablement, et fasse usage de parfums dont l'odeur ne soit désagréable pour personne; les malades en reçoivent une sensation agréable. Qu'il songe à faire preuve de modestie, non-seulement en se taisant, mais encore dans tous ses actes. Les bonnes mœurs et les manières honnêtes contribuent grandement à la bonne opinion et à l'autorité. S'il les possède, il doit aussi se montrer grave et humain; car l'assurance et la promptitude téméraire sont méprisées, bien que parfois elles soient utiles. Il faut pourtant réfléchir quand il convient d'en faire usage. Les mêmes offices rendus aux mêmes personnes gagnent du prix en raison de leur rareté. Quant à son maintien, qu'il ait le visage grave sans dureté, pour ne pas paraître hautain et incivil. Celui qui s'abandonne à un rire immodéré, à une gaieté excessive, devient insupportable, et c'est ce qu'il faut éviter avec grand soin. Qu'il soit ensuite juste dans toutes les circonstances; la justice lui sera très-utile; car il a de nombreuses et étroites relations avec ses malades : à toute heure, il se trouve avec des femmes, des jeunes filles, au milieu d'objets d'un grand prix; il importe donc qu'il se conduise avec la plus grande réserve, avec la plus parfaite délicatesse. Tel doit être le médecin et pour l'âme et pour le corps. »>

Hippocrate continue en indiquant les instruments que doit avoir le médecin, d'où il semble résulter que celui-ci n'était pas distinct du chirurgien, excepté dans quelques opérations particulières, comme celle de la pierre.

(1) Une bonne édition d'Hippocrate, texte et traduction, avec des notes philo. logiques et des commentaires médicaux, due au savant M. Littré, membre de l'Institut de France, est en cours de publication à Paris : elle formera neuf volumes; huit sont publiés.

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